La dactylographe de Mr James – Michel Heyns
- Par hervegautier
- Le 20/01/2013
- Dans Michel Heyns
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N°619– Janvier 2013.
La dactylographe de Mr James – Michel Heyns- Éditions Philippe Rey.
Traduit de l'anglais (Afrique du sud) par Françoise Adelstain
Le grand écrivain américain Henry James (1843-1916) engagea en 1907 Theodora Bosanquet (1880-1961) en qualité de secrétaire. Elle le restera jusqu'à la mort de l'écrivain. Son travail consistait à taper à la machine sous la dictée de James. Elle ne se contenta pas de ce travail assez ingrat et écrivit elle-même « Henry James à l'ouvrage »(1924) où elle porte témoignage à la fois de l'homme et de l'écrivain. D'autre part elle publia également son journal ce qui fit d'elle un auteur reconnu.
L'auteur, Michel Heyns, s'empare de cette relation professionnelle authentique pour faire de Theodora, rebaptisée Frieda Worth, alors âgée de 23 ans, un personnage de roman. Tel est le prétexte de ce récit bien documenté, fort bien écrit, plein d'humour délicat, de descriptions agréables, d'analyses psychologiques. Il est en tout cas fort bien traduit (notamment avec un grand souci du mot juste) qui mêle la fiction à la réalité, créant lui-même pour les besoins de son récit des faits qui n'ont pas existé où qu'il déplace dans le temps et dans l'espace, s'inspirant de théories qui nourrissent son écriture, comme il s'en explique dans une note à la fin de l'ouvrage. Le texte distille une musique qui plonge le lecteur dans une ambiance surannée et un dépaysement agréable.
Sous la forme d'un récit chronologique qui va de novembre 1907 à juillet 1909, le narrateur décrit une époque où la femme est un citoyen de seconde zone dans un monde d'hommes mais où se développent cependant des mouvements d'émancipation. Frieda, jeune femme cultivée, discrète et vive d'esprit, promise à un avenir de mère de famille traditionnelle, cherche cependant à s'émanciper par le travail. Elle est toute disposée à se mettre au service de M. James avec compétence et réserve, même si elle considère que, pour gagner sa vie, elle mérite mieux que cet emploi subalterne. Elle s'installe donc à Ry, petite ville guindée du Sussex et s’acquitte de sa tâche. Il s'agit de préparer une édition complète, corrigée et commentée de l’œuvre de James. Dans cette maison de « Lamb house » vivent, autour de M. James des domestiques discrets, des invités parfois exubérants et extravagants et même le chien Max qui complète agréablement le tableau. Frieda y rencontre a romancière américaine Edith Warthon (1862-1937), Morton Fullerton, journaliste américain, correspondant du Times à Paris, amant de cette dernière et ami de M. James. Avec lui elle noue une relation cordiale et respectueuse au début, la promesse d'une future vie commune et même une relation amoureuse même si cette dernière, par sa rapidité, est quelque peu en contradiction avec le puritanisme de l'époque. En réalité c'est plutôt un marché autour de lettres jugées compromettantes pour lui qu'elle est chargée de récupérer, même si pour cela, et contrairement à l'éducation qu'elle a reçue de sa mère, elle doit trahir le naïf M. James. Elle le fera par amour mais le déroulement des événements lui révélera le cynisme de M. Fullerton et finalement orientera sa vie future.
De son propre aveu, l'auteur précise qu'il prend des libertés avec la personnalité de Miss Worth, encore qu'on peut aisément imaginer qu'elle ait pu obéir à l'invitation de M. James de profiter de la vie[« Profitez de la vie autant que vous le pouvez, c'est une erreur de ne pas le faire ». Ce qui est sûr en revanche c'est que Theodora Bosanquet a eu après la mort de M. James des communications avec lui par le biais du spiritisme, ce qui, en quelques sorte prolongea la fonction de dactylographe de cette dernière. L'auteur la rend également réceptive à la télépathie pratiquée, par l’intermédiaire de sa Remington, avec le même M. Fullerton ! Cela peut paraître un peu fantaisiste mais Heynz a choisi de rendre compte, par ce biais de l'intérêt que portait Thoedora Bosanquet aux phénomènes paranormaux. En réalité, Frieda prend de plus en plus d'importance au sein même de cette famille puisque, au départ, on considérait qu'une simple dactylographe ne fournissait qu'une prestation, n'était pas obligée de comprendre ce qu'elle tapait et n'était que le simple prolongement de sa machine. Au fur et à mesure du récit, et notamment à l'invitation de la nièce de M. James, elle s'impose également, loin des esprits frappeurs, des guéridons et autres séances d'invocation, comme une sorte de médium entre cette dernière et une tante décédée. Sa machine va donc devenir une sorte d'instrument de « l'écriture automatique » et Frieda un truchement indispensable dans ce phénomène. Aux yeux de M. James, elle prend aussi une autre dimension qui décide de sa vie future. En revanche, elle ne va pas tardé à s'apercevoir de la duplicité, de l'hypocrisie et de la trahison qui animent les différents membres de ce microcosme comme toutes les sociétés humaines qui en sont friandes. M. James, lui, semble à part, comme dans une bulle, uniquement préoccupé par son écriture.
Ainsi l'auteur en profite-t-il pour parler de la mort, de la vie, de la notoriété, de la renonciation, en les relativisant (« La vie nous trahit, seul l'art ne déçoit pas »). Dans ce lieu un peu à part, le lecteur voit peu à peu apparaître des thèmes consacrés aux suffragettes et au spiritisme et aux techniques nouvelles, traduisant des préoccupations en vogue à l'époque victorienne mais aussi des comparaisons entre l'ancien et le nouveau monde, William James, le frère d'Henry résidant avec sa famille aux États-Unis.
Miss Worth est donc le témoin privilégié d'un monde auquel elle n'appartenait pas au début mais qu'elle parvient cependant à maîtriser. La scène finale, dans le brasier qui se consume est révélatrice et Frieda n'est plus un simple secrétaire, elle devient l'égal de James face à la vie. C'est un peu comme s'il lui passait un relais de l'écriture. Quant à Heyns, sans tomber dans le plagiat, il rend fort bien l'ambiance des œuvres de James. L'hommage qu'ainsi il lui rend est de qualité.
J'avoue volontiers que, malgré quelques remarques sur la vraisemblance de certains épisodes, ce roman m'a procuré un bon moment de lecture.
©Hervé GAUTIER – Janvier 2013.http://hervegautier.e-monsite.com
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