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la feuille volante

Histoires de la nuit

N°1728 – Mars 2023

 

Histoires de la nuit - Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.

 

D’emblée, le décor est planté, un hameau de trois maisons au nom mystérieux et inquiétant au milieu de nulle part, une maison vide, la deuxième occupée par Christine, une artiste-peintre retirée des mondanités qui s’est réfugiée là pour finir ses jours, Patrice Bergogne, un agriculteur bourru qui a toujours vécu ici, c’est un brave homme, un peu naïf mais surtout amoureux de son épouse la belle Marion qui travaille dans la ville d’à côté, Ida leur jeune fille à qui Christine sert de Tatie. Tout est modeste et désert ici et les lettres anonymes de menace déposées chez l’artiste prennent soudain une dimension énigmatique, viennent troubler la paix de ce microcosme rural et précèdent une visite qui se révèle vite indésirable.

C’est aussi l’histoire de ce couple mal assorti qu’observe Christine, où l’amour a laissé place à la routine et où les époux s’éloignent l’un de l’autre à cause de l’usure inévitable du couple, avec leurs petits accrocs ordinaires et les petites libertés qu’on s’octroie dans le secret. Ida qui adore ses parents grandit dans cette famille et se réfugie dans ces « histoires de la nuit », un livre plein d’aventures à la fois effrayantes et merveilleuses qui nourrissent ses rêves. Cela aurait pu durer comme cela pendant des années sans même qu’on voit le temps passer, mais la vie n’est pas un long fleuve tranquille, avec ses bouleversements qui interviennent quand on s’y attend le moins, avec cette volonté de croire que tout est possible et que peuvent prévaloir l’oubli, la bonne foi, la justice, le bon droit contre l’opportunisme et la trahison, contre les envieux, les destructeurs qui se croient tout permis parce qu’ils ont une parcelle de pouvoir et qu’ils entendent en abuser ou contre ceux qui ont choisi d’évoquer un passé aux souvenirs délétères. C’est compter sans le hasard qui fait partie de la vie bien plus qu’on ne veut l’admettre, sans le passé qui vient soudain présenter sa créance qu’on croyait oubliée, avec le silence qui n’est qu’un bouclier dérisoire contre des turpitudes longtemps cachées, avec son lot de rancœurs et sa volonté de vengeance contre toutes les injustices qu’on nous a imposées, le poids d’une enfance assassinée, ses ressentiments contre la vie que d’autres nous ont obligés à subir avec suffisance et arrogance parce que les comptes se règlent toujours d’une façon ou d’une autre. On peut avoir la naïveté d’inventer un passé banal à ceux qu’on a choisi pour les siens et avec qui on a résolu de lier sa propre vie, ou de ne pas trop chercher à connaître le déroulé de périodes où on n’était pas, la réalité revient toujours pour remettre les choses à leur vraie place, elle nous ouvre les yeux qu’on avait malencontreusement maintenus fermés. Leur vrai image s’impose alors à nous dans toute sa rudesse, dans toute sa cruauté, les ressentiments longtemps tus éclatent dans le déroulement brutal des événements, les zones d’ombre apparaissent enfin, nous révélant l’étendue de notre erreur et de leur hypocrisie. Le pardon est désormais impossible tant les choses ont été si longuement et sciemment cachées. C’est un peu tout cela qu’Ida découvre lors de cette soirée qui qui se voulait festive mais qui la fait soudain sortir de son univers protégé de l’enfance, lui révélant autrement que dans ses contes du soir le monde des adultes, leur violence, leurs mensonges, leurs non-dits, leur volonté de domination, leurs aspirations à la liberté et leur image qui soudain se délite. Le visage convenu de Marion s’efface au rythme des mots prononcés, son image se gomme peu à peu en révélant une autre bien moins idyllique, des comptes se règlent entre frères mais Patrice non plus n’est pas en reste et il ne sort pas indemne de tout cela.

 

Malgré des phrases un peu longues, ce roman est agréable à lire, avec une écriture à la fois brute et fluide, un luxe de détails et de précisions, une architecture subtile ce qui maintient l’attention et l’intérêt du lecteur jusqu’à la fin. A travers un récit aux multiples rebondissements, l’auteur nous présente une analyse psychologique à la fois fine et brutale, une galerie de portraits d’où la nature humaine ne ressort pas grandie parce que l’habiller de vertus et de bons sentiments est une erreur. Les situations qu’il nous donne à voir sont pertinentes et révélatrices d’une volonté de mystification, de violence, de secret qui caractérise les êtres humains noyés dans une société qui a perdu ses repères traditionnels et c’est aussi le rôle de l’écrivain que d’être un miroir de son temps et de l’humanité. J’ai aimé ce roman où s’insinue une intrigue si habillement menée qu’elle tient le lecteur en haleine , distillant dans un huis-clos pesant un suspense de bon aloi.

 
  • 1 vote. Moyenne 5 sur 5.

Commentaires

  • Laurent
    • 1. Laurent Le 12/04/2023
    Merci de cette critique, qui ne deflore pas l’intrigue ( est ce qu’on dit comme ça)
    Mais cela donne une idée juste de ce qu’apporte cet auteur, ne pas pouvoir lâcher le livre, tellement on est suspendu à ces phrases, que je n’ai pas remarqué longues, mais je vais m’y replonger.
    Formidable histoire, dramatique histoire, humaine, trop humaine…
    Pour « LES HOMMES » j’attends ta lecture

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