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la feuille volante

Un soupçon légitime

N° 1427 - Février 2020.

 

Un soupçon légitime - Stefan Zweig- Bernard Grasset.

Traduit de l'allemand par Baptiste Touverey.

 

Le titre lui-même peut évoquer une fiction policière, ce qui est étonnant sous la plume de Zweig, mais après tout pourquoi pas ? C’est une longue nouvelle publiée longtemps après sa mort mais écrite par Zweig alors qu'il s'est installé en Angleterre pour fuir le régime nazi et qui fait allusion dès la première page à un meurtre. La narratrice, Betsy s'est installée avec son mari dans la campagne anglaise pour une paisible retraite. Un couple d'Anglais plus jeune dont le mari John Limpley est aussi excessif et exubérant que son épouse, Ellen, est oisive et réservée, devient leur voisin. Face à l’état de déréliction de l’épouse et au nom des relations de bon voisinage, les retraités leur offre un chien, baptisé Ponto, auquel John s’attache, à en devenir esclave. Quand son épouse tombe enceinte l'animal est rejeté et c'est le drame.

 

Comme toujours chez Stefan Zweig, outre le style élégant et coutumier de notre auteur, c'est l'analyse psychologique des personnages et des sentiments qui est importante bien que le personnage principal soit un chien. Dans le couple Limpley le mari est amoureux de sa femme et l’entoure de son attention mais en réalité l’oppresse par son attitude excessive et même par sa présence débordante, tandis que cette dernière est particulièrement effacée et aspire à la solitude. John déborde d’amour et devant la relative indifférence d’Ellen, reporte cette affection sur son chien. Puis tout change à partir du jour de la naissance de l’enfant du couple. Zweig décrit cette manière de s'attacher à quelqu'un avec passion au point de l'idéaliser, voire de l'idolâtrer pour ensuite, soit à la longue soit à la suite d'un évènement extérieur de le rejeter au point de l'ignorer complètement de l'humilier voire de le haïr. Cette attitude, bien qu'elle s'adresse à Ponto et qu'elle ait quelque chose d'excessif, est vérifiable tous les jours dans l'espèce humaine. D’un autre côté, si le rôle du chien me paraît quelque peu exagéré, son attitude au regard de l’état de déréliction que lui impose plus tard son maître, ses pulsions d’hypocrisie et de vengeance et bien entendu de mort, ont quelque chose d’humain.

 

Pour autant j'ai été un peu surpris par cette nouvelle qui me paraît quelque peu différente du registre traditionnel de Zweig. Je lis que ce texte aurait été écrit lors de son passage en Angleterre soit entre 1935 et 1940 et publié en 1987 (et en 2009 dans sa traduction française) soit longtemps après sa mort. Certes, mettre ainsi en scène un animal est original et tient de la fable, ce qui est peu commun chez Zweig, de même que le caractère enjoué de John tranche quelque peu sur l’atmosphère qui baigne généralement les œuvres de notre auteur et ce même si cette histoire porte au paroxysme le message qu’il entend faire passer. Mais après tout pourquoi pas puisqu’il y ajoute une atmosphère de suspense ? Je reste cependant dubitatif devant cette nouvelle, et ce bien que j'aie pour l’œuvre de Zweig un intérêt intact.

 

©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

 

 
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