Opus 77
- Par hervegautier
- Le 11/02/2020
- Dans Alexis Ragougneau
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N° 1429 - Février 2020.
Opus 77 – Alexis Ragougneau – Éditions Viviane Hamy.
L’opus 77 de Dimitri Chostakovitch, concerto n°1 en la mineur pour violon, qui selon l’auteur « symbolise le combat de la lumière face aux forces obscures » est l’image de la vie de ce compositeur, ballotté par Staline entre la reconnaissance et la déchéance. C’est aussi autour de cette œuvre que tourne cette histoire, celle des Claessens, dominée par le père, pianiste virtuose puis chef de l’Orchestre de la Suisse Romande, à la manière de la statue du Commandeur. La mère Yaël est cantatrice mais arrête tôt sa carrière, dans la dépression et fait figure d’absence dans ce roman, David le fils aîné, génial violoniste doué d’une impressionnante mémoire et Ariane, pianiste d’exception, complètent ce tableau. C’est elle, la narratrice de cette saga qui, presque sur le ton de la confidence et au rythme de cet opus 77 dont elle détaille chaque mouvement, nocturne, scherzo, passacaille, cadence, burlesque, prête au lecteur l’envol des notes, la difficulté du rôle de soliste face à la partition et à l’orchestre, lui fait partager tout le plaisir de la musique autant que les rebondissements de cette histoire familiale. A l’aide de nombreux analepses, elle alterne les derniers moments de son père et son cheminement vers la mort avec les souvenirs qui ont émaillé la vie de cette famille et spécialement ceux qu’elle partage avec son frère. Aux obsèques, Ariane jouera au seul piano cette pièce au lieu d’une marche funèbre et c’est ce même morceau qui aurait pu ouvrir les portes du succès à David au prestigieux concours « Reine Elizabeth » de Belgique, mais qu’il a refusé de jouer jusqu’au bout, annihilant ses chances de succès, puis disparaissant du jeu, de la société, de la musique pour une retraite solitaire. C’est ce même opus qui réunira au pas de la mort le fils et le père, comme si cette ultime rencontre pouvait gommer toutes ces années perdues.
Ce que je retiens, c’est l’attitude de David qui, surdoué et promis à un bel avenir, choisit le silence face à un concours dont ils aurait été le lauréat et qui choisit l’isolement quasi monastique dans un bunker suisse en pleine montagne. Cette manière de gâcher ses chances et ses dons m’interpelle dans un monde où la réussite est portée au pinacle, où il faut impérativement se faire valoir, se vendre pour avoir la notoriété, l’argent, l’admiration des autres et peut-être l’estime de soi.
Tout au long de ma lecture, j’ai pensé à cette citation d’André Gide « Famille je vous hais » qui tranche tellement sur la vision traditionnelle qu’on veut en donner et qui ressemble un peu trop à une image d’Épinal. Tout aurait pu aller pour le mieux dans le meilleur des mondes dans ce microcosme voué à la musique mais l’ambiance y était étouffante. Si le frère et la sœur sont intimement liés et la mère vouée aux médicaments, le père, que la narratrice n’appelle que par son nom, rendu volage par le succès et peut-être aigri par la maladie naissante, entend imposer le piano à ses enfants. Mais c’est le violon que choisit David, comme un désaveux. C’est cette même forme de contestation qui le fait s’éloigner du giron familial et se donner en spectacle dans la rue pour quelques pièces. Certes Ariane surnommée « La rouquine » sera pianiste, mais elle n’est pas tendre avec son géniteur et ce qu’elle dit ressemble à un règlement de compte. Ce qu’elle aime, elle, c’est surtout c’est la liberté et la vie dont elle entend bien profiter.
Je ne suis pas un mélomane averti et encore moins musicien mais j’ai apprécié la manière dont l’auteur, dans un style fluide et agréable à lire, détaille et explique cette œuvre musicale, c’est souvent technique et approfondi mais ça n’exclut ni l’émotion ni le plaisir de la lecture.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.comN° 1423 - Janvier 2020.
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