la feuille volante

Les yeux d'Arthur

La Feuille Volante n° 1322

 

Les yeux d'Arthur Jean-Frédéric Vernier – Éditions « les ateliers Henry Dougier ».

 

Tout d'abord je remercie les éditions « Les ateliers Henry Dougier » de m'avoir fait parvenir directement cet ouvrage.

 

Jean-Frédéric est bénévole au sein des « Petits frères de pauvres » de Paris et se rend chaque lundi auprès des personnes en fin de vie. Cela lui a permis de rencontrer Arthur, un vieil homme handicapé mental atteint d'un cancer en phase terminale. Quand il lui rend visite, dans son foyer, Arthur est dans son monde et s'y trouve bien, soliloque, mène des occupations puériles avec des sourires béats, se fait son cinéma en mélangeant un peu tout, alterne les longs silences, observe aussi, l'air de rien… Pourtant cet homme reste une énigme pour Frédéric qui fait difficilement la part des choses entre la supposée gentillesse des handicapés mentaux et les questions, les phobies et les obsessions d'Arthur. Quand l'établissement autorise une sortie à l'extérieur du foyer en compagnie de Frédéric, il devient mutin, ce n'est plus lui qui est accompagné mais lui qui accompagne. Il est espiègle, cabotin même, il revit, se métamorphose, se met en scène ou focalise son attention sur un détail, au point que les passants, mi intéressés, mi-interrogatifs pourraient croire qu'ils ont affaire à un comédien menant avec talent une saynète de rue. On pourrait même le croire « guéri » au moins de son affection mentale. Il est inventif, inattendu, mais cette transformation peut même devenir gênante à la longue puisque Arthur, sans la moindre retenue, s'appesantit sur des choses anodines qui pour lui, soudain, prennent une importance capitale. Un peu bateleur, il se met lui-même en scène, interpelle les passants sans retenue au point qu'on peut se demander si cette réaction sincère n'est pas une révolte longtemps refoulée contre sa notion personnelle de l'injustice ou de la logique. Qu'ils aient compris ou non son état, ces passants de hasard lui montrent souvent de la bienveillance, une certaine forme de tendresse, parfois même entrent pour un temps dans son jeu devant un Frédéric partagé entre la complicité et la retenue. Arthur, le vieillard, redevient un adolescent quand il voit une jolie femme et veut lui dire son admiration. Il devient même quasiment séducteur, mais, sans qu'on sache pourquoi, par peur sans doute, reste un « donnaiollo », comme disent nos amis italiens, timide et réservé.

 

Face à cela, la présence de Frédéric est protectrice. Ainsi pourrait-on penser qu'à la longue, ses visites sont devenues fastidieuses pour lui et vont se terminer, mais que nenni. Il découvre que s'est installée entre eux une sorte de connivence et même de symbiose, que le temps n'a plus la même valeur lors de leurs entrevues, que sa vie, faite de stress, connaît une manière d'apaisement, et même de bien-être intérieur, devient une invitation à la méditation, une incitation au sourire, un peu comme si Arthur, en son absence, l'accompagnait comme une ombre, comme son ombre ! De même ces rencontres hebdomadaires font du bien à Arthur qui l'attend et ne peut plus s'en passer. Elles sont devenues rassurantes et probablement indispensables, pourtant Frédéric n'est ni soignant, ni salarié du foyer ni même de la famille d'Arthur, tout juste un simple bénévole plein de bonne volonté, mais pourtant il entre dans son jeu, comme beaucoup de ceux qui le connaissent. On pourrait croire qu'ils le font par charité, pour ne pas le brusquer, mais j'ai pensé qu'ils agissaient ainsi peut-être ainsi pour faire une pause dans ce monde survolté qui est le leur, le nôtre. Quant à Frédéric, cet attachement se fait, de jour en jour, plus grand. Tout au long de ces lundis, il s'est tissé plus qu'un lien entre eux. Frédéric était bien plus que le copain d'Arthur comme celui-ci le disait. Nous ne saurons rien de ce jeune homme bénévole qui s'efface volontiers devant ce vieillard à qui il a finit par s'attacher.

 

C'est un témoignage brut, sans fioriture ni recherche de syntaxe qui est ici donné à lire. Cette collection s'attache à montrer combien sont importantes et uniques les vies ordinaires ou les voix singulières. Arthur est handicapé, c'est à dire un inadapté à notre société, mais il nous est plutôt présenté comme quelqu'un de simplement différent de nous, de la norme. Ce livre, ce geste, qui peut paraître dérisoire, c'est celui Frédéric qui lui aussi veut faire obstacle à l'oubli et à travers l'exemple donné, tendrait-il à prouver que l'attention donnée à ce vieil homme peut avoir une dimension de thérapie? Veut-on nous dire que la guérison de la maladie mentale ne peut se faire qu'à travers une réinsertion du malade dans la société, à condition toutefois qu'elle soit encadrée strictement ? Quant à son cancer, sa disparition tient sans doute du miracle, pour ceux qui y croient, mais c'est un fait !

 

La réalité est cependant différente et s'impose à nous tous qui ne sommes qu'usufruitiers de notre propre vie. Pour Arthur ce n'est peut-être pas le cancer qui, par une sorte de miracle inexpliqué, s'était mis en sommeil au point que la faculté le considérait au mieux comme guéri, au pire comme en rémission. Frédéric était tellement attaché à Arthur Eet à ses progrès qu'il a fini par se demander s'il avait conscience de l'évolution de sa maladie, s'il avait l'intuition de sa propre mort, s'il pensait à l'au-delà... La Camarde a fini par triompher du vieillard sans qu'il s'en rende compte et sans même qu'il s'y attende, un peu mystérieusement dans son cas, mais nous sommes tous mortels de toute façon.

 

Je ne sais pas pourquoi, je suis entré dans ce voyage décalé, dans cette relation d'exception entre ce jeune homme dévoué et ce vieillard que la maladie mentale rendait étonnamment jeune, je me suis installé aux côtés de Frédéric pour accompagner son protégé et écouter ses délires parfois dérangeants, parfois carrément comiques, toujours émouvants.

 

©Hervé GAUTIER – Février 2019. http://hervegautier.e-monsite.com

 

 

 

 
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