Et rester vivant
- Par hervegautier
- Le 22/09/2019
- Dans Jean-Philippe Blondel
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La Feuille Volante n° 1389 – Septembre 2019.
ET RESTER VIVANT- Jean-Philippe Blondel - Éditions Buchet Chastel.
Le narrateur, vingt deux ans, se réveille d'une opération des dents de sagesse pour apprendre que son père vient de mourir dans un accident de voiture. Il a déjà perdu sa mère et son frère dans des circonstances analogues et Laure, son amie, vient de le quitter pour Samuel, pourtant son "meilleur ami". Le voilà seul au monde, enfin pas tout à fait puisque que Laure reste à ses côtés avec Samuel pour l'aider à surmonter cette épreuve. Mais est-ce vraiment une épreuve puisqu'il dit être enfin débarrassé de la présence pesante et violente de son père? Il est désormais libre et riche, à cause de l'héritage paternel et, alors qu'il aurait dû le réinvestir dans quelque chose de durable, il emmène ses amis en Californie à cause d'une chanson de Lloyd Cole qui parle de Morro Bay, une petite ville de cet état, et c'est l'été. Il veut, avec eux, vivre son rêve américain au volant d'une grosse voiture, mais ce qui dans sa tête devait être un vrai "road movie" à la manière de Jack Kerouac, se transforme vite en une errance dans l'ouest américain. Ce sera les motels inconfortables, les déserts, les grands espaces puis Las Vegas et son décor intemporel de jeu, le Mexique... Le trio qu'ils forment n'en n'est pas vraiment un, entre attachement et attirance. Laure qui était la petite amie du narrateur depuis l’adolescence est maintenant celle de Samuel, mais leurs relations sont équivoques, et leur présence aux côtés du narrateur est censée l'aider à favoriser sa résilience.
J'ai bien aimé ce personnage du narrateur, ses réflexions sur sa famille, sur ses parents sur son frère et les mystères et les incompréhensions qui vont avec, sa fuite vers un but irréel, sa volonté de se raccrocher désespérément à des êtres qui pourtant lui sont relativement étrangers, sa quête de quelque chose d'assez incertain qui semble se dessiner devant lui où disparaître à sa vue après s'être révélé, à l’image du désert qu'il aborde comme un jalon dans sa course surréaliste, la certitude que ces rêves ne s'accompliront jamais. Il gardera l'empreinte de tout cela, fixera peut-être avec des mots l'émotion ou l'espoir d'un instant, confiera à la page blanche les traits d'une silhouette ou le fantasme d'une passade qui n'a pas existé... Morroy Bay, un lieu si loin de la France, choisi parce qu'un chanteur l'évoque avec des mots où sont accrochés des notes de guitare, une sorte d'Eldorado inconnu qui se dérobe comme un mirage, une intuition de fin du monde qui peut arriver maintenant mais qui l’indiffère. Il y a tout ce qu'il voulait faire, dans cette vie, tous ces châteaux en Espagne qui fleurissent et s'épanouissent dans nos têtes, mais tout cela ne se fera pas et contribuera à ne faire naître que des regrets et des remords. Dans ce bout du monde enfin atteint, à où la terre s'arrête et où commence l'océan, l'envie de vivre revient parce que ce but, même un peu fou, est atteint et que demain redevient possible, qu'on a quand même envie de nouveau de prendre sa part dans ce grand combat perdu d’avance parce qu'il est humain et que tout ce qui est humain est transitoire et voué à la destruction. Face à cette mort annoncée il reste l'écriture, un exorcisme possible, des mots confiés au fragile support du papier. Écrire pour aider à supporter la vie, pour rester vivant, ou rester vivant pour écrire?
C'est un roman simplement autobiographique, avec tout ce que cela implique dans le ton, dans l'écriture et pas seulement en raison de l'emploi de la première personne. Même si ce dont il parle semble irréel, l’accumulation des deuils, ses espoirs dont on comprend vite qu'ils seront sans lendemain, c'est son histoire personnelle qu'il livre au lecteur et j'ai ressenti une sorte d'attachement personnel rare avec ces mots, une sorte de communauté d'expérience et d'intentions... et peut-être aussi d'échec, le fait de se sentir perdu dans ce monde, de n'y être pas vraiment à sa place. Pour cela, pour le style, pour l'ambiance et sans doute pour beaucoup d'autres choses dont je n'ai même pas conscience, ce roman a été pour moi un bon moment de lecture.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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