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la feuille volante

l'euphorie des salles de marché

La Feuille Volante n° 1210

L'euphorie des places de marché – Christophe Carlier – Serge Safran Éditeur.

 

On peut compter sur les économistes, en situation de crise, pour rajouter tous les jours une couche de sinistrose, et nous promettre des dégringolades de la part des agences de notation, d'immanquables récessions et d'incontournables kraks boursiers. Pourtant cela ne fait ni chaud ni froid à Norbert Langlois, trente ans, rompu aux lois du marchés et qui souhaite faire de Buronex dont il est le nouveau directeur, une entreprise en pointe dans ce contexte morose. Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes, comme on dit, s'il n'y avait Agathe, une plantureuse rousse entre deux âges, secrétaire de direction dans cette entreprise, qui, avec vingt ans d'expérience, maîtrise parfaitement… l'art de ne rien faire ! Cette inactivité lui permet notamment de ne pas risquer l'erreur professionnelle, apanage de ceux qui travaillent, ce qui la conduirait tout droit à l'agence pour l'emploi. Elle était là à la création de cette entreprise qui, après plusieurs patrons et pas mal de restructurations, a échu à Langlois, un manager aux dents longues qui entend la développer à l'international. Autant dire que l'incontournable Agathe qui a toujours « fait partie des meubles », a survécu jusqu'à aujourd'hui à tous ces changements de sorte que ce quasi droit d’aînesse la met, croit-elle, dans une position favorable pour « développer » son inertie alors que le patron ne rêve que de s'en débarrasser. Si elle passe son temps à se faire les ongles, et ainsi menace gravement la productivité de la maison, lui se les ronge à imaginer une manière de lui faire prendre définitivement la porte. Il fait ainsi appel à son imagination débordante pour la pousser à la faute tout en redoutant son aplomb, son à propos et surtout sa mauvaise foi devant lesquels un licenciement classique n'a aucune chance d'aboutir. Il va même, dans son empressement à s'en séparer jusqu'à envisager un crime mafieux ! Mais ça fait un peu désordre.

Tout ce quotidien qu'on a du mal à qualifier de laborieux, vu du côté d'Agathe, est sans incidence sur l’embellie de la bourse qui maintenant s'installe dans ce paysage où cette secrétaire continue de faire ce qu'elle peut… pour ne rien faire ! Il ne faut cependant pas croire qu'elle n'a pas, comme on dit, « la culture  d'entreprise » et sait fort bien payer de sa personne quand la nécessité s'en fait sentir, surtout quand son intérêt personnel est en jeu. Bref, à la Burotex, tout va pour le mieux, surtout pour Agathe qui continue à vivre dans le monde du travail à sa manière sans se soucier des variations de la bourse et du stress qui ailleurs et dans un contexte ordinaire plombe la vie des salariés. Elle jette sur la société qui l'entoure un regard aussi indifférent que celui qui gouverne son quotidien d'employé.

Quant à Langlois, la présence de Ludivine, une stagiaire, taillable et corvéable comme il se doit, gomme à la fois ses variations de tension artérielle, ses états d'âme et les absences d'Agathe !

Cette aimable fiction, au titre un peu trompeur, qui n'a pas grand chose à voir avec le monde du travail de la vraie vie, même si parfois certaines remarques et situations peuvent se révéler pertinentes, nous rappelle que l'économie n'est pas une science exacte et varie au rythme aléatoire et instable de la politique et des rumeurs, que la virtualité s'installe de jour en jour davantage dans notre quotidien et que les relations entre les humains n'ont guère changé depuis le commencement des temps. Et puis, nous qui avons travaillé, nous avons tous, un jour ou l'autre, croisé une Agathe que nous avons détestée pour ses impérities.

J'ai rencontré l’œuvre de Christophe Carlier un peu par hasard. J'apprécie autant son humour que son style délié et ce court roman, pertinent et impertinent a été, somme toute, un bon moment de lecture même si la description qu'en fait l'auteur n'est pas exactement semblable à ce qu'il est en réalité. On peut bien rire de cela aussi, après tout. Je crois qu'en cas de sinistrose ce serait même conseillé !

 

© Hervé GAUTIER – Janvier 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]

 
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