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la feuille volante

Darling

N° 1554 - Juin 2021

Darling – Jean Teulé - Éditions Juillard.

 

Elle a bien dû naître sous une mauvaise étoile la petite Catherine Nicolle, comme on dit quand on affectionne les euphémismes. Elle est d’abord considérée seulement comme une « bouche à nourrir » par ses parents qui ainsi la rejettent et l’humilient, des paysans normands qui n’avaient d’yeux que pour leurs deux garçons. C’est vrai que dans une ferme, un garçon ça travaille puis plus tard, quand il se marie, il transmets le nom… Mais, dans le cas de cette famille, c’est une autre histoire. D’ailleurs, Catherine, ça lui est égal, elle n’aime pas la campagne et rêve d’épouser … un routier parce que la maison est au bord d’une route où passent des camions ! Elle n’aime pas non plus l’école alors oui, c’est vraiment mal parti pour elle qui déteste aussi son enfance et qui insiste pour travailler comme vendeuse parce que ainsi elle peut se donner l’illusion d’être grande. Et puis surtout elle peut partir de chez ses parents. Pour partir, elle est effectivement partie, et avec un routier rencontré grâce à la C.B. (Darling est son surnom de cibiste,), et elle l‘a même épousé, mais loin de l’histoire romantique que pourrait laisser à penser ce prénom, la pauvre Catherine qui croyait au bonheur a encore une fois été déçue, et bien déçue, un véritable chemin de croix que sa vie !

A travers cette bien triste histoire qu’on ne rencontre pas uniquement dans les romans puisque c’est celle, authentique, de la propre cousine de l’auteur, ça m’évoque les cohortes de ceux qui voient leurs rêves trahis, parce qu’ils ont cru, ou fait semblant de croire, que la vie leur faisait des promesses simplement parce qu’ils avaient pour eux de l’imagination qu’autrement on appelle illusions ou « rêves de gosse ». On peut y croire, s’entretenir dans cette chimère, mais les évènements prennent vite le dessus. On peut appeler cela le destin, la malchance, le hasard, le mauvais sort, on peut en accuser une divinité quelconque à laquelle on a voué sa confiance et sa foi, où y voir une épreuve qu’elle nous envoie, parfois en forme de rédemption d’une éventuelle faute ... Le malheur leur colle à la peau, ils se disent, comme pour se rassurer ou s’excuser « qu’ils ne sont pas chanceux », que chacun sur terre a droit au bonheur, alors pourquoi pas eux ? Mais ils l’attendent toute leur vie et ne seront délivrés de cet état que par la mort. Dans le même temps ils voient les autres, pourtant à leurs yeux moins méritants, être comblés par la chance. Qui a jamais prétendu que la justice immanente existe ? Et puis, pour parler comme un ancien président de de République, « Les emmerdes ça vole toujours en escadrilles ». Pire peut-être mais bien réel quand même, à la question traditionnelle « Qu’est ce que tu veux faire quand tu seras grand ?» qu’on nous a tous posée, nous avons souvent énuméré une liste de métiers qui nous faisaient rêver à cette époque mais qui pourtant ont bien dû se passer de nous… Ce que nous ne disions pas, que nous gardions pour nous, était la liste de ce que nous ne voulions assurément pas faire, soit par principe, soit parce que nous en connaissions les inconvénients, en nous promettant bien de tout faire pour les éviter. Au final, il s’avère que, bien souvent, c’est vers eux que nous nous sommes orientés volontairement, en remerciant le ciel d’y trouver un emploi. Puis on se dit que cette poisse ne peut pas durer, on attend, on attend, en vain, et finalement avec l’âge on devient fataliste.

Ça commence souvent dès l’enfance, on patiente pendant l’adolescence souvent perturbée puis, pour oublier tout cela, on se marie, souvent jeune, en se disant que c’est un nouveau départ, qu’il faut tourner la page, que l’amour existe et qu’il peut tout, malheureusement c’est souvent pire, d’une manière parfois différente, mais pire. Là non plus tout ce qu’on avait imaginé ne tient pas la route et l’amour se révèle être un mirage, la famille se disloque, les projets s’envolent… et se sont les enfants qui, bien souvent, en font les frais.

A lire ce témoignage, on a un peu de mal à y croire bien que les feux de l’actualité braquent les projecteurs sur les femmes battues et les « féminicides », pourtant elle illustre ce dont l’espèce humaine est capable, le pire comme le meilleur, mais bien souvent le pire, et dans l’horreur. Jean Teulé, avec le talent qu’on lui connaît, entre empathie et réalisme, nous entraîne dans cette histoire sordide où , heureusement, l’instinct de vie est le plus fort.

 
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