LE FOND DE LA BOUTEILLE - Georges SIMENON
- Par hervegautier
- Le 14/12/2009
- Dans Georges SIMENON
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N°382– Décembre 2009
LE FOND DE LA BOUTEILLE – Georges SIMENON – Éditions Belfond..
Un roman de Simenon reste une œuvre de suspense, même si le commissaire Maigret n'y est pas.
C'est toujours pareil, dans chaque famille il y a un raté dont les autres membres, ceux qui ont réussi, parlent à voix basse, avec un air gêné ou compatissant... Mais les histoires de famille n'en finissent jamais et ce sont toujours les mêmes qui viennent demander des comptes parce qu'ils ont été les mal aimés, parce qu'on les a laissés pour compte. Ce sont des créances inextinguibles et prégnantes qui empoisonnent définitivement les relations entre les fratries, composées d' êtres qui devraient pourtant bien s'entendre mais qu'en définitive tout sépare, un sentiment de culpabilité envers celui qui a été délaissé, victime des injustices familiales...
C'est que cette histoire est, comme le dit Pierre Assouline est « un roman d'une rare vérité sur deux frères que tout oppose mais que l'adversité réunit », une histoire d'un homme ( Patrick Martin Ashbridge dit P.M. ce qui fait plus parvenu) qui a réussi parce qu'il a travaillé, est devenu avocat et qu'il a eu de la chance, notamment celle de rencontrer Nora, une femme veuve et plus riche que lui, et qui est devenu une sorte de notable respecté... Elle croise un jour celle de son frère (Donald) que la vie n'a jamais avantagé, que ses parents ont délaissé, qui est devenu un criminel en fuite et que sa famille attend au Mexique. Il vient demander de l'aide à ce frère et notamment pour passer la frontière parce qu'il habite une ville (Los Nogales) partagée en deux par une grille et surveillée par des gardes qui le connaissent. D'ordinaire, c'est dans l'autre sens que se font les passages parce que le Mexique ne peut nourrir tous ses enfants et qu'ils doivent chercher du travail aux USA. Pour Donald, la Terre Promise est simplement différente, a un autre visage, celui de la liberté!
C'est que cette ville est aussi divisée en deux par une rivière, à sec une grande partie de l'année à cause de la sécheresse, mais que les fortes pluies transforment en torrent infranchissable pendant de longs jours. P.M. habite un ranch isolé, du mauvais côté de la ville et un déluge d'eau s'est abattu sur la région, rendant le passage vers la frontière impossible! Dans ces contrées, on se méfie des étrangers et la venue de Donald n'est pas vraiment une bonne nouvelle pour P.M. qui le fait passer pour un ami et entoure sa visite de mystère. Il sert cependant de caution malgré lui au fugitif qui a quelque chose d'attirant pour les femmes, parce « qu'il a quelque chose de triste ». (Cette remarque revient au cours du récit et cette affirmation d'une femme finira par faire éclater la vérité qu'on voulait cacher). Pour autant, les distractions sont rares, le jeu d'argent fait partie du décor comme l'argent lui-même, la crue alimente les conversations, justifient les rencontres entre voisins, arrosées de whisky comme il se doit et le décor prend des allures de microcosme. Là comme ailleurs, l'alcool délie les langues, des choses sont révélées qu'on aurait voulu à jamais oubliées, enfouies dans le passé de l'enfance, dans les affres de la pauvreté... Donald, redevenu lui-même et qui présente donc un risque pour cette société en raccourci, s'enfuit et une chasse à l'homme se met en place comme au pire temps des westerns...
Cette opposition entre les deux frères a quelque chose de biblique, le combat de Caïn contre Abel, d' Esaü contre Jacob, du faible contre le fort, mais c'est toujours le faible, celui qui perd, qu'on bénit et dont on se souvient ! L'histoire se présente donc comme une répétition pour eux, mais pas exactement cependant puisque c'est lui, P.M. , le plus fort des deux qui, pour une fois n'est pas le meilleur et au terme d'une quête nocturne, dangereuse et surtout inattendue parce qu'à l'inverse de ce qu'on peut attendre de sa part, trouve une mort que l'auteur nous présente comme rédemptrice! (« Il y a des moments dans la vie où on est poussé inexorablement à faire le contraire de ce qu'on voudrait faire »). C'est lui qui, en quelque sorte volontairement, rachète les injustices qui ont été faites à ce frère. Donald, c'est le faible, le malchanceux, le raté de la famille, mais c'est lui qui s'en tire, et finalement pas si mal.
Ce roman consacre, s'il en était besoin, le pouvoir catharsique de l'écriture, parce qu'ici, il y a plus qu'une relation romanesque entre l'auteur et ses personnages. Le décor est celui où Simenon a vécu. D'évidence, lui, c'est P.M., celui qui a réussi mais que ses parents, sa mère en particulier (ce qui explique sans doute sa relation avec les femmes, celles du roman et toutes les autres), a toujours renié alors que Donald, c'est son frère, Christian, le préféré de sa mère, mais celui dont on ne parle jamais, celui qui n'a pas réussi, le médiocre, l'être peu recommandable qu'on aime voir loin de soi, parce qu'il dérange, parce que sa seule présence est un danger pour les autres. Il y a aussi une culpabilité judéo-chrétienne dans ce récit, au point que P.M. accepte de purger une dette qu'il n'a pas personnellement contractée face à un frère définitivement considéré comme perdu!
Le titre peut paraître étonnant. Il est beaucoup question d'alcool dans ce coin des États-Unis qui jouxte le Mexique et chaque habitant a une longue histoire avec lui. C'est aussi une allégorie, celle d'une querelle familiale longue et longtemps occultée qu'on vide enfin, comme le contenu d'une bouteille et que la mort seule vient purger, une sorte d'effet exorciste peut-être?
©Hervé GAUTIER – Décembre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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