Joseph Fouché
- Par hervegautier
- Le 22/02/2016
- Dans Stefan Zweig
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La Feuille Volante n°1016– Février 2016
Joseph Fouché – Stefan Zweig – Grasset .
De cet homme, nous ne retenons souvent que l'image que nous a donnée Chateaubriand dans ses « Mémoires d'outre-tombe ». Alors qu'il attend dans l'antichambre royale, l'auteur voit passer devant lui Talleyrand soutenu par Fouché et pour évoquer cette scène il parle « du vice appuyé sur le bras du crime ». C'est vrai que Fouché a toujours fasciné à la fois les historiens et les écrivains par sa manière de s'adapter aux circonstances plus que mouvementées de son époque et son extraordinaire longévité. Stefan Zweig n'échappe pas à cette attirance et lui consacre une biographie détaillée, très documentée et fort pertinente, parue en 1920. C'est d'ailleurs assez étonnant de la part de l'auteur de « La confusion des sentiments » que le désespoir conduisit au suicide.
C'est vrai que Fouché est un personnage pour le moins controversé et surtout contradictoire, qui a quand même gardé du professeur de mathématiques qu'il avait été, le côté calculateur. Il appartenait à l'ordre des Oratoriens (il a seulement reçu les ordres mineurs) qu'il a quitté pour embrasser les idées de la Révolution, mais il ne s'est pas moins signalé comme organisateur de l'armée contre les Vendéens mais aussi par son zèle à déchristianiser la Nièvre, à détruire les ornements sacerdotaux, les crucifix, les églises et piller leurs trésors. Qu'il ait été convaincu de divers détournements et participations à des affaires douteuses reste anecdotique au regard de ses autres méfaits. Sur le plan personnel, l'amitié n'avait que peu de valeur pour lui ; c'est ainsi que s’il soutint Robespierre au début de sa carrière politique, il n'eut aucun état d'âme à participer activement à sa chute, le 9 Thermidor. Quant à l'image de Chateaubriand, elle n'est bien entendu que de façade, Talleyrand étant en réalité son ennemi juré. Il n'était d’ailleurs pas dénué de cynisme et n’hésitait devant aucun abus de pouvoir, dût-il d'ailleurs précipiter ses détracteurs et parfois même ses amis dans la mort pour se sauver lui-même. Sur le plan purement politique il a été un attentif élève de Machiavel, pratiqua avec grand talent la palinodie, la flagornerie, la trahison, l'opportunisme et la délation, ce qui fit de lui, et à plusieurs reprises, un ministre de la police « efficace », ambitieux et surtout redouté. Au début, il s'est fait élire député de la Convention, passant du Marais (qu'on peut classer au centre) pour ensuite choisir le clan des « Montagnards » (qu'on classe carrément à gauche). Il n'en servira pas moins ensuite le Directoire, le Consulat, l'Empire puis la Restauration. Il reste aussi dans l'histoire, en plus des nombreux qualificatifs peu glorieux dont on l'affubla, comme « Le mitrailleur de Lyon » puisqu'il encouragea les cruautés et organisa la destruction par le canon (la guillotine étant jugée trop lente à tuer) des insurgés ou des suspects, ce qui n'était pas vraiment dans la philosophie des « Lumières ». Quant à l'exemple donné au reste du monde par la France d'alors, il était loin de l'idéal révolutionnaire.
Il faut lui reconnaître une certaine clairvoyance, à laquelle sans doute son appartenance à la franc-maçonnerie n'était pas étrangère . Il soutint Bonaparte le 18 Brumaire lequel sut se souvenir de son appui en lui confiant le portefeuille de ministre de la police mais son parcours dans l'Empire est jalonné de trahisons. Il restera attaché au Directoire, à Bonaparte alors Premier Consul puis à l'Empire mais Napoléon se méfiera toujours de lui, le fera même surveiller, craindra son pouvoir et ses félonies, même s'il le fit « Duc d'Otrante » pour son action en l'absence de l'empereur. Il saura d'ailleurs se maintenir non loin du pouvoir malgré ses disgrâces parfois lourdement désargentées et fort mal vécues, sauvegardera l'autorité de l’État pendant les « Cent-jours », négociant avec les puissances alliées face à la défaite prévisible de Napoléon et préparant la transition vers la royauté. Il n'hésitera pas à remettre Louis XVIII sur le trône et à être également son ministre sous la Restauration. C'est pourtant le même homme qui a voté la mort de Louis XVI, le même prêtre défroqué, pilleur d'églises qui jure « fidélité » au roi très chrétien !
Ce personnage ne laissa personne indifférent. Stéfan Zweig lui reconnaît du talent. Il semble être déconcerté par sa faculté de Fouché à avoir survécu à cette période, préférant bien souvent l'ombre à la lumière, évitant de trop s'engager, préférant observer et réfléchir avant d'agir... un véritable animal politique au remarquable sang-froid, à la patience exemplaire, à la clairvoyance proverbiale mais surtout dénué de scrupules. Il était fasciné par le pouvoir mais aussi par l'argent qui parfois lui manqua. L'auteur le prend comme modèle, mais comme un modèle pervers qu'il ne faut pas suivre, comme l'image de l'homme soucieux de faire oublier tous ces petits reniements et ses grandes trahisons et s'attache à l'accabler. Le Duc d'Otrante dont les armes étaient parlantes («D'azur à la colonne d'or, accolée d'un serpent du même, semé de cinq mouchetures d'hermine d'argent, deux deux, et une ; au chef des ducs de l'Empire brochant ») , était avant tout arriviste et comploteur, et incarnait sans doute la dualité qui est en chacun d'entre nous, était le parangon de tout ce que l'espèce humaine a de plus méprisable et que ne rachètent pas ni les «Père de Foucault », ni les « Mère Teresa » ni les « Saint-Vincent -de-Paul ».
© Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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