Cœurs cicatrisés
- Par hervegautier
- Le 25/05/2020
- Dans Max Blecher
- 0 commentaire
La Feuille Volante n° 1468.
Max Blecher- Cœurs cicatrisés.
Tout d’abord je remercie Tanderica de m’avoir permis d’aborder Max Blecher (1909-1938) romancier roumain dont elle est la traductrice.
Ce roman a été publié en 1937 soit quelques mois avant la mort de son auteur. Emmanuel, un jeune étudiant roumain, atteint du mal de Pott, la tuberculose osseuse, interrompt ses études pour être soigné dans un sanatorium à Berck sur mer. A cette époque, cette maladie était redoutée parce que très contagieuse, sans traitement autre que le sanatorium réservé aux plus riches. Cet endroit est évidemment un microcosme où tout est exacerbé par cette maladie, la vie s’y déroule au rythme de la douleur, des espoirs de guérison, de la solitude, de la désespérance, avec ses histoires de haine et d’amour, de violences et de jalousies, une société en raccourci, mais avec des séances quelque peu surréalistes et même érotiques où les malades font semblant d’être bien portants. Les malades, de véritables morts-vivants, vivent couchés sur un chariot mobile et plâtrés, dans l’atmosphère aseptisée du sanatorium ou face à la mer, mais aussi dans la crasse et la sueur qui s’accumulent sous la coque qui les entrave. Le plus étonnant est que les soignants de cet établissement et même les habitants de Berck sont tous d’anciens malades qui ont été traités et guéris dans les sanatoriums de cette ville, comme si quitter cet univers leur était impossible. Pourtant Emmanuel, pendant cette période entre parenthèses fuit autant qu’il peut cette emprise « hospitalière », comme pour préparer son retour à la vraie vie. Ce récit débute en automne/hiver mais le plus surprenant est que cet établissement se transforme, l’été venu, en hôtel pour touristes, reléguant les malades dans une partie plus discrète des lieux.
Le titre évoque des cicatrices, mémoires d’anciennes blessure souvent profondes qu’on porte sur la peau et aussi dans le souvenir, comme une empreinte douloureuse. Elles ne font pas mal mais elles portent en elles la trace de la souffrance. La peau s’est reformée mais différemment en laissant des marques souvent insensibles au froid ou à la chaleur. C’est bien la mémoire qui est sollicitée dans ce roman, mais celle des moments difficiles à l’image de l’exergue de Kierkegaard qui évoque « un terrible souvenir à affronter » . C’est aussi celle des femmes qui entourent Emmanuel et qui toutes semblent amoureuses de lui alors que lui-même, au bout du compte, s’en détache facilement. Quand il est encore étudiant, Colette lui voue un amour sincère mais il y a une sorte d’oubli entre eux et au sanatorium Solange s’attache à lui, mais finalement on a l’impression que naît entre eux une sorte de lassitude qui se traduit par le quasi suicide de Solange et la fuite d’Emmanuel. Apparemment il ne les considère que comme des partenaires sexuelles, destinées à lui adoucir la vie. Dans le domaine du souvenir il y a aussi une place pour ceux des malades dont certains guérissent, perdent la tête à force d’avoir espéré une guérison qui ne vient pas, s’en remettent à des charlatans ou simplement décèdent. A la fin Emmanuel est considéré comme guéri mais quand il quitte l’établissement on a l’impression que la camarde est en embuscade et qu’elle va bientôt le délivrer et lorsque Quintonce meurt, il y a une sorte de fou rire qui soit dédramatise la mort soit introduit une notion d’hallucination face au phénomène.
Il sourd de ce roman une sorte d’ambiance malsaine, une envie de fuir cet établissement, à cause de la maladie et de sa guérison hypothétique, un peu comme si toute la douleur du monde s’était donné rendez-vous en ces lieux, mais aussi de la mélancolie de cette côte du nord, déserte une grande partie de l’année, de la tristesse de la ville et l’ennui qu’elle suscite, mais c’est pourtant un ouvrage fort bien écrit, aux descriptions d’un émouvant réalisme sans négliger l’analyse psychologique des différents personnages.
Il y a beaucoup de traits communs entre Emmanuel et l’auteur, mort de tuberculose à vingt-huit ans au point qu’on a parlé de roman autobiographique. Cependant il me semble que Max Blecher a pu écrire cette œuvre en y mettant de l’imaginaire, ce qui peut le faire classer dans la catégorie de l’auto-fiction, dans le but d’exorciser sa souffrance mais aussi de forcer le destin pour repousser l’échéance de sa propre disparition prochaine dont il avait peut-être l’intuition.
Ajouter un commentaire