Les inséparables
- Par hervegautier
- Le 30/07/2019
- Dans Marie Nimier
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La Feuille Volante n° 1371 – Juillet 2019.
Les inséparables – Marie Nimier - Gallimard.
Léa et Marie sont dissemblables mais inséparables et la romancière évoque cette amitié qui remonte à l'enfance. Léa est autant extravertie et fougueuse que Marie est timide et réservée. Pourtant on songe à Montaigne parlant de La Boétie "parce que c'était lui, parce que c 'était moi" dit-il, et tout est dit! La narratrice, Marie, vit à Paris avec sa mère et Léa avec une mère inexistante et un beau-père, John Palmer, un américain qui fait ce qu'il peut pour elle. Les deux amies ont une vie très libre et Léa se signale très tôt par une intelligence hors du commun mais qui n'est pas reconnue. Elle se cherche elle-même dans cette famille déchirée et pour se singulariser ou peut-être se venger, elle quitte l'école et plonge dans les dérives de la drogue, de la marginalité, de la délinquance, de la prostitution. Elle connaît les désintoxications, les assistances sociales, les centres de réinsertion, les hôpitaux psychiatriques, la prison mais aussi les amours éphémères. Pourtant, pour contrebalancer tout cela il y a les poèmes d’Antonin Artaud, les romans de Boris Vian... Léa c'est la fascination de l'anti-normalité et peut-être aussi une certaine volonté de tangenter les frontières de la mort. Compte tenu de la nouvelle vie de Léa, l'amitié fusionnelle des deux jeunes filles se craquelle et Marie n'a de ses nouvelles que par intermittence, lui pardonnant tout par avance au nom de cette complicité d'enfance, au point de s'effacer elle-même. L'auteure évoque par le menu les détails de cette connivence ainsi que la déchéance de Léa qui elle-même reste un mystère qui s'épaissit d'ailleurs à mesure que son amie s'enfonce dans la prostitution et les explications qu'elle en donne, citant Rimbaud, Aragon et même Saint Augustin, ne sont pas convaincantes. Cela me rappelle un passage d'un roman de Paul Auster rencontrant à Paris une prostituée qui lui cita des poèmes de Baudelaire. Là je n'y ai pas cru.
Nous savons tous que l'amitié est une belle chose surtout quand elle n'est pas trahie même si les événements incitent fortement les deux amies à prendre leurs distances l'une envers l'autre. Elle est comme les choses de cette vie qui est notre condition, elle s'use et disparaît parce qu'elle appartient simplement aux choses humaines. Je ne sais pas pourquoi, je ne suis que très peu entré dans l'évocation de cette connivence. En revanche, Marie Nimier ne peut pas ne pas parler des pères, même si, elle le dit elle-même, "ça vient comme un cheveu sur la soupe". Elle fait de Léa une mère célibataire dont le père de son enfant est mort. Elle vit des passades et trempe dans le trafic de stupéfiants et le vol... Avec ses "activités", elle en vient à abandonner son fils aux bons soins de ses grand-parents mais pense toujours à lui, espère pour lui le meilleur. Le père, c'est chez l'auteure un thème, récurrent et un peu comme dans "les Confidences" où, parlant des autres elle ne peut s'empêcher de parler d'elle et des rapports assez inexistants et difficiles qu'elle a eus avec le sien, l'écrivain Roger Nimier. Elle évoque celui de Léa absent de sa vie au point de "vivre dans la même ville que fille et ne pas chercher à la rencontrer" mais aussi de l'indifférence qu'elle ressentait pour lui, préférant son beau-père à ce géniteur lointain. La quête du père reste un leitmotiv chez Marie Nimier, jusque, pour Léa, dans sa vie de prostituée et son choix d'un souteneur, présenté plus comme un père que comme un véritable mac. Quant à l'amour qui liait cet homme à sa mère, elle en parle comme quelque chose qui a fini par s'user et disparaître, comme si la conception de Léa n'avait été qu'un accident que cet homme voulait oublier. Cette évocation en filigranes s'arrête très vite et je pense que c'est dommage autant pour l'auteure que pour le lecteur, attentif au cheminement créatif de Marie Nimier qui me paraît vouloir explorer pour elle-même ce thème, mais cela s'arrête vite, sollicitant pourtant sur la fin du roman sa liberté d'écrivain. Cette quête du père revient dans le traumatisme définitif qui s'impose pendant toute sa vie et la pourrit. Cette analyse introspective me paraît plus importante et n'intervient que dans les dernières pages, notant que cette recherche du fantôme paternel était commune à Marie et à Léa. Il y a certes cette histoire d'amitié qu'elle relate comme une antidote à quelque chose et qui prend la forme d'un roman, avec tout ce qu'un tel ouvrage suppose de vérité et de fiction et qui doit avoir une fin, le triomphe de l'imagination de celui qui tient la plume ou celui beaucoup plus simple de la vie qui continue. Là aussi je m'attendais à autre chose et cela résonne pour moi comme une sorte d'impasse. Il reste que cette relation au père me parait quelque chose dont l'auteure a du mal à parler et je suis resté sur ma faim. Je n'ai pas toujours aimé ce qu'elle écrit mais je crois que le prochain roman que je lirai d'elle sera "La reine du silence", pas parce qu'elle a eu pour ce roman le prix Médicis en 2004 mais peut-être pour avoir son approche personnelle sur les rapports qu'elle a eus avec son géniteur. Bref ce roman, pourtant bien écrit, ne m'a intéressé que dans les dernières pages.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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