la feuille volante

Envoyée spéciale

N°1619 - Janvier 2022

 

Envoyée spéciale – Jean Echenoz. Les Éditions de Minuit.

 

L'intrigue est à la fois simple et un peu loufoque. Un général au rencard, répondant au doux de Bourgeaud s'est mis dans la tête de charger une jeune femme de séduire un collaborateur de Kim Jong Un pour déstabiliser le régime du dictateur nord-Coréen. Pour cela il lui faut une jeune et jolie femme, mais pas une espionne professionnelle ; il choisit Constance pour sa naïveté,mais pas seulement, la fait enlever et séquestrer dans un coin perdu de la Creuse avant de l'envoyer à Pyongyang. Tout cela est bel est bon mais cette idée, pour être originale n'en est pas moins difficile à réaliser d'autant que les acolytes de Bourgeaud ressemblent plus à des "pieds nickelés" qu'à des agents secrets. Les épisodes du rapt et de la séquestration valent leur pesant d’absurdité entre syndrome de Stockholm et demande de rançon façon baron Empain, pour se poursuivre avec le personnage du mari, Lou Tauk, bizarrement nullement bouleversé par l'absence de sa femme. C'est que son passé "artistique" et celui de Clémence sont pour beaucoup dans le choix du général, comme le verra quelques dizaines de page plus loin le lecteur attentif. C'est qu'il faut l'être, attentif, pour suivre cette histoire un peu abracadabrantesque où les tranches de vie détaillées d'individus se succèdent sans qu'on sache très bien ce qu'ils viennent faire dans cette affaire et surtout le lien qui peut bien exister entre eux. Bref, la mission de la jeune femme en Corée peut commencer. Elle n'aura rien à envier à ce début un peu cahoteux.

 

Echenoz nous entraîne dans un roman d'espionnage un peu comme il l'avait fait dans "Lac", nous régale une nouvelle fois de sa faconde faite d'un verbe jubilatoire, de portraits improbables, d'un culte du détail parfois inutile et parfaitement anodin qui n'apporte rien au déroulé du récit mais qui a l'avantage de nous faire sourire de par son incongruité même. De fausses pistes en changements de noms, Echenoz égare le lecteur mais le rattrape ensuite, évoquant les situations les plus extravagantes aussi bien à Paris qu'à Pyongyang, le régalant de détails aussi improbables qu'inattendus sur la croissance des ongles d’orteils ou la vie sexuelle des poissons exotiques, bref il promène à l'envi le lecteur, témoin volontaire de ces invraisemblables tribulations. L’évocation du spectacle offert au quotidien par la Corée du Nord fourmille de détails où le décor de théâtre inspiré de l'architecture marxiste le dispute au rôle joué par des figurants à l'attitude plus loyale que spontanée. Le style et un brin compliqué mais bien dans le sens du thème, à la fois documentaire et déjanté, encombré de détails dont on se demande s'ils sont ici par un souci d'informations ou s'ils contribuent à soutenir l'attention normalement dissipée du lecteur.

 

J'ai pourtant lu ce roman jusqu'à la fin, à la fois friand des situations évoquées et de la façon de les faire partager et curieux de l'épilogue. Au moins ça a été un bon moment de lecture en ses périodes troublées par un virus aussi insaisissable que les gestes barrière pour le combattre sont étonnants et une campagne électorale à géométrie variable dont les sondages aussi quotidiens que contradictoires peinent à intéresser l'électeur potentiel.

 

 
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