la feuille volante

L'HORIZON - Patrick Modiano

 

N°446 - Août 2010

L'HORIZON – Patrick Modiano - Éditions Gallimard.

 

L'univers de Modiano m'a toujours paru original et intéressant parce qu'il explore des tranches de vie recouvertes par l'oubli ou qu'il choisit de faire revivre différents épisodes qui ont baigné dans l'échec ou par le hasard qui aurait pu lui être favorable, mais ne l'a pas été [« Un vertige le prenait à la pensée de ce qui aurait pu être et qui n'avait pas été »], choisit de redonner aux rêves voire aux fantasmes les traits de la réalité et illustre, une nouvelle fois, une impression de mal-être au quotidien.

 

Pour cela, il met en scène une série de personnages modestes, sans grande envergure, un peu en marge du monde ou, à tout le moins, qui semblent n'y être que par intermittence. Bosmans remonte le cours du temps, quarante ans en arrière alors qu'il était un tout jeune écrivain mais aussi employé dans une librairie spécialisée en sciences occultes, en feuilletant un petit carnet où il a confié ses impressions, privilégiant la « matière sombre » [«  Brèves rencontres, rendez-vous manqués, lettres perdues... »]. C'est un nom, un visage, le son d'une voix, les accents d'un rire, une impression floue au début et qui s'affirme avec le temps, des fantômes qui sortent du néant! Une rencontre, le hasard, des images furtives, des phrases banales et convenues, mais « chaque première rencontre est une blessure ». Il évoque le souvenir d'une femme, Margaret Le Croz, dont il ne sait presque rien et dont le passage dans sa vie semble tenir du rêve autant que du mystère. Leurs relations sont volontairement distantes, juste amicales, à peines complices et même pas amoureuses, comme s'ils ne faisaient que se côtoyer en entretenant une sorte de crainte permanente [« Tout ce qu'on vit au jour le jour est marqué par les incertitudes du présent »]. Ils forment un couple irréel, presque intemporel [« Margaret et moi, assis l'un en face l'autre dans une lumière limpide et intemporelle »]. Ils ont leur pendant inversés dans le couple d'avocats, les époux Ferne, qui, eux aussi, vivent sur une autre planète, mais différemment d'eux puisqu'ils sont plus ancrés dans leurs certitudes, plus conscients de leur valeur, de leur supériorité. Ils sont aussi sérieux qu'est énigmatique le couple Poutrel-Gaucher.

 

L'auteur nous fait partager des moments de vie de Bosmans, poursuivi par une femme qui lui demande de l'argent, qu'il suppose être sa mère sans en être sûr lui-même et un homme ressemblant à un prêtre défroqué. Margaret, après avoir exercé divers petits métiers en Suisse est arrivée à Paris où elle se dit harcelée par un homme, Boyaval, sans bien savoir s'il existe ailleurs que dans sa tête. Bosmans et Margaret ont en commun une sorte de détachement du monde que les lieux parisiens évoqués ne parviennent pas à dissiper, une solitude, une forme d'angoisse même. Margaret ne veut pas en apprendre davantage sur Boyaval tandis que Bosmans est tout prêt à se laisser rançonné, un peu comme si ces deux personnages se complaisaient dans cet état de fait ou n'y opposaient qu'une résistance assez molle! [«  Demander à des avocats de le défendre contre quoi? La vie?...le sentiment de culpabilité qu'il éprouvait depuis son enfance, sans savoir pourquoi, et cette impression désagréable de marcher souvent sur du sable mouvant... »]. C'est un peu comme si la vie était pour lui un poids, une sorte de croix trop lourde à porter. Leurs deux existences se sont déroulées indépendamment l'une de l'autre, puis, par hasard, ils se sont rencontrés. Chacun à leur manière, ils avaient essayé de son fondre dans la masse en prenant bien soin de ne pas se distinguer.

A la fin, c'est un Bosmans vieillissant et désormais écrivain confirmé qui retrouve Boyaval à Paris, près de quarante ans plus tard et ils parlent de Margaret qu'il a cru retrouvée comme on croise « un fantôme du passé ».

 

Comme c'est souvent le cas dans les romans de Modiano, les personnages sont fuyants, insaisissables, fragiles, tourmentés par leur passé et en même temps se cherchent eux-mêmes à travers leur histoire personnelle qu'ils ont parfois du mal à assumer. C'est un peu comme s'ils allaient à leur propre rencontre et que ce qu'ils découvraient ne leur plaisaient guère, mais qu'ils s'en accommodaient quand même.

 

Face à cela, le titre [l'horizon] évoque l'avenir, les projets alors que le roman se décline dans le temps et dans l'espace, c'est à dire fait appel aux souvenirs, explore les chemins plus tortueux de la mémoire. Aussi bien pour Margaret que pour Bosmans, la vie est une fuite et leur rencontre, même si elle est fragile et menacée dans sa pérennité, peut être regardée comme un refuge, un rempart contre le mal-être que chacun d'eux ressent et, à ce titre, être elle-même un horizon!

 

Son écriture est, comme toujours dépouillée, en phase avec l'histoire que le narrateur évoque, en cohérence aussi avec l'ambiance qui d'ordinaire baigne ses romans et que j'apprécie, et là, comme toujours, j'ai eu le même sentiment, celui d'une histoire qui ne se termine pas, dont l'épilogue est remis à plus tard. C'est sûrement un roman de soi-même pour Modiano, un de plus dans cette quête personnelle qui semble n'avoir jamais de fin.

 

Comme toujours, je suis entré dans cet univers proustien avec plaisir, parce que sans doute je m'y sens bien et que, dans ces personnages, j'ai retrouvé un peu de moi. Ou le contraire? Allez savoir!

 

 

 

 

© Hervé GAUTIER – Août 2010.http://hervegautier.e-monsite.com

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