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la feuille volante

INCONNU A CETTE ADRESSE

N°762 – Juillet 2014.

 

INCONNU A CETTE ADRESSE – Katrine Kressmann Taylor – Éditions Autrement.

Traduit de l'américain par Michèle Lévy-Bram

 

Le titre ressemble à la mention qu'on peut lire sur une enveloppe qui n'a pas atteint son destinataire. Il ne s'agit en effet pas d'un roman au sens traditionnel du terme comme on peut le lire sur la couverture mais d'une succession de lettres, correspondance fictive échangée entre deux hommes, Martin Schulse, un Allemand et Max Eisenstein, un juif américain, propriétaires d'une galerie de tableaux à San Francisco. Ils sont liés par des liens amicaux, presque fraternels. Nous sommes en 1932 et Schulse décide de retourner à Munich pour y élever ses enfants laissant Max dans une solitude affligeante. Là commence cet échange de lettres qui fait allusion à la liquidation de leur société et la nouvelle vie de Martin. La République de Weimar vient d'expirer et le nazisme est en marche. Au départ, Martin se définit comme un libéral, favorable à la paix. D'amicaux au début, le termes de ces missives vont devenir enflammés de la part de Martin qui rapidement fait siennes les thèses du national-socialisme au point que cette amitié du départ se mue en haine viscérale, intense, destructrice. Bien entendu Martin devient antisémite, ce qui, dans le cadre de ce livre est révélateur et il renie l'amitié qui jadis le liait à Max.

 

C'est, certes l'illustration d'une manipulation des gens, un lavage de cerveau à grande échelle, l'endoctrinement des Allemands mais aussi des peuples conquis ce qui donne à penser que les thèses développées par ce régime sont sans doute latentes chez chacun d'entre nous et n'attendent pour se manifester et se développer que ce genre d'occasion. Les masses populaires sont dans l'attente d'un chef et si celui-ci manœuvre habillement, si les circonstances lui sont favorables ou le contexte politique et économique difficile comme s'était le cas dans l'entre-deux guerres tout devient possible et l'instinct grégaire fait le reste. Dans l'esprit de Martin, Hitler est un sauveur et il faut lui faire confiance, le suivre aveuglément.

 

J'ai lu passionnément ce livre non parce qu'il est une énième évocation (prémonitoire) du nazisme et de son action dévastatrice sur le monde mais surtout parce qu'il est l'illustration de la fragilité des relations qui existent entre les êtres humains. On les dit indestructibles et les serments ne manquent pas pour proclamer leur pérennité, leur indestructible solidité puis le hasard, la marche des choses, l'évolution des idées quand ce n'est pas simplement les intérêts gomment simplement tout cela. C'est une façon de rappeler que l’oubli, la trahison, l'opportunisme font partie de l'espèce humaine, la caractérise au même titre que l'humanité, la culture, la tolérance et autres qualités dont on se plaît à la parer et dont je suis de plus en plus sûr qu'elles ne peuvent s'appliquer qu'à un nombre infime d'individus et non au plus grand nombre.

 

C'est un texte bref(une vingtaine de lettres) mais d'une extrême intensité, une sorte de miroir qui nous renvoie une image de nous-mêmes sans complaisance à travers une fiction historique originale. C'est un texte très actuel.

 

L'auteure, écrivain américaine d'origine allemande (1903-1996) est principalement connue pour cette nouvelle écrite en 1938 et publiée sous le pseudonyme masculin de Kressmann Taylor en 1939, donnant à penser qu'un tel écrit ne pouvait émaner que d'un homme ! Interdite en Allemagne, elle fait l'objet d'une adaptation cinématographique en 1944. Rééditée en 1995 pour le 50° anniversaire de la libération des camps de concentration, cette nouvelle a été traduite en 20 langues.

 

©Hervé GAUTIER – Juillet 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

 
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