Lulu fille de marin
- Par hervegautier
- Le 28/10/2019
- Dans Alissa Wenz
- 0 commentaire
La Feuille Volante n° 1405– Octobre 2019.
Lulu, fille de marin - Alissa Wenz - Ateliers Henry Dougier.
Je remercie les "Ateliers Henry Dougier" de m'avoir permis de découvrir ce roman.
Cette maison d'édition relativement récente (2014) souhaite, à travers ses publications, "raconter" la société contemporaine en donnant notamment la parole à ceux qui ne l'ont jamais, en les écoutant parler de leur région, de leur métier, de leur mémoire...
C'est bien dans cet esprit que Lucienne, que tout le monde appelle Lulu, prend la parole. Elle est aujourd'hui une arrière grand-mère de quatre-vingt-dix ans qui vit toujours en Bretagne, près de la mer et sa petite-fille aime lui faire des visites et l'entendre parler de sa vie, de son père, Joseph, capitaine de terre-neuvas, de son mari, André, aviateur, des hommes qu'elle a passé son temps à attendre en craignant pour leur vie. C'est une de ces visites aussi impromptue que naturelle qui nous est ici relatée. C'est qu'elle parle volontiers notre Lulu, comme si elle voulait transmettre à cette jeune femme son histoire personnelle, celle de son enfance bretonne, de l'école, du deuil de sa grande sœur morte à l'âge de sept ans, de la dure vie à la campagne au début XX° siècle, surtout en l'absence du père en mer une grande partie de l'année, de la 2° guerre, de l'Occupation, des dénonciations, des bombardements, des rationnements, de la pauvreté et de la vie difficile dans ce petit coin de Bretagne, de ses espoirs, de ses regrets. Plus tard, elle a été une jolie jeune fille, espiègle et malicieuse sur qui le garçons se retournaient, ceux qui l'ont courtisée et ceux qu'elle a éconduits, ceux qui l'ont emmenée au bal. Elle parle des fiançailles et des mariages aussi rapides qu'imprévisibles qui unissaient deux êtres qui se connaissaient à peine, de la condition féminine, figée et non destinée à changer en ce début de XX° siècle, des choix irréversibles, des rêves d'amour qui s'envolent vite, du poids des traditions qui aliènent la liberté, de l'empreinte très forte de l’Église, du premier vote des femmes, de ses enfants. Elle nous invite dans son univers avec ses vieux souvenirs qui ne s'effacent pas et qu'on regrette toute sa vie, la nostalgie, ses photos jaunies qui représentent tous ces morts désormais absents.
Tout cela est dit par cette vieille femme dont on a du mal à imaginer les rides malgré l'âge, et transcrit par Allisa Wenz, sa petite fille, avec la spontanéité du témoignage, sans recherche de vocabulaire ni d'effet de style, ce qui correspond bien au but de l'éditeur. Lulu a survécu à tous ceux qu'elle a connus sans qu'elle ait rien fait pour cela, parce que son destin sans doute était ainsi tracé. Elle se retourne sur son parcours parce que sa petite-fille l'y invite par sa seule présence, mais on sent dans ses propos un certain fatalisme et j'y vois personnellement des regrets, peut-être de ses jeunes années, comme un rendez-vous manqué, parce qu'à cette époque elle pouvait encore espérer de belles choses que la vie lui a cependant refusées. Maintenant la page est tournée, elle regarde le temps qui passe en songeant à sa propre mort, elle a fait ce qu'elle a pu, honnêtement, simplement, elle n'a plus sa place dans le monde actuel qu'elle ressent comme un danger pour ses proches, elle ne le comprends pas, même si elle aurait bien aimé, plus jeune, lui emprunter un peu de la liberté qu'il offre aujourd'hui.
Je me suis demandé tout au long de cette lecture si Lulu avait conscience que son chemin, somme toute bien ordinaire et sans doute conforme à celui des femmes de sa génération, prenait la dimension d'une trace qu'elle laisserait après sa mort pour ceux qui la suive, si elle ne ressentait pas une sorte d'obligation de parler, de dire ce qu'elle gardait pour elle depuis si longtemps, par pudeur peut-être, avant qu'il ne soit trop tard ? Ce n'est pas un texte littéraire, travaillé et peaufiné mais simplement un témoignage et je suis entré de plain-pied dans ce morceau de vie.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
La Feuille Volante n° 1405– Octobre 2019.
Lulu, fille de marin - Alissa Wenz - Ateliers Henry Dougier.
Je remercie les "Ateliers Henry Dougier" de m'avoir permis de découvrir ce roman.
Cette maison d'édition relativement récente (2014) souhaite, à travers ses publications, "raconter" la société contemporaine en donnant notamment la parole à ceux qui ne l'ont jamais, en les écoutant parler de leur région, de leur métier, de leur mémoire...
C'est bien dans cet esprit que Lucienne, que tout le monde appelle Lulu, prend la parole. Elle est aujourd'hui une arrière grand-mère de quatre-vingt-dix ans qui vit toujours en Bretagne, près de la mer et sa petite-fille aime lui faire des visites et l'entendre parler de sa vie, de son père, Joseph, capitaine de terre-neuvas, de son mari, André, aviateur, des hommes qu'elle a passé son temps à attendre en craignant pour leur vie. C'est une de ces visites aussi impromptue que naturelle qui nous est ici relatée. C'est qu'elle parle volontiers notre Lulu, comme si elle voulait transmettre à cette jeune femme son histoire personnelle, celle de son enfance bretonne, de l'école, du deuil de sa grande sœur morte à l'âge de sept ans, de la dure vie à la campagne au début XX° siècle, surtout en l'absence du père en mer une grande partie de l'année, de la 2° guerre, de l'Occupation, des dénonciations, des bombardements, des rationnements, de la pauvreté et de la vie difficile dans ce petit coin de Bretagne, de ses espoirs, de ses regrets. Plus tard, elle a été une jolie jeune fille, espiègle et malicieuse sur qui le garçons se retournaient, ceux qui l'ont courtisée et ceux qu'elle a éconduits, ceux qui l'ont emmenée au bal. Elle parle des fiançailles et des mariages aussi rapides qu'imprévisibles qui unissaient deux êtres qui se connaissaient à peine, de la condition féminine, figée et non destinée à changer en ce début de XX° siècle, des choix irréversibles, des rêves d'amour qui s'envolent vite, du poids des traditions qui aliènent la liberté, de l'empreinte très forte de l’Église, du premier vote des femmes, de ses enfants. Elle nous invite dans son univers avec ses vieux souvenirs qui ne s'effacent pas et qu'on regrette toute sa vie, la nostalgie, ses photos jaunies qui représentent tous ces morts désormais absents.
Tout cela est dit par cette vieille femme dont on a du mal à imaginer les rides malgré l'âge, et transcrit par Allisa Wenz, sa petite fille, avec la spontanéité du témoignage, sans recherche de vocabulaire ni d'effet de style, ce qui correspond bien au but de l'éditeur. Lulu a survécu à tous ceux qu'elle a connus sans qu'elle ait rien fait pour cela, parce que son destin sans doute était ainsi tracé. Elle se retourne sur son parcours parce que sa petite-fille l'y invite par sa seule présence, mais on sent dans ses propos un certain fatalisme et j'y vois personnellement des regrets, peut-être de ses jeunes années, comme un rendez-vous manqué, parce qu'à cette époque elle pouvait encore espérer de belles choses que la vie lui a cependant refusées. Maintenant la page est tournée, elle regarde le temps qui passe en songeant à sa propre mort, elle a fait ce qu'elle a pu, honnêtement, simplement, elle n'a plus sa place dans le monde actuel qu'elle ressent comme un danger pour ses proches, elle ne le comprends pas, même si elle aurait bien aimé, plus jeune, lui emprunter un peu de la liberté qu'il offre aujourd'hui.
Je me suis demandé tout au long de cette lecture si Lulu avait conscience que son chemin, somme toute bien ordinaire et sans doute conforme à celui des femmes de sa génération, prenait la dimension d'une trace qu'elle laisserait après sa mort pour ceux qui la suive, si elle ne ressentait pas une sorte d'obligation de parler, de dire ce qu'elle gardait pour elle depuis si longtemps, par pudeur peut-être, avant qu'il ne soit trop tard ? Ce n'est pas un texte littéraire, travaillé et peaufiné mais simplement un témoignage et je suis entré de plain-pied dans ce morceau de vie.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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