Firmin
- Par hervegautier
- Le 02/08/2017
- Dans Sam Savage
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La Feuille Volante n° 1159
Firmin – Autobiographie d'un grignoteur de livres – Sam Savage – Actes Sud.
Traduit de l'américain par Céline Leroy – Illustrations Fernando Krahn.
Avec une couverture pareille- un rat feuilletant un livre- et un tel sous-titre, je ne pouvais que lire ce roman. Firmin , c'est un rat exceptionnel, malchanceux, dernier d'une portée de treize qui, ne trouvant pas de tétine, se rattrape en mâchonnant les livres d'une vieille librairie d'occasion dans le quartier de Scollary Square, à Boston où il est né dans les années 1960 et où vit toute sa famille. Il y prend rapidement goût d'autant que le papier remplace agréablement le lait un peu frelaté de sa mère alcoolique. Oui, vous avez bien lu, Flo, sa mère rate, est une vraie pochetronne. Au début, c'était pour se nourrir mais rapidement il se met à les lire et même à jouer de la musique sur un piano miniature, même si on peut se demander comment il a pu apprendre mais nous sommes dans une fable, n'est ce pas ? Et, Firmin n'est pas n'importe quel rat ! Du coup, le papier qui était pour lui un aliment, devient une source de connaissances et notre rat, un lecteur assidu, fort cultivé et curieux de tout, un « rat de bibliothèque » atteint de « biblioboulimie ». Il en conçoit une sorte de folie et même de fantasmes; on nous a bien dit que la lecture est un vice ! Pour assurer sa subsistance, il explore le cinéma voisin, le Rialto, à cause des restes de pop-corn abandonnés par les spectateurs mais surtout parce qu'on y passe des films pornos auxquels il prend goût. Il n'est pas insensible à la beauté des femmes qu'il voit défiler, dénudées sur l'écran. Du coup, débrouillard comme il est, il partage la vie de Norman Shine, le libraire qui exploite cette échoppe puis, celle de Jerry Magoon, un écrivain marginal dont il devient le compagnon. Il est donc complètement étranger à la communauté ratière dont il ne partage pas l'instinct grégaire. Il voudrait bien parler avec ces deux camarades mais ses cordes vocales ne le lui permettent pas, pas plus d'ailleurs que l'usage de la machine à écrire et que le langage des signes. C'est dommage, je suis sûr qu'ils auraient pourtant eu beaucoup de choses à se dire. Du coup, il livre ses impressions intimes au lecteur en le prenant comme confident. La vie pourrait se passer ainsi, mais le quartier va être rasé, la librairie et le cinéma détruits, ce qui bouleverse tout le monde et Firmin en conçoit des états d'âme existentiels qui le font de plus en plus ressembler à un humain (et pas seulement à cause des films pornos). La cohabitation avec Norman et Jerry fait cependant qu'il ne prend de l'espèce humaine que les côtés paisibles mais dépressifs et ne connaît ni la méchanceté ni la vengeance mais ressent plutôt de la mélancolie, un certain sens critique, un sentiment de solitude et d'impuissance... Du coup, pour exorciser tout cela, il va confier son désarroi à la feuille blanche en écrivant sa biographie. Le papier qui était pour lui précédemment un aliment devient un confident, même si je ne suis plus très sûr de l'action cathartique de l’écriture. Il va donc devoir quitter son nid douillet pour être précipité dans la vie extérieure qui est une véritable foire d'empoigne et où il devra s'adapter s'il veut faire son trou, qui ne sera pas « un trou à rat ». Souhaitons lui bonne chance mais souvenons-nous que c'est un rat d'exception pour lequel il ne faut pas trop se faire de bile. Cela nous donne un roman frais, bien écrit, passionnant du début à la fin où j'ai vraiment tout aimé, l'histoire malicieuse de cet animal hors du commun qui d'ordinaire inspire plutôt du dégoût, les illustrations qui donnent de Firmin une image sympathique et attachante, le dépaysement digne d'une fable que cela procure et cette occasion que nous donne l'auteur de voir autrement les choses et pourquoi pas d'en rire...
J'ai découvert Sam Savage un peu par hasard, comme souvent et l’œuvre de ce jeune auteur de 77 ans, dont c'est ici le premier roman, m'a bien plu (La Feuille Volante n°1154 pour « moi, Harold Nivenson »- n°1157 pour « La complainte du paresseux »). Ici, j'ai apprécié à nouveau son humour, son style libre et agréable à lire avec lequel il nous confie un peu de son expérience personnelle.
© Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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