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la feuille volante

DOMINIQUE

 

N°590– Juillet 2012.

DOMINIQUE – Eugène Fromentin (1863).

Ce roman est une sorte de récit-gigogne où le narrateur raconte comment il fait la connaissance, un peu par hasard, de Dominique de Bray avec qui il sympathise. Son nouvel ami, apprenant le suicide manqué d'Olivier d'Orsel avec qui il fit ses études, remonte le temps et narre à son tour son histoire personnelle en évoquant son enfance aux « Trembles », un domaine campagne où il étudie sous la direction d'Augustin, son précepteur, pour ensuite partir pour le collège où il rencontre Olivier. Dominique ne tarde pas à rencontrer une des deux cousines de ce dernier, Madeleine et, bien sûr, en tombe amoureux. Malheureusement il s'aperçoit qu'elle est promise à un autre, M. de Nièvres. Au moment du récit, Dominique et marié, père de deux beaux enfants, à la tête de son domaine et de sa commune, bref il semble heureux, en apparence seulement.

On peut aisément classer ce texte d'Eugène Fromentin , né à La Rochelle en 1820 et mort à St Maurice (faubourg de La Rochelle) en 1876, parmi les romantiques. C'est d'ailleurs l'unique roman de cet auteur, connu davantage comme peintre, critique d'art (« Les Maître d’autrefois ») et chroniqueur de ses propres voyages (« Un été dans le Sahara »(1854) et « Une année dans le Sahel »(1857). Il est admis que « Dominique » est un texte autobiographique puisque, au cours de ses études, Eugène tomba amoureux de Jenny-Caroline Chessé, une jeune fille de 17 ans, une voisine, mais cet amour fut sans suite puisqu'elle épousa Béraud, un modeste fonctionnaire de La Rochelle. Quand elle mourut à l'âge de 28 ans, il en fut bouleversé. En réalité, ce roman prit forme dans sa tête à l'âge de 22 ans et Fromentin attendit quinze années pour y mettre le point final, pour s'en libérer peut-être ? Dans ce texte, plein de sensibilités et d'émotions, Eugène Fromentin se livre à une analyse des sentiments amoureux de Dominique autant qu'à ses états d'âme tourmentés par la désillusion et la mélancolie dues à un amour déçu. En effet, le narrateur confesse « assister à sa vie comme un spectacle donné par un autre ». En, fait, il s'y ennuie. De plus, Dominique, amoureux d'une femme qui lui échappe souffrira et devra renoncer à sa passion. Madeleine qu'il aime profondément, sans le savoir au début, puis passionnément sans être payé de retour autrement que par une sincère amitié et une estime constante voit cette jeune fille devenue Mme de Nièvres lui échapper complètement [« Madeleine était perdue pour moi et je l'aimais »]. Quand il était en sa présence, cela tenait pour lui d'une apparition, d'un moment de félicité et il ne savait pas, compte tenu de ses sentiments, s'il était « torturé ou ravi », ce qui n'était pas sans provoquer chez lui des maladresses. Il est tellement déçu qu'il en vient à se mépriser lui-même[« En me démontrant que je n'étais rien, tout ce que j'ai fait m'a donné la mesure de ceux qui sont quelque chose »]. L'auteur précise même les choses plus avant « Tout homme porte en lui plusieurs morts ».

Mais ce récit est aussi un hymne à la nature, à la chasse, à la terre qui fait ici figure, pour Dominique, de remède à ce mal d'amour dont il souffre. Le roman s'ouvre sur la présentation de Dominique en propriétaire foncier bienveillant, vigneron amoureux de sa terre, maire généreux et aimé de tous. Fromentin parsème son récit de descriptions picturales et poétiques, scènes champêtres ou paysages maritimes qui évoquent en lui le peintre influencé par Eugène Delacroix. On peut d'ailleurs aisément les mettre en perspective avec la psychologie du personnage principal. Dominique est obsédé par ce passé au point de se complaire dans l'évocation de cette vie qui semble s'être déroulée hors du temps et peut-être malgré lui et dans laquelle on sent qu'il ne s'est pas épanoui. Dominique a renoncé à tout, à une carrière littéraire prometteuse, à un rôle politique important, se cantonnant à un rôle de notable de province, à cause de cet amour contrarié. C'est un peu l'histoire d'un échec, une vie où il s'ennuie d'autant que Madeleine, sans céder en rien à cet amour impossible a parfois des attitudes équivoques. ll y a du « bovarysme » dans ce roman et Fromentin dissèque avec la précision d'un chirurgien l'âme de ce malheureux, ses pudeurs, ses hésitations, son insatisfaction, sa timidité maladive[«Je la fuyais. L'idée de lever les yeux sur elle était un trait d'audace »], son penchant pour la solitude.

Olivier ne revanche se voue à l'hédonisme, mais lui aussi, dans un autre registre rate tout, jusqu'à sa mort. Pourtant, tout oppose ces deux amis puisque Julie, sa deuxième cousine, est amoureuse de lui mais il ne l'aime pas. L'amitié qui lie les deux hommes fait d'Olivier le témoin privilégié des tourments de Dominique qu'il tente d'apaiser, mais en vain. Seul Augustin, le précepteur de Dominique, semble se tirer d'affaire et vit un amour heureux.

George Sand à qui ce texte est dédié ne s'est pas trompée sur le talent de son auteur, non plus d'ailleurs que Sainte-Beuve qui salua lui aussi ce créateur polyvalent.

Eugène Fromentin est un écrivain injustement oublié à qui le Rochelais ont consacré un monument, une rue et un lycée de leur si belle ville mais qui, malheureusement n'est plus guère lu aujourd'hui [Je remarque que certaines éditions de ce roman sont illustrées de délicates aquarelles de Louis Suire ou d'eaux-fortes colorées de Henri Jourdain]. Au risque de paraître ringard et amoureux des choses surannées et dépassées à notre époque, je dis que j'ai aimé ce livre non seulement pour la pertinente analyse des sentiments, pour la peinture précise du caractère de chaque personnage, pour la description des lieux dignes du peinte qu'il était. Je note cependant que, malgré les temps qui changent, les choses qui évoluent, comme on dit, nous portons tous en nous une part de désillusions, des regrets, des remords, des illusions définitivement perdues ... Ce roman en est illustration, ce qui fait de lui une œuvre authentique, même si la manière d'exprimer les choses a un peu changé.

Ce qui m'a fait aimer ce roman c'est peut-être avant tout parce qu'il est bien écrit. C'est toujours un plaisir pour moi de lire un texte d'un serviteur si attentif de notre belle langue française.

©Hervé GAUTIER – Juillet 2012.http://hervegautier.e-monsite.com

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