DU DOMAINE DES MURMURES
- Par hervegautier
- Le 06/06/2015
- Dans Carole Martinez
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N°920– Juin 2015
DU DOMAINE DES MURMURES- Carole Martinez – Gallimard.
Au Moyen-Age, quand on est fille de seigneur, jeune, vierge, belle et richement dotée on est destinée au mariage pour assurer la descendance d'une noble lignée. Tel est le destin d'Esclarmonde que son père a promise à Lothaire de Montfaucon, même si celui-ci est plus connu pour croiser le fer et trousser les jeunes paysannes de son fief que pour déclamer des poèmes d'amour. Avec lui on est loin du raffinement de la fine amor des troubadours mais le père de la jeune fille a cédé à ce mariage arrangé à cause notamment de sa situation de vassal dans la société féodale. Elle sera donc « un pudique récipient de grossesses successives » et si son époux meurt elle devra recommencer en s'abandonner au plus offrant. Las, si elle aimerait obéir à son père et faire ainsi son devoir, elle refuse le mariage et avec lui la vie qui l'attend. Son seul refuge est dans le Christ à qui elle offre sa vie et se laisse emmurée vivante comme cela se faisait à l'époque. Ce faisant cette fille unique trahit son père aimant qui avait pourtant payé un lourd tribut à la vie. Devenue béguine vouée à la prière, au jeûne et à l'adoration, elle contribue par son exemple à changer Lothaire en honnête homme paisible, à insuffler un peu d'humanité autour d'elle, à inspirer à chacun son devoir de chrétien : Une sainte est née, mais Dieu lui réserve un tout autre destin qui va nourrir l'atmosphère mystique tissée autour d'elle !
Malgré sa réclusion, elle va répandre ses bienfaits sur le fief de son père, disputant à la Camarde les vies dont elle entendait disposer, affirmer le rôle spirituel attaché à sa personne, aidée, il est vrai par les événements et par l'ambiance religieuse de l'époque tout entière attentive aux miracles et à l'écoute de ceux qui entendaient en interpréter le sens. Malgré elle aussi, elle assistera à cet inévitable commerce des « marchands du temple » qui prospérait sur la crédulité populaire face aux manifestations divines ou supposées telles et saura motiver chacun de ses proches pour qu'il participe au grand mouvement des croisades vers la Terre Sainte. Par la pensée et à travers les yeux de son père elle vécut elle-même cette incroyable épopée où les vivants se mêlaient aux morts, une entreprise un peu folle menée par les hommes pour aller délivrer le tombeau du Christ et obtenir le pardon de leurs péchés quand d'autres n'y voyaient qu'une occasion de guerroyer et de s'enrichir. La foi cheminait aux côtés de l'envie et l'échec à été le lot de ces combattants. Sur cette terre étrangère où elle l'avait envoyé, elle accompagna son père jusque dans la mort. Bien que recluse, elle fera entendre sa voix, goûtant cette emprise et ce pouvoir qu'elle avait sur les gens tout en gardant cette humilité chrétienne et ce regard étonné porté chaque jour sur les choses qui l'entourent. Elle insufflera à chacun l'énergie pour survivre dans un environnement hostile et ainsi découvrir sa voie.
C'est un roman remarquablement écrit, envoûtant, d'une réelle intensité poétique et nourri de merveilleux. Il communique au lecteur la mysticité et l'extase de cette jeune fille autant que l’intensité de sa souffrance et que le tragique de son destin. L'auteure nous fait partager à travers une imagination féconde un univers onirique fait de chair et spiritualité qu'incarne bien cette période où l'on croyait autant à Dieu qu'aux fées, aux fantômes, aux sortilèges et aux lutins. C'est aussi un remarquable ouvrage traitant du pouvoir des femmes sur les hommes au Moyen-Age, une époque où pourtant elles n'étaient regardées que comme l'instrument de la descendance et de la servilité. Esclarmonde n'est pas sans rappeler la figure authentique de Juette célébrée par Clara Dupond-Monod dans son livre « La passion selon Juette (La Feuille Volante nº 906) Elle est le symbole de celles qui ont eu le courage d'être elles-mêmes. J'ai personnellement retrouvé avec plaisir, à travers le réelle talent de conteuse de Carole Martinez, l'ambiance de ce siècle qui reste pour moi à la fois fascinant et mystérieux. Ce moment de lecture épique fut un dépaysement bienvenu
©Hervé GAUTIER – Juin 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com
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