la feuille volante

MON PERE- Film de José GIOVANNI ET Bertrand TAVERNIER

 

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N° 246–Juin 2003

 

MON PERE- Film de José GIOVANNI ET Bertrand TAVERNIER

France 3 - lundi 5 mai 2003.

 

 

« La Feuille Volante » célèbre cette année son 24° anniversaire.

 

Ce n’est pas sa vocation première, puisqu’elle est destinée à donner son avis (qu’on ne lui demande d’ailleurs pas) sur la littérature et la poésie françaises, pourtant, cette fois, c’est un film qui a retenu mon attention, mais pas n’importe lequel !

 

J’avais déjà signé un article sur l’excellent roman de José Giovanni (La feuille Volante n° 204 de mars 1999) « Il avait dans le cœur des jardins introuvables » où l’auteur parle de son père avec un amour plein de remords, comme si les deux hommes avaient passé leur vie à se côtoyer sans jamais se comprendre, se rencontrer, sans peut-être vouloir le faire vraiment…

 

Le film s’inspire de ce roman autobiographique, mais c’est avant tout une création axée sur le rôle d’un homme en faveur de son fils parce que sa vie est menacée !

 

Tout se résume en une quête d’un père, Joe, Corse pauvre qui partit, avant la 1° guerre mondiale pour l’Amérique « avec quelques pièces d’or portées dans une ceinture, à même la peau », un jeu de cartes et une envie de réussir à tout prix dans ce pays où tous les rêves étaient possibles. De retour en France, on nous fait comprendre qu’il a été très absent, qu’il a donné à ses fils le mauvais exemple dans la fréquentation des prostituées, des tripots et du « milieu », un homme, en tout cas qui ne s’est pas occupé d‘eux comme il aurait dû le faire. Il les a précipités, probablement sans le vouloir, mais en ne faisant rien pour l’empêcher, dans la vie facile mais dangereuse que leur offrait Santos, leur oncle, un truand maudit pourtant par ce père.

 

L’aîné perdra la vie dans une entreprise aventureuse ourdie par cet oncle qui les trahira, une rixe meurtrière d’où Manu, le cadet, sortira en vie mais condamné par une justice qui voyait plus en lui un coupable idéal qu’un véritable assassin qu’il n’était pas. Il fallait que quelqu’un paie pour la vie des victimes, ce serait donc lui qu’on avait choisi. La guillotine trancherait sa vie puisque, à l’époque, cela se faisait encore ainsi. C’est vrai que dans cette après-guerre on était peu sourcilleux sur la présomption d’innocence et bien plus désireux de faire « des exemples »

 

On entraperçoit le personnage de la mère qui, à travers la recherche d’une improbable martingale, veut retrouver cette richesse qui avait été la leur autrefois et dont elle conservait le souvenir dans quelques photographies un peu jaunies. Malgré tout, là aussi il y a un échec, tempéré sans doute par les paroles d’une cartomancienne qui lui avait prédit la réussite d’un de ses enfants. Pour elle, pas de doute possible, ce sera sa fille, douée pour les arts ! Certes, cette femme incarne la famille face à un père plus occupé ailleurs, elle symbolise sa permanence puisque c’est elle que Joe charge de faire connaître à Manu, maintenant détenu dans le quartier des condamnés à mort, le résultat de ses tractations. C’est que le père a trouvé dans ce nouveau combat qu’il mène dans l’ombre pour la libération de son dernier fils, le vrai sens de sa vie. C’est un peu comme une revanche, un pardon qu’il sollicite, un rachat sans doute… Mais les relations avec son fils sont toujours aussi tendues.

 

Comme il ne peut lui parler sans que leur incompréhension n’éclate de nouveau, Joe devient un habitué du café qui fait face à la prison de la Santé opportunément appelé « Ici mieux qu’en face. » Il y rencontre les surveillants qui lui donnent des nouvelles de Manu (Rufus est émouvant dans le rôle de ce gardien, marié à une femme aveugle et qui entretient avec les détenus une quasi-sympathie - un condamné à mort propose même de donner ses yeux pour son épouse !) devient presque leur ami. Il y apprend les coutumes de la prison, comme celle de faire laver le couloir du secteur des condamnés à mort quand ce n’est pas le jour réglementaire, ce qui signifie qu’il va y avoir une exécution, ce qui amplifie encore l’angoisse de Joe parce que son fils y est présent et que c’est peut-être son tour !

Il y a même une atmosphère de compassion qui se tisse entre les détenus et ces hommes, obligés de faire leur travail pour ne pas perdre leur emploi, une justice un peu trop prompte à condamner et ce père qui se bat pour la vie de son fils.

 

On ne prononce pas le mot « maton », au contraire, les détenus respectent ces surveillants qui les gardent mais qui doivent souvent travailler à l’extérieur pour élever leurs enfants, tel cet homme reconnu par un prisonnier repris et qui avait vu un de ces gardiens qui devait, pour survivre et élever Sa nombreuse famille… cirer les chaussures en pleine rue !

 

Joe œuvrera seul, dans l’ombre et à l’insu de son fils, ira même jusqu’à implorer la pitié des parents des victimes pourtant dans l’attente de l’exécution. Il obtiendra, par avocats et personnalités interposées que le Président Vincent Auriol commue la peine en détention à perpétuité. Il avait probablement dans le cœur ces jardins introuvables, ce père qui n’hésita pas à mettre en gage son bridge en or pour payer les frais d’avocats chargés de trouver un improbable vice de procédure et ainsi faire casser un jugement ou faire reporter la date de l’exécution ou à passer des nuits sous la pluie pour émouvoir une mère et arracher son pardon ! Puis ce seront les remises de peine et toujours ces rendez-vous au café en face de la prison pour y quêter des nouvelles de son fils.

 

Sous l’impulsion discrète mais obstinée de cet homme enfin dans son rôle de père, un élan de solidarité se crée en faveur de Manu…

 

Parce que son avocat avait remarqué que Manu tenait un journal et avait un goût pour l’écriture, il lui conseille de relater son séjour en prison. Son roman « Le trou » sera un succès. Dès lors une nouvelle vie commence pour lui et pour son père un espoir possible de libération même s’il reste de plus en plus en marge. C’est lors d’une séance de signature que les gardiens lui révèlent l’action de Joe en sa faveur, ses attentes au café, ses espoirs déçus parfois… C’est une révélation pour Manu qui recherche son père dans l’assistance mais ne le trouve pas. Seul le spectateur voit disparaître sa lourde silhouette poursuivie par ce fils désormais célèbre et libre, mais l’ultime rencontre ne se fait pas, comme un rendez-vous perpétuellement manqué entre ce père et lui ! (Bruno Cremer campe le personnage de Joe avec son talent habituel) Ce combat l’avait tellement épuisé qu’il mourut avant la réhabilitation de ce fils qu’il avait si activement contribué à faire libérer.

 

Sa vie pouvait dès lors se terminer. Il ne servait plus à rien et c’est sans doute le sens de cet ultime appel de Manu, soudain revenu à la réalité qui va devoir vivre comme avant certes, mais cette fois avec une manière de remords et le sentiment d’une dette imprescriptible envers un homme désormais absent pour toujours. Il lui adresse, en même temps que ce film un pathétique « A Bientôt ! »

 

Le roman avait su m’émouvoir, le film a ravivé cette émotion qui met en lumière ces relations parfois difficiles entre les membres d’une même famille surtout quand la vie de l’un de ses membres est en jeu. Et qu’il est toujours temps de racheter un manquement, une faute...

 

NB : a mon avis le film méritait plus de deux 7 à la cote de télé 7 jours.

 

Diffusion gratuite – correspondance privée.

 

 

© Hervé GAUTIER Revenir au début http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg 

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