Memory lane
- Par hervegautier
- Le 07/07/2022
- Dans Patrick MODIANO
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N°1654- Juin 2022
Memory lane– Patrick Modiano – Hachette POL.
Dessins de Pierre Le-Tan
Le titre peut se traduire par « sentier de la mémoire », pourquoi pas, surtout que chez Modiano c’est son thème favori. C‘est aussi le titre d’une chanson préférée d’un membre américain un peu alcoolique de ce groupe de parisiens amoureux du soleil de la côte d’Azur dont parle le narrateur. Elle deviendra peu pou prou l’hymne de la bande. Il l‘observe plus qu’il n’en fait partie comme à vingt ans on jette sur le monde qui nous entoure un regard à la fois inquiet et curieux en se disant que peut-être quelques-uns d’entre eux nous porteront chance. Cette sorte de confrérie était composée d’êtres disparates, un antiquaire parisien, de vagues voyageurs-conférenciers nostalgiques, un fin diseur de poèmes et bien entendu quelques femmes comme Maddy, dont le narrateur est secrètement amoureux malgré la différence d’âge. Elle est pour lui, sans qu’elle le sache, une personne entre la mère qu’elle n’est pas et l’amante qu’elle ne sera jamais.
Qu’est ce qui fait que se forme un groupe de personnes ? Le hasard de rencontres, la partage d’une passion, un goût commun même s’il est inavouable ou immoral, le souvenir de quelque chose ? C’est dans ce genre d’aréopage qu’on refait le monde, qu’on exorcise l’avenir en bâtissant des châteaux en Espagne que le futur se chargera de détruire. Il ne durera qu’un moment ou perdurera longtemps sans qu’on en sache la raison et parfois, quand le temps a passé, on choisit d’oublier ceux qui ont présidé à ce qui fut un temps nos débuts dans la vie parce que l’amnésie est une des constantes de la nature humaine.
Les personnages sont ici, comme souvent sous la plume de Modiano, des silhouettes plus ou moins noyées dans une sorte de brume. Les fins dessins à la plume trempée dans l’encre de Chine de Pierre le-Tan (1950-2019) leur prêtent un visage, une physionomie mais l’impression qui s’en dégage est souvent triste et mélancolique comme ces gravures en noir et blanc dont ils ont l’apparence. Cette galerie de portraits s’ouvre sur la jeune figure d’un marin et sa possible implication dans un meurtre. Cette connivence créatrice me paraît bienvenue et ajoute à l’ambiance nostalgique du texte.
Le livre refermé, il reste de tout cela une douce nonchalance, une complicité, une sorte de farniente, une recherche de la douceur de vivre entre les membres de ce groupe, une sorte d’amour de la vie. C’est l’image du temps qui fuit, de la jeunesse qui disparaît inexorablement, des regrets et des remords, des itinéraires incertains et parfois désastreux. Ce roman, même s’il est qualifié de récit, paru en 1981, est dans le droit fil de l’œuvre de celui qui sera consacré en 2014 par le Prix Nobel de Littérature.
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