CHANTIERS
- Par hervegautier
- Le 18/01/2016
- Dans Marie-Hélène Lafon
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La Feuille Volante n°1005 – Janvier 2016
CHANTIERS – Marie-Hélène Lafon – Éditions des Busclats.
J'avoue que j'ai été un peu décontenancé à la lecture de ce court ouvrage qui n'est pas un roman. Dès les premières pages, l'auteure évoque clairement les épousailles d'une fille de la campagne profonde. Le titre « C'est pas du rôti pour elle », expression empruntée à sa grand-mère qui refuse d'aller à la cérémonie, évoque une sorte de mésalliance entre sa famille qu'on imagine rurale et celle du jeune homme, différente parce qu'elle vit à la ville, que nombres de ses membres ont réussi dans les professions libérales, mais qu'elle a gardé au pays des terres et une maison occupée seulement l'été, pour les vacances. Et d'ailleurs, les parents de cette fille ne sont que les fermiers de la famille du garçon, une sorte de subordination qui perdurera toujours ! Pourtant, c'est là une transgression sociale puisque ici on doit se marier entre paysans. C'est que la jeune fille en question, qui était sans doute promise malgré elle au fils d'un voisin, a étudié le latin, le grec et la littérature, c'est à dire a déjà transgressé un autre tabou qui voulait faire d'elle une mère de famille nombreuse qui resterait à la maison à attendre le père et à élever sa marmaille. Puis très vite le texte est rédigé à la première personne et l’auteure habite ce personnage juste esquissé de la jeune-fille qui non seulement quitte le pays pour enseigner dans la capitale mais aussi se pique d'écrire et peu à peu trouve sa place dans ce monde littéraire pourtant fermé, très loin en tout cas des préoccupations paysannes.
Elle ne renie pourtant rien des beautés de son Cantal, de sa langue et de son enfance et sait apprécier la vie bourgeoise qui est désormais la sienne et qui elle aussi possède ses codes et ses convenances, évidemment différentes de celles de son enfance. Et puis il y a cette envie d'écrire, venue on ne sait d'où qui se manifeste un jour avec plus de force qu'avant. On pose le premier mot sur la feuille blanche avec fébrilité, on s’enhardit, on poursuit, ça dure, on lit, on retrouve même ses racines enfouies pour y chercher l’inspiration et ça marche…Alors on se fait son cinéma. On compose un texte au terme d'un véritable accouchement et on l'envoie à quelqu'un en se disant que ça va marcher, parce qu'il ne peut en être autrement. Ici, ça fonctionne sous forme d'encouragements et un éditeur finit, enfin, sans doute après de longues et décourageantes recherches, par s'intéresser à l'auteure de ces pages. Alors commence la véritable aventure, celle qu'il ne faut surtout pas manquer et le travail s'impose de lui-même, comme celui de la terre qu'il faut labourer et ensemencer. Chaque ouvrage est un véritable « chantier » où le travail dur s'impose comme une évidence. Ainsi reviennent véritablement ses racines qu'elle conjugue avec la beauté des mots et avec sa culture personnelle, ses lectures parce qu'il faut bien entendu prêter attention à ce qui a été fait avant. Le livre qui en résulte, il faut ensuite le faire partager au lecteur (souvent lectrice) en le rencontrant physiquement parce que l'écriture c'est aussi une communion avec lui et qu'un auteur, même s'il écrit pour lui, ne saurait ignorer celui à qui il le destine. L'auteur l'estime et le respecte même si le succès au début est d'estime et que le découragement s’insinue dans les certitudes les plus solides. Puis le talent s'impose, avec, il est vrai la chance indispensable dans tous les actes de notre pauvre vie, et l'auteure se fait une place dans ce paysage littéraire, marque son originalité et sa voix tout en se rappelant que « rien n'est jamais à l'homme » comme le dit le poète parce que là comme ailleurs, le découragement existe comme existent la sécheresse, le doute et le sentiment d’inutilité. Les œuvres se multiplient et l'auteure dévide l'écheveau de son message à travers une créativité qui se nourrit de la vie, de l'amour, de la mort qui sont et resteront les grands thèmes de l'activité artistique. Cela sera livré au public, c'est à dire à la critique qui fait et défait les succès mais aussi, et peut-être surtout, à celui, amateur ou simple quidam guidé par le hasard, qui accepte de passer du temps à explorer cet univers qui est décrit avec des mots, qui au départ lui est étranger mais où, bien souvent, il se retrouve lui-même. Alors l'écriture, qui est aussi une étrange alchimie, retrouve sa fonction première qui est la communication, l'explication, l'exploration, l'aide par la compréhension parce que quelqu’un, un jour a mis des mots sur ses maux, a expliqué ses choix, a raconté sa propre histoire, a rappelé que le livre est bien souvent un univers douloureux qu'il faut partager parce, ainsi il porte en lui une sorte de guérison pour l’auteur autant que pour le lecteur et que ces pages et ces chapitres ont réussi à faire que chacun s'accepte comme il est.
A la campagne on est catholique presque par tradition, même si cette foi n'a rien à voir avec l’Évangile qu'on ne connaît d’ailleurs pas. Ce ne sont bien souvent que des rituels obligatoires qui, là non plus ne résistent pas.
Ce livre est une sorte jalon dans son parcours, une volonté de faire le point sur son voyage littéraire autant que sur sa vie, un regard intime porté sur elle-même et offert à son lecteur parce qu'un auteur ne doit jamais être quelqu'un de lointain, d'intouchable, d’intellectuellement différent des autres.
© Hervé GAUTIER – Janvier 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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