la feuille volante

LETTRE A MON JUGE

N°857 – Janvier 2015

LETTRE A MON JUGE– Georges SimenonÉditions Rencontre.

L'envie m'est venue de lire ce texte à la suite de l'écoute un peu hasardeuse, à la radio, de l'intervention du comédien Robert Benoît à qui Georges Simenon avait, quelques mois avant sa mort, donné gratuitement la possibilité d'adapter ce roman à la scène sous forme de monologue. Cette adaptation a été donnée en 2008 au théâtre du Lucernaire. Il s’agit d'un roman épistolaire écrit en 1947 quand il rencontre celle qui deviendra sa seconde épouse et dont il tombe fou amoureux.

Depuis la prison où il est incarcéré pour le meurtre de sa maîtresse, Martine, le docteur Charles Alavoine, ex-médecin à La Roche sur Yon, installé ensuite dans le région parisienne, écrit à son juge d'instruction. Bizarrement cette longue missive est le pendant d'une instruction et d'un procès pendant lesquels il s'est assez mal défendu. Nous sommes dans les années 50 et il éprouve le besoin d'expliquer son geste qui effectivement est sans raison apparente. Son enfance a été gouvernée par une mère abusive qui, une fois qu'il est devenu médecin, continue de vivre dans la famille qu'il forme avec sa première femme et ses deux filles. Devenu veuf, il épouse Armande, une jeune veuve qui va bientôt se révéler aussi autoritaire que sa mère. Par hasard, 10 ans après, Charles rencontre Martine qui devient sa maîtresse et son assistante. Fou amoureux d'elle, il se montre jaloux, la bat puis l'étrangle. Il choisira la mort dans sa prison.

Tout d'abord le narrateur s'adresse au juge en lui disant « Mon juge » comme on aurait dit « mon ami ». Cette forme de « familiarité » annonce sans doute le dénouement puisqu'il choisit de confier au magistrat ce qu'il n'a pas dit auparavant alors que tout est décidé pour lui. C'est aussi une manière de refuser l'opprobre d'une exécution. Ce roman n'est pas un polar. Il n'est pas besoin d'un commissaire Maigret pour dénouer les fils d'une énigme compliquée. Charles a avoué avoir tué sa maîtresse et qui plus est s'est mal défendu, un peu comme s'il recherchait sa mort. C'est certes un drame passionnel qu'à l'époque les tribunaux acquittaient lorsque le mari trompé tuait son épouse adultère. Ici, tel n'est pas le cas et Charles tue Martine par jalousie à cause des hommes qu'elle a connus avant lui. Son geste est d'autant plus inexplicable qu'il vit avec elle une vie apparemment sans histoire. Tout cela semble se passer dans sa tête mais il réclame à son juge de n'être pas considéré comme un fou, même s'il voyait dans cette Martine une femme double dont la personnalité et la vie antérieure l'obsédaient au point qu'il ne puisse pas les supporter. Ainsi, en tuant sa maîtresse, il tuait celle qui avait vécu avant lui. Autant dire que cette femme, trop maquillée, trop aguicheuse peut-être dans sa vie d'avant lui l'agaçait. Même si la question qui peut être posée est «  peut-on tuer par amour ? », même si pour un homme, être le premier dans la vie intime d'une femme est un fantasme, cela excuse-t-il le meurtre de cette dernière ? l'avocat a dû avoir du mal à défendre ce client, même s'il insiste sur le fait que la mort l'a serré vraiment de très près, celle de son père d'abord, suicidé, celle de sa première femme ensuite et ce n'est sans doute pas sans raison qu'il choisit la sienne. Il aurait pu plaider l'importance du hasard ou du poids de la solitude, de celui de la vie qu'il ne supportait plus sans Martine même si son existence antérieure où il n'était pas était pour lui insupportable... Charles est un faible, ballotté par les femmes mais c'est aussi, à l'exemple de ses propres parents, un être excessif, outrageusement possessif. Sa profession de médecin, à l'instigation de sa mère, vise surtout à le faire sortir de sa situation de fils de paysan, il devient ainsi notable, quelqu'un d'important qui peut ainsi avoir des exigences. Pourtant la mariage ne lui réussit guère, sa première femme meurt et la deuxième se révèle aussi autoritaire que sa mère. Il n'y a qu'une véritable femme dans sa vie, Martine, même s'il lui est arrivé de tromper ses épouses successives avec d'autres femmes, ce ne furent que des toquades, des opportunités qu’il n'a pas voulu laisser passer, rien de plus. Cette soudaine ingérence de l'amour-passion dans la vie de Charles qui ne l'avait guère connu auparavant a été à la fois une révélation et une révolution mais sa jalousie a précipité son geste meurtrier. Tels sont les arguments qui ont dû se bousculer dans la tête des jurés dont je n'aurais sans doute pas voulu faire partie.

Simenon ce n'est pas qu'un auteur de romans policiers. Quand il choisit comme ici de faire dans le drame psychologique, il est bien meilleur et son style est toujours aussi agréable à lire.

©Hervé GAUTIER – Janvier 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

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