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la feuille volante

Guerre

N°1650– Juin 2022

 

Guerre – Louis-Ferdinand Céline – Gallimard.

 

Je suis toujours fasciné par les écrits qui refont surface des années après leur disparition, c’est à dire des mots confiés au support fragile du papier et qui résistent au temps, comme ce fut le cas des écrits de Fernando Pessoa. C’est d’autant plus étonnant dans ce cas qu’il s’agit de Céline, un des écrivains maudits de la Libération qui, craignant pour sa vie, quitta la France en juin 1944. Des manuscrits furent volés dans son appartement de Montmartre, dont « Guerre », qu’on retrouva miraculeusement en bon état en 2021, après une disparition de près de quatre-vingt ans. Cet ouvrage, écrit en 1934, où se mêlent autobiographie et fiction un peu débordante, évoque la grave blessure, puis la convalescence du brigadier Ferdinand Bardamu au début de la guerre de 1914. Nous retrouverons ce personnage dans « Voyage au bout de la nuit »(1932 – Prix Renaudot). C’est presque devenu une habitude pour les manuscrits de Céline puisque celui de « Voyage au bout de la nuit » est lui aussi réapparu en 2001 après soixante ans de mystère et la notoriété de l’écrivain a déterminé le Bibliothèque nationale de France de l’acquérir. Des manuscrits comme ,« Londres » et « La volonté du roi Krogold », également découverts récemment, seront publiés prochainement et on peut toujours imaginer que d’autres émergeront du néant !

Ce roman atteste du parcours de Céline, alors le maréchal des Logis Louis-Ferdinand Destouches, qui, âgé de 18 ans, fils unique d’une famille modeste et ayant connu une enfance difficile, devança l’appel et s’engagea dans l’armée pour trois ans, avec sans doute toutes les illusions qui vont avec. Il les perdra rapidement avec la guerre où il sera grièvement blessé dans une mission à aux risques. Décoré, il sera réformé comme invalide de guerre. Ainsi, dans ce roman comme dans bien d’autres, il mêle autobiographie et imagination.

Ce roman, écrit sans doute du premier jet (ce qui est assez rare chez Céline qui retravaillait ses textes), se situe en Flandres ou Ferdinand se réveille sur le champ de bataille, blessé, seul survivant au milieu des morts, récupéré par des soldats anglais, son hospitalisation et sa convalescence rocambolesque jusqu’à son départ pour Londres qu’il rejoint grâce à Angèle, une prostituée dont il devient l’ami. Dans ce roman il décline les désillusions qui sont les siennes qui marqueront l’ensemble de son œuvre et nourriront son pessimisme, notamment sur l’espèce humaine. A travers sa poétique et sa petite musique célinienne, entre légèreté, drame et même humanité, sa verve argotique, populaire et parfois cruelle, ses thèmes favoris y sont présents, l’horreur de la guerre, la mort, la vie, ses parents, l’espèce humaine, et la sexualité à travers les personnages féminins de l’infirmière, mademoiselle Lespinasse et Angèle, la prostituée dont le Bébert, le proxénète avec qui il se lie, est le protecteur. D’autres personnages se retrouveront aussi dans ses autres romans. A propos du sexe, très présent dans ce roman, il est probable que si le manuscrit avait été publié au moment de sa rédaction, il eût sans doute été quelque peu censuré. Ce roman dont évidemment l’édition ne passe pas inaperçu, éclaire une partie de la vie de l’écrivain encore inconnue, une sorte de chaînon manquant.

L’image de l’écrivain d’exception que fut Céline est ternie par ses prises de positions antisémites, comme beaucoup de monde à cette époque, et beaucoup moins collaborationniste qu’on a pu le dire, pendant l’Occupation, sa fuite en 1944, ce qui fait de lui à la fois un personnage sulfureux, contesté en tant qu’homme et un écrivain génial qui a révolutionné les Lettres françaises. On pense ce que l’on veut des écrivains comme Pierre Drieu La Rochelle et Robert Brasillach qui ont pris le parti de la collaboration avec les nazis mais il est probable que Céline, après avoir eu ce contact désastreux avec la guerre, a peut-être réagi ainsi face à ce deuxième conflit mondial.

Pour faire écho à ce roman, au moment où actuellement un autre danger menace la démocratie en Ukraine et peut être en Europe, ces quelques mots de Jacques Prévert, extraits d’un des plus beaux poèmes d’amour de la poésie française et qui porte le nom d’une femme « Oh Barbara, quelle connerie la guerre ».

 

 

 
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