IL AVAIT DANS LE COEUR DES JARDINS INTROUVABLES - José GIOVANNI
- Par hervegautier
- Le 07/04/2009
- Dans José GIOVANNI
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IL AVAIT DANS LE COEUR DES JARDINS INTROUVABLES - José GIOVANNI.
EDITIONS ROBERT LAFFONT.
Son nom était associé à des romans et à quelques films vus au cinéma ou rediffusés à la télévision. Il disparaissait pour moi et sans doute pour beaucoup d’autres derrière ceux des acteurs célèbres qui les avaient interprétés. Pourtant, je dois le dire, ce livre m’a passionné, mieux il m’a ému, bouleversé.
J’ai toujours cru que le rôle des vivants est d’honorer les morts, de satisfaire à ce devoir de mémoire dont ils sont comptables. Les traces qu’un être humain laisse après sa mort sont tellement ténues qu’elles s’effacent vite et le temps recouvre ce qu’a été sa vie, son passage sur terre. L’amnésie est un vrai fléau!
Rendre hommage est une chose bien difficile quand on n’a à sa disposition que l’épaisseur des mots. C’est vrai « qu’il ne s’agissait pas de vouloir jouer à être écrivain! Il s’agissait de laisser s’écouler les sentiments comme une source ». C’était simple « Vous prenez ce que vous avez à pleines poignées et vous le jetez sur le papier » Une gageure!
Peut-être parce que ce travail d’écriture sonnait aux oreilles de ce fils comme un devoir auquel il ne pouvait se dérober et qu’il ne rencontrerait l’apaisement que lorsqu’il aurait couché sur le papier tout ce qu’il avait sur le coeur? On objectera que la mémoire enjolive. Voire! Il y a des aveux qui ne trompent pas « Toujours ce retard entre mon père et moi. J’essaie encore aujourd’hui de le rattraper comme un coureur distancé qui a mal à chaque tour de roue ».
C’est bien cela, une histoire de tiraillements entre un père et son fils, faite d’absences, de renoncements, d’espoirs déçus. On ne dira jamais assez la valeur de l’exemple qu’un père donne à ses enfants. Il vaut tous les doctes traités sur l’éducation. Joe, fut un père absent, plus passionné par le jeu et par les femmes que par sa propre famille. Cet homme pusillanime se laissa entraîner dans la marginalité, montrant à ses deux fils une bien mauvaise image de lui-même. Ils le suivront à des degrés divers malgré Lilie, la mère devenue possessive à force d’être trop aimante!
Le lecteur ne sait plus s’il s’agit d’un roman dont le personnage principal, Joe, procède de l’imagination de l’auteur ou bien si c’est une histoire réelle qui nous est ici narrée tant le style mêle, agréablement d’ailleurs, la première et la troisième personne. Cela se termine en apothéose puisque l’auteur s’adresse directement à lui en lui offrant « son livre »!
C’est dans le ton d’un roman policier que Giovanni nous conte ce récit qui, au vrai, sort de l’ordinaire. Il n’oublie pas de le recadrer dans l’Histoire, celle de l’humanité comme un clin d’oeil pour nous convaincre, s’il en était besoin, que tout cela n’est pas tout à fait imaginaire. Il n’omet pas non plus d’y glisser des aphorismes et des images poétiques.
Mais revenons au texte de cet infatigable « raconteur d’histoires » propose à son lecteur qui devient au fil des pages presque son intime. Au début cela prend la forme du rêve américain pour ce petit émigrant corse qui quitte son pays, encore adolescent, au seuil du XX° siècle. Pour seule richesse il a son regard bleu et un jeu de cartes (plus quelques louis d’or). Ils incarneront son parcours marginal sur cette terre: le poker et les femmes! Puis, à peine arrivé c’est à nouveau cette quête de celui qui veut se faire une place dans ce nouveau monde où pourtant il se sent étranger. La délicate alchimie de sa vie se marie mal avec cette société en constante recherche de ses marques, en recomposition... La Grande Guerre se déclare. Il part pour la France... Et il y restera. N’est-ce pas, après tout son pays d’origine, celui de Napoléon I° qu’il admire tant? La fortune lui sourira largement puis l’abandonnera.
« Une fois la vie tracée, on ne peut pas ne plus poursuivre » écrit Antoine de Saint-Exupéry. C’est vrai que l’homme ne peut pas grand chose face à son propre destin sinon s’y conformer avec l’impression qu’il le fait librement.. Celui de Joe croisera celui de Santos, ce beau-frère, corse comme lui, et l’entraînera dans l’univers de la pègre. Ses deux fils Barthy et José, pourtant bien différents, l’un ressemblant à cet oncle douteux qu’il convenait pourtant d’éviter et l’autre plus attiré vers sa mère et vers la liberté de la montagne, seront comme fascinés par lui. L’aîné perdra sa vie dans une rixe.
Pour José, le survivant, sa mère sera une bouée de sauvetage dans ce grand tangage familial. Elle aussi se bâtissait des châteaux en Espagne dans des expériences commerciales qui bien souvent tournaient court. Elle cultivait aussi l’illusion en recherchant jusqu’à la fin de sa vie d’improbables martingales qui devaient lui ouvrir, à la roulette, la voie de la fortune. De ces deux pôles du couple, la fourmi c’était elle, le bon exemple aussi!
Ce livre en fait est la somme des rendez-vous manqués entre José, le fils et Joe le père qui préférait son monde de jeu et d’adultère à celui plus terre à terre de sa famille. Ce témoignage est sans fard, peint à petites touches précises et parfois incisives, sans complaisance...
Pourtant la vie de Joe, le père absent, va basculer. Barthy, le fils aîné avait perdu la vie dans une affaire que la justice avait du mal à démêler. Parce José se trouvait là aussi et parce qu’il en était le seul survivant crédible, on s’empressa de la condamner pour l’exemple. Dans cette atmosphère délétère de l’après-deuxième guerre mondiale où dans notre pays la collaboration et les délations en tout genre avaient un peu fait oublier la grandeur de la France il fallait faire un exemple. Malgré sa conduite exemplaire au combat, les plateaux de la balance furent néfastes à José. Il fut condamné à mort.
Dès lors son père Joe s’assigna un but : délivrer son fils des griffes de la justice qui au vrai avait été peu sourcilleuse dans le collationnement des preuves et avait un peu oublié la présomption d’innocence dont on nous reparle de temps en temps. Toujours l’exemple.
Ce petit homme vieillissant, de plus en plus malade se battra donc par avocats et personnalités interposées pour atténuer les souffrances de ce fils. Il le soutiendra dans son combat, ne « vivra que pour lui » pendant ces années de détention, supportant avec lui les chaînes et les vexations, lui écrivant chaque jour, ne manquant aucun parloir. Il était devenu une figure dans ce café de la rue de la Santé qui fait face à la prison. Les deux hommes vivaient la même souffrance de part et d’autre des hauts murs de cette maison centrale.
Puis, à force d’interventions, de combat au quotidien, de bouteilles jetées dans cet océan d’incompréhension qu’est bien souvent notre société il obtiendra du Président Auriol la grâce de son fils, de nombreuses remises de peine, la libération anticipée puis la réhabilitation. Pour une fois la justice reconnaissait son erreur... Mais cette dernière victoire il n’a pu la savourer. La mort l’a happé avant.
Puis les choses se sont précipitées pour José. Lui dont on ne donnait pas cher de sa vie, même libre vit son existence s’éclairer. A cette époque ses amis étaient peu nombreux. Ils étaient surtout avocats. Ils l’incitèrent à écrire, à témoigner de ce parcours cahoteux. Il le fit et ce fut un succès. Le destin toujours! Lui à qui une cartomancienne avait prédit une improbable notoriété devint célèbre sous les yeux mêmes de son père. Se sentait-il coupable d’avoir par son exemple ou ses renoncements entraîner son fils dans cette parenthèse carcérale ou en était-il fier de lui au point de rester sans voix? Ce livre aussi parle des silences de celui qui a bien souvent ravalé ses paroles, qui n’a pas su incarner l’autorité du père en préférant la fuite. José lui rendra hommage après sa mort, afin qu’il demeure dans le souvenir des siens autant que dans la mémoire collective.
J’imagine le soulagement de José Giovanni devant le livre enfin terminé, le point final mis à ce texte (fin 1994... en montagne) qu’il voulait offrir à son père par delà la mort, le chemin de croix qu’à été pour ce petit homme vieillissant, éternel dandy à l’élégance raffinée qui se mouvait si facilement dans le bluff du poker mais dont l’existence ne prit son vrai sens que lorsqu’il décida de se battre pour son fils. Il a réussi à repousser la mort pour le revoir vivant et libre.
Les mots résument bien cela dans leur simplicité et leur dénuement « Voilà, père, c’est fini. Il ne me reste plus que le remords de t’avoir fait souffrir. Mais tu sais, je t’ai toujours aimé. »
Oui, je le redis, c’est là un témoignage émouvant.
© Hervé GAUTIER
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