ARGENTINA – Dominique BONA
- Par hervegautier
- Le 17/10/2009
- Dans Dominique BONA
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N°24
Janvier 1989
ARGENTINA – Dominique BONA – Editions Mercure de France.
Je voudrais aujourd’hui faire partager mon coup de cœur pour un roman dont la parution remonte à 1984-1985. En effet, mon sentiment n’a jamais été que l’intérêt d’un livre réside uniquement dans sa nouveauté. Ce qui est écrit reste à découvrir, à lire, à relire, à apprécier…
Il y a des périodes dans la vie d’un homme où tout s’effondre autour de lui, tout se dérobe. Restent l’attrait de l’inconnu et l’espoir qu’on y fonde pour exorciser le passé… Pour Jean Flamant, cet effondrement résulte de la guerre. On a beaucoup dit que la Première Guerre Mondiale avait été un tournant… De ce grand chambardement qui l’a empêché de poursuivre ses études, Jean ressort pauvre et décide d’échapper au nord de la France en même temps qu’à sa vie.
L’espoir, la pauvreté et l’attirance pour l’exotisme le poussent vers cette terre de passion, de rêve et d’aventure. Cela fait de lui un émigrant qui, un matin de 1920 à Bordeaux, s’embarque pour l’Argentine. En réalité « Il fuyait un pays qui mettait tant d’obstacles sur sa route ». Dès l’embarquement, il croise une femme qui se dirige vers les 1° classes alors que lui voyage près des soutes mais «jura qu’un jour il donnerait le bras à une femme semblable ». Dès lors, le ton est donné, Jean est ambitieux et part pour réussir. Il saura tirer profit des événements.
Des lupanars aux grands espaces, des petits boulots à la réussite sociale, de la chambre d’un hôtel minable à la maison cossue de «la Récolta » et aux salons du Jockey-club, le lecteur attentif suit l’itinéraire de Jean, guide d’exception dans ce pays où les images poétiques créent le dépaysement. L’histoire de cet homme, parti de rien, devenu en quelques années et malgré la crise de 1929 un industriel influent est un homme d’affaires avisé se déroule dans le cadre des paysages envoûtants des Andes, de la Pampa pour se terminer dans cette ville au nom enchanteur : Ushuaia.
Cet homme ambitieux doit cependant beaucoup aux femmes, sa réussite, son bonheur, ses plaisirs, sa fortune. Ces femmes, ces maîtresses, sensuelles, désirables, énigmatiques passent dans sa vie et lui va de l’une à l’autre, avec le détachement de celui à qui tout sourit et qui s’autorise, une fois épuisé l’intérêt qu’il leur a porté, à jeter leur ombre au souvenir. Il n’en ressortira cependant pas indemne !
Ce livre est aussi un roman à personnages : Mandoline, la petite prostituée française qui reviendra au pays fortune faite, Robert de Liniers, homme attentif au souvenir et au culte de ses ancêtres, amant fougueux, héros mutilé de la Grande Guerre et qui a cette phrase, parlant de son bras perdu au Chemin des Dames «toutes les blessures ont un nom de femme », Léon Goldberg, émigrant lui aussi, industriel en viande, mélomane, sa fille Sarah, un peu fantasque, un peu romantique, cultivée et insouciante. La vie en fera la femme de Jean, mais aussi une mère attentive et aimante, une épouse réaliste…, Jean Flamant, que cette guerre précipita en Argentine pour tout recommencer.
D’autres personnages sont plus fuyants, Clarance, aventurier mélomane, Don Raphaël Ponferrada, gentilhomme de la Pampa, à la fois Hidalgo et fermier…
Il y a des femmes aussi dont le parfum subtil se mêle à la fragrance de ce pays, à la beauté de ses paysages : Lady Campbel, sensuelle et mondaine, Térésa Carmen, tenancière de maison close, Martha, l’épouse de Don Raphaël, ils forment ensemble un couple étrange, à la fois frivole et uni. Thadéa Olostrov, botaniste, «métis de mayas et de vikings », passionaria de la révolution prolétarienne au moment de la crise de 1929 mais aussi femme étrange et rare dont Jean tombe amoureux et qu’il va rejoindre en Terre de Feu après avoir renoncer à sa réussite. Elle a cette phrase qui résume tout ce qui les sépare : « Ta vie est un challenge, ma vie une promenade, nous ne marchons pas du même pas »
C’est un roman où l’amour se mêle à la souffrance, le désir à la quête, le chagrin à l’oubli, une saga contée dans un style agréable à lire, alerte et poétique. L’intérêt de l’intrigue tient le lecteur jusqu’à la fin dans un dépaysement total.
© Hervé GAUTIER.
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