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la feuille volante

LA TERRASSE DE LUCREZIA - Félicien Marceau - Editions Gallimard.

 

 

N°161

Juillet 1993

 

 

 

LA TERRASSE DE LUCREZIA – Félicien Marceau – Editions Gallimard.

 

 

Décidément, j’ai une préférence marquée, parmi tout ce qui se publie actuellement pour les écrivains qui ont de l’humour, surtout quand celui-ci est sensible dans les mots, dans l’ordonnance du propos, bref dans le style.

Quand un roman est composé de phrases qu’il a plaisir à lire pour la simple raison qu’il les trouve belles, qu’elles sonnent juste et qu’elles sont frappées au coin du bon sens, c’est que le lecteur y trouve son agrément, que l’intérêt l’a accompagné dans chaque ligne e sa démarche de lecture ;

Des phrases où les choses sont suggérées plutôt qu’elles ne sont dites, avec cette fantaisie savamment instillée dans les mots dont le choix lu-même et un ravissement, des phrases dont on ne découvre la réelle musicalité qu’en les lisant à haute voix, des phrases enfin qui font dire que leur auteur sert notre belle langue française par le seul usage correct qu’il en fait. Dès lors la lecture devient un moment d’exception…

 

Lucrezia « était une de ces femmes dont on dirait que leur seule présence suffit à combler le présent, dont on dirait qu’elles n’ont aucun besoin de souvenirs et qu’elles les ont, une fois pour toutes jetés dans un puits. » C’est que cette femme jeune et belle qui arrive comme gardienne d’un immeuble cossu de la banlieue de Rome va, par sa seule existence, son seul sourire, révolutionner les habitudes de ce microcosme où, d’ordinaire, la coutume voulait que les co-propriétaires n’échangeassent entre eux que des politesses convenues et des attitudes mondaines …Mieux, elle va les faire se rencontrer, exister les uns par rapport aux autres, bref, servir de catalyseur à la vie intérieure de cette vieille bâtisse qui sans elle aurait été morne, sans joie, sans âme.

Au long de ce roman dont l’histoire va durer une vingtaine d’années et verra Lucrezia s’imposer, tirer parti avec quelque impertinence de toutes les circonstances et finalement établir elle-même ses propres enfants, Félicien Marceau note pour son lecteur des remarques personnelles sur la vie romaine. Rome « est une ville qui n’intimide pas » selon lui, et c’est dans ce décor qu’il va faire évoluer Lucrézia et son inextinguible appétit de liberté.

En fait, il flotte autour de cette femme un halo d’amour, d’amitié, d’ indépendance…

 

Ce serait sans doute assez pour que lecteur y trouve son plaisir mais l’auteur ajoute nombre d’appoggiatures et de maximes en forme d’apophtegmes du genre «  L’esprit humain est si roué qu’il lui arrive de faire d’une interdiction une liberté et d’une impossibilité un moyen de défense. » « Il naviguait avec bonheur entre ces deux plaisirs, celui de frôler la tentation et celui de savoir que cela n’irait pas plus loin. » Autant de remarques qui prennent leur vie dans le regard mi-amusé mi-sérieux de quelqu’un qui s’est beaucoup penché sur la condition humaine, ses travers, ses hypocrisies, ses fantasmes…

 

Dans ce livre Félicien Marceau évoque « la mauvaise passe que connaissent tous les écrivains, les journées entières où rien ne vient, où on n’écrit pas une phrase, une réplique sans en voir la lourdeur et la niaiserie. »

Je n’ai pas assisté, bien sûr, à la naissance de ce roman, je n’en ai été que le lecteur attentif et passionné mais je gage que lors de sa conception l’auteur, l’auteur n’a pas connu pareille période néfaste.

 

© Hervé GAUTIER.

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