la feuille volante

Articles de hervegautier

  • Roseanna

    La Feuille Volante n°1044– Mai 2016

    ROSEANNA – La Feuille Volante n°1044– Mai 2016

    ROSEANNA – Maj SLÖWALL – Per WAHLÖÖ – PAYOT ET RIVAGES.

    Traduit de l'anglais par Michel Deutsh.

    Nous sommes en Suède, dans la petite ville de Motala où le corps d'une femme inconnue, dénudée et violée a été retrouvé dans le chenal de l'écluse qui donne accès au lac. L'inspecteur principal Martin Beck de la criminelle de Stockholm est dépêché sur les lieux pour épauler l'équipe locale. Il a beau être un bon flic, les indices dans cette affaire ne sont pas légion et les investigations patinent complètement au début, au grand dam de la presse et sur le thème bien connu de « Que fait la police ? » Il y a en effet de quoi s'inquiéter car ce n'est quand même pas tous les jours que la quiétude de cette petite cité est ainsi troublée. Du temps passe sans beaucoup d'informations au sujet du cadavre et ce malgré les investigations qui partent dans tous les sens, d'autant qu'il finit par être évident que cette femme s'appelait Roseanna Mc Graw… et venait du centre des États-Unis. Et tout cela grâce aux recherches d'un inspecteur américain dont le rapport révèle la personnalité contradictoire de cette femme. Quant aux enquêteurs suédois, ils piétinent toujours mais leurs vaines filatures et leurs errements infructueux n'ont d'égal que l'intuition et les certitudes parfois surréalistes de Martin Beck [ Je ne suis pas spécialiste des enquêtes judiciaires, des procédures suédoises, mais il m'a semblé que les questions posées par les enquêteurs, notamment dans le domaine de l’intime, étaient limite et n'apportaient rien à la manifestation de la vérité]. Dès lors, ce dernier qui refuse de se laisser abuser par les apparences, suit une idée qu'il est le seul à avoir, poursuit la traque, hasardeuse et solitaire, d'un suspect même si cette dernière s'accompagne de méthodes originales et inattendues, un peu en marge des procédures traditionnelles. Pour lui, qui est avant tout « têtu », l'efficacité et les résultats priment, même si sa hiérarchie se montre un peu frileuse, mais, après tout, il n'y a pas autre chose. Personnellement, j'aime bien le personnage de Beck, un peu bourru, taciturne et amoureux de son travail jusque y sacrifier sa vie de famille.

    Ce roman se lit bien et a consisté pour moi en une agréable découverte même si le suspense se conjugue avec une certaine lenteur dans dans son déroulement. Cet ouvrage, sous-titré « Le roman d'un crime » n'est pas récent puisque sa première publication remonte à 1965, paru en France à partir de 1970, mais j'ai déjà dit dans cette chronique que, à mes yeux, la valeur d'un livre ne réside pas dans sa seule nouveauté. Les deux auteurs ont crée le personnage de Martin Beck, décliné ensuite dans une dizaine de romans. Les auteurs ont la particularité d'avoir été mariés, Per (1926-1975), ancien journaliste s'était signalé, à partir des années 50, par l'écriture de romans de politique-fiction, Maj (née en 1935) était pour sa part éditrice. Ils créèrent ensemble, à partir de 1965, des romans-policiers qui s'inscrivent dans la société suédoise de cette époque. Cette série a été interrompue à la suite de la mort de Per et ont fait l'objet d'adaptation cinématographiques.


     

    © Hervé GAUTIER – Mai 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • La jeunesse mélancolique et très désabusée d'Adolf Hitler

    La Feuille Volante n°1043– Mai 2016

    La jeunesse mélancolique et très désabusée d'Adolf Hitler – Michel Folco -Stock .

    Rien n'est plus incertain que la paternité et dans ce domaine comme dans bien d’autres qui touchent à la nature humaine, le droit trouve toujours le moyen de s'arranger des situations parfois hasardeuses pour que les apparences soient sauves, mais pas forcément la paix des ménages. Aloïs Schicklgruber, un douanier impérial et royal, fils illégitime, que son père naturel Karolus Trikotin avait refusé de reconnaître, prit, par un artifice juridique, le nom du mari de sa mère, Georg Hiedler, qu'une main malhabile transforma en Hitler. Il avait trente neuf ans. D'avoir été un bâtard pendant si longtemps lui donna l'envie d'en faire lui-même mais Adolf fut bel et bien son fils légitime. Après la mort du père le futur chancelier eut effectivement une jeunesse et une adolescence mélancoliques, souvent rebelles, parfois coléreuses et égoïstes, en réalité quelqu'un d'assez banal, pas du tout favorable à l'armée d'Autriche (il fera ce qu'il pourra pour échapper au service militaire et en sera finalement exempté, temporairement), pas vraiment fan d'une discipline qu'il imposera plus tard au peuple allemand, mais qui savait ce qu'il voulait et endossait déjà les habits du chef, cultivant son originalité avec une mèche de cheveux qui deviendra célèbre (la moustache ne viendra que plus tard). Il montra sa prédilection pour l’architecture, le dessin et la peinture, la musique de Wagner et la poésie qui exaltait un peuple allemand unifié et puissant, lui qui était autrichien, une sorte de vision politique avant l'heure, bref un rêveur, pas vraiment tourné vers les études, capable cependant de tomber amoureux fou d'une jeune fille rencontrée au hasard dans la rue, d'être bouleversé par la mort de sa mère... Il fut un garçon solitaire dans la vie de qui les jeunes-filles puis les femmes furent absentes. C'est bizarre, mais en lisant ce roman, je me suis presque pris d'empathie pour ce jeune homme naïf, pas très chanceux, un peu perdu, avec ses rêves en bandoulière, la tête pleine de ses illusions et de ses fantasmes, confronté à la solitude et à la pauvreté, à la vocation artistique contrariée, débordant d'amour pour sa mère, une femme meurtrie par le deuil de trois de ses enfants et de son mari, qui craignait pour l'avenir de ce fils qu'elle comprenait de moins en moins. Je me suis même demandé si c'était bien le même qui deviendrait, quelques années plus tard, un des plus grands criminels de l’histoire. Je n'ai en revanche rien vu qui puisse justifier la haine viscérale de Hitler pour les juifs durant cette période.  Il a certes été escroqué, par l'un d'eux, il y avait certes des mouvements antisémites en Autriche comme en Allemagne à cette époque, mais rien de ce que j'ai souvent entendu à ce sujet.

    C'est un livre qui se lit facilement, qui fourmille de détails, qui est particulièrement bien documenté(notamment lors de l'attentat contre l’archiduc François-Ferdinand)et qui laisse également place à l'imaginaire de l'auteur et à son humour. C'est vrai aussi que, de Hitler, nous avons, et pour cause, l’image d'un dictateur sanguinaire , mais nous ne savions rien de son enfance et de son adolescence. L'auteur évoque sa vie jusqu'à l'attentat de Sarajevo qui sera la cause de la première Guerre Mondiale mais nous nous le représentons facilement par la suite comme une sorte d’extra-terrestre parvenu au pouvoir légalement, un homme providentiel comme l'humanité les aime tant, que tout le monde attendait en Allemagne pour laver l'affront de la défaite de 1918 et relever le pays, lui redonner son aura, quitte à le suivre aveuglément jusque dans le désastre. Ce roman a l'intérêt de présenter son enfance et son adolescence, pas vraiment différentes de celles des autres enfants de son âge, même si par la suite le destin a fait de lui quelqu’un de bien différent.

     

    © Hervé GAUTIER – Mai 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • Ad occhi chuisi

    La Feuille Volante n°1042– Mai 2016

    AD OCCHI CHIUSIGianrico Carofiglio – Sellerio Editore Palermo.

    Guido Guerrieri est un avocat de Bari, pas vraiment âpre au gain, plutôt intègre, conscient de ses fragilités et dédié aux bonnes causes, même si elles sont perdues d’avance. Sa vie se déroule au quotidien sans événement vraiment marquant quand le hasard de son métier lui permet de rencontrer, par le truchement de « sœur Claudia », une religieuse aussi belle que mystérieuse, une jeune femme, Martina, qui après quelques années de vie maritale mouvementées avec un médecin qui la maltraite et la harcèle, a dû fuir le domicile conjugal et souhaite se porter partie civile contre lui. Or, cet homme est à la fois un notable mais surtout le fils de l'un des juges les plus influents de la Cour d'Appel. Du coup tous les confrères de Guido lui ont refusé leur concours et leur aide. Ce sera donc une affaire pour lui, même si chacun le met en garde et lui déconseille de se fourrer dans ce guêpier. De plus, la pauvre Martina, fragile et déstabilisée devant la Cour, est accusée de maladies mentales, ce qui, selon l'avocat de la partie adverse, altère son jugement et jette le doute sur la qualité de son témoignage. Guido, quant à lui devra faire face à un avocat retors et un juge pas vraiment bien disposé envers lui, une sorte de bataille de David contre Goliath !

    Ce texte est l'occasion pour Guerrieri de puiser dans les souvenirs, bons ou mauvais de son enfance avec ses odeurs de nourriture qui maintenant se mêlent à celles des livres. C'est aussi pour l'auteur l'occasion d'offrir à son lecteur une galerie de nombreux portraits. Je retiens volontiers celui de « Sœur Claudia », une religieuse atypique, qu'il prend d'abord pour un officier de police puisqu'elle porte jeans, veste de cuir et enseigne la boxe chinoise. Elle est directrice du foyer d’accueil pour femmes battues et a bien entendu présenté Martina, une femme pauvre et anonyme à Guido pour qu'il la défende. Pour autant, les femmes qu'il croise lui font toujours de l'effet et notamment sœur Claudia et les informations qu'elle lui donne à propos des arts martiaux dépassent largement le cadre de ses cours sur la boxe chinoise. Chacune de leurs rencontres a quelque chose d'électrique, de magnétique même, un peu comme si Guido était subjugué par elle, tout comme elle d'ailleurs. Cela en fait un personnage assez énigmatique qui, à la fin, lui raconte son histoire ! Pourtant, il vit avec Margherita dont il est amoureux. C'est un homme cultivé, humain, humaniste, intuitif, consciencieux que nous voyons dans l'exercice de son métier d'avocat dans d'autres affaires qu'il est amené à défendre, ce qui égare un peu le lecteur. Cela en fait, non pas un « giallo » comme disent nos amis italiens, puisqu'il il n'y a pas vraiment d'enquête, mais un compte rendu des débats devant la Cour, ce qui en fait un authentique roman judiciaire qui ne fait pourtant pas l'impasse sur le suspense.

    Ce roman (son deuxième) se lit bien, même pour moi en italien, et c'est toujours un plaisir d'aborder cet auteur comme je l'avais fait un peu par hasard avec « Testimone inconsapevole »[Il s'agissait de son premier roman auquel il fait d'ailleurs plusieurs allusions]. J'ai apprécié les descriptions du texte, sa sensibilité et son humour, mais peut-être un peu moins les références au code pénal italien, ce qui, chez Carofiglio est pardonnable puisqu'il est lui-même magistrat. Ce roman mêle la violence faite aux femmes, l'inceste mais aussi le temps qui passe pour Guido, la vieillesse qui vient et la déprime qui accompagne tout cela. Quant à l'épilogue, il est assez inattendu et présente sœur Claudia comme une femme vraiment hors du commun .

    © Hervé GAUTIER – Mai 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • Comment braquer une banque sans perdre son dentier

    La Feuille Volante n°1041– Mai 2016

    Comment braquer une banque sans perdre son dentier - Catharina Ingelman-Sundberg. - Fleuve Éditions

    Traduit du suédois par Hélène Hervieu.

    Rien que de lire le titre et la 4° de couverture, c'est déjà tout un programme. Il allait être question de pacemakers, de listes de médicaments, de déambulateurs, de rhumatismes, de fractures du col du fémur… Pour une fois qu'on met les vieux en scène autrement qu'avec le scrabble, les verres de vin rouge, le tricot ou la belote ! Ils sont donc donc cinq, pensionnaires de la même maison de retraite suédoise et chantant dans la même chorale, qui soudain prennent conscience que les prisonniers incarcérés ont une meilleure vie qu'eux. La solution s'impose donc d'elle-même, ils vont devenir délinquants et après pas mal de réflexions et d'hésitations, le braquage d'une banque s'impose, même si cela ne se fait plus depuis longtemps ; une attaque de transports de fonds suffira donc. Mais, c'est pour la bonne cause : ils prendront aux riches pour donner aux pauvres, pour améliorer le sort des pensionnaires des maisons de retraite et, bien entendu, iront en prison, leur véritable objectif, drôle d'idée quand même ! C’est vrai que personne ne pourrait soupçonner une bande de vieillards séniles avec leurs déambulateurs. C'est vrai aussi que, dans ce genre d'exercice, ils sont plutôt novices, des coups d'essais s'imposent donc, entre jouer les rats d’hôtel et les dévaliseurs du musée de Stockholm, et pas du tout par amour de l’impressionnisme français ! Ils sont aidés involontairement en cela par le directeur de leur maison de retraite qui file la parfait amour avec l'infirmière chargée des soins, ainsi la surveillance est quelque peu relâchée et leur départ passe inaperçu. Dans leurs entreprises, ils font pourtant ce qu'ils peuvent, pensent au plus petits détails, s'inspirent des romans policiers anglais, font preuve de beaucoup d'imagination. Ils vont même jusqu'à s'accuser du vol des tableaux, à donner des renseignements précis, mais on les prend pour des affabulateurs. Malheureusement, il y a toujours un grain de sable qui se loge dans l'engrenage et qui fait tout foirer. C'est le début d'un polar hilarant aux multiples rebondissements dans lequel la police ne prend pas vraiment au sérieux la disparition de ces cinq vieillards de leur établissement. Quant à leurs idées reçues sur la prison et sur l’argent qu'ils voulaient partager, ils vont un peu évoluer. Et leurs manigances bancaires n’attirent pas que l’attention de la police !

    C'est un livre léger (malgré ses plus de 400 pages) et agréable à lire malgré les invraisemblances qu'on lui pardonne aisément. Cependant, en le lisant, j'ai eu plusieurs impressions. D'abord la morale est sauve, mais attendais-je vraiment autre chose de cette aimable plaisanterie ? En outre, j'ai eu un sentiment étrange et peut-être bien éloigné de la farce qui veut nous être offerte. Quand on a mené une vie rangée, encombrée de difficultés, d’interdits et de tabous, quand vient la vieillesse, et avec elle une certaine mais ultime liberté, c'est aussi la dernière occasion de faire ce qu'on n'a pas pu réaliser avant, alors on se lâche et c'est sans doute ce que font ces cinq compères. Ils ont peut-être envie d'autre chose que d’attendre la mort, une dernière fois envie d'exister, de faire quelque chose, d'avoir leur quart d'heure de gloire surtout dans une société qui ne veut plus d'eux. Ils ont peut-être l'excuse d'avoir été abandonnés dans ce mouroir par leurs enfants qui attendent impatiemment l'héritage. Allez savoir ? Moi j'y ai vu cet aspect des choses, au-delà de l'humour réel que le titre laissait prévoir, mais peut-être n'ai-je rien compris ?

    © Hervé GAUTIER – Mai 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • Les chiens de Riga

    La Feuille Volante n°1040– Mai 2016

    LES CHIENS DE RIGA– Henning MANKELL – Éditions du Seuil.

    Traduit du suédois par Anna Gibson.

    On a retrouvé dans un canot dérivant sur la Baltique, au large du port suédois d'Ystad, le corps de deux Russes, bien habillés, assassinés après avoir été préalablement drogués et torturés. Wallander est chargé de l'enquête alors qu'il est encore bouleversé par la mort de son collègue Rydberg, victime d'un cancer et préoccupé par l'état de santé de son père. Cela débute mal avec l'assassinat de Liepa, un major letton venu en renfort, la disparition de pièces à conviction, le transfert du dossier à Riga en Lettonie où la présence de Wallander est temporairement requise. Dès son arrivée dans cette ville, il est amené à s'intéresser à la mort mystérieuse du major mais les zones d'ombre se multiplient autour de cette affaire dont les méthodes sont inspirées par l'ancienne Union Soviétique. Très tôt le commissaire pense que l'enquête sur les Russes du canot et l'assassinat du major sont liés mais ses investigations sont contrariées par des écoutes téléphoniques et une surveillance que n’aurait pas renié de KGB. En Lettonie il est confronté à l'existence de complots, de corruption, de chantage, de trafic de drogue qui faisaient l’objet des recherches du major mais aussi à des dissensions et des jalousies entre collègues avec leurs inévitables délations et flagorneries. C'est aussi la combinaison de mensonges, de non-dits, de demi-vérités, de fausses pistes et d’enchaînements bien réels qui débouchent sur la mort d'un homme apparemment trop intègre. C'est donc autre chose que les banales affaires qui font l’ordinaire policier du commissaire et ce d'autant plus que, pris dans une sorte de logique du désespoir, il finit par faire une affaire personnelle d'une enquête qui ne le regarde plus, au point même d'exposer sa propre vie. De plus, à 43 ans, notre commissaire qui ne s'est jamais remis de la séparation d'avec sa femme, a un peu de mal à apprivoiser sa solitude dépressive avec de l'alcool, doute de son métier et ce n'est pas cet épisode letton, avec ses connotations personnelles, ses recherches longtemps vaines et chaotiques de documents et ses erreurs d'appréciations qui vont le remettre sr les rails. Il est certes, de par son métier, en contact permanent avec le côté obscur de la nature humaine mais là cela va prendre des proportions inattendues et lui révéler le vrai visage des pays baltes et peut-être lui faire apprécier la vie dans son beau pays.

    C'est un roman policier plein de suspense, aux ramifications internationales, où plane en permanence le fantôme de Rydberg, où pour Wallander l'assassin qui se dérobe en permanence peut prendre l’apparence banale d'un policier comme d'un tueur nostalgique de l'ancien ordre soviétique, où il a l'impression d'assister à une sorte vendetta secrète dont il ne maîtrise ni les raisons ni les conséquences. Le texte, riche en rebondissements, bien construit, est entrecoupé de phrases en italiques qui se font l'écho des remarques intimes et désespérées du commissaire sur une situation qui lui échappe de plus en plus au fil de ses investigations.

    Comme toujours, cela a été pour moi, un bon moment de lecture.

    © Hervé GAUTIER – Mai 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • L'uomo nero et la bicicletta blu

    La Feuille Volante n°1039– Mai 2016

    L'OUMO NERO E LA BICICLETTA BLU – Eraldo Baldini – Einaudi.

    Nous sommes en Août 2010 dans la plaine du Pô et il fait chaud. Gigi, le narrateur se souvient de cet été de 1963 quand il avait dix ans. A cette époque, le pays était pauvre et le temps semblait s’être arrêté dans ce petit village de Romagne, Bagnago. Pour lui c'est encore l'enfance, l'insouciance, heureuse, l'école mais surtout les jeux dans la campagne, les parties de pêche avec les copains, les menus larcins... Mais c'était aussi cette bicyclette bleue avec des garnitures chromées dont le garçon rêve parce qu'il l'a vue en vitrine mais dont il sait aussi que ses parents ne peuvent la lui offrir. Aussi inventera-t-il des petits boulots et surtout pas mal d'astuces pour réunir les vingt mille lires nécessaires pour cet achat ; une occasion aussi pour le lecteur de découvrir traditions et coutumes de ce microcosme rural.

    Ce roman se caractérise par le nombre de ses personnages, il Morto, un homme qui est considéré comme mort à la suite d'une inondation alors qu'il est bien vivant mais que sa femme persiste à ne pas le reconnaître, La Tugnina, une vieille femme jamais à cours de fables, surtout celles qui parlent de « l'homme noir » (L'uomo nero)qui mange tout le monde, transformant le « happy end » traditionnel de ses contes merveilleux en chute fatale ... et Gigi y croit. C'est un peu cet homme noir qui est le symbole de cette enfance qui s'en va, le passage au monde réel… Le Capitaine au mystérieux passé incarne pour le garçon cet « homme noir » et le halo d’interdits et de tabous qui l'entoure prend pour Gigi une dimension magique. Sa famille est aussi originale : Le père est éleveur de bétail, fier de son honnêteté mais sans un sou en poche et qui surtout est amoureux fou de Maryline Monroe, le grand-père est invalide de guerre, toujours le fusil à la main, la mère fait des miracles pour nourrir cette famille pauvre et Enrico, le frère est un garçon fourbe, odieux et opportuniste...

    Puis, un beau jour arrive de la ville Allegra, une enfant de la classe bourgeoise dont la beauté va révolutionner tout le village et à laquelle Gigi ne sera pas insensible. Pour lui elle est différente des autres filles du pays et ils partagent ensemble une amitié quasi fraternelle. Le Père de Gigi devient chômeur, son grand-père sent la vieillesse et la mort arriver, sa mère fait ce qu'elle peut pour maintenir l'unité de sa famille. Pour s'offrir sa bicyclette, Gigi est contraint de travailler et cela aussi précipite son passage dans l’âge adulte, adouci peut-être par le visage d'Allegra. Nous sommes en 1963 et le monde est bouleversé. Cela va affecter aussi ce petit coin de Romagne et ce garçon va ainsi d'un seul coup sortir du monde idyllique de l'enfance pour entrer dans un autre qui l’est beaucoup moins, fait de déceptions, de remords, de deuils. C'est sans doute et peu ou prou l'itinéraire de chacun d'entre nous. C'est un roman écrit simplement, à travers des anecdotes parfois savoureuses et avec un humour qui, à la fin fait place à une réelle émotion et une authentique nostalgie. J'ai lu ce roman dans le texte et parfois à voix haute pour la beauté et la musicalité de la langue italienne.

    Eraldo Baldini, est un écrivain italien, à ma connaissance non encore traduit en français.

    © Hervé GAUTIER – Mai 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • L' exclue

    La Feuille Volante n°1038– Mai 2016

    L'EXCLUE – Luigi Pirandello. Actes sud.

    Traduit de l'italien par Marguerite Pozzoli.

    Rocco Pantàgorra est très malheureux. Il vient de surprendre son épouse en train de lire une lettre de Gregorio Alvignani qu'il soupçonne d'être son amant. Est-il à ce point malheureux en ménage, maladivement jaloux ou victime d'un traditionnel atavisme qui veut que tous les hommes mariés de sa famille soient cocu? Toujours est-il que ses craintes ne sont pas fondées, que son épouse, Marta, est effectivement vertueuse et que la lettre qu'elle lisait était bien innocente et en rien chargée de marques adultères. Pourtant, pour ce pauvre Rocco, la graine de la suspicion s'est sans doute semée dans sa tête ou est-il victime du qu'en dira-t-on, dans cette petite ville italienne traditionnelle et catholique ? Il chasse Marta son épouse qui est en même temps reniée par son père. Après la mort de celui-ci et la faillite de son entreprise, Marta assure la subsistance de sa mère et de sa soeur par un travail d'institutrice qu'elle a réussi à obtenir, mais que sa femme, même répudiée, travaille est insupportable à Rocco. Elle se heurte à la vindicte de cette petite ville, doit faire face aux excès de zèle des notables de sorte qu'elle doit déménager pour Palerme où elle a trouvé un poste d'enseignante.

    Ce roman qui est le premier écrit par Pirandello à l'âge de vingt ans se situe en Sicile où l'auteur naquit et passa sa jeunesse. Cette île restera un référence dans toute son œuvre. Il illustre cette grande interrogation sur la vie, l'individu, la société qui est une constante dans sa démarche créatrice. Durant « ce séjour involontaire sur terre » qu'est selon lui la vie, il dénonce cette incommunicabilité, cette incompréhension qui existe entre les hommes et en dénonce l'absurdité. Ce roman souligne le destin paradoxale de cette femme injustement accusée d'adultère et chassée par son mari et qui ne reconquiert son statut social qu'en se livrant effectivement à la faute qu'on lui reprochait. Ici,  les femmes sont systématiquement suspectées sans pouvoir véritablement se défendre. Dans son nouveau poste, elle est l'objet de tentatives un peu gauches de séduction de la part de ses collègues masculins autant qu'une surveillance constante de la part de son mari, malgré la répudiation qu'il a lui a imposée. Alvignani, devenu député la retrouve à Palerme et la compromet. Elle est ainsi rattrapée par le malheur. Elle représente la femme exclue parce que victime de cette société conventionnelle et conservatrice qu'elle subit et qui apparaîtra ailleurs dans son œuvre future, une véritable « étrangère »pirandellienne ». Pourtant Marta est lucide face à cette absurdité.

    Ce roman publié en 1893(remanié puis publié dans sa version définitive en 1927) porte témoignage des croyances religieuses autant que des conventions sociales qui ont cours dans cette petite ville de Sicile à cette époque. Il comporte également une étude psychologique poussée des personnages qui n'est cependant, et malgré le thème de cet ouvrage, non exempte d'humour voire d'ironie. Un texte bien écrit (bien traduit?), une peinture assez juste et pertinente de l'espèce humaine et un bon moment de lecture.


     

    © Hervé GAUTIER – Mai 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • La femme en vert

    La Feuille Volante n°1037– Avril 2016

    LA FEMME EN VERT – Arnaldur INDRIDASON – Point.

    Traduit de l'islandais par Eric Boury.

    Tout ce que les bébés trouvent, ils le portent à leur bouche. Lors d'une fête d'anniversaire, on découvre une fillette en train de mâchonner ce qui se révèle être un os humain trouvé par son frère dans des fondations de futurs maisons d'un quartier de Reykjavík. Le commissaire Erlandur et deux de ses collègues sont chargés de cette enquête pas vraiment riche en indices, juste un squelette là depuis une soixantaine d'années, une maison, jadis propriété d'un commerçant, rasée et la vague indication d'une femmes vêtue de vert, la présence de groseilliers à proximité, la disparition mystérieuse d'une jeune fille peu avant son mariage  ! Pour compliquer un peu les choses, les policiers son aidés d'un géologue et d'un archéologue pour dégager le corps, c'est dire le luxe de précautions qui accompagne ce travail, ce qui ne hâte pas vraiment les choses. Les recherches s'éternisent un peu autour de la présence de militaires anglais puis américains dans les environs pendant la guerre, ce qui permet au lecteur d'en apprendre un peu plus sur l'histoire de ce pays. On nous raconte que Reykjavík était au départ une petite ville et qu'à l'endroit où on a trouvé le squelette il y avait des maisons d'été. La ville s'étendant, on a construit sur ces terrains et on a ainsi découvert ces restes humains. L'auteur nous raconte aussi le calvaire d'une femme, battue par son mari violent et qui a vécu ici vers 1937. Cette femme a été courageuse et a accepté sa condition de femme battue et bafouée pour protéger sa fille handicapée et ses deux fils. Nous assistons à la lente destruction d'une famille par un tyran domestique, sadique et pervers. Il y a sans doute un lien entre cette affaire et son enquête à propos du squelette découvert. Mais lequel ?

    Ce roman nous apprend à connaître ce commissaire, pas vraiment intéressant, marié très tôt et qui a abandonné très tôt son épouse et ses deux enfants. Il voit rarement son fils et sa fille, Eva-Lind, enceinte et droguée est entre la vie et la mort et bien sûr, il culpabilise même si c'est un peu tard. Il entame ainsi une deuxième enquête, personnelle celle-là, pour en apprendre davantage sur la vie de sa fille et ce qui l'a amenée ainsi au pas de la mort. Il parviendra quand même à parler avec sa fille, de son enquête d'abord et faute de mieux puis petit à petit de son enfance, comme une sorte d'acte de contrition, ce qui nous en apprend un peu plus sur lui. Ainsi l'auteur fait-il une sorte de parallèle entre la famille qui a vécu dans cette maison maintenant détruite et ce qui a secoué celle du commissaire. Cet épisode familial a aussi des répercutions sur les relations qui existent entre les différents membres de l’équipe que dirige le commissaire.

    Ce sont donc plusieurs histoires qui s’entremêlent dans ce roman, de nombreux analepses, ce qui le rend un peu difficile à lire et égare un peu l’attention du lecteur à mon avis malgré la tension qu'il entretient tout au long de trois cents pages. C’est un roman policier puisqu’il y a un cadavre ou plutôt un squelette et des investigations diligentées par des enquêteurs mais c'est aussi un roman psychologique et social que j'ai finalement bien aimé.

    © Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • Aurais-je sauvé Genevieve Dixmer?

    La Feuille Volante n°1036– Avril 2016

    AURAIS-JE SAUVÉ GENEVIÈVE DIXMER – Pierre Bayard – Les Éditions de Minuit.

    Les gens de ma génération se souviennent sûrement du « Chevalier de Maison-Rouge » qui fut le premier feuilleton télévisé de cape et d'épée diffusé en 1963 d'après l’œuvre d'Alexandre Dumas et d'Auguste Maquet. Inspiré par la vie d'Alexandre Gonsse de Rougeville, il a ému la France entière. Il retraçait l'histoire de cet aristocrate recherché par la police et caché chez les époux Dixmer, royalistes, qui voulait libérer Marie-Antoinette de la prison du Temple. Parallèlement, Maurice Lindey, un républicain patriote, tombe amoureux de Geneviève Dixmer dont le mari accueille Lindey qui ainsi lui sert de couverture, tout en sachant les sentiments que ce dernier nourrit pour son épouse. La libération de Marie-Antoinette échoue, Geneviève est arrêtée, condamnée à la guillotine. Maurice la rejoint pour mourir avec elle. Cela c'est pour l'histoire tragique qui bouleversa durablement l'auteur, alors âgé d'une dizaine d'années au point que cela modifia, selon son propre aveu, sa notion même de l'amour. En effet, il tomba littéralement amoureux de Geneviève (peut-être aussi à cause du beau visage de l'actrice Anne Doat qui l' incarnait). Aussi était-il tentant pour lui, sans vraiment réécrire le texte, de la retrouver, de voyager dans le temps, d'entrer dans le roman, d'en devenir un de ses personnages, en l’occurrence Lindey, et de tenter, tout en respectant l'intrigue et aussi la personne de Geneviève, de la faire échapper à son injuste sort. Il vivra donc sous le Révolution et ses violences et voyagera à l'intérieur de ce roman par le truchement d'un artefact de lui-même, dans le seul but de la sauver.

    Cela paraît surprenant de vouloir ainsi entrer dans un livre, même si ce métalepse a déjà été utilisé notamment par Woody Allen qui ainsi retrouva Emma Bovary ou tourna « La rose pourpre du Caire ». C'est vrai que la fiction autorise l'extraordinaire et même si l'auteur est un être réel et Geneviève un personnage de roman, l'inconscient intervient dans cette relation et la rend possible. D'autre part la lecture attentive d'un texte amène le lecteur à y projeter ses propres fantasmes et à se situer dans un « monde intermédiaire » entre le réel et le fictif. En outre, l'identification à un personnage de roman appartient à l'enfance et nous sommes tous d'anciens enfants qui nous souvenons parfois de cette période. Il n'empêche que malgré tout, on ne peut rien modifier du passé. Notre auteur est donc projeté dans ce Paris de 1793(exactement du 10 mars à la fin octobre) inconnu de lui . Pour autant cet exercice suppose qu'il se mette dans la peau d'un homme de la Révolution, qu'il prenne en compte les données sociologiques, politiques, culturelles, idéologiques, religieuses de l'époque, l’émergence d’idées venues du Siècle des Lumières, le basculement dans la Terreur, les menaces extérieures et intérieures, la situation d'insécurité, tout en restant lui-même et en respectant l'intrigue et son épilogue qu'il connaît, contrairement à Lindey. Cela implique qu'il s'exprime à la première personne, qu'il use de son véritable nom, ce qui n'est pas le cas évidemment dans le texte de Dumas et Maquet. Dès lors, cette période troublée qu'est la Révolution ouvre-t-elle la voie à des problèmes concrets d'éthique extrêmement éloignés des positions philosophiques trop théoriques. Ainsi Lindey-Bayard doit-il choisir entre la femme qu'il aime et son idéal républicain, sa décision emportant nécessairement des conséquences dramatiques et caractérisant un choix impossible. Dès leur première rencontre fortuite, il est amené à se demander s'il doit défendre cette femme qu'il ne connaît pas et qui est peut-être suspecte, au seul motif qu’il en est tombé amoureux au premier regard, question d'autant plus pertinente que, par la suite, il est parfaitement conscient qu'elle se sert de lui et que pour cela il sacrifie volontairement son idéal républicain. Ainsi, peut-on admettre que la fin justifie les moyens dans la mesure où, la libération de la reine entraînerait la mort de Bayard, ramené par les royalistes et leur chef le chevalier de Maison-Rouge, à un simple moyen au service d'une cause supérieure à laquelle il est étranger ? Après avoir été dans le déni de cette situation, Bayard est mis par Geneviève devant le dilemme suivant : trahir la République et la sauver par amour et ainsi se déshonorer lui-même, c'est à dire faire un choix égoïste en trahissant son idéal, où envoyer cette femme à la mort, autrement dit, peut-on mentir et laisser mettre à mort quelqu'un qu'on aime au nom d'un principe dogmatique. Nous sommes dans un cas de conflit des loyautés, de valeurs, mais ici les choses bifurquent quelque peu puisque Geneviève s'offre elle-même (par amour?) à Lindey-Bayard, c'est à dire trahit son mari contre la sauvegarde du chevalier de Maison-Rouge, son frère. Je note que notre auteur se refuse à cette alternative, par principe autant que par devoir. De son côté, le mari n'hésite pas à sacrifier son épouse qui ainsi marche vers l’échafaud en compagnie de son amant qui se livre lui-même pour mourir avec elle.

    Ce n'est pas la première fois que l’auteur use de ce subterfuge d'écriture. Déjà dans « Aurais-je été résistant ou bourreau ? », il s'était transporté en France lors de l'occupation allemande de la 2° guerre mondiale, se demandant quelle aurait été son attitude en ces temps troublés. Cet essai qui se situe entre l'analyse littéraire et la philosophie, est émaillé d'exemples, de démonstrations et de citations d'universitaires et de philosophes, pleins aussi d'analepses et de prolepses qui servent le parti-pris de l'auteur pour se réapproprier cette fiction. Reste le concept d'écriture original qui permet l'exploration de la personnalité potentielle de l'auteur ainsi que les problèmes de réflexions et d'éthiques soulevés auxquels je ne souscris pas totalement, notamment celui où il parle de la responsabilité que nous avons envers ceux que nous croisons. Je ne tiens pas non plus l'humanité, dont je fais évidemment partie, en suffisamment haute estime pour l'investir de ces hautes préoccupations, de ces questions d'honneur, de respect et d'amour. J'ai quand même bien aimé ce livre, bien écrit, original dans son concept et dans cette expérience menée dans le contexte du passé mais qui permet aussi de penser le présent et l'avenir.

    © Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • Nos coeurs vaillants

    La Feuille Volante n°1035– Avril 2016

    NOS CŒURS VAILLANTS– Jean-Baptiste Harang - Grasset.

    On ne répond pas à une lettre anonyme, justement parce qu'elle l'est, anonyme, et que de toute façon, cela ne serait pas possible. Si on en croit l'auteur, c'est ce qu'il reçoit un beau jour et cette missive convoque les fantômes de son enfance faite de patronage, de colonies de vacances, de service de messes et d'abbé pédophile, encore que, à cette époque ce délit perpétré par des autorités religieuses était couvert par le silence voire par le tabou quand, à l'extérieur, il était sanctionné par les tribunaux.

    Dans cette période de l'enfance et de l'adolescence on fait ses apprentissages, pas toujours très heureux et on y tisse parfois des amitiés solides qui défient le temps. Mais quand même, arrivé à l'âge adulte, des ombres se bousculent dans la mémoire et pour peu qu'on sache un peu manier la plume, on écrit « pour se souvenir » parce que l'oubli fait aussi partie des intervenants. Et c'est parti ! L’auteur va ainsi collationner des noms (les vrais ai-je cru comprendre bien que je croyais que dans les romans on habillait ses personnages de faux patronymes) comme on égrène un chapelet. C'est vrai que la jeunesse est un état passager, tout comme le reste de la vie d'ailleurs, et l'un comme l'autre nous apportent leur cortèges de souvenirs. Dans ce roman, (je n'en connais pas d'autres de cet auteur), ils sont plutôt pieux ou à tout le moins tournent autour de la religion catholique qui était bien souvent, pour les gens de ma génération, le point de passage obligé des enfants de parents bien-pensants. Pour l'auteur, sa mémoire vagabonde entre le 17° arrondissement parisien et des étés dans une colonie du Jura qui, en principe, était le cadre d'une plus grande liberté. Voire ! La présence d'un abbé compliquait sans doute un peu les choses avec l'obligation de satisfaire aux rituels religieux dans un latin approximatif et de vivre à la dure en respectant une discipline quasi-militaire, prémices d'une vie d'adulte accomplie (là non plus je ne suis pas sûr). C'est sans doute pour se venger de tout cela qu'il pratiqua le pillage des hosties (non consacrées, cela va sans dire) et bien entendu la dégustation occulte du vin de messe. Pas de quoi se sustenter mais seulement l'occasion de braver un interdit et, si on y croit, de caractériser le péché de gourmandise qui, comme nous le savons est capital et promet son auteur aux flammes de l'enfer. Cela fit même de lui un candidat malheureux au petit séminaire d'où il fut renvoyé et un authentique objecteur de conscience à l'époque où,  satisfaire à ses obligations militaires était encore considéré comme le passage forcé vers l'âge d'homme.

    Mais revenons à cette lettre anonyme qui, au fil du temps et des envois se révéla être signée et domiciliée, révélant la véritable identité de son auteur et peut-être sa volonté de renouer des liens distendus par le temps. Je ne sais si l'auteur est comme moi, mais je fuis comme la peste les associations d'anciens élèves et les copains de service militaire, cela met pour moi un peu trop l'accent sur le temps qui passe, sur la sacro-sainte réussite sociale qui n'est pas toujours au rendez-vous, sur la nostalgie que je ne goûte guère et sur les souvenirs qu'il ne me plaît pas spécialement d'évoquer. Il y a des moments où j'aime bien faire prévaloir l'oubli.

    Cet ouvrage est présenté comme un roman mais j'y ai plutôt vu un recueil de souvenirs pas du tout fictifs. Mais après-tout peu importe, j'ai goûté son style, son humour subtil, la manière toute personnelle et jubilatoire qu'il a de faire revivre cette période qui pour lui, « le passé qui enjolive tout » aidant, fut agréable. Il le fait sous l'injonction d'un cousin psychiatre (c'est étonnant que les membres de cette corporation vous invitent ainsi à vous souvenir de vous, même si vous ne le souhaitez pas). L'auteur en a fait un « roman » et c'est tant mieux pour le lecteur car moi, je ne me suis pas ennuyé à cette lecture.


     

    © Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • La plage

    La Feuille Volante n°1034– Avril 2016

    LA PLAGE– Marie Nimier- Gallimard.

    D'abord une île inconnue qu'on imagine méditerranéenne avec une crique sauvage et une jeune femme également inconnue (le lecteur ne saura pas son nom, elle sera « l'inconnue », mais est-ce bien important ?) qui choisit de s'y rendre parce que ici, sur cette île, il y a une grotte où deux ans auparavant elle y a fait l'amour avec un homme, « le voyageur », disparu de sa vie depuis. C'est donc à une sorte de pèlerinage qu'elle se livre, avec toute la nostalgie qui va avec, mais celui-ci est contrarié parce que l'endroit est déjà occupé par un père et sa fille (Eux non plus n'ont pas de nom, elle les baptise « le colosse » et « la petite » (déjà une jeune fille) et c'est bien suffisant. «L'inconnue », décide d'attendre qu'ils partent, de tuer le temps en se baignant nue, mais au bout de trois jours, après avoir observé ce couple étrange père-fille qui n'est pas sans lui rappeler celui qu'elle formait avec son père, elle décide de se montrer. A la faveur de cette rencontre, petit à petit, avec un luxe de précautions, de timidité, de retenues, de beaucoup de silences et de respect de l'autre, une sorte de complicité puis de partage de secrets intimes se tissent entre « l'inconnue » et « la petite » puis c'est le père qui accepte de parler de lui, de sa femme avec qui il a rompu à cause sans doute d'une sorte de nymphomanie ou de goût pour la liberté, incompatible avec sa qualité de mère et de femme mariée. C'est une manière de briser le stéréotype un peu trop convenu du mari volage et de l'épouse trompée. Il ne voit sa fille que par intermittence et ne veut rien perdre de ces moments. On devine ce qu'a été la vie conjugale délétère de cet homme tiraillé entre un abandon qu'il combat comme il peut et l'amour de sa fille déjà grande, perturbée par la mésentente de ses parents, mais qui ne voudrait pas quitter l'enfance trop vite. Entre eux il y aura cette inévitable passade inspirée, de son côté à lui, par une solitude difficile à supporter surtout en présence d'une jolie femme et pour elle le souvenir de cette étreinte fugace avec « le voyageur » et peut-être aussi son attachement à « la petite ».

    Le livre refermé, que reste-il de ce roman au style fluide, agréable et facile à lire ? Du soleil d'été, des vagues chaudes et des galets, du farniente, des senteurs de pinède et de garrigue, des descriptions poétiques de paysages, des évocations parfois érotiques… Ce que je retiens surtout c'est une sorte d'impression de solitude qui habite chaque personnages. Au fil du récit on a la certitude que, malgré les apparences, ils ne se rencontreront jamais vraiment et le moment d'extase passé, chacun retournera à sa vie d'avant, comme si cette période estivale entre parenthèses n'avait servi qu'à tisser des souvenirs, vous savez, ce qui encombrent pour longtemps votre mémoire, avec ses bons moments mais surtout avec ses regrets, ses remords ! J'y ai vu de la nostalgie, l'empreinte du temps qui passe et des projets un peu fous qui ne se réaliseront jamais et laisseront ces protagonistes face à eux-mêmes, à leur mélancolie d'avant. C'est banal, mais j'ai eu l'impression, au cours de ce récit, de l'abolissement du temps, comme s'il était suspendu à la tranche de vie de chacun, coincée elle-même entre leur passé tumultueux et leur avenir incertain. Chacun à sa manière a connu l'abandon et va renoué avec lui après cette aventure d'été. Le décor de la grotte a un côté anachronique, sauvage et pourtant savamment organisée ; on peut y voir nombre de symboles.

    Je ne me suis pas ennuyé à la lecture de ce court roman qui ne relate pas autre chose qu'un amour de vacances avec tout ce qu'il a de fugace, de temporaire, une façon, si on veut le voir ainsi d'enjoliver un peu un quotidien morne. Un bon moment de lecture ne tout cas.


     

    © Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • La boutique obscure

    La Feuille Volante n°1033– Avril 2016

    LA BOUTIQUE OBSCURE– Georges Perec - Gallimard. (année de parution 1973 chez Denoël)

    D'emblée, le titre fait penser à Patrick Modiano (« Rue des boutiques obscures » paru en 1978) mais ce roman qui obtint le prix Goncourt en 1978, où le futur Prix Nobel se pose, comme dans toute son œuvre, ses éternelles questions sur lui-même, peut sembler n'avoir aucune connotation avec cet ouvrage de Perec qu'il suit de quelques années. Voire ! L'écriture, et plus généralement la création artistique, sont peu ou prou le résultat d'une introspection de leur auteur qui mène à une connaissance intime plus approfondie. Ici Perec, lui aussi, fait allusion à ses origines et aux obsessions qui en découlent, sa judéité, les camps de concentration et leurs horreurs, la traque de la police, les interdits imposés aux juifs sous l’occupation allemande, la dénonciation dont un texte clôt cet ouvrage...

    L’œuvre de Georges Perec est originale par bien des points. Il a expérimenté une nouvelle forme d'écriture, jetant sur le décor qu'il l'entoure un regard à la fois étonné et pertinent.  Le langage chez lui est certes un outil pour s'exprimer mais il s'en sert en lui inventant un rôle assez nouveau, tout à la fois jubilatoire, philosophique et poétique. Ici, il livre à son lecteur, toujours un peu dubitatif quand il ouvre un ouvrage de lui, la transcription des rêves qu'il a pu faire où tous les interdits culturels sociaux, religieux, raciaux sont soudain abolis. C'est vrai que ce domaine sous-tend souvent la création, mais il s'agit le plus souvent de rêves éveillés, de fantasmes. En ce qui concerne les rêves nocturnes, il est bien difficile de s'en souvenir au réveil, ils s'effacent rapidement et le réel reprend le dessus au point que la mémoire n'en garde pas la moindre trace, à l'exception peut-être de certains d'entre eux dont on se demande pourquoi ils ont bien pu ainsi imprégner notre souvenir. Ainsi le titre, par ailleurs évocateur, est-il suivi de la mention « 124 rêves » comme d'autres ouvrages comporteraient celle de « Roman » ou « nouvelles ». Il s'agit donc de rêves nocturnes qui ont cette caractéristique d'être colorés, hasardeux, proteiformes et qui procurent à leur manière un dépaysement qui n'est pas seulement une délocalisation. La relation qu'il en fait, en termes simples, a quelque chose à voir avec cette période de relaxation où la liberté, la licence, la volonté la plus folle, les sentiments les plus débridés, les pulsions les plus amoureuses, les projets les plus absurdes, les situations les plus rocambolesques, trouvent soudain leur vérité qui est parfois inquiétante, angoissante et même labyrinthique. Ils ont à la fois cette texture insaisissable et cette abrupte et incompréhensible évidence mais aussi cette façon apparemment décousue de se révéler et de se libérer. Ils évoquent souvent la mort puisque qu'avec l'amour et la vie ce sont là les grands thèmes de notre existence terrestre et s'ils ne sont pas toujours érotiques, les songes de Perec donnent souvent asile à des femmes belles et parfois sensuelles. Dans cet ouvrage, l’accouplement de l'auteur avec une femme est fréquent ce qui témoigne d'un accomplissement de désirs inassouvis (je note que la totalité des textes sont datés postérieurement à Mai 68 qui a correspondu notamment à une libération dans ce domaine). Perec semble ici nier le refoulement intime qui affecte chacun d'entre nous mais aussi les conventions sociales, les tabous...   Freud donnait au rêve un caractère sexuel et les surréalistes l'ont largement exploité, insistant sur le non-sens, le chaos, l'absurde… C'est vrai qu'il est tentant de vouloir déchiffrer le songe, d'y voir une prémonition, une activé de substitution ou la matérialisation de ses désirs, loin des censures, en matière sexuelle notamment (on y fait ce qu'on est incapable de faire dans la vraie vie). Comme souvent, l'auteur y ajoute sa patte, son sens de l'humour, son jeu volontaire sur les mots qui est peut-être sa façon à lui d'insister sur l'absurde de la vie. Donner à son lecteur la possibilité d'entrer dans son univers onirique est parfois déroutant, surtout si on n'a pas de l'auteur une connaissance approfondie, et certains de ses rêves le sont, d'autres en revanche ont avec nous une connotation personnelle telle qu'ils nous sont en quelque sorte familiers. Il évite, et c'est heureux, la porte ouverte à la psychanalyse toujours friande de ce genre de visons subconscientes, toujours à l’affût d'une explication fumeuse et bien souvent inutile, voire dangereuses. L'auteur rend compte, parfois avec force détails, de ses peurs intimes, mais il ne me semble pas qu'il veuille un autre témoin et peut-être un autre juge que son lecteur. Il me semble aussi qu'il est conscient de cette expérience originale au point d'en faire une finalité, une sorte de fantaisie d'auteur : rêver dans le seul but de transcrire ses rêves ! (« Je croyais noter les rêves que je faisais : je me suis rendu compte que, très vite, je ne rêvais déjà plus que pour écrire mes rêves »)

    Il s'agit donc d'un livre à lire par épisodes en n'oubliant pas que nous tenons entre nos mains quelque chose qui ressemble à une expérience intellectuelle et aussi révolutionnaire (il n'a été pour rien membre de l'Oulipo), quelque chose qui se mérite en tout cas, c'est à dire autre chose qu'une simple fiction. Ce n'est peut-être plus dès lors une banale transcription de rêves mais le départ d'autre chose qui, bien entendu va nous étonner. Ainsi, l'imagination aidant, la nôtre évidemment, à la fin de cet ouvrage serions-nous tentés d'espérer que la dernière page cache encore quelque chose de surprenant !

    © Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • Nature morte

    La Feuille Volante n°1032– Avril 2016

    NATURE MORTE– Louise Penny – Actes Sud.

    Traduit de l'anglais (Canada) par Michel Saint-Germain.

    Three Pines est un petit village québécois bien tranquille où il ne se passe rien. Pourtant un jour d'automne, le dimanche de Thanksgiving, on y retrouve le cadavre de Jane Neal, 76 ans, enseignante à la retraite et peintre du dimanche. Cela a beau être la période, il est rapidement évident que ce n'est pas un accident de chasse. Le plus étonnant est sans doute que le meurtre a été commis avec une flèche qui n'a cependant pas été retrouvée. Jane était bien la dernière personne qu'on aurait voulu assassiner, elle connaissait tout le monde, on l'aimait bien au village et elle dirigeait une association locale liée à l'église anglicane. C'est bien ce que s'est dit l'inspecteur-chef Armand Gamache de la Sûreté du Québec à qui a cette enquête a été confiée. Il est assisté de l’inspecteur Beauvoir et de l'agente Yvette Nichols. Certes, quelques jours avant, il y avait eu une sélection pour une exposition de peinture et une toile de Jane avait fait scandale, mais quand même, on n'exécute pas quelqu'un pour un tableau !  Quoique ! C'est vrai que si elle avait peint tout au long de sa vie, elle n'avait jamais voulu qu'on vît ses œuvres et « Jour de foire », sa toile sélectionnée pour l'exposition, à la fois innocente et naïve dans sa facture, était la première ainsi révélée au public. Elle comportait peut-être un message ? Il y a des investigations policières et tout le village y passe. Le lecteur fait ainsi connaissance de ses habitants entre un couple d'homosexuels, des artistes Clara et Peter, amis de Jane, un rentier, des adolescents … le lecteur pénètrent ainsi leurs secrets intimes mais ils sont tous, aux yeux de Gamache, des suspects potentiels. On soulève des questions d'intérêt, d'héritage, de trahison, de malveillance, de vengeance , bref tout ce que la condition humaine a de plus sordide, avec cette évidence contenue dans l’Évangile de Matthieu X, 36 «  On aura pour ennemis les gens de sa famille » 

    Au long de ce roman, on s'attend à ce que l'auteur de ce meurtre bien mystérieux soit un chasseur étranger à cette commune ou peut-être un enfant du pays. On balance entre l’accident de chasse et un tir intentionnel ou bien encore une vengeance d'adolescents que Jane aurait réprimandés… Certes j'ai apprécié d'en apprendre un peu plus sur les coutumes et le mode de vie québécois, sur cette rivalité ancestrale entre les communautés anglophones et francophones, j'ai goûté l'humour de l'auteure et ses descriptions de la nature mais surtout il m'a semblé qu'il y avait beaucoup de longueurs, des pistes volontairement embrouillées ce qui entretient certes le suspens, mais je me suis un peu ennuyé à la lecture de ce roman. De plus cet inspecter Gamache ne me plaît guère non seulement j'ai eu un peu de mal à suivre son raisonnement mais surtout je n'ai guère apprécié son attitude à l'endroit de l'agente Yvette Nichols, sa subordonnée.

    C'est vrai que dans ce petit village tout le monde s'observe et on connaît facilement les secrets de l'autre. La thématique du tableau renfermant un mystère était plutôt une bonne idée, mais je m'attendais à autre chose. Je respecte infiniment le travail d'écriture et de recherche de l'auteur mais j'ai quand même été un peu déçu.

    Je voudrais cependant noter la dernière phrase des « remerciements » qui m'a paru émouvante, même si elle n'a rien à voir avec cette intrigue : « Il fut un temps dans ma vie où je n'avais aucun ami, où le téléphone ne sonnait jamais et où j'ai cru mourir de solitude. Aujourd'hui, je sais que la véritable bénédiction n'est pas d'avoir fait publier un livre, mais d'avoir autant de personnes à remercier »

    Ce roman a été adapté sous forme d'un téléfilm canadien en 2013.

     

    © Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • Rosa candida

    La Feuille Volante n°1031– Avril 2016

    ROSA CANDIDA– Audur Ava Ólafsdóttir -Zulma.

    Traduit de l'islandais par Catherine Eyjólfsson

    Rosa candida c'est le nom d'une rose à huit pétales, à la tige dénuée d'épines. C'est aussi une rare variété de fleurs que la mère de Arnljótur, morte il a quelques années dans un accident de voiture, aimait à cultiver et faisait partager à son fils sa passion pour la jardinage. La vie est bizarre puisque, un soir de fête, dans la serre familiale, Arnljótur fait l'amour à une inconnue qui quelques temps après vient le voir pour lui annoncer qu'elle est enceinte. Pour l'heure il doit se rendre dans un monastère loin de chez lui, dont les moines sont dédiés à l'horticulture et spécialement aux roses. Il y sera un simple jardinier et apprendra la langue du pays, nouvelle pour lui. Un moine cinéphile et un peu alcoolique deviendra son confident.

    Il est un peu bizarre ce Arnljótur, se laisser chargé de paternité comme cela, par une inconnue avec qui il a passé une courte nuit d'amour, sans chercher à savoir si l'enfant est de lui. Il semble heureux d'avoir une fille,Flóra Sól, mais ne cherche pas pour autant à vivre avec sa mère ni à se marier avec elle. Ils ne forment pas un vrai couple. Je veux bien qu'il soit ému par les femmes et que la simple rencontre avec l'une d'entre elles le bouleverse, mais quand même ! De son côte Anna, après avoir mis son enfant au monde semble vouloir reprendre sa vie solitaire et ni l'un ni l'autre n'ont cherché à connaître leurs beaux-parents. Seul le père d' Arnljótur paraît heureux d'être grand-père ne serait-ce parce que ce bébé assurera la descendance familiale puisque sont second fils, Joseph, est handicapé mental.

    Il est beaucoup question de jeunesse et de vie dans ce roman mais dans le même temps l'idée de la mort et de l'absence est constamment présente. Certes nous sommes tous mortels et nous le savons et cela ne me gêne pas mais ce que je retiens c'est aussi la coté candide, naïf de ce jeune homme qui semble avancer dans sa vie comme un automate. L'arrivée inopinée de sa fille de neuf mois et de sa mère, bouleverse son quotidien puisque la présence de cette enfant ne peut être compatible avec la vie monacale. Il s'adapte cependant et finit par s'habituer et souhaiter que cela dure toute sa vie. Dès lors, j'ai eu l'impression qu'il est victime d’une sorte de dédoublement de la personnalité. D'une part il semble heureux dans sa nouvelle vie un peu égoïste et de l’autre, il veux voir sa fille grandir et souhaite assumer son rôle de père avec enthousiasme. Quant à la mère, elle s'installe avec lui, mais pour un temps seulement, non pour tenir son rôle d'épouse mais surtout pour rédiger son mémoire d'études sur la génétique. Seules semblent compter ses études et sa liberté qui finalement prévaudra.

    J'ai lu ce livre sans moi-même, pendant longtemps, savoir quoi en penser, plus intéressé par un épilogue que j'avais du mal à imaginer que par réel intérêt pour cette histoire. Cela m'a paru être le récit banal d'un jeune homme victime de cette jeune fille qui sait ce qu’elle veut et finalement se débarrasse de son enfant et s'en va. Lui accepte cette situation en faisant prévaloir le présent immédiat avec une détermination surréaliste et même complètement irresponsable, sans avoir la moindre idée de l'avenir. Je respecte infiniment le travail de l'auteur, mais je dois dire que je me suis un peu ennuyé à la lecture de ce roman.

     

    © Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • Testimone incnsapevole

    La Feuille Volante n°1030– Avril 2016

    TESTIMONE INCONSAPEVOLE– Gianrico Carofiglio – Sellerio editore Palermo.


     

    Il n'est pourtant pas un adepte des causes perdues, ce Guido Guerrieri, avocat à Bari, la quarantaine un peu triste. Pourtant ce qui lui arrive en cette années 1999 n'est pas banale. Sa femme vient de le quitter, ses amis lui sont de plus en plus indifférents et son métier l’ennuie. De quoi vraiment être déprimé ! Et pourtant il reçoit la visite d'une jolie femme noire dont le compagnon, un vendeur ambulant sénégalais, Abdou Thiam vient d'être accusé du meurtre d'un jeune garçon. La victime qui a subi des violences a été asphyxiée puis jetée dans un puits. Le témoignage d'un patron de bar est tellement déterminant que l'accusé est condamné d'avance. Et pourtant, il accepte de le défendre, bien qu'il soit au 36 iem dessous et qu’il combatte comme il peut cette dépression avec du café, des cigarette et même de l'alcool  ! Il se fera un point d’honneur à défendre ce pauvre homme, même si au départ il se demande bien comment il va faire. Son talent pourtant lui soufflera une brillante plaidoirie au terme de laquelle il réussira à insinuer le doute dans l'esprit des juges et des jurés. Il ne se doute pourtant pas que cet épisode va bouleverser sa vie et lui redonner envie de plaider et de vivre tout simplement.

     

    Il me plaît bien ce Guido, un peu désabusé mais combatif quand même dans son retour à la vie avec l'aide, il est vrai, de quelques femmes qui le fascinent, anciennes connaissances ou simples passantes. Il est seul contre tous et fait ce qu'il peut, entre racisme, fragilité du témoignage et insuffisances de l'enquête, pour arracher Abdul aux griffes de la justice qui semble avoir tout décidé d’avance. Il promène sur le monde qui l'entoure un regard pudique et même un peu blasé.

     

    Même s’il peine un peu au départ, ce roman est bien construit, rédigé avec beaucoup d'humour, mais ce n'est pas vraiment un policier, un « giallo » comme disent nos amis italiens. Ce serait plutôt un « roman judiciaire » si ce concept d'écriture existe. Il y a bien une enquête, mais elle est menée par cet avocat et le livre regorge d'actes de procédures et d’articles du code pénal italien. Normal, l'auteur est lui-même magistrat.

     

    Ce roman est connu en France sous le titre « Témoin involontaire », paru en 2007.

     

    Je noterai avec plaisir la couverture de cet ouvrage qui reproduit un tableau d'Edward Hopper, un peintre américain que j'apprécie tout particulièrement.

     

    Il s'agit là du premier roman de Gianrico Carofiglio, auteur dont je poursuivrai assurément l'exploration de l’œuvre.

     

     

    © Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • Vends maison de famille

    La Feuille Volante n°1029– Avril 2016

    VENDS MAISON DE FAMILLE – François-Guillaume Lorrain – Flammarion.

    C'est souvent le cas avec les maisons, on les achète quand on est jeune, en bonne santé, en couple sans penser à l'avenir. Quand on n'a pas le virus du nomadisme ou que le bon sens paysan nous incite à nous fixer quelque part, cet endroit où on a passé de nombreuses années de sa vie, où on a vu grandir ses enfants et accumulé des souvenirs, devient un lieu de référence où on aime se retrouver, une maison de famille, comme on dit. Quand on choisit de la vendre, on doit la vider et ce qu'elle recelait de soigneusement caché ou de simplement égaré ressurgit. Ce sont des objets, des photos qui témoignent du passé et à travers eux on évoque les temps révolus, les années de jeunesse avec leur cortège d'espoirs, les erreurs et parfois aussi les échecs, les deuils... Les clichés, souvent un peu passés, réveillent la mémoire, un visage, une silhouette, un paysage, témoignent des changements, des rides, des cicatrices...

    Après la mort de son père, une sorte de tyran domestique, et une mauvaise chute de sa mère, le narrateur, un jeune professeur de français à l'étranger, souhaite ardemment vendre cette bâtisse où il a passé sa jeunesse, trop pleine de souvenirs qu'on imagine mauvais. C'est que cette maison, normande et secondaire, était un peu pour son père le centre du monde, sa raison de vivre et même le but de sa vie. Le jardin pourvoyait à l'ordinaire du ménage jusqu'à l'obsession et elle l'attirait, et avec lui toute la famille qui n'avait pas pour autant envie de le suivre ! Bien sûr tout cela n'allait pas sans agacer sa progéniture qui devait filer doux et en passer par toutes ses lubies et ses ordres. Pour échapper à cela, le narrateur encore jeune s'en était remis à la lecture, à la culture, au savoir mais avant, au merveilleux de l'enfance, avec ses rêves, ses fantasmes, ses phobies et ses folies, son envie de fuir à cause de la famille, justement ! A cette fuite immobile correspondra plus tard un exil volontaire hors des frontières nationales, une manière de s'éloigner définitivement de cette ambiance familiale délétère que sa sœur ne supportait pas non plus. Pourtant, le moment venu, il faut bien se résoudre à prendre une décision, même si elle va à l’encontre des volontés les plus affirmées, même si l'on traîne une dernière fois les pieds comme un baroud d'honneur. Les souvenirs remontent à la surface et avec eux des visages de disparus, des moments pas toujours heureux qu'on est le seul à connaître et qu'on cache, l'espace du bref moment du déclencheur de l'appareil photographique, sous un sourire factice et le soin de dissimuler des réalités moins gaies.

     

    Je me suis demandé à propos de ce livre ce qui reste après avoir passé sa vie dans une famille. On s'aime, on se marie, on a des enfants qui partent et on se retrouve seul à attendre la mort en remâchant son parcours, les trahisons, ses rêves déçus d'une vie qui aurait pu être belle mais qui ne l'a pas été parce que le bonheur tant souhaité n'a pas été au rendez-vous... C'est l'histoire ordinaire de ce qui s'est passé dans cette famille qui avait tout pour être heureuse, comme on dit, mais qui le l'a pas été et que les enfants ont fui sans grand espoir de retour. A la maison de famille répondent des secrets de famille qui ressurgissent et parfois font mal même si on s'attache, une dernière fois, à repeindre le passé ! Alors, maison à vendre ! Oui, peut-être, mais il faut toujours se méfier du tropisme de ces vielles bâtisses !

     

    Avec beaucoup d'humour et un style enlevé l'auteur réussit à faire partager à son lecteur sa vision des choses, son drame intime, son choix de rire de cette situation délétère, Cela donne un texte agréable à lire et érudit par moments. J'ai bien aimé ce roman dont l'auteur m'était inconnu jusqu'à ce que Babélio et les éditions Flammarion ne me sélectionnent pour cette lecture. Je les en remercie chaleureusement.

    © Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • D'après une histoire vraie

    La Feuille Volante n°1028– Avril 2016

    D’APRÈS UNE HISTOIRE VRAIE – Delphine de Vigan – JC Lattès. [Prix Renaudot 2015]

    Le titre d'abord interpelle. Il s'agit d'un roman donc d'une fiction, écrite semble-t-il d'après une histoire vraie, ce qui est plus ou moins le cas de tous les romans puisque le domaine de l'imaginaire est généralement sous-tendu par la réalité, certes redessinée par le talent de l'auteur. Le livre débute par une confidence, la panne d'écriture, un blocage créatif consécutif à une précédente œuvre qui avait connu le succès ; écrire pour l'auteure était devenu impossible !

     

    Quelle est donc cette histoire vraie ? C'est une rencontre avec L.[elle ?], une femme fascinante et mystérieuse qui semblait savoir tout de auteure avant même d'entrer dans sa vie et de la bouleverser. J'avoue avoir pensé à une histoire banale de séduction, voire d'homosexualité entre femmes mais en réalité L, devenue son amie, se révèle être un « nègre », c'est à dire une « plume » d’écrivains en mal de création. Cela tombait plutôt bien pour Delphine qui vivait mal cette période de sécheresse. Pourtant elle ne lui propose pas d'écrire pour elle, mais au contraire de favoriser sa propre écriture. Petit à petit, grâce sans doute à une sorte d'effet miroir, elle va l'amener à sortir de sa torpeur littéraire dans la douceur mais aussi par la prise de conscience pour l'auteure d'une certaine nécessité impérative et impérieuse d'écrire [« Je venais de comprendre quelque chose de terrifiant et vertigineux : J'étais dorénavant mon propre ennemi »] .

    Au départ, bien que la chose puisse soulever quelque intérêt, je ne suis pas entré dans le subtil distinguo entre autobiographie, autofiction et fiction, ni dans la définition de « l'effet de réel » cher à Roland Barthes, pas plus d'ailleurs que dans les motivations qui peuvent légitimer la démarche d'écriture de l'auteur ou les exigences qui amènent les lecteurs à découvrir un roman et à y porter de l'intérêt [j'avoue avoir toujours une réelle passion pour les romans de Boris Vian qui n'ont avec la réalité qu'une lointaine parenté]. En revanche tout ce qui est dit sur l'écriture elle-même, son mécanisme, sa puissance, ses effets parfois dévastateurs, ses impossibilités, ses dérobades contre lesquelles on ne peut rien, tout cela m'a beaucoup parlé. Je pense toujours que l'écriture est une alchimie où l'imaginaire, le réel, la logique, l'analyse, le travail... se mêlent intimement sans bien souvent que l'auteur lui-même maîtrise tout cela et parfois, il est lui-même surpris du résultat ! Les personnages créés par l'auteur s'ancrent dans le réel, naissent, vivent, meurent, sont aussi complexes que celui qui les a créés, sont même parfois révélateurs et ont leur propre liberté... En outre, j'ai bien aimé la tension psychologique savamment distillée au long de ces presque cinq cents pages et l'ennui ne s'est jamais insinué dans ma lecture de ce roman passionnant. La démarche créatrice de l'auteure m'a aussi interpellé : c'est cette envie d'écrire qui, après l'avoir abandonnée, revient à pas feutrés, grâce à L. mais aussi à travers le quotidien, les souvenirs, et les épreuves. La violence des lettres, au départ anonymes, qui l'accusent et qui sont relayées sur les réseaux sociaux jouent aussi un rôle. Les encouragements de L. sont essentiels dans cette créativité retrouvée, mais il plane autour d'elle une sorte de halo mystérieux et même dérangeant, alors qu'il devrait s’estomper. Pourtant, au fil des chapitres le mystère s'épaissit autour d'elle, elle ressemble de plus en plus à une silhouette à la fois fuyante, surprenante, présente, compatissante, soufflant parfois le chaud et le froid, à la fois forte et fragile, jusqu'à en devenir obsédante, indispensable, destructrice, puis disparaît comme elle était venue, comme si elle n'avait jamais existé... La complicité entre les deux femmes est telle que le mimétisme entre elles fonctionne parfaitement au point qu'elles deviennent interchangeables. Pourtant, au fil des pages, j'ai eu le sentiment que l'auteure était sous la dépendance complète de L., était pour elle une véritable proie sous des dehors trompeurs. Au début du roman, l'auteure est passive parce qu'elle est dans l'impossibilité d'écrire mais, à partir de son accident, l'envie de créer réapparaît dans une sorte de cyclothymie et correspond à une prise de conscience, de renouveau, même si dans son entourage des doutes subsistent sur une éventuelle période dépressive entre paranoïa et affabulations. Le retour à la « vie normale » se confond avec tant d'interrogations qu'elle prend un peu une forme de folie.

    Je ne sais si ce livre est écrit d'après une histoire vraie puisqu'il est écrit à la première personne et met en scène l'auteure ou s'il est une fiction, mais peu m'importe. Ce que je retiens c'est qu'on n'est jamais trahi que par les siens, par ses proches, par sa famille, ceux qui savent parfaitement comment nous faire du mal, savent manier à la fois le mensonge, l'hypocrisie, la félonie... Ici cette trahison prend une forme particulièrement subtile. La deuxième chose c'est que le livre est un univers douloureux qu'on peut porter en soi pendant des années et qui peut se refuser à naître aussi naturellement que cela et que l'écriture peut parfois, mais parfois seulement, être un baume et avoir une fonction cathartique, mais cela nous le savions déjà.

     

    J'avais été conquis par son dernier roman , « Rien ne s'oppose à la nuit » et c'est sans doute ce qui m'a fait ouvrir ce livre. L' écriture est fluide et offre un texte agréable à lire, clair, et bien construit, entretenant jusqu'à la fin le suspense d'un véritable « roman à énigme », pas vraiment dans l'esprit que ce j'ai l'habitude de lire sous la plume de cette auteure. Pourtant à la fin j'ai été un peu déçu. Je ne sais pas pourquoi mais, au fil des pages je m'attendais à autre chose, la chute m'a laissé un peu sur ma faim. J'ai songé à un dédoublement de la personnalité, à une illustration romancée du rythme de la création chez un auteur...Il me semble que l’épilogue n'est pas à la hauteur de ce roman qui m'a pourtant passionné, autant par l'intrigue que par l'analyse du processus de l'écriture.

    © Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • Histoire de la violence

    La Feuille Volante n°1027– Avril 2016

    HISTOIRE DE LA VIOLENCE – Édouard LOUIS – Seuil.

    S'il y a un mot qui peut caractériser notre siècle, c'est bien la violence. Certes, depuis que l'homme existe, il n'a eu de cesse d'exterminer ses semblables, mais chaque jour nous apporte son lot d'attentats aveugles, d'agressions gratuites, de crimes irrationnels perpétrés contre les êtres humains, nos semblables, nos frères, par d'autres hommes fanatiques, vicieux qui ont choisi de faire le mal plutôt que le bien.

     

    Édouard nous raconte son histoire, crûment, sans recherche littéraire, celle d'une rencontre fortuite avec Reda, un garçon maghrébin, un soir de Noël, après un réveillon entre amis. Il avait envie de parler et Édouard l'invite à boire un verre chez lui, écoute son histoire, celle de son père, un émigré kabyle. Puis les choses s'accélèrent, dérapent même…Après avoir bu et ri, Édouard et Reda couchent ensemble mais au matin Reda insulte son amant, l’agresse, le viole et tente de le tuer... C'est une sorte de huis-clos tragique suivi d'une plainte déposée au commissariat et une visite à l’hôpital.

    En fait, c'est Clara, la sœur d’Édouard qui raconte à son mari cette histoire puisque ce dernier la lui a confiée, Édouard étant dans une autre pièce et écoutant la relation. Pourtant le texte est assez confus, un style haché et populaire, à la syntaxe parfois approximative [ce qui n'est pas le cas des paragraphes en italiques qui sont d’Édouard], avec de nombreuses digressions, rendu ainsi difficile à lire, entrecoupé de relations à la première personne qui sont le fait d’Édouard, et d'autres où Clara est décrite un peu comme le témoin ces scènes autant que comme la narratrice. Il la retrouve en effet dans ce petit village du Nord après une longue absence. Non seulement leurs relations se sont distendues avec le temps mais il y a un gouffre entre le milieu populaire et ouvrier dans lequel elle vit et celui, érudit, parisien et universitaire qui est celui de l'auteur. Dès la première page, le narrateur nous confie que ce que dit Clara ne correspond pas exactement à la réalité de ce qu'il a vécu pendant cette nuit et qu'il vit cela comme une dépossession et en souffre encore davantage. En réalité j'ai été assez surpris par ce texte où il est question autant de la peur du sida, du viol autant que du racisme, Reda est en effet maghrébin, le tout entrecoupé de souvenirs d'enfance... Pourtant, après cette agression il élimine toutes les traces de cet amant pour compliquer le travail de la police, ce qui est une manière de le protéger. Cela me paraît quand même quelque peu ambiguë après ce qu’il vient de subir de sa part et ce même s'il hésite à porter plainte.

    Que l'auteur fasse dans l'autobiographique ne me gêne pas, bien au contraire puisque cela peut-être une sorte de libération, une source inépuisable d'inspiration autant qu'un procédé littéraire. Qu'il se plaigne que le récit qu'en fait sa sœur ne corresponde pas ce qu'il a vécu, qu'il se sente « exclus de sa propre histoire » me paraît en revanche un artifice romanesque dans lequel j'ai du mal à entrer. A titre personnel, je me suis beaucoup interrogé sur l'écriture et de son rôle supposé de thérapie et ici je comprends mal cette démarche par procuration et le résultat pour l'auteur. C'est une sorte de paradoxe qu’Édouard est le personnage central de ce roman mais qui vit en quelque sorte par procuration dans le récit de cette femme, comme si sa propre histoire lui échappait, qu'il en était dépossédé par une narration étrangère. Cette situation se reproduit quand Édouard est face aux policiers et aux médecins, c'est une sorte de mise en évidence de la relativité du langage.

     

    Au départ le titre (« histoire de la violence ») je croyais que ce livre se voulait général, thématique, presque pédagogique, mais je n'ai lu ici qu'un récit personnel que j'ai eu du mal à habiter. Je suis peut-être passé à côté d'un chef-d’œuvre, cela correspond peut-être à une nouvelle manière d'écrire… Comme toujours je respecte le travail de l'auteur, sa démarche littéraire, mais je dois dire que j'ai été un peu déçu. J'avais pourtant été quelque peu intéressé par son premier roman, « En finir avec Eddy Bellegueule ». Là mon impression est un peu différente et si j'ai poursuivi ma lecture, c'était davantage pour pouvoir me faire une idée personnelle sur ce roman et sur l’œuvre de cet auteur dont on parle beaucoup actuellement que par réel intérêt pour cette histoire.

     

    © Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • l'énigme du clou chinois

    La Feuille Volante n°1025– Mars 2016 ans

    l'énigme du clou chinois - Robert Van Gulik– 10/18

    Traduit de l’anglais par Anne Duchanet, Roger Guerbet et Jos Simons

     

    A peine installé dans la ville de Pei-Tcheou, proche de la frontière tartare, le juge Ti est confronté à la disparition d'une jeune fille dont on se demande si elle a été enlevée, assassinée ou s'il ne s'agit que d'une simple escapade amoureuse. Puis c'est la découverte du cadavre d'une jeune femme, décapitée dans la chambre conjugale. Entre accusations, disparition suspecte et solide alibi du mari, l'affaire s'annonce mal. Enfin, un célèbre champion de boxe est retrouvé empoisonné dans un établissement de bains où il avait ses habitudes ; des bouts de carton formant un puzzle, une voix de femme et un surnom aideront Ti a élucider cette affaire. Cette région inhospitalière favorise largement la pratique de la sorcellerie, du mystère et de la violence

    J'avais l'habitude de lire les aventures de ce magistrat à la fois intègre et fort talentueux qui a, sa vie durant, déployé de louables efforts au service de l’État, sous la plume de Frédéric Lenormand. Cette chronique s'en est très souvent fait l'écho. Cette fois c'est Robert Van Gulik (1910-1967), ambassadeur mais aussi fin lettré, sinologue érudit et homme de Lettres hollandais qui nous fait partager des épisodes de la vie de cet authentique fonctionnaire chinois, Ti Jen-tsie (630-700), dont la carrière se déroula sous la dynastie des Tang, dans différentes villes de province pour se terminer dans la Capitale en qualité président de la Cour Métropolitaine de Justice. Ce roman nous montre un juge mais aussi un homme habité de sentiments pour une femme qui n'est pas la sienne mais que sa fonction officielle rend solitaire. De mes lectures précédentes, j'ai retiré l'impression d'un juge omnipotent, craint de ses administrés et quasiment infaillible. Le magistrat de cette époque détenait en effet une sorte de pouvoir absolu puisqu'il représentait et appliquait la loi, mais cette dernière ne lui conférait aucune immunité puisqu’elle prévoyait que toute personne (lui y compris) ayant accusé à tort quelqu'un d'autre devrait subir le châtiment de la personne injustement poursuivie. En outre la culte des ancêtres était, chez les Chinois de cette époque, une obligation religieuse à laquelle nul ne pouvait se soustraire et la non-observance des préceptes légaux était lourdement punie. La vie sexuelle des hommes avant la mariage faisait l'objet d'une grande tolérance, mais il n'était pas question de consommation avant la cérémonie elle-même entre les deux futurs époux.

    Ce recueil policier est donc ainsi l'occasion d'en connaître davantage sur la civilisation chinoise de cette époque, sur son système judiciaire et pénal, un simple manque de respect pour la Cour étant, par exemple, punis de coups de fouet. Les faits rapportés sont réels mais pas forcément traités par Ti lui-même. En tout cas, les personnages de Van Gulik sont ceux des romans policiers chinois traditionnels : le juge , ses sbires, les prêtres, les lettrés, les brigands ... C'est un réel dépaysement culturel et un bon moment de lecture.

     

    © Hervé GAUTIER – Mars 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • Je dirai malgré tout que cette vie fut belle

    La Feuille Volante n°1024– Mars 2016 ans

    Je dirai malgré tout que cette vie fut belle – Jean d'Ormesson.

     

    Tout au long d'un improbable procès, dont on se doute qu'il sortira acquitté, où il est à la fois le juge et l'accusé, Jean d'Ormesson, bien qu'il s'en défende, si on en juge d'après ses propos dans la presse et même sur la quatrième de couverture, nous offre un livre de Mémoires. Dans cette même quatrième de couverture il demande qu'on ne compte pas sur lui pour livrer des souvenirs d'enfance et de jeunesse... mais se dépêche de faire le contraire ! Et pour faire bonne mesure, il en rajoute un peu sur le thème déjà bien sollicité de la « saga » familiale. C'est un véritable monologue, camouflé sous des dehors peu crédibles (Moi, et Moi souvent rebaptisé Sur-moi), une sorte de dédoublement de la même personne qui fait en alternance les demandes et les réponses, dans le seul but de satisfaire sa grande passion, : nous parler de l'auteur, de sa vie, de ses livres...Encore une fois, comme c'est souvent le cas chez lui, nous assistons à un exercice, certes brillant et passionnant, mais fortement inspiré par le solipsisme! Qu'il appartienne à une grande famille aristocratique, avec tous les attributs de celle-ci, qu'il ait lui-même mené une vie pleine de réussite professionnelle, artistique, culturelle, personnelle… sa dimension entretenue de personnage public le laisse penser, et qu'il puisse, à son âge avancé (90 ans), considérer ce parcours comme beau, est parfaitement admissible ; nous eussions été surpris du contraire, nous ses lecteurs. Il égrène donc pour nous ses souvenirs puisés dans la politique, l'histoire, la littérature, le journalisme et l'amour, un parcours aussi brillant que protéiforme, mais la modestie un peu feinte dont il souhaite se parer me semble un peu fausse quand même. Même s'il voudrait bien donner l'impression de n'être pas grand-chose on sent bien, à le lire, qu'il est conscient de n’être pas comme tout le monde. Il s'exprime avec prolixité et j'ai craint au début de m’ennuyer tout au long de ces presque cinq cents pages mais finalement l'intérêt a pris le dessus, preuve s'il en fallait une qu'il n'est effectivement pas un vulgaire quidam. Il s'exprime avec son érudition coutumière et cette langue française dont il est un des meilleurs serviteurs, et c'est bien entendu un plaisir de le lire.

    Il nous confie son admiration pour les hommes qui bien souvent furent ses maîtres et parfois ses amis et pour les femmes qui ne furent pas toutes ses maîtresses mais dont la beauté sut l'émouvoir. Certes il a commis des fautes et les confesse sans détour mais c'est aussi une manière de se mettre en valeur. Il parle aussi, bien sûr, de l'Académie dont rêve tout écrivain. Il y siège depuis longtemps, Immortel que ces lieux impressionnent, mais qui aurait ressenti comme une insulte personnelle de n'y pas figurer simplement peut-être pour que son nom et son œuvre ne soient pas oubliés définitivement avec sa mort. De cette vénérable institution, dont il fut le plus jeune académicien et dont il est maintenant le doyen, il parle comme d'une assemblée de notables des Lettres mais aussi d'un repère de trublions, friands de petites avanies ou de blagues de potaches, l'esprit en plus, évidemment ! S'il sait reconnaître ceux qui l'ont aidé, c'est aussi une manière de dire que ceux-là ne se sont pas trompés et que, lui donnant leur appui, ils l'ont fait pour un être exceptionnel, c'est à dire lui ! Au cours de ce procès un peu surréaliste où on se demande bien ce qui lui est au juste reproché, à part peut-être avoir existé, il en profite pour réaffirmer son amour du monde, de la vie, pour déplorer un nouvelle fois la condition humaine dans tous ses aspects, la naissance par hasard, le temps qui passe et la mort inévitable, pour réaffirmer sa croyance en Dieu comme il l'avait fait notamment dans « Un jour je m'en irai sans en avoir tout dit ». Je ne le connais qu'à travers ses livres, c'est à dire mal, mais il me semble qu'il est friand de reconnaissance, avec tout ce que cela comporte de rituels et même d'hypocrisie mais j'avoue qu'il joue parfaitement son rôle dans ce procès imaginaire.

    Ce livre qui, encore une fois, emprunte son titre à un vers d'Aragon nous montre sans fard un écrivain mondain, narcissique quelque peu vaniteux mais qu'importe. Pour d'Ormesson, parler de lui est une institution et il est vrai qu'il le fait bien et il sait captiver son lecteur. C'est peut-être l'homme d'un seul livre dont Saint Augustin conseillait qu'on se méfiât. Et après ! Je dois dire en revanche que la fin de ce procès tient un peu de la pantalonnade. Dans la troisième partie, il tire le bilan de sa vie et jette sur le monde qui l'entoure un regard désabusé, serein penseront certains, face à ses changements rapides, à ses oscillations perpétuelles entre ascension et déclin, génératrices de progrès mais aussi de souffrances. Il pense à sa propre mort et en vient même à penser que ce Dieu en Qui il croit n'existe peut-être pas !

    © Hervé GAUTIER – Mars 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • L'INCONTRO

    La Feuille Volante n°1022– Mars 2016

    L'INCONTRO - Michela Murgia - Einaudi.

     

    C'est un court roman, lu en italien et parfois à haute voix pour la musicalité et le beauté de la langue. [pour moi la découverte de l'italien est passionnante mais un peu laborieuse]

    C'est l’histoire d'un petit village sarde de pécheurs et de paysans, Crabras, lieu fictif qui est en réalité Cabras, lieu de naissance de l'auteure, qui est est basée sur des souvenirs d'enfance. Le petit Maurizio, dix ans, fils unique, qui à l'habitude de la solitude chez ses parents, passe ses vacances d'été à Cabras chez ses grands-parents. Ce lieu est célèbre pour les nombreuses cérémonies en l'honneur des saints. Avec le temps et grâce aux jeux, Maurizio sympathise avec d'autres garçons de son âge, Julio et Franco qui lui apprennent à manier la fronde et ils se livrent ensemble à pas mal d'autres gamineries qui sont autant de moments de liberté, de jeux dans la rue, de découvertes et autres occasions d’écouter les histoires terrorisantes des vieux. C'est surtout pour lui, livré d'ordinaire à la solitude, l'occasion d'abandonner le « je » pour le « nous ». La vie tranquille du village est soudain bouleversée par une décision inattendue de l’évêque de créer une nouvelle paroisse, avec évidemment l'arrivée d'un nouveau curé. Il incombe donc aux deux nouvelles communautés de réaliser une partition et une organisation correctes mais ce n'est guère facile. Les enfants eux-mêmes sont de la partie et des rivalités se créent au sein du groupe puisque chaque garçon est aussi un enfant de chœur. Le jour de pâques, la procession traditionnelle se termine sur la place centrale du village par la rencontre de la statue de Jésus et celle de Marie, mais le paradoxe est qu'on assiste à deux défilés distincts, avec quatre statues ! Tel est le thème de ce roman qui trouvera un épilogue inattendu.

    C'est une Sardaigne oubliée qui revit sous la plume de l'auteure, un lieu figé dans le temps. C'est aussi, il faut bien le dire, une histoire de bondieuserie un peu absurde des années 1980 où ce petit village d'un autre temps vit entre dieu et diable. Il se serait sans doute bien passé de cette décision un peu absurde de l'évêque qui va bouleverser la torpeur du lieu mais réveiller une querelle de clochers où les deux curés ne vont pas manquer de rivaliser. Ainsi va-t-on assister, pour authentifier cette coupure, à l’émergence d'un pronom quasiment inconnu jusqu’alors : « eux », ceux de l'autre paroisse. C'est aussi une histoire d'amitié d'enfance à l'épreuve des décisions prises par les adultes. Comment en effet répartir les enfants de chœur dans les deux nouvelles paroisses ? C'est pourtant eux, les enfants, qui auront le dernier mot.C'est aussi une sorte de critique ironique des hommes d’église qui ne montrent guère l' exemple de paix mais au contraire sont présentés ici comme bien plus préoccupés par le pouvoir et les apparences.

    Ce roman, inspiré d'une histoire vraie, a été publié en français en 2013 , sous le titre de « La guerre des saints ». l'auteure m'était jusqu’à présent inconnue.


     


     

    © Hervé GAUTIER – Mars 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • Comment voyager avec un saumon

    La Feuille Volante n°1021– Mars 2016

    Comment voyager avec un saumon – Umberto Eco – Grasset.

    Traduit de l’italien par Myriam Bouzaher.

     

    C'est un peu un voyage en « absurdie » auquel nous convie l’auteur à travers ces nombreux récits publiés tout au long de sa carrière. Il le fait sur le mode de la parodie dont il dit lui-même « qu’elle ne doit jamais craindre d’exagérer » mais qui doit rester un divertissement. Mais il ne convient pas de s'arrêter là et le lecteur se doit de lire ces textes comme ils ont été écrits, c'est à dire sous le coup de l'indignation surtout quand celle-ci dénonce la bêtise dont Eco nous rappelle « qu'elle est la chose du monde la mieux partagée ». Il pense en effet (et n'a sûrement pas tort) que la bêtise nous submerge jusque dans notre quotidien. Ainsi prend-il un malin plaisir à la décrire pour mieux l'analyser jusqu'à en goûter la subtilité, et de noter « La stupidité des autres nous indigne et le seul moyen de ne pas y réagir stupidement est de la décrire en savourant la subtilité de sa trame » . Tout cela bien sûr passe sous les fourches caudines de la traduction dont nous savons qu'elle est aussi parfois une trahison. Passer d'une langue et d'une culture à l'autre est aussi un divertissement en ce sens qu'il faut parfois réinventer un nouveau texte, faire quasiment une recréation, tout en respectant l'esprit du texte initial, le diable se cachant comme toujours dans le détail.

    C'est donc un regard à la fois aiguisé mais aussi un peu facétieux que l’auteur porte sur le monde contemporain, montrant que son côté irrationnel n'est pas réservé à la fiction où l’imagination de l’auteur s'en donne à cœur-joie. Le quotidien nous réserve aussi pas mal de surprises et pas seulement quand on déjeune dans un avion ou qu'on traîne une valise à roulettes. Il donne libre court à son style jubilatoire où le lecteur verra sans doute un peu de malice voire une once de mauvaise foi, mais peu importe, on lui pardonne volontiers car il nous invite à rire de cela, voire de tout, et qu'en ce bas-monde et surtout dans notre société déboussolée, le rire est plutôt salutaire.

    Il ne peut s'empêcher de collationner en un catalogue un peu surréaliste tout ce que notre sacro-sainte société de consommation nous offre pour un prix dépassant souvent le raisonnable… et qui ne sert à rien. Il n'oublie pas non plus ces inventions qui sont censées nous simplifier la vie mais qui bien souvent nous la compliquent. On en vient à se poser des questions sur leurs concepteurs en s'interrogeant sur le fait qu'ils n'ont pas dû les tester eux-mêmes, où alors c’est grave ! Rassurons-nous, nous avons les mêmes en France, ce n'est pas le privilège de l'Italie. Il passe rapidement sur la lecture des rubriques de « contre-indications » qui accompagnent les médicaments. De quoi vous faire préférer de supporter votre maladie, même si vous devez en mourir.

    En général, j'aime lire Umberto Eco, malheureusement ici, au fil des pages, je me suis lassé et si le début m'a paru intéressant, j'ai continué à lire la suite parce qu'il m'a semblé que refermer le livre serait faire insulte à l'auteur (en règle générale je pratique ce genre de respect). Il m'a en effet paru fort inégal. Quand il choisit de nous livrer des épisodes de sa vie, cela peut être passionnant surtout s'il le fait avec sa verve habituelle, mais quand même ! Je ne parle pas des histoires qu'il invente autour des ordinateurs et de leur supposée parenté avec une religion ou de ses recherches sexuelles vaines sur le web ainsi que toutes les arnaques dont notre belle société à le secret. De même ses ratiocinations sur la transmission des virus et des bactéries ou sa version revisitée du « Petit chaperon rouge ». Quant à pénétrer les arcanes de la « Cacopédie », sauf à être malencontreusement passé à côte d'un chef-d’œuvre, j'avoue que je n'ai pas compris grand-chose.

    Franchement je m'attendais à autre chose et je suis donc un peu déçu.


     


     

    © Hervé GAUTIER – Mars 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • Edward Hopper - Les 100 plus beaux chefs-d’œuvre

    La Feuille Volante n°1020– Mars 2016

    Edward Hopper - Les 100 plus beaux chefs-d’œuvre – Rosalind Ormiston – Larousse.

     

    Cet ouvrage richement documenté retrace la biographie d'Edward Hopper (1882-1967) qu'on retrouve dans tous les livres qui lui sont consacrés. Son originalité vient sans doute de la rétrospective effectuée par thèmes avec des illustrations.

    C'est en France, lors de son premier séjour qu’il prend l'habitude de peindre en extérieur, à cause, selon lui, de la lumière parisienne, différente de ce qu'il avait connu jusque là. Quand il revient à New-York ce sont pour autant des scènes d'intérieur qui monopolisent sa palette où le spectateur joue, malgré lui, le rôle d'un indiscret. Le décor intérieur est pratiquement inexistant, soulignant l'impression de vide. Il reviendra cependant aux scènes extérieures à partir de son installation à Greenwich village, représentant des paysages urbains, les cafés notamment, avec la lumière du soleil sur les bâtiments. Je note que bien qu’ayant longtemps habité New-York, il n'a que très rarement représenté les gratte-ciel, préférant les immeubles de style victorien. Il développera ce thème lors de ses fréquents séjours au cap Cod, peignant des maisons basses et renouant avec son inspiration de jeunesse pour les bateaux, les bords de mer et les phares qui sont peut-être pour lui un symbole de liberté. Il y réside souvent au printemps ou en été, y fait construire une maison et favorise des vues de la campagne ou du littoral. Il voyagea beaucoup avec son épouse, notamment dans le sud et au Mexique d'où il rapportera des toiles et des aquarelles de paysages. Ses voyages ont suscité chez lui un thème particulier que sont les trains, les voies ferrées et les routes. Pourtant, si ce sujet peut être l'invite au départ, voire à la fuite, il n'en porte pas moins un message de solitude et de vide caractéristique de sa peinture. Il s’intéressera également à la vie moderne à travers toiles, aquarelles et aussi eaux-fortes mais il se dégage toujours des personnages qu'il choisit de représenter une sorte de morosité et d'ennui. Architecturalement, il représente ce qu'il voit, c'est à dire un décor essentiellement américain, mais les maisons qu'il donne à voir sont souvent vides et très rarement complétées par une représentation humaine.

    Il peint des nus féminins, souvent dans le huis-clos d'une chambre, mais ces tableaux n'ont rien d'érotique et cela tient sans doute à son éducation puritaine. Son épouse sera d’ailleurs son seul modèle pendant toute sa vie. Quand il représente des femmes, habillées ou non, elles souvent seules, peut-être dans l'attente de quelqu’un ou de quelque chose, actrices d'un récit inachevé… Les hommes seuls sont plus rarement représentés, quant aux couples, il s'en dégage une atmosphère pesante qui était sans doute l'image de celui qu'Edward formait avec Joséphine, son épouse. Quand Hopper choisit de peindre des groupes de personnes, on sent imperceptiblement qu'il exprime surtout la distance qui existe entre eux.

    Il s'intéressera, notamment à partir de 1942 et de son tableau «Les oiseaux de nuit » (son préféré, à la vie nocturne mais vue à travers des fenêtres ou des devantures de cafés, avec une sorte de tendance marquée pour le voyeurisme. On a déjà souligné que ses toiles tiennent beaucoup de l'instantané photographique ( Il semblerait d’ailleurs que Hopper ait beaucoup travaillé à partir de photographies) mais elles distillent cependant une lourde sensation de solitude et de vide bien qu'elles représentent des paysages urbains qu'on s'attendrait à voir peuplés de gens et de mouvement.

    L'étonnant est que Edward Hopper ait traversé, sans les assimiler et sans qu'elles ait laissé la moindre trace sur sa façon de peindre, les périodes de la peinture expressionniste abstraite, du cubisme et du pop'art. Seul impressionnisme français l'a un temps inspiré, sans oublier le réalisme de Courbet, de Rembrandt et la pratique de son métier de d'illustrateur de magazines (activité alimentaire qu'il détestait cependant). Après avoir recherché le succès, il se présenta enfin, faisant de lui un artiste reconnu, emblématique de la peinture réaliste américaine. Son influence sera cependant déterminante sur les peintres américains tels que Andrew Wyeth (1917-2009) ou Eric Fischl notamment. On sait aussi que le cinéaste Alfred Hitchcok (1899-1980) s'inspira de certains de ses tableaux (notamment de « Maison près de la voie ferrée » dans son célèbre thriller « Psychose »). A titre personnel, je note également que l’écrivain français Philippe Besson fait souvent référence à Edward Hopper dans son œuvre et notamment dans son roman « L'arrière saison » [La Feuille Volante n° 604 -Décembre 2012] où il s’inspire du tableau intitulé « Les oiseaux de nuit ».

    Pour autant, le mystère qui entoure son œuvre austère, simple et surtout figurative et réaliste, invite à l'interprétation toujours difficile et ce d'autant plus que Hopper était un adepte de Baudelaire qui privilégiait la « vision intérieure », issue de l'imagination. Ses séjours en Europe et l'étude qu'il fit de ses peintres ne sont pas étrangers à son style original. Cet ouvrage abondamment documenté et très pédagogique apporte un éclairage intéressant sur l’œuvre d'Edward Hopper que personnellement je ne me lasse pas de découvrir.

    © Hervé GAUTIER – Mars 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • Edward Hopper

    La Feuille Volante n°1019– Mars 2016

    Edward Hopper - Gerry Souter – Parkstone international.

    Traduit de l’américain par Aline Jorand.

     

    Je ne sais pas pourquoi, moi qui ne suis pas spécialiste de la peinture en général, et de la peinture américaine en particulier, je ressens pour Edward Hopper (1882-1967) une véritable fasciation. Aussi bien quand je découvre un livre qui lui est consacré, je ne manque pas de le lire avec intérêt.

    L'auteur le présente à travers sa biographie, insistant sur ses origines modestes et sur le rôle de ses parents, de sa mère surtout qui a su favoriser sa vocation artistique. Son éducation a été fortement marquée par les femmes (sa mère et sa grand-mère) et cela se retrouvera dans son œuvre. Il note que son éducation victorienne complétée par une empreinte puritaine et religieuse (son arrière-grand-père, le révérend Griffiths a fondé l'église baptiste de la petite ville de Nyack (État de New York) où il est né – Edward ira à l'école privée) qui prône une vie austère, recommande de s'éloigner des plaisirs de la sexualité et des comportements immoraux. Cela développera une timidité naturelle qui, bizarrement, sera contrebalancée par un réel sens de l'humour. Cette formation ne sera pas sans influencer sa peinture et quand il représente des femmes, même si elles sont nues, il n'y a pas de dimension érotique. Je note également que après son mariage avec Joséphine, celle-ci sera son unique modèle. Dans certaine de ses toiles, surtout celles où il représente des chambres ou des bureaux il y a cependant une sorte de voyeurisme.

    S'il a fréquenté des écoles de dessins, et notamment la New York School of Art, s'il s'est perfectionné par l'étude des impressionnistes français présents dans les musées américains et en France même où il fit trois séjours, il commença son apprentissage en copiant de façon empirique, très jeune, des couvertures de magazines. Ses séjours à Paris ne se confondent d'ailleurs pas avec la vie de bohème qu'on peut imaginer chez un jeune peintre et il en rapporte nombre de tableaux dans la manière impressionniste qui n'apparaissent malheureusement pas dans les illustrations de cet ouvrage.

    Ce que je retiens ce sont les débuts difficiles de Hopper et toute sa vie sera rythmée par l’alternance du succès et de l'échec, l'obligation de gagner sa vie comme illustrateur, ainsi que de la sécheresse artistique passagère ce qui ne sera pas sans influencer son équilibre personnel. Il sera en effet souvent sujet à la dépression. A partir de 1923 cependant, date à laquelle il rencontre Joséphine qui va devenir son épouse, la chance semble lui sourire et, petit à petit, il devient un peintre connu et reconnu. Pourtant sa vie sentimentale sera des plus agitée, émaillées par de violentes disputes avec sa femme qui pourtant choisira de mettre sa carrière artistique personnelle entre parenthèses mais en ressentira une sorte de complexe d'infériorité. Edward semble ne pas avoir été heureux en ménage et il en concevra une profonde solitude qui ressort sur la plupart de ses toiles, notamment au niveau des personnages et des paysages. Les époux voyageront pourtant souvent ensemble, notamment au Mexique mais cet ouvrage ne publie aucune des toiles réalisées dans ce pays. Ils achèteront une maison au cap Cod et Edward renouera alors avec l'inspiration de la mer et des bateaux qui avait été la sienne, très jeune, à Nyack quand il fréquentait les chantiers navals et le « Boys Yacht Club ». Ce thème du voyage, incarné par les bateaux, les trains et les routes me semble également dénoter une sorte de volonté de départ, de fuite, l'envie d'un ailleurs qu'on ose cependant pas pas tenter. Les phares auront aussi une grande influence sur sa peinture.

    Il affectionne également les paysages urbains, les trains ou les maisons isolées mais je note que s'il vécu et travaillé à New York, il ne représenta que peu de gratte-ciel pour se concentrer plutôt sur les maisons de style victorien avec toujours, peu ou prou, cette impression de solitude, de vide, d'attente de quelque chose qui n'arrivera peut-être pas. Cette idée d'isolement persiste même si le tableau représente un groupe de personnages et se retrouvera dans les oeuvres qu'il consacrera aux salles de théâtres ou de cinéma, aux chambres ou aux halls d’hôtels. Je ne suis pas spécialiste de ce peintre mais je ressens sa peinture comme une activité de compensation face à une vie qu'il supporte plus qu'il ne l'apprécie. Sa dernière toile, « deux comédiens », semble vouloir nous dire qu'il a fait son parcours aux côtés de son épouse, comme s'il avait joué un rôle, grimé en acteur, et trouvé dans celui-ci une raison d'exister.

    Hopper est un peintre figuratif qui n'a guère changé de style. Il a du également lutter contre l'expressionniste abstrait très en vogue à son époque mais son style n'a jamais vraiment varié si on excepte sa période impressionniste.

    Cet ouvrage complète l'étude entamée depuis de nombreuses années sur ce peintre emblématique américain. Il m'a prêté un bon moment de lecture.


     


     

    © Hervé GAUTIER – Mars 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • La villa

    La Feuille Volante n°1018– Février 2016

    La villa - Peter Nichols - Éditions Nil.

    Traduit de l’américain par Sarah Tardy.

     

    Malgré son récent AVC, Lulu Davenport ne fait pas ses 80 ans et paraît encore jeune. Elle tient encore son petit hôtel, la villa « Les Rochers » à Majorque fréquentée par des habitués. Gérald Rutledge est écrivain, ne fait pas vraiment dans le best-seller et vivote de sa production d'olives. Il est en moins bon état mais leurs différences ne s'arrêtent pas là. Ces deux-là, s'ils se sont évités pendant cinquante ans se retrouvent ici par hasard et vont mourir ensemble, un peu bêtement d’ailleurs : Nous sommes en 2005. Tel est le point de départ de ce roman qui, bien qu'il se passe au soleil de Majorque et évoque la légèreté et farniente, les bougainvilliers et les oliviers, va promener le lecteur dans les lourdes arcanes du temps.

    A l’aide de nombreux analepses qui déroutent un peu le lecteur, l'auteur va recomposer la vie de Lulu et de Gérald qui ont jadis été amoureux l'un de l'autre, se sont mariés en 1948 puis ont rapidement mis fin à leur bref mariage tout en demeurant à Majorque. Nous ne saurons qu'à la fin ce qui a motivé une si brève union mais franchement je n'ai pas vraiment ressenti le suspens qui aurait pu être entretenu tout au long de ce roman tant les apartés sont multiples qui diluent un peu l'intérêt tissé a départ.

    La 4° de couverture annonce la couleur « Sexe, mensonges et Martini... » C'est à peu près le résumé de ce roman où tout semble être artificiel et superficiel. Ici, les individualités, les désirs, la luxure, l'adultère et le destin s'entrechoquent. Alors qu'entre les autres personnages c'est plutôt une ambiance de légèreté qui prévaut, il y a beaucoup de non-dits, de secrets de famille en suspens depuis un demi-siècle entre Lulu et Gérald, une atmosphère lourde et sombre qui n'a fait qu'enfler avec le temps, cette impression malsaine de quelque chose qu'on regrette, des erreurs ou des malentendus, un abcès qu'on n'a pas crevé et qui ont fait d'eux des ennemis intimes. Tout cela tranche évidemment avec les paysages ensoleillés de l’archipel. Il y a eu leur vie après leur divorce, leur mariage respectif, la personnalité de leur conjoint, le deuxième divorce de Lullu et le veuvage de Gérald, les enfants qu'ils ont eu séparément puis les enfants de ces enfants et les relations qu'ils ont entretenues ensemble. Il y a Luc, le fils de Lullu, un cinéaste un peu rêveur mais bien mal inspiré, un époux pas très fidèle cependant, Aegina, la fille de Gérald, femme d'affaires efficace avec Charlie, son fils adolescent. Pour Luc, Aegina qui est assurément amoureuse de lui est la seule femme qu'il ait jamais aimée, mais il est à la fois maladivement timide et par trop maladroit, à cause peut-être de ce qui s'est passé jadis entre Gérald et Lullu. Ces deux enfants ont un passé commun mais qui n'a rien à voir avec l'histoire de Lullu et de Gérald.

    Il y a beaucoup de personnages dont l’histoire nous est racontée ici sur trois générations. Cela pouvait donner l'occasion d'une saga passionnante mais j'ai noté pas mal d’apartés (notamment l'accident de Luc, passé par dessus bord qui, s'il est un peu émouvant au début, n'en est pas mois assez invraisemblable) qui, à mon sens, sont autant de touches inutiles. Cela a rendu ma lecture laborieuse et même carrément ennuyeuse, seulement motivée par l'engagement que j'avais pris de fournir un commentaire à la suite de l'envoi gracieux de Babélio et des éditions du Nil que je remercie de m'avoir sélectionné. Pourtant, vers le milieu du livre (le roman fait quand même près de 500 pages) mon attention a été attirée par le personnage de Gérald. C'est un écrivain fasciné par l’Odyssée d'Homère et dont le livre « Le chemin vers Ithaque » évoque le voyage initiatique d'Ulysse qui met dix années d'épreuves avant de revenir vers son île après la fin de la guerre de Troie. C'est aussi une véritable tragédie qui examine les conséquences d'un instant sur les générations suivantes. Gérald est aussi un marin qui a pas mal bourlingué en Méditerranée et qui a débarqué un jour à Majorque pour ne plus la quitter à cause du magnétisme que cette île opère sur lui. Il reste en effet attaché à ces quelques arpents d'une oliveraie qu'on veut lui faire vendre en vue d'une opération immobilière juteuse où, évidemment il laissera des plumes.

    C'est le second roman de Peter Nichols, inconnu de moi jusqu'à ce jour. Il se peut que je sois passé à côté d'un chef-d’œuvre mais, le livre refermé, je dois dire que j'ai été assez déçu par ma lecture.

    © Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • La controverse de Valladolid

    La Feuille Volante n°1017– Février 2016

    La controverse de Valladolid – Jean-Claude Carrière – Presse Pocket.

    Historiquement, ce débat a eut lieu dans un couvent de Valladolid (Espagne), en 1550, sous le règne et à la demande de Charles Quint et le pontificat de Jules III. En présence du légat du pape, il réunit des théologiens, des administrateurs et des juristes qui devaient initialement dire, selon le vœux du roi, si les Espagnols avaient le droit de coloniser et dominer les Indiens du Nouveau Monde en mettant fin à certains éléments de la civilisation précolombienne et notamment aux sacrifices humains rituels, mais aussi le cannibalisme et l’adultère. Ces séances furent dominées par le dominicain Bartolomé de la Casas et le théologien Juan Ginés de Sepulveda dont le livre devait ou non être mis à l' « l'Index ». Cela donna lieu entre eux à des querelles théologiques, l'un soutenant que les sociétés païennes sont aussi dignes et légitimes que les sociétés chrétiennes, que les Aztèques ont une civilisation aboutie, pas moins cruelle que celle de l'occident, et que, de ce fait , nul n'a le droit de convertir de force les Indiens et de les réduire en esclavage, l'autre prétendant que l’Évangile édicte un devoir universel de conversion au non du Christ mais aussi de l'humanisme, justifiant ainsi la guerre et ses atrocités inévitables pour y parvenir. Le débat réel est celui de savoir si les indiens ont ou non une âme et met en opposition parfois véhémente ces deux religieux, La Casas, plus empirique, plus impétueux, davantage dans l'émotion, dans la passion, plus informé puisqu'il a longtemps vécu sur place, défend les Indiens, les inscrivant sans aucun doute dans l'espèce humaine tandis que Sepulveda plus calme, plus froid, plus intellectuel et dans la rhétorique, soutient qu'ils sont « esclaves par nature ».

    L'issue du débat ne fait aucun doute et on conclut que les indiens ont bien une âme et qu'il convient donc d'adoucir leur sort, de faire cesser les massacres et l'esclavage, c'est donc la thèse de Las Casas qui l’emporte. Cependant le débat était aussi économique et la reconnaissance de la nature humaine des Indiens privait les colons espagnols d'une main- d’œuvre gratuite c’est pourquoi le légat du pape encouragea l'utilisation des Africains, jugés moins humains, plus frustres que les indiens, comme esclaves. Bien sur Las Casas protesta mais le débat fut déclaré clos, sans véritable vainqueur.

    A titre liminaire, l'auteur indique que son œuvre n'est qu'une interprétation personnelle de faits historiques et qu'il n'est même pas sûr que Las Casas et Sepulveda, s'ils ont largement débattu sur ce sujet par écrit, se soient physiquement rencontrés. D'autre part, la question de l'humanité des indiens, qui semble être le centre des débats, a déjà été tranchée par le pape lui-même dès 1537 dans la bulle « Sublimis Deus », seule le mode d'évangélisation a été examiné.

    Ce sont bien deux argumentations parfois spécieuses et contradictoires mais surtout deux tempéraments qui s’opposent. Avons-nous assisté une nouvelle fois à une de ces querelles byzantines comme les affectionnait l'Église catholique en ces temps bénis (Exemple : le sexe des anges, l'existence du purgatoire, la véritable nature du Christ…) ou étions-nous encore en pleine hypocrisie puisque, aux yeux de l’Église, les noirs étaient considérés comme une sous-catégorie de la race humaine et, à ce titre, pouvaient être réduits en esclavage. Cela justifiera peut-être le « commerce triangulaire » puisque l’Église donnait sa bénédiction.

    Au-delà de la dialectique, des arguments échangés par les deux parties, je ne peux pas m'empêcher de relever un paradoxe. Quand l'Amérique fut découverte, le Pape confia à l’Espagne le soin d’évangéliser les nouvelles populations. Si ce prosélytisme est inévitable, les jésuites et autres missionnaires ne se sont pas privés de l'appliquer, d'autant qu’ils étaient persuadés de détenir « la vraie foi ». La  contradiction réside sans doute dans l'exemple qu'ont donné les Espagnols aux indiens qu'ils voulaient convertir, leur enseignant des préceptes religieux qu'eux-mêmes n'appliquaient pas. Non seulement ils ont détruit leur civilisation mais ils les ont aussi exterminés, perpétrant un véritable génocide, leur prouvant par là que la religion qu'ils voulaient leur imposer était bien moins tolérante que la leur. Les Espagnols étaient en effet censés combattre les sacrifices humains, mais n'ont pas hésité à assassiner les indiens avec d'ailleurs beaucoup de cruauté gratuite. Ne parlons pas des vols et autres spoliations perpétrés au nom de Dieu pour extirper le péché !

    Cette œuvre a été adaptée au cinéma en 1992.

    © Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • Joseph Fouché

    La Feuille Volante n°1016– Février 2016

    Joseph Fouché – Stefan Zweig – Grasset .

    De cet homme, nous ne retenons souvent que l'image que nous a donnée Chateaubriand dans ses « Mémoires d'outre-tombe ». Alors qu'il attend dans l'antichambre royale, l'auteur voit passer devant lui Talleyrand soutenu par Fouché et pour évoquer cette scène il parle « du vice appuyé sur le bras du crime ». C'est vrai que Fouché a toujours fasciné à la fois les historiens et les écrivains par sa manière de s'adapter aux circonstances plus que mouvementées de son époque et son extraordinaire longévité. Stefan Zweig n'échappe pas à cette attirance et lui consacre une biographie détaillée, très documentée et fort pertinente, parue en 1920. C'est d'ailleurs assez étonnant de la part de l'auteur de « La confusion des sentiments » que le désespoir conduisit au suicide.

    C'est vrai que Fouché est un personnage pour le moins controversé et surtout contradictoire, qui a quand même gardé du professeur de mathématiques qu'il avait été, le côté calculateur. Il appartenait à l'ordre des Oratoriens (il a seulement reçu les ordres mineurs) qu'il a quitté pour embrasser les idées de la Révolution, mais il ne s'est pas moins signalé comme organisateur de l'armée contre les Vendéens mais aussi par son zèle à déchristianiser la Nièvre, à détruire les ornements sacerdotaux, les crucifix, les églises et piller leurs trésors. Qu'il ait été convaincu de divers détournements et participations à des affaires douteuses reste anecdotique au regard de ses autres méfaits. Sur le plan personnel, l'amitié n'avait que peu de valeur pour lui ; c'est ainsi que s’il soutint Robespierre au début de sa carrière politique, il n'eut aucun état d'âme à participer activement à sa chute, le 9 Thermidor. Quant à l'image de Chateaubriand, elle n'est bien entendu que de façade, Talleyrand étant en réalité son ennemi juré. Il n'était d’ailleurs pas dénué de cynisme et n’hésitait devant aucun abus de pouvoir, dût-il d'ailleurs précipiter ses détracteurs et parfois même ses amis dans la mort pour se sauver lui-même. Sur le plan purement politique il a été un attentif élève de Machiavel, pratiqua avec grand talent la palinodie, la flagornerie, la trahison, l'opportunisme et la délation, ce qui fit de lui, et à plusieurs reprises, un ministre de la police « efficace », ambitieux et surtout redouté. Au début, il s'est fait élire député de la Convention, passant du Marais (qu'on peut classer au centre) pour ensuite choisir le clan des « Montagnards » (qu'on classe carrément à gauche). Il n'en servira pas moins ensuite le Directoire, le Consulat, l'Empire puis la Restauration. Il reste aussi dans l'histoire, en plus des nombreux qualificatifs peu glorieux dont on l'affubla, comme « Le mitrailleur de Lyon » puisqu'il encouragea les cruautés et organisa la destruction par le canon (la guillotine étant jugée trop lente à tuer) des insurgés ou des suspects, ce qui n'était pas vraiment dans la philosophie des « Lumières ». Quant à l'exemple donné au reste du monde par la France d'alors, il était loin de l'idéal révolutionnaire.

    Il faut lui reconnaître une certaine clairvoyance, à laquelle sans doute son appartenance à la franc-maçonnerie n'était pas étrangère . Il soutint Bonaparte le 18 Brumaire lequel sut se souvenir de son appui en lui confiant le portefeuille de ministre de la police mais son parcours dans l'Empire est jalonné de trahisons. Il restera attaché au Directoire, à Bonaparte alors Premier Consul puis à l'Empire mais Napoléon se méfiera toujours de lui, le fera même surveiller, craindra son pouvoir et ses félonies, même s'il le fit « Duc d'Otrante » pour son action en l'absence de l'empereur. Il saura d'ailleurs se maintenir non loin du pouvoir malgré ses disgrâces parfois lourdement désargentées et fort mal vécues, sauvegardera l'autorité de l’État pendant les « Cent-jours », négociant avec les puissances alliées face à la défaite prévisible de Napoléon et préparant la transition vers la royauté. Il n'hésitera pas à remettre Louis XVIII sur le trône et à être également son ministre sous la Restauration. C'est pourtant le même homme qui a voté la mort de Louis XVI, le même prêtre défroqué, pilleur d'églises qui jure « fidélité » au roi très chrétien  !

    Ce personnage ne laissa personne indifférent. Stéfan Zweig lui reconnaît du talent. Il semble être déconcerté par sa faculté de Fouché à avoir survécu à cette période, préférant bien souvent l'ombre à la lumière, évitant de trop s'engager, préférant observer et réfléchir avant d'agir... un véritable animal politique au remarquable sang-froid, à la patience exemplaire, à la clairvoyance proverbiale mais surtout dénué de scrupules. Il était fasciné par le pouvoir mais aussi par l'argent qui parfois lui manqua. L'auteur le prend comme modèle, mais comme un modèle pervers qu'il ne faut pas suivre, comme l'image de l'homme soucieux de faire oublier tous ces petits reniements et ses grandes trahisons et s'attache à l'accabler. Le Duc d'Otrante dont les armes étaient parlantes («D'azur à la colonne d'or, accolée d'un serpent du même, semé de cinq mouchetures d'hermine d'argent, deux deux, et une ; au chef des ducs de l'Empire brochant »)  , était avant tout arriviste et comploteur, et incarnait sans doute la dualité qui est en chacun d'entre nous, était le parangon de tout ce que l'espèce humaine a de plus méprisable et que ne rachètent pas ni les «Père de Foucault », ni les « Mère Teresa » ni les « Saint-Vincent -de-Paul ».


     

    © Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • En avant comme avant

    La Feuille Volante n°1015– Février 2016

     

    En avant comme avant !– Michel Folco - Seuil

     

    Il est des patronymes qui sont lourds à porter. Celui de Charlemagne Tricotin est de ceux-là, d'autant que celui qui le porte n'est pas vraiment le commun des mortels. Il est le valet d’échafaud de Montpellier, le futur gendre de Pibrac dit « le Troisième » descendant de Justinien, exécuteur des hautes œuvres de Bellerocaille(Aveyron) et, le jour de son mariage, face à l'autel, il refuse d'épouser Bertille qu'il a préalablement engrossée, simplement parce qu'il ne veut pas devenir bourreau comme ce mariage l'y oblige par contrat. En effet, en ces temps bénis, on ne pouvait épouser la fille d'un bourreau sans le devenir soi-même et de cette vie-là, Charlemagne n'en veut pas. Ce refus, proféré d'ailleurs in-extremis dans l'église, devant le curé et une assemblée de guillotineurs venus de loin et en grand habit de cérémonie, est le début de folles aventures qui commencent dans la sacristie de l'église, avec dégustation des hosties agrémentées des saintes huiles et bien entendu du vin de messe … et cela ne fait que commencer ! Certains s'insurgent contre notre justice, que dire dès lors de celle de l'Ancien régime, de ces procédures, de ces modes de preuves, et de sanctions que l'auteur nous détaille par le menu et dont Charlemagne fait bien entendu les frais. Pensez, pour cela, des broutilles au demeurant, il est condamné à 501 ans de galère !

    Nous aurons donc droit, et dans le détail, à toute la procédure de la « Question » par laquelle il fallait impérativement passer et sans laquelle un aveu n'avait pas de valeur, puis par le séjour dans les geôles au confort très discutable et les différents petits arrangements pour y survivre, à la procédure pénale avec un mode pour le moins « archaïque » de preuve, le marquage au fer rouge en fonction du crime commis, la chiourme qui, à pied, traversait la France de Paris à Toulon et qui vidait des cachots ceux qui étaient condamnés aux galères. Tout cela sans parler du mode d'exécution des condamnés, exposés aux fourches patibulaires à l'entrée des villes pour dissuader les habitants et les nouveaux arrivants mal intentionnés. Je ne parle pas de l'importance que se donnaient les petits seigneurs locaux, véritables potentats qui avaient entre les mains la vie et la mort des gens qui étaient sous leur autorité et qui ne manquaient pas d'en abuser. Une véritable étude de l'espèce humaine qui, même si les choses ont un peu changé, est malheureusement toujours d'actualité.

    Cela dit, notre Charlemagne, au demeurant un homme fort sympathique, avec son zézaiement, son bon-sens et sa curiosité naturelle pour « L'Encyclopédie », va traverser pas mal d'aventures rocambolesques parce que, de ces injustices dont il est l'objet, il a la ferme volonté de se venger. L'auteur nous fait partager ses nombreuses tribulations qui le conduisent à Paris et vont, par de nombreux détours, l'amener à se battre en duel dans les jardins de Versailles, sous les yeux de Louis XVI, ce qui est interdit et lui vaut un embastillement, pas si dur que cela cependant pour cet homme du peuple sans fortune, mais où l'on court de risque d'être oublié. Pas de quoi décourager cependant son exercice favori qui consiste à s’évader dès lors qu'il est prisonnier quelque part ! Pourtant, pendant ce séjour forcé il a quand même réussi à sympathiser … avec les rats. C'est aussi l'occasion d'évoquer plus largement, l'historique (et aussi la géographie) de la Bastille, la personne du roi, la pratique du « commerce triangulaire », la vie à la Cour, les potins et la mode vestimentaire qu'on y rencontrait, l'art et la philosophie du duel à cette période, l'organisation de la police… ce qui donne lieu à des descriptions et des évocations fort suggestives.

    Bref c'est un roman fort plaisant, malgré les sujets traités, bien écrit, instructif et fort richement documenté pour qui s'intéresse à cette période de notre histoire. L'auteur agrémente chaque chapitre d'une ou plusieurs phrases mises en exergue dont on n'est pas obligé de croire qu'elle sont authentiques mais qu'importe, seule l'histoire m'a passionné et dépaysé et j'ai toujours aimé le XVIII° siècle. En tout cas, et c'est l'essentiel, il tient son lecteur en haleine jusqu'à la fin.

     

    Depuis que le hasard m'a fait rencontrer l’œuvre de Michel Folco sur les rayonnages d'une bibliothèque, j'ai retrouvé avec plaisir son style jubilatoire, assorti de pas mal d'expressions savoureuses.

     

    © Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • Dieu et nous seuls pouvons

    La Feuille Volante n°1014– Février 2016

     

    Dieu et nous seuls pouvons – Michel Folco - Seuil

     

    En ce temps-là, c'est à dire en 1683, on vous envoyait aux galères pour n'importe quoi. Le malheureux Justinien Pibrac en savait quelque chose qui y fut condamné injustement et à cette époque on ne s’encombrait ni de délais ni de débats contradictoires, d'appel et encore moins d'enquêtes méticuleuses. En attendant la chiourme qui devait l'emmener à Marseille, on lui propose, pour sauver sa liberté, d’occuper la charge vacante de bourreau du seigneur de Bellerocaille (Aveyron). Lui qui voulait devenir marin par amour des voyages et de la mer mais qui savait lire et écrire en latin à cause d'une carrière ecclésiastique à venir, n'avait pas vraiment la vocation pour ce genre de charge. Il n'était qu'un enfant trouvé, qu'un bâtard au nez curieusement amputé dès sa naissance, mais était surtout un peu opportuniste, surtout soucieux de ne pas risquer sa vie, il accepta donc de devenir « l'Exécuteur des Hautes Œuvres » et comprit vite tous les avantages, privilèges et même pouvoirs occultes attachés à son nouvel état dont il profita largement. Cette fonction dont personne ne voulait lui permettait certes de rester en vie mais ne faisait pas pour autant de lui un citoyen ordinaire. Ce qu'il ne sut pas c'est qu'il donna naissance à sept générations d'exécuteurs dont la charge se passait de père en fils. Leur richesse et leurs prérogatives seront mises à mal par les législations pénales successives jusqu'à être purement et supprimées par l'abolition de la peine de mort. Pour autant, en  Rouergue, le nom de Pibrac dont personne n'ignorait les fonctions, était un poids bien lourd à porter au point que certains s'en désolidarisèrent. L'un se fit boulanger, d'autres voulurent émigrer en Amérique, d'autres encore changèrent carrément de patronyme pour exorciser cet ostracisme qui représentait pour eux un véritable préjudice. Pour autant ce fut une véritable dynastie de bourreaux avec Mémoire familial, armes parlantes et une devise devenue célèbre : « Dieu et nous seuls pouvons ». L'un d'eux voulut même, pour préserver leur propre histoire et lui donner un lustre de respectabilité, faire classer la traditionnelle demeure comme « monument historique » mais, cette démarche n'ayant pas abouti, en faire un conservatoire à l’inauguration duquel il convia les bourreau du monde entier ! L’événement fut bien entendu festif et chacun eut à cœur d'offrir au musée une pièce caractéristique de la profession.

     

    C'est un roman divisé en deux parties (la deuxième commençant en 1901), un texte, picaresque et rocambolesque à souhait, écrit avec humour et même jubilation , qui, entre fiction et réalité, s'attache son lecteur jusqu'à la fin bien que le sujet ne s'y prête guère. Il est fort bien documenté, agréable à lire, précis dans les détails et donne une image de la société de l'époque avec ses us et coutumes. Il nous remet en mémoire des mots qui désormais appartiennent au passé et j'ai trouvé personnellement cela savoureux.

     

    Ce roman historique est aussi une bonne leçon à la fois sur la vanité humaine et sur sa nature même. Assister à une exécution publique était, semble-t-il, un spectacle fort prisé, quant à la fonction de bourreau, elle me paraît assez étrange même si le bon sens populaire déclare qu'il n'y a pas sot métier ! Cet attachement à la mort, même légale, m'interpelle et en dit long sur l'espèce humaine à laquelle nous apprenons tous. Vouloir éliminer son prochain, jusqu'à le tuer en y éprouvant un certain plaisir qu'on peut camoufler sous le concept de conscience professionnelle, de métier inévitable et, à l'époque, utile à la société, et pourquoi pas d'art, est révélateur. S'il y a une impunité dans tout cela, des gains intéressants et malgré le rejet social que la fonction génère, certains y ont trouvé leur avantage. Je me souviens que, au siècle dernier, peu d'années avant l’abolition officielle de la peine de mort en 1981, alors que dans la profession la vocation familiale avait dû se tarir, une annonce nationale fut passée pour le recrutement d'un bourreau. Quel ne fut pas l'étonnement général, amplifié d'ailleurs par la presse, de voir se déclarer un nombre impressionnant de candidats pour ce poste ! C'était sans doute autant d'assassins en puissance !

     

     

    © Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • En finir avec Eddy Bellegueule

    La Feuille Volante n°1013– Février 2016

     

    En finir avec Eddy Bellegueule – Édouard Louis- Seuil

     

    « Non les braves gens n'aiment pas que, on suive une autre route qu'eux » chante Brassens. Ce n'est pas vraiment le cas de la famille Bellegueule qui ressemble à s'y méprendre à toutes celles du village, le père qui boit et qui, comme les autres hommes, se partage entre le bistrot et l'usine, le décor c'est les terres agricoles, le ciel plombé, l'air pollué, la pluie et le froid, la maison sans confort et trop petite pour une famille de sept enfants, la pauvreté... La mère souvent enceinte et qui ne lésine pas sur le tabac, la télé qui fonctionne en permanence, l'absence de livres, les ressentiments de chacun contre cette vie, solitude et violence ordinaires qu'on exorcise comme on peut. Dans ce milieu social, il faut ressembler à tout le monde, les hommes sont des durs et quittent l'école pour l'usine et les femmes deviennent caissières, se marient et ont des enfants… Dans tout ce décor, Eddy, l'un des fils, aux gestes efféminés, est une énigme pour cette famille qui l'a élevé comme les autres garçons à qui il ne ressemble pourtant pas. A cause de son aspect maniéré, il est le souffre-douleurs de ses camarades de classe. Ses parents ne comprennent ni n'admettent cette différence, ne se gênent pas pour se moquer de lui en espérant sans doute qu'il rentrera dans le rang, qu'il sera comme les autres et ne leur fera pas honte. Certes ils ne sont pas dupes de l'homosexualité de leur fils, certes ils sont pauvres mais veulent donner une bonne éducation à leurs enfants pour qu'ils ne souffrent pas comme eux de la misère, qu'ils n’aient pas à faire face au regard réprobateur des gens, qu'ils échappent à l'alcoolisme… Le racisme ordinaire du père, son intolérance ne l’empêchent pas de défendre Eddy même quand aucun doute n'est plus possible à son sujet, que son attirance sexuelle pour les hommes est un fait indéniable et qu'il est désormais, pour cette raison, en butte aux lazzis des autres. Il tentera bien vainement des expériences féminines autant pour donner le change que pour vérifier ce qu'il savait déjà, mais ne trouvera son salut que dans la fuite de cette famille qui l'aime pourtant mais dans laquelle il ne se reconnaît plus. Ce sera le théâtre puis plus tard les études supérieures, autant de voies auxquelles il n'avait sans doute pas pens . C'est à la fois un éveil à une autre vie, à la connaissance et à la culture mais aussi l'accès à un monde où il est accepté où il ne sera plus jamais taxé de « pédé ».

     

    Ce roman en forme de biographie, divisé en deux parties, se déroule en Picardie dans les années 1990, date à laquelle l'homosexualité était moins admise qu'aujourd'hui. Il y analyse la prise de conscience progressive d'un adolescent de son attirance pour les hommes. Il y décrit crûment et sans complaisance une classe ouvrière minée par l'alcoolisme, la xénophobie, l'intolérance, l'absence de culture dans une région qui, par la suite, n'a pas été épargnée par crise économique.

    Il est généralement admis que chacun a de bons souvenirs de son enfance. C'est là une idée reçue qui m'a toujours étonné puisque la mienne n'a pas été marquée par le sceau du bonheur. Les circonstances ont certes été bien différentes et surtout en rien transposables à celles de ce roman, mais lire sous la plume d'un auteur un tel témoignage me rassure un peu. Je finissais par me demander si mon cas avait quelque chose d'exceptionnel.

    Reste le titre qui sonne comme une page qu'on tourne et j'ai bien eu l' impression de que cette période de sa vie appartenait pour lui à un passé révolu. L'écriture est reconnue pour ses qualités cathartiques. Je ne sais si ce livre a changé la vie de l'auteur (en dehors du succès littéraire qu'il a suscité), s'il a correspondu à une réelle libération (« la force végétale de l'enfance subsiste en nous toute la vie » dit Gaston Bachelard) où s'il a exploité ce moment délétère de sa vie pour entrer en littérature puisque c'est là son premier roman, mais ces pages résonnent en moi avec des accents de sincérité. Il reste que si ses parents correspondent au portrait qu'il en a fait, je les imagine partagés entre la fierté d'avoir un fils écrivain célèbre et les révélations qu'ils ont lues dans son livre.

    C'est un roman qui se lit rapidement, un style sans fioriture littéraire, écrit à la première personne, entre témoignage et confidence. Pour autant il y a une sorte de double niveau dans le langage. D'une part l'auteur s'exprime simplement et d’autre part il rend compte des propos de ceux qui l'entourent et qu'il transcrit sans artifice. Cette différence se lit dans le graphisme du texte.

    © Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com

  • COMMENT LES GRANDS DE CE MONDE SE PROMÈNENT EN BATEAU

    La Feuille Volante n°1012– Février 2016

     

    COMMENT LES GRANDS DE CE MONDE SE PROMÈNENT EN BATEAU – Mélanie SADLER – Flammarion.

     

    Ne vous y trompez pas, Javier Leornardo Borges n'a rien à voir avec Jorge Luis Borges à qui, pour cette fiction, il emprunte seulement son nom et les initiales de son prénom, sinon qu’il est, lui aussi professeur à l'université de Buenos Aires. Puisque l'auteure nous y invite si gentiment, il ne nous coûtera rien d'imaginer avec elle que ce vieil universitaire découvre par hasard sur un manuscrit turc du XVI° siècle la représentation d'une déesse aztèque. Il y a vraiment de quoi le sortir de la torpeur de sa fin de carrière, lui qui connaissait sur le bout des ongles la civilisation précolombienne, l'histoire de la conquête du Nouveau Monde par Hernàn Cortès, la mort de Monctezuma, la trahison de la controversée Malinche … Pourquoi, après tout, le dernier empereur Cuauhtémoc n’aurait-il pas fait périr quelqu’un à sa place et ne se serait-il pas enfui en Espagne ? Se pouvait-il que l'histoire fût à ce point bouleversée, que les historiens les plus éminents se soient à ce point égarés et que tout cela ne soit rien d'autre qu'un rideau de fumée pour cacher une réalité bien différente ? Ce n'est pas d’ailleurs pas vraiment la première fois que ce thème est soulevé. On se souvient du roman du brésilien Jorge Amado (« De como los Turcos descubieron América »(1994). Quant à la découverte réelle de l'Amérique en 1492 par Christophe Colomb, cela fait longtemps que cette vérité officielle est contestée.

     

    Il n'en fallait pas davantage pour que notre distingué professeur charge son collègue et ami le turc Hakan de débrouiller cette bien ténébreuse affaire. Devant une théorie aussi rocambolesque notre turc comprit rapidement que Borges devait être sénile, à moins qu'il n'ait abusé régulièrement de la bouteille, mais un peu par hasard il finit par trouver une sépulture improbable au sein de la mosquée Sülemaniye et un parchemin codé pour le moins mystérieux. Tout cela évidemment magnifié par le récit digne des Mille et une nuits de la belle sultane Roxelane. Du coup notre universitaire argentin laisse aller son imagination débordante, prête à un prince aztèque un voyage improbable à travers l'Atlantique, mais inverse de celui de Christophe Colomb, lui fait rencontrer Don Quichotte puis mener la bataille d'Alger où non seulement il vainc Charles Quint mais aussi retrouve Hernàn Cortes qu'il torture, vengeant ainsi son peuple.

     

    A l’occasion de ce roman, Mélanie Sadler, promène son lecteur dans une véritable énigme policière, entre érudition et imagination débridée, du Bosphore à l’université argentine dans un fantastique roman d'aventure. Je dois dire que si je ne refuse pas les récits imaginaires même les plus échevelés mais là, j'avoue que même si le style est enlevé et carrément jubilatoire, je dois avouer avoir été un peu perdu autant par la fantaisie burlesque de l'auteure que par l'anachronisme de cette fiction. En réalité, j'ai le sentiment que ce premier roman m'a un peu promené (en bateau) et en tout cas ne m'a pas vraiment emballé... mais cela doit tenir à moi !

     

    © Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • LE PUITS

    La Feuille Volante n°1011– Février 2016

     

    LE PUITS – Ivàn REPILA – Denoel.

     

    Dès la première page, on a l'impression d'être dans une fable. Dans une forêt, deux enfants, le Grand et le Petit sont tombés au fond d'une sorte d'excavation souterraine d'où ils voient seulement le jour sans pouvoir, malgré leurs efforts, atteindre l’orifice. On sent bien qu'ils sont coincés là pour longtemps. Comme dans tous les groupes, les personnalités se révèlent, surtout en cas de danger : il y a ceux naturellement qui commandent, ici c'est le Grand parce qu'il est l'aîné, et ceux qui obéissent, ici c'est le Petit. C'est effectivement le grand qui prend les initiatives, qui compose les repas, des vers et des racines, que collecte le petit mais c'est aussi lui mange le plus, le plus jeune se contentant de ses restes. C'est lui aussi qui donne les ordres. Avec eux ils ont un sac plein de nourriture destinée à leur mère et auquel le grand a interdit de toucher malgré les sollicitations du plus jeune. Une forme apparaît même par l’orifice que reconnaît le Grand mais il garde cela pour lui. Cette personne ne tentera jamais rien pour les tirer de leur prison, au contraire peut-être, elle vient vérifier qu'ils n'ont aucune chance d'en extraire.

     

    Le temps passe dans la solitude et les tentatives de sortir qui se révèlent vaines. Comme nous sommes dans une forêt, dans un endroit clos et dans une quasi obscurité les fantasmes humains traditionnels s'invitent et avec eux les loups qui incarnent les peurs ancestrales de l'inconscient collectif. Les hallucinations, la folie, le délire s'emparent du plus jeune alors que le Grand tente de se maintenir. La faim aussi y est pour quelque chose qui l'affecte jusqu'à sa manière de parler, mais qui révèle aussi les pulsions meurtrières qu'il porte en lui. Mais il est toujours interdit de toucher aux victuailles du sac, même si le Petit dépérit à vue d’œil. Cela matérialise une forme de tabou, de non-dit qui ici se manifeste autour de la famille, porte en lui des interdits qu'il ne faut transgresser sous aucun prétexte. C'est le corollaire de la forme penchée en silence sur l’orifice du trou qu'a aperçu le Grand. C'est lui  le chef, qui a édicté la règle et il n'est pas question d'y déroger, même si la nourriture se raréfie et si d'aventure un oiseau vient s'égarer dans leur antre et constitue ainsi un met de choix, c'est toujours le Grand, malgré les lazzis du Petit, qui a la décision. Puis vient l'inévitable peur de la mort qui, dans ce contexte est davantage d'actualité même si nous sommes tous morte . Le Petit est dès lors en proie à un délire beaucoup plus grand que précédemment. Il sent la mort sur lui, veut laisser une trace de son passage dans ce monde mais vit ce moment comme une délivrance prochaine. Le Grand lui emboîte le pas, gagné lui aussi par cette idée de la mort salvatrice dont il souhaite peut-être hâter la survenance. Puis, peut-être bizarrement, se manifeste une sorte de pulsion de vie qui s'accompagne d'ailleurs d'un sentiment d'amour fraternel avec, au bout, la vengeance dont le Grand charge son frère, lui confie quelque chose comme un destin.

     

    Ce texte pourtant court, seulement une centaine de pages qui se lisent d'un trait, laisse, au-delà de l’histoire, forcément allégorique, un sentiment assez bizarre mais aussi précis pour moi. J'y ai lu l' image de notre vie à tous avec les trahisons que nous subissons, d'autant plus inattendues qu'elles sont le fait de nos proches dont, évidemment nous ne nous méfions pas. Quand une traîtrise est dirigée contre des enfants sans défense, est le fait de leurs parents ou de leurs proches, cela prend une dimension injuste encore plus grande. Ceux qui en sont les auteurs trouveront toujours de bonnes raisons pour justifier leur félonie ou pour s'en dédouaner. Le sentiment de vengeance qui en découle est légitime et ne laisse aucune place au pardon, trop souvent sollicité comme quelque chose d'automatique et qui serait même dû, à cause du temps qui a passé, des choses qui ont évolué..

     

    Je suis entré dans ce livre sans doute d'une manière autre que celle que le préfacier mentionne. Ce roman est certes une œuvre de l'imagination et le décor planté est là pour exciter la nôtre et individuellement nous faire réagir sous couvert de l'émotion. Il n'est cependant pas besoin, si on veut bien y réfléchir, de faire acte d'imagination pour, à partir de notre vécu, comprendre simplement ce texte ou l'interpréter. Au-delà de la création littéraire, de la mise en scène inévitables dans le cadre d'un roman, nous pouvons parfaitement nous y retrouver et dépasser la fiction. Un autre sentiment me vient, celui de la vengeance d’autant plus nécessaire que la trahison a été injuste et imméritée. Il faut parfois attendre longtemps pour en obtenir réparation ou à tout le moins en avoir l’impression, l'illusion, parce que le mal qui est fait l'est définitivement sans que rien ne puisse l'effacer. Il en reste toujours des traces indélébiles dans la mémoire de celui qui a été la victime mais les événements ne le servent pas toujours parce que la vie elle-même est une injustice. Je ne connais pas cet auteur ni évidemment son parcourt mais le préfacier voit dans l'écriture une forme de châtiment. On dit que la parole libère, parler (ou écrire) aide sans doute à gommer les traces pourries que la vie a laissé en nous , à exorciser nos souffrances. J'ai longtemps cru au pouvoir cathartique de l'écriture. J'en suis beaucoup moins sûr maintenant.

     

    © Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • L'HERMIONE - Une frégate pour la liberté

    La Feuille Volante n°1009– Janvier 2016

     

    L'HERMIONE - Une frégate pour la liberté – Françis Latreille et Yves Gaubert (illustrations de Gilbert Maurel) – Gallimard.

     

    Il fallait être bien fou pour reconstruire à l'identique une frégate du XVIII° Siècle. Cette idée a pourtant germé à partir de 1992 dans la tête d'une poignée d'hommes et de femmes d'une association de Rochefort/mer, sans doute pour ressouder l'amitié franco-américaine, peut-être aussi pour célébrer le combat d'un homme pour la liberté, le marquis de la Fayette, dont la mémoire française n'a pas gardé une grande trace mais dont le nom, outre-Atlantique reste bien vivace et symbole de l'aide apportée par la France aux « insurgents » épris d'indépendance. J'ai pu personnellement constater que ce nom de La Fayette est synonyme de leur liberté même si deux générations de GI sont venus mourir dans la boue des tranchées ou sur les plages de Normandie pour la nôtre. Ils savent gré à la France, pays ami, de les avoir aidé dans leur combat pour l'indépendance et le premier geste du général Pershing débarquant en France en 1917 fut de déposer une gerbe à la mémoire de La Fayette. Le récent voyage le la frégate de Rochefort à Yorktown a soulevé l’enthousiasme général aussi bien dans la rade de La Rochelle que sur la côtes américaines .

    Vaincue au terme de la guerre de sept ans, La France avait perdu le Canada au traité de Paris de 1763. Les différents ministres de la Marine accélèrent la construction navale pour faire échec à l’hégémonie maritime anglaise en privilégiant les frégates, bâtiments plus maniables et rapides que les lourds vaisseaux de haut-bord . Ainsi, dans l'Arsenal de Rochefort/mer, fut décidé dès 1778, la construction de quatre frégates dont l'Hermione. En juillet 1776 les colonies anglaises d'Amérique proclament leur indépendance et la France s'engage résolument à leur côté notamment La Fayette, jeune aristocrate qui dès 1777 s'était mis au service du général Washington. Il effectue un deuxième séjour en 1780 et s'embraque sur l'Hermione qui participera aux combats navals et terminera sa carrière en s'échouant au Croisic en 1793.

    L'Hermione ne pouvait être reconstruite qu'à Rochefort, ville qui poursuivait sa réhabilitation historique notamment avec la Corderie royale et la remise en service des formes de radoub. Une fois les plans reconstitués, la maquette réalisée, il a fallu sélectionner les bois de chêne et les assembler. La construction dura dix-sept ans alors que la frégate du XVIII° fut assemblée en moins de 6 mois, dans des conditions différentes, il est vrai. Ce livre montre un technique propre à la construction navale en bois, remettant à l'honneur la charpenterie de marine, la voilerie, le travail de maréchaux-ferrants autant pour la frégate que pour ses annexes (canots et chaloupe). L’Hermione est un voilier et, à ce titre, il a fallu remettre à l'honneur le gréement spécifique, la voilerie traditionnelle en lin, les poulies en bois, les pièces d'accastillage en fer forgé, le matelotage des cordages, en chanvre ou en fibre de bananier, réalisés soit à l’atelier de la Corderie royale soit par des société spécialisées. Les ouvriers travaillaient le plus souvent en public ce qui constituaient une source de revenu pour le chantier, une attraction et une occasion pour le public de découvrir ces métiers. L'ouvrage mentionne évidement un vocabulaire technique original bien souvent disparu : l'étambot, l'arcasse, le guibre, les varangues, le vaigrage, les carvelles... qui tissent ainsi un décor particulier et inattendu. Les photos successives ainsi que les commentaires détaillent pour le lecteur les différentes phases de la construction de la frégate.  Les entreprises choisies pour cette aventure étaient soit spécialisées dans la réhabilitation de bateaux anciens en bois soit dans la construction de charpentes pour les monuments historiques terrestres. Cela a si bien fonctionné que le travail et donné lieu à des innovations et à des dépôts de brevets, le tout sous le contrôle du « Comité Historique ».

    L'Hermione est aussi un bâtiment de guerre armé de 26 canons qui tirent des boulets de 12 livres,[d'où son nom : frégate de 12 - Les tirs se font cependant à blanc et ne servent qu'à saluer]. Ils reposent sur des affûts roulants et nécessitent non seulement des outils spécifiques pour les servir et réaliser la mise à feu mais aussi une technique particulière pour les fondre même si leur fabrication fut un peu différente de celle du XVIII° siècle. Quand elle prenait la mer, la frégate emportait à son bord des subsistances mais aussi de la poudre ; la tonnellerie fut donc sollicitée.

    L'Hermione est un navire qui est destiné à naviguer et à ce titre il doit satisfaire aux normes actuelles de sécurité et porte une technologie moderne sans laquelle elle ne pourrait obtenir son permis de navigation (présence de propulseurs électriques servis par des groupes électrogènes, sanitaires pour l’équipage, instruments de navigation électroniques et informatiques embarqués dissimulés dans le décor- congélateurs pour la conservation des aliments…) Elle est donc la conjugaison de la tradition maritime du XVIII° siècle et de la modernité. Quand elle navigue, la frégate est commandée Yan Cariou, commandant de marine marchande, ancien commandant du Belem, secondé par 4 officiers, 15 marins professionnels et 150 volontaires. Son port d'attache est Rochefort où elle participera à des animations que les auteurs souhaitent autant suivies par le public que l'a été le chantier.

     

    © Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • ET JE RENAÎTRAI DE MES CENDRE S

    La Feuille Volante n°1010– Février 2016

     

    ET JE RENAÎTRAI DE MES CENDRE S - Laurence Finet – Les éditions de l'Atelier.

     

    La première impression que j'ai eue en lisant ce récit c'est effectivement que l'auteur souhaitait laisser quelque chose de son passage sur terre à ses enfants mais aussi à son mari, une sorte de témoignage, une réponse peut-être à toutes les questions qu'ils ont pu se poser à son sujet et qui n'ont pas obtenu de réponse, ce genre de document qu'on laisse aux survivants pour s'expliquer, se justifier, s'excuser peut-être ? Au départ, elle y décrit des apparences plutôt flatteuses. Elle a 45 ans, un bon travail, certes un peu prenant mais qui la passionne, un mari très amoureux d'elle, quatre merveilleux enfants, un train de vie très correct, bref un bon équilibre. A propos d'une banale opération des symptômes apparaissent, de plus en plus inquiétants : C'est un cancer. Entre affolement et euphorie, elle se joue à elle-même la comédie de la guérison, choisit pour l'exorciser la méthode Coué, les larmes, privilégie l'amour de sa famille et de son mari, s'en remet à plusieurs psychiatres, thérapeutes, guérisseurs, médecines parallèles, tente l'humour et l'autodérision ou en appelle à Dieu avec toujours au-dessus d'elle l'ombre de la Camarde.

    C'est que les manifestations se précisent, et face à cela, dans une sorte de réflexe de survie ou d’exorcisme , elle choisit de revenir sur ce qu'a été sa vie. Au fur et à mesure des chapitres, elle détaille sa jeunesse, la vie difficile de ses parents pauvres, exigeants mais malsains, violents et humiliants mais qu'elle doit cependant respecter parce que c'est la règle, le suicide de deux de ses frères, ses rêves de jeune fille refoulés, son devoir impératif de réussite, ses secrets de famille jusque là jalousement gardés... Dès lors vont cohabiter deux parcours, deux combats qui sont liés : d'une part celui qu'elle va mener contre la maladie, pour elle et pour sa famille, et d'autre part, à l'aide de nombreux analepses, celui, plus introspectif et intime qui va lui faire revisiter son enfance, son adolescence.

    Au-delà du témoignage bouleversant, ce récit me paraît poser plusieurs problèmes. Celui de la lutte contre la maladie d'abord. Pour elle l'amour de son mari et de ses enfants est à la fois une force et une motivation : elle doit vivre et se battre. Ce n'est cependant pas si simple surtout quand les enfants sont petits ou adolescents.  Elle doit faire face non seulement à ce mal inexorable qui empoisonne sa vie mais aussi à l'inhumanité des hôpitaux, au détachement des soignants, à l'hypocrisie des mots qui cachent, pour le malade, la vraie nature de la maladie et endort sa méfiance. Quand le traitement se fait plus lourd, elle associe ses enfants à la progression de la maladie, les informe sur le ton de l'humour une façon non seulement de dédramatiser les choses mais aussi de ne pas pratiquer dans sa famille le silence et le mensonge qu'elle a connu dans son enfance. Cela ne va pas sans bouleversements, sans rébellions contre l'autorité des parents, exactement le contraire de ce qu'elle a vécu avec les siens . Sa lutte contre la maladie n'en est pas facilitée !

    Nous sommes dans un contexte judéo-chrétien où la culpabilité est inévitable. Les enfants culpabilisent à cause de la maladie de leur mère et celle-ci considère que son cancer est en quelque sorte une punition divine pour une enfance complice et mutique. Laurence a été très tôt violée par son père ce qui a bouleversé son enfance mais elle a longtemps choisi de taire cette souffrance qui renaît au stade de son introspection. Certes elle révèle avec beaucoup d’hésitations à son mari et à sa famille ce qu'elle gardait pour elle depuis tant d'années mais les relations avec ses parents, qui n'ont jamais été bonnes, rejaillissent sur ses enfants ainsi privés de leurs grands-parents. Avoir révélé cela et brisé ce tabou est vécu par Laurence comme une trahison du silence et elle considère son cancer comme une punition. A force d'y repenser, elle se considère autant comme une victime que comme une coupable, une forme particulière du syndrome de Stockholm et son silence était avant tout une complicité.

    Le pardon ensuite qu'il est difficile d'accorder à ce père immonde et à cette mère complice surtout que Laurence a choisi ce moment pour révéler l'inceste paternel. De toutes leurs forces ils nieront ou feront semblant de ne pas comprendre, espérant secrètement que la mort de leur fille éteindra leur culpabilité et leur donnera l'absolution de leurs maltraitances. Certes le pardon grandit la victime mais il ne peut être accordé que s'il est demandé !

    Dans ce récit, j'ai lu aussi cette souffrance protéiforme qui s'attache très tôt aux pas de Laurence, ne la lâche pas même après une apparente période de répit qui pouvait ressembler au bonheur familial, alors qu'elle épargne ses parents qui eux se drapent dans l'hypocrisie et le non-dit. C'est malheureusement une forme d'injustice bien courante dans cette vie et ce d'autant plus qu'elle ne pourra finalement pas voir grandir ses enfants.

    Un livre est un univers douloureux et celui-là l'est tout particulièrement. L'auteur confie sa vie aux pages encore blanches qui vont recueillir ses confidences et être le témoin de ses souffrances intimes. Ce n'est pas une chose facile que de se mettre en face de soi-même. Il est convenu d'admettre que la parole libère et, même si ce n'est pas facile, mettre des mots sur ses maux est sans doute efficace pour exorciser sa douleur ou son mal-être, surtout au pas de la mort.

    Le style est brut, sans fioriture littéraire, parfois même un peu laborieux. Le récit est divisé en courts chapitres qui se lisent bien, qui détaillent par le menu ce qui fut la vie de l'auteure.C'est un témoignage bouleversant.

    © Hervé GAUTIER – Février 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • BILQISS

    La Feuille Volante n°1008– Janvier 2016

     

    BILQISS – Saphia Azzeddine - Stock

     

    Bilqiss, c'est le nom de cette femme insoumise, veuve, sans enfant et sans famille, qui, un matin alors que le muezzin dort encore, en proie à une cuite(!), monte en haut du minaret et appelle à la prière (adhan) à sa manière, c'est à dire avec sa sensibilité de femme et de croyante sincère. Dans ce pays imaginaire (l'Afganistan ?) mais quand même bien réel où il vaut mieux être n'importe quoi, un volatile par exemple, qu'une femme, un tel acte est sacrilège. Elle va donc être jugée et bien entendu lapidée parce que sa seule faute est de vivre seule dans une société qui ne veut pas d'elle parce qu'elle met en danger son équilibre. C'est que non seulement elle a ainsi enfreint la loi mais aux yeux des croyants il y a en outre des circonstances aggravantes. Elle possède en effet dans son réfrigérateur des courgettes et des aubergines entières pour sa nourriture mais qui, pour ses juges, évoquent des symboles phalliques, une pince à épiler, du maquillage, des soutiens-gorges, des livres et de la musique ce qui constitue un crime impardonnable au yeux des habitants du village. Pire peut-être, elle reconnaît les faits et se défend, seule sans pour autant renier Allah !

    Bilqiss [qui porte le même nom que la reine de Saba] n’est cependant pas le seul personnage de ce roman puisqu'une journaliste américaine, fille d'un milliardaire, suit ce procès pour son journal, lui donne une médiatisation mondiale et s'imagine qu'elle pourra faire évoluer les choses. Le juge est troublé par la beauté et la personnalité de Bilqiss qu'il connaît mais qu'il doit condamner et ne sait plus quoi faire, coincé qu'il est par sa position dominante et l'envie irrépressible qu'il a de la sauver. Il fait traîner le procès en longueur en lui concédant le droit à la parole dont elle profite en dénonçant les contradictions de cette société, lui rend visite dans sa prison mais n’oublie pas de la faire fouetter pour la pertinence et l'impertinence de ses propos. Cette trilogie tient le lecteur en haleine jusqu'à la fin et suscite une réflexion sur la place de la femme dans cette société faite par et pour les hommes, le mariage forcé des filles en bas âge et leur maintien dans un état de servilité dramatique, la présence d'Allah et la réalité des abus qu'on commet en son nom, sous couvert de la loi islamique, l'amour impossible entre ce juge et celle qu'il doit condamner. Cette jeune femme a seule tenu tête aux hommes du village et aussi au juge, ce qui, en soi, est déjà un crime, a voulu faire prendre conscience aux autres femmes de la nécessité de s'affirmer, de sortir de leur condition, respecte la religion mais remet en cause ses déviances que les hommes se sont appropriées à leur seul bénéfice.

    Cet ouvrage est classé dans la catégorie « roman », pourtant, je l'ai lu comme un livre documentaire (bien qu'il se termine quand même comme un roman) qui en dit long sur une religion que je ne connais que par oui-dire mais qui officialise le calvaire domestique et quotidien de la femme musulmane que son mari tient pour sa bonniche, uniquement destinée à enfanter, des mâles de préférence, qu'il bat et dont il abuse à son gré. Quand à l'amour que nous, occidentaux, célébrons et privilégions comme une valeur et un sentiment, il vaut mieux n'y pas penser. J'ai ai lu que les fondamentalistes nient la culture et la liberté au profit d'un dogme religieux aveugle et quand j'entends que ces mêmes islamistes qui viennent chez nous poser des bombes et tuer des innocents simplement parce qu'ils sont incroyants, souhaitent importer en occident ce qu'on a du mal à appeler des « valeurs », cela me fait un peu peur quand même ! J'ai pu voir aussi que ces hommes qui se recommandent de Dieu sont tout aussi hypocrites que le sont nos ecclésiastiques occidentaux et je me souviens que les religions ont été au cours de notre histoire un malheureux prétexte donné aux hommes pour régresser intellectuellement et moralement, exacerber leur volonté de puissance mais aussi pour s’entre-tuer. La justice est rendue au nom d'Allah, mais il n'y a pas si longtemps en France, des crucifix ornaient encore les prétoires et on prêtait serment sur l’Évangile. Quant aux exécutions publiques qu'on peut dénoncer dans ces pays comme un spectacle malsain, elles ont fait partie du nôtre également . Certes les choses ont heureusement changé mais l’espèce humaine, elle, aura du mal évoluer et Bilqiss ne se gêne pas pour le faire remarquer à cette journaliste américaine en lui rappelant que son reportage en sa faveur n'était peut-être pas dénué d'arrière-pensées et certaines de ses remarques sur la présence des troupes occidentales dans son pays sont aussi pertinentes que celles qu'elle adresse au juge sur la religion et la société .

     

    En lisant ce texte, avec effroi mais aussi une certaine crainte que le laxisme de nos démocraties n’entrouvre la porte à ce système juridico-religieux et ne détruise durablement notre art de vivre, je n'ai pu oublier que la beauté des femmes est chez nous non seulement un prétexte à la création artistique mais aussi, à titre personnel, une formidable illumination du quotidien. Si Dieu existe les femmes sont assurément la meilleure réussite de la Création mais j'observe que les religions que je connais (celles du Livre) leur font une bien piètre place ! Je me plais à me souvenir du vers d'Aragon "L'avenir de l'homme, c'est la femme. Elle est la couleur de son âme."

     

    © Hervé GAUTIER – Janvier 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • LA DERNIÈRE LARME

    La Feuille Volante n°1006 – Janvier 2016

     

    LA DERNIÈRE LARME – Stefano Benni – Actes sud.

    Traduit de l'italien par Marguetite Pozzoli.

     

    L'univers de Stefano Benni est bien celui de l'absurde : la retransmission télévisée d'une exécution capitale, la transaction bancaire parfaitement illégale faite en public au bénéfice d'un client impécunieux par un modeste employé, une interrogation littéraire qui n'a rien de littéraire dans un collège qui ne ressemble pas à un établissement scolaire et qui fait profession de flagornerie et même d’idolâtrie au profit du « Président du Conseil »… Et c'est ainsi pendant vingt sept nouvelles toutes plus déjantées les unes que les autres …

    C'est vrai que nous vivons actuellement une époque formidable où manifestement tout fout le camp autour de nous où chaque jour qui passe nous met devant une évidence de plus en plus flagrante : nous manquons de boussole et les certitudes qu'on nous a mises dans dans la tête depuis des siècles, les grandes idées et tout le reste font de plus en plus figure de châteaux de cartes construits dans un courant d'air. Alors pourquoi ne pas appuyer sur le trait comme le fait l'auteur ? Il est bien placé pour cela puisque, depuis de nombreuses années il a choisi d'être un observateur de la vie qui l'entoure, il en connaît toutes les contradictions et il jubile quand il met en scène des personnages qui font voir à son lecteur tout ce que ce monde qui l'entoure présente de fractures et de paradoxes. Pour cela il a une technique bien particulière qui consiste à mettre des personnages dans un décor bien réel au départ mais d'instiller à celui-ci une dimension un peu extraordinaire où la fiction le dispute à la réalité, la banalité la plus quotidienne à l'inconnu le plus inattendu. Ainsi sous ses yeux défilent d'improbables êtres sortis du néant qui en côtoient d'autres bien ordinaires (le retour de Garibain). Il mélange le tout en une recette surréaliste pour obtenir des situations délirantes, exagérées, excessives où pourtant il est parfaitement possible de s'y retrouver. La nouvelle intitulée « le nouveau libraire » me paraît illustrer parfaitement cette idée. Les livres, souvent anciens, ont une vie, une personnalité qui étaient respectées par l'ancien libraire. Le nouveau au contraire souhaite faire de l'argent avec ce commerce et veut tout révolutionner, mais c'est sans compter avec ces pensionnaires bien indisciplinés qui finalement font valoir leurs droits.

    D'ailleurs j'observe que Benni a une préférence pour les villes fictives ou bien réelles et développe ses récits à travers des relations humaines au lieu de raconter une histoire à la première personne, dans une sorte de monologue. Il se révèle en tout cas être un conteur à la fois imaginatif et même un peu fou qui promène celui qui veut bien passer un peu de temps à le lire, c'est dire à arpenter cet univers loufoque, et l’entraîne dans des sphères comiques ou fantastiques et assurément dépaysantes, c'est selon ! Et il y en a vingt sept comme cela !

    Qu'on ne s'y trompe pas cependant, ces nouvelles sont aussi une critique sociale (Le sondar) où les intellectuels de tout poil se masturbent autour d'une idée, d'un dogme pendant que, devant eux la vie ordinaire déroule son cours. Témoin la nouvelle intitulée « le voleur » où un aréopage d'invités disputent de l'opportunité de livrer ou à la police l’auteur d'un larcin… pendant que ce dernier est en train de mourir ! Et rien ne lui échappe, il faut dire qu'il a de la matière entre le monde politique hypocrite et plein de parvenus inutiles mais suffisants et prétentieux et le celui du travail où règnent la flagornerie, l'irresponsabilité et l’incompétence. Son panel est grand.

    Tout cela passe évidemment par par le jeu sur les mots, la distorsion de la phrase, le choix des termes parfois inattendu, des néologismes… mais qu'importe, cela aussi procède de cet univers unique dans lequel nous invite l’auteur.

    Quelqu'un a défini l'humour comme l'attitude qui consiste à rire des choses plutôt que d'avoir à en pleurer, parce qu'il y a franchement de quoi, quand on y réfléchit. C'est sans doute l'arme qu'a choisi Benni pour supporter ce monde et nous aider à son tour à le faire. Pour lui c'est même à l'occasion de l'humour caustique, voire féroce mais pas autant cependant que le monde qui nous entoure où tout n'est que combat et volonté de détruire l'autre, sous les dehors lénifiants cependant. Pourtant si son ironie n'est pas gratuite, elle est parfois cruelle parce que le monde qui nous entoure l'est lui aussi tout simplement ! Il ne se contente de raconter les faits, de les dénoncer si on veut le dire ainsi, il laisse certes le lecteur juge mais n'oublie pas, en quelque sorte pour l'éclairer de lui donner à voir une facette de cette espèce humaine que nous partageons tous. Il a d’ailleurs le choix entre les attitudes camaleonesques des subalternes par rapport à leurs supérieurs (Un homme tranquille) jusqu'à la certitude de certains êtres portés par une notoriété temporaire ou supposée d'être exceptionnels ce qui ouvre droit à leurs yeux aux plus extravagants caprices (Roi caprice). Il illustre sa manière cet instant grégaire qu'adoptent les hommes par intérêt ou absence d'originalité ce qui les fait dangereusement ressembler à tout le monde ou au contraire adopter une attitude qui se veut bizarrement originale et qui les pousse à cultiver une différence factice quand il ne choisit pas de se pencher sur les pires vices humains ou sur les perversités les plus inavouables. Tout cela fait de lui, malgré les apparences teintées d'humour, un bon observateur, certes de l'Italie, son pays, mais aussi de l'espèce humaine. 

    Que reste-t-il de tout cela, le livre refermé ? C'est à chacun de répondre en fonction du chemin qu'il aura fait au côté de l'auteur. Moi, j'ai bien aimé.

     

    © Hervé GAUTIER – Janvier 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com]

  • VIVANT, OÙ EST TA VICTOIRE ?

    La Feuille Volante n°1007– Janvier 2016

     

    VIVANT, OÙ EST TA VICTOIRE ? Steve Toltz – Belfond.

    Traduit de l'anglais (australien) par Jérôme Schmidt.

     

    D'emblée, le titre m'a évoqué un roman de Daniels Rops (« Mort, où est ta victoire? »), mais ce roman publié en 1934 n'a rien de commun avec celui que Babelio et les Éditions Belfond m'ont fait parvenir, ce dont je les remercie. Liam Wilder est un flic cynique, égaré dans la police parce qu'il faut bien vivre surtout quand on est chargé de famille et qu'on a manqué sa vocation d'écrivain. Les gens pressés appellent cela «un écrivain raté » et la société, même en Australie où se déroule ce roman, en compte beaucoup. Cela ne l'empêche pas d'avoir des amis dont un en particulier, Aldo Benjamin, « vieille connaissance de lycée », qui est pour le moins encombrant, mais l'amitié, surtout dans son cas est un lien sacré ! Pourtant, Liam prend son ami comme prétexte littéraire mais l'inspiration qui pourrait prendre sa source dans leur vieille amitié, tarde à venir. Il est vrai que, comme modèle de farfelu et de guignon, Aldo, est vraiment un parangon. Dès son adolescence, la malchance qui sera la compagne de toute sa vie, se signale et s'incruste. Il est accusé de viol alors qu'à l'évidence, il est encore puceau, plus tard, il sera à nouveau accusé de viol, mais sur la personne d'une pensionnaire de bordel !  Toute sa vie il sera d'ailleurs un lamentable amant, celui dont ses partenaires féminines n'aimeront pas se souvenir, même si lui, au contraire est plutôt sujet aux fantasmes en ce domaine. Puis il deviendra le chef de nombreuses entreprises dont les buts commerciaux étaient des plus surréalistes et dont la courte vie n'eut d'égal que l'impécuniosité… Aucune n'échappa à la faillite et cet ancien taulard qui rate décidément tout ce qu'il entreprend, y compris évidemment son mariage, s'est mis en tête, alors qu'il est paraplégique, de faire su surf et de s'exiler volontairement sur un îlot solitaire  ! Même son unique tentative de suicide est un échec, elle le cloue sur un fauteuil roulant mais aussi tue un enfant, ce qui l'envoie en prison. La deuxième partie du roman est consacrée à la démonstration faite par Aldo devant le tribunal qu'il n'a pas pu tuer son amie Mimi comme il en a été accusé alors qu'il était en libération conditionnelle. Décidément, ce pauvre Aldo n'est pas à sa place en ce monde !

     

    De son côté Liam fait le point sur sa vie, et lui, l'artiste manqué, en épelle les détails, depuis son mariage précipité par le hasard et qui s'est révélé désastreux, jusqu'à ce regard désabusé qu'il porte sur l'écriture dont il sait qu'elle ne lui apportera pas le succès, ausculte son histoire pourtant banale et la biographie d'Aldo qui elle l'est un peu moins pour y puiser son inspiration mais finalement, après pas mal de doutes et de tentatives ne rencontre que la catastrophe et s'insère, un peu malgré lui dans la vie active... comme officier de police, travail honni, mais qui lui permet de faire vivre sa famille ! Cela nous réserve pas mal d'aphorismes bien sentis sur sa vie ratée et sur l'art.

     

    C'est vrai que nos deux compères se ressemblent, sont deux authentiques losers, qui, l'un comme l'autre accumulent les échecs, je devrais même dire en font la collection. Rien d'étonnant donc que ses deux-là se soient rencontrés. Dès les premières pages, le dialogue entre Liam et Aldo est pour le mois surréaliste et sans vraie suite, mais est réellement jubilatoire. Cela déconcerte mais atteste de l'imagination débordante et de drôlerie de l'auteur qui s'est fait connaître pour cela lors de ses romans précédents, notamment « Une partie du tout »[2009]. C'est un texte un peu déjanté, riche en rebondissements, mais ce que je retiens de ce roman c'est la noirceur et la cruauté de la vie, de la condition humaine, l'hypocrisie d'une société déshumanisée, l'enfer des prisons au quotidien. Certains passages, celui où Aldo converse avec une voix censée être divine, organe d'un improbable dieu bien lointain et bien étrange, m'ont paru, certes pertinents, mais surtout un peu fastidieux. Alors, au vu de ces deux exemples, la vie est-elle belle, comme on nous en rebat les oreilles bien trop souvent et cela vaut-il le coup de la faire prévaloir sur la mort. On peut se poser la question ainsi que semble le faire le titre de cet ouvrage !

     

     

    © Hervé GAUTIER – Janvier 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • CHANTIERS

    La Feuille Volante n°1005 – Janvier 2016

    CHANTIERS – Marie-Hélène Lafon – Éditions des Busclats.

     

    J'avoue que j'ai été un peu décontenancé à la lecture de ce court ouvrage qui n'est pas un roman. Dès les premières pages, l'auteure évoque clairement les épousailles d'une fille de la campagne profonde. Le titre « C'est pas du rôti pour elle », expression empruntée à sa grand-mère qui refuse d'aller à la cérémonie, évoque une sorte de mésalliance entre sa famille qu'on imagine rurale et celle du jeune homme, différente parce qu'elle vit à la ville, que nombres de ses membres ont réussi dans les professions libérales, mais qu'elle a gardé au pays des terres et une maison occupée seulement l'été, pour les vacances. Et d'ailleurs, les parents de cette fille ne sont que les fermiers de la famille du garçon, une sorte de subordination qui perdurera toujours ! Pourtant, c'est là une transgression sociale puisque ici on doit se marier entre paysans. C'est que la jeune fille en question, qui était sans doute promise malgré elle au fils d'un voisin, a étudié le latin, le grec et la littérature, c'est à dire a déjà transgressé un autre tabou qui voulait faire d'elle une mère de famille nombreuse qui resterait à la maison à attendre le père et à élever sa marmaille. Puis très vite le texte est rédigé à la première personne et l’auteure habite ce personnage juste esquissé de la jeune-fille qui non seulement quitte le pays pour enseigner dans la capitale mais aussi se pique d'écrire et peu à peu trouve sa place dans ce monde littéraire pourtant fermé, très loin en tout cas des préoccupations paysannes.

     

    Elle ne renie pourtant rien des beautés de son Cantal, de sa langue et de son enfance et sait apprécier la vie bourgeoise qui est désormais la sienne et qui elle aussi possède ses codes et ses convenances, évidemment différentes de celles de son enfance. Et puis il y a cette envie d'écrire, venue on ne sait d'où qui se manifeste un jour avec plus de force qu'avant. On pose le premier mot sur la feuille blanche avec fébrilité, on s’enhardit, on poursuit, ça dure, on lit, on retrouve même ses racines enfouies pour y chercher l’inspiration et ça marche…Alors on se fait son cinéma. On compose un texte au terme d'un véritable accouchement et on l'envoie à quelqu'un en se disant que ça va marcher, parce qu'il ne peut en être autrement. Ici, ça fonctionne sous forme d'encouragements et un éditeur finit, enfin, sans doute après de longues et décourageantes recherches, par s'intéresser à l'auteure de ces pages. Alors commence la véritable aventure, celle qu'il ne faut surtout pas manquer et le travail s'impose de lui-même, comme celui de la terre qu'il faut labourer et ensemencer. Chaque ouvrage est un véritable « chantier » où le travail dur s'impose comme une évidence. Ainsi reviennent véritablement ses racines qu'elle conjugue avec la beauté des mots et avec sa culture personnelle, ses lectures parce qu'il faut bien entendu prêter attention à ce qui a été fait avant. Le livre qui en résulte, il faut ensuite le faire partager au lecteur (souvent lectrice) en le rencontrant physiquement parce que l'écriture c'est aussi une communion avec lui et qu'un auteur, même s'il écrit pour lui, ne saurait ignorer celui à qui il le destine. L'auteur l'estime et le respecte même si le succès au début est d'estime et que le découragement s’insinue dans les certitudes les plus solides. Puis le talent s'impose, avec, il est vrai la chance indispensable dans tous les actes de notre pauvre vie, et l'auteure se fait une place dans ce paysage littéraire, marque son originalité et sa voix tout en se rappelant que « rien n'est jamais à l'homme » comme le dit le poète parce que là comme ailleurs, le découragement existe comme existent la sécheresse, le doute et le sentiment d’inutilité. Les œuvres se multiplient et l'auteure dévide l'écheveau de son message à travers une créativité qui se nourrit de la vie, de l'amour, de la mort qui sont et resteront les grands thèmes de l'activité artistique. Cela sera livré au public, c'est à dire à la critique qui fait et défait les succès mais aussi, et peut-être surtout, à celui, amateur ou simple quidam guidé par le hasard, qui accepte de passer du temps à explorer cet univers qui est décrit avec des mots, qui au départ lui est étranger mais où, bien souvent, il se retrouve lui-même. Alors l'écriture, qui est aussi une étrange alchimie, retrouve sa fonction première qui est la communication, l'explication, l'exploration, l'aide par la compréhension parce que quelqu’un, un jour a mis des mots sur ses maux, a expliqué ses choix, a raconté sa propre histoire, a rappelé que le livre est bien souvent un univers douloureux qu'il faut partager parce, ainsi il porte en lui une sorte de guérison pour l’auteur autant que pour le lecteur et que ces pages et ces chapitres ont réussi à faire que chacun s'accepte comme il est.

    A la campagne on est catholique presque par tradition, même si cette foi n'a rien à voir avec l’Évangile qu'on ne connaît d’ailleurs pas. Ce ne sont bien souvent que des rituels obligatoires qui, là non plus ne résistent pas.

    Ce livre est une sorte jalon dans son parcours, une volonté de faire le point sur son voyage littéraire autant que sur sa vie, un regard intime porté sur elle-même et offert à son lecteur parce qu'un auteur ne doit jamais être quelqu'un de lointain, d'intouchable, d’intellectuellement différent des autres.

     

    © Hervé GAUTIER – Janvier 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • L'affaire des corps sans tête

    La Feuille Volante n°1004 – Janvier 2016

    L'affaire des corps sans tête - Jean-Christophe Portes - City Éditions.

     

    Nous sommes en 1791, une période ou le roi et les révolutionnaires cohabitent encore tant bien que mal, où La Fayette, revenu tout auréolé des Amériques, tente de ménager son avenir entre une royauté qui vacille et un nouveau régime encore assez incertain, occupé à rédiger une nouvelle constitution, organisant une sorte de transition. Dans ce contexte, on retrouve dans la Seine le corps d'un homme nu décapité, sans doute pour qu'on ne le reconnaisse pas et ce cadavre est suivi par d'autres également sans tête. La Révolution n'est peut-être pas encore entrée dans cette période trouble où elle a envoyé à l’échafaud tant de ses citoyens, mais quand même, l'affaire est d'importance ! Dans le même temps Marat qui attise la révolte et appelle au meurtre des aristocrates, semble protégé par la population parisienne et La Fayette charge un de ses proches, le Chevalier d'Hauteville devenu Victor Dauterive, jeune sous-lieutenant de dix-neuf ans de la récente gendarmerie nationale, désireux d'échapper à la tutelle familiale, de l'arrêter. La période baigne dans une atmosphère de complots où ordres et contre-ordres se succèdent de sorte que, après moult péripéties, l'affaire de l'arrestation de Marat est un échec et notre sous-lieutenant est démis de ses fonctions. Pour autant, ses investigations maintenant personnelles, émaillées d'ailleurs de nombreux meurtres et rebondissements, le ramènent vers cette histoire de cadavres sans tête.

     

    J'ai apprécié cette balade au sein de ce Paris de la fin du XVIII° siècle qui m'a toujours enchanté. L'auteur promène son lecteur alternativement dans les quartiers populaires aux rues sales et étroites, dans les bouges et les cabarets autant que dans les théâtres et dans les salons et lui fait découvrir des petits métiers aujourd'hui disparus tels que ravaudeuse, marieuse, chirurgien-barbier... Les événements troubles de cette période ajoutent au suspense et à l'intérêt de ce livre bien documenté et au style agréable qui s’attache son lecteur dès les premières pages, le tient en haleine et ne l'abandonne qu'à la fin, sans que l'ennui ait pu s'insinuer dans sa lecture. J'ai également apprécié les rencontres entre des personnages historiques et fictifs dans le cadre de ce roman, les figures d'Olympe de Gouges, bien à la hauteur de sa réputation, de Talma, de Fragonard... ne m'ont pas laissé indifférent. Même si cette technique a été largement usitée par d'autres écrivains dont cette chronique s'est souvent fait l'écho, je salue une nouvelle fois cette heureuse initiative. Je note également l'aspect culinaire du texte qui donne une dimension, certes accessoire mais plus personnelle, aux événements évoqués.

     

    Ce texte met aussi en évidence, mais ce n'est pas une nouveauté, les travers de l'espèce humaine. Il y avait certes les grandes et généreuses idées de la Révolution qui mûrissaient depuis longtemps, la volonté de changer la société, d'émanciper les gens du peuple, de leur donner cette liberté qu'ils attendaient, mais tout cela n’exclut guère la bassesse des hommes, leur duplicité, les manipulations, les délations, les trahisons, la corruption, la perfidie, l’appât du gain qui sont inhérents à la condition humaine et qui ont largement nourri les désillusions qui ont suivi… La pauvreté et l'injustice ont persisté et chacun, même parmi les révolutionnaires a cherché à préserver son pouvoir et son influence, ce qui donne une situation délétère fort bien rendue.

     

    Ce roman est baigné par une véritable intrigue policière avec parfois de fausses pistes et aussi la cohabitation de deux histoires apparemment étrangères l'une à l'autre, d'une part cette arrestation de Marat et d'autre part ces découvertes déconcertantes de corps sans tête. On passe de l'une à l'autre sans pratiquement de transition et il faut attendre la fin, sur fond de fuite du roi à Varennes, pour s'apercevoir qu'elles ont un lien entre elles. C'est aussi une réflexion sur la raison d’État, les grands principes si hautement déclarés, les décisions d'opportunité et sur le pouvoir politique et que ce roman illustre. Elle est permanente et ne saurait se limiter à cette période [« C'est donc cela le pouvoir, une succession de mensonges et de trahisons, loin des regards du peuple, bien loin du services des idées »]. Les délinquants d'hier retrouvent leurs fonctions officielles et leur pouvoir alors qu'ils ont menacé les fondements mêmes de l’État et l'hypocrisie générale recouvre de son manteau bienveillant tous leurs crimes et charge l'amnésie voire l'amnistie de les reléguer aux oubliettes de l'histoire.

     

    Ce roman historique, qui est aussi le premier de cet auteur m'a procuré un bon moment le lecture et je suivrai volontiers ses publications futures.

     

    © Hervé GAUTIER – Janvier 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]

  • OLYMPE DE GOUGES

    N°1003– Janvier 2016

     

    OLYMPE DE GOUGES Catel & BocquetCasterman écritures.

     

    Étonnant parcours que celui de Marie Gouze (1748-1793) qui prendra comme nom de plume Olympe de Gouges, fille bâtarde d'Anne-Olympe Mouisset et du marquis Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, futur académicien, mariée à seize ans elle sera veuve deux fois et à dix-huit ans pourra jouir de sa dot et d'une indépendance que sa nouvelle condition lui confère et dont elle va profiter. Elle ne se remariera plus ! Elle fut une femme de Lettres passionnée de théâtre, de politique et de liberté dans une société où une femme ne pouvait qu'être sous la dépendance d'un homme, féministe, polémiste, révolutionnaire, morte guillotinée… Son authentique et passionnante biographie est détaillée à la fin de cet ouvrage et romancée en trente et un tableaux, au long de ces quatre cents pages.

    Son parcours, de Montauban à Paris a été semé d’embûches, de rumeurs calomnieuses mais aussi de belles rencontres, de pièces de théâtre dont elle était l'actrice mais surtout l'auteure. Elle a effectivement été libre et même libertine voire scandaleuse mais a profité d'un riche amant qui lui a permis de vivre fort confortablement dans la capitale en compagnie de son fils Pierre dont elle a soutenu la carrière. Elle était cultivée, pleine d'esprit et de reparties, et douée d'une bonne plume. Elle a à la fois fréquenté les salons parisiens où elle n'a pas manqué, malgré son accent rocailleux, de s'y faire accepter et d'y briller et a fait évoluer les mentalités sur la société, l’esclavage, l'émancipation du peuple, la condition des femmes et la reconnaissance politique de leurs droits, notamment celui de voter, d'être éduquées et de divorcer. Elle a en effet pris conscience que l'affranchissement récent des hommes du peuple s'est fait aux dépens des femmes qui ainsi furent les oubliées de cette révolution. Elle est en effet à l'origine de la « déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » qui fut ignorée bien qu'elle soit dans le droit fil des idées nouvelles mais et que les révolutionnaires comme le roi, qu'elle respectait et courtisait, ont refusée. Donner le pouvoir aux femmes n'était pas dans les projets du législateur et la libération des hommes n’incluait pas celle des femmes qu'il convenait de maintenir dans leur état de subordination ancestral ! Si elle a su s'imposer dans la société de l'Ancien Régime et y faire prévaloir son talent, avec, il faut le dire, une bonne dose d'opportunisme, la Révolution qu'elle avait pourtant appelée de ses vœux, qu'elle avait inspirée et dont elle avait souhaité ardemment la réussite, fut fatale à la patriote passionnée par ses idées qu’elle était devenue. Pour elle aussi la roche Tarpéienne fut proche du Capitole, ce qui est bien souvent la rançon du succès et une des leçons de la condition humaine. Elle vécut la trahison, la palinodie des révolutionnaires, participa à sa manière à la chute de ses meneurs, se fit journaliste pour dénoncer les dérives sanguinaires de la Terreur, pris parti pour les Girondins, s’offrit à être l'avocat de Louis XVI mais fut victime de sa notoriété et de sa soif de changement.

     

    Le graphisme en noir et blanc aurait peut-être mérité un peu plus de détails notamment sur les visages.

     

    C'est un roman graphique, et non pas une BD (quoique je ne ne fasse pas bien la différence) mais ce que je retiens c'est que cette histoire passionnante se lit bien et surtout rend hommage à cette femme d'exception, fort belle, généreuse et altruiste, qui fut pleinement de son temps, fut une amoureuse de la vie, sut s'adapter à cette période troublée de notre histoire en y survivant un temps et marqua son époque.

     

    Hervé GAUTIER – Janvier 2016 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'ARMEE FURIEUSE

    N°1002– Janvier 2016

     

    L'ARMEE FURIEUSE Fred Vargas – Viviane Hamy.

     

    Un été qu'on imagine caniculaire et deux meurtres qui bien entendu n'ont rien à voir l'un avec l'autre occupent le commissaire Adamsberg. Dans la police comme ailleurs on en apprend tous les jours mais est-ce l'effet de cette touffeur estivale mais une femme du côté de la Normandie prétend avoir aperçu « l'armée furieuse » dont le policier n'a jamais entendu parler. Il n'a pas trop de l’érudition du Commandant Danglard pour apprendre qu'il s'agit d'une troupe de chevaliers nordiques qui se saisissent de criminels impunis à la recherche d'une bonne âme pour réparer leurs forfaits. Selon le commandant, cette vision est annonciatrice de mort et donc de travail pour la police, mais cette légende date du XI° siècle et tous les chevaliers n'existent plus ! D'ailleurs Herbier, un individu peu recommandable, est trouvé mort et la maréchaussée locale, par crainte ou par facilité, penche pour le suicide. Le commissaire doit avoir un faible pour la Normandie puisqu'il s'y rend pour mener sa propre enquête même s'il n'est pas dans sa circonscription. C'est que, dans le même temps, à Paris, donc chez lui, un homme influent dans le domaine économique est retrouvé carbonisé dans sa voiture et les soupçons se portent sur un jeune délinquant multirécidiviste, Momo mais Adamsberg qui le connaît n'y croit pas et va risquer gros pour faire éclater la vérité. Et puis il y d'autres meurtres et d'autres tentatives ce qui égare et déroute les policiers, un assassin insaisissable , des indices et des traces qui disparaissent ...

     

    Depuis que je lis les œuvres de Vargas, je fais la même remarque : son univers est vraiment à part, ce n'est pas un polar au sens strict du terme mais un authentique roman plein de références aux légendes et aux mythes mais aussi une études des rapports humains et de la condition humaine. Les personnages sont attachants, parfois énigmatiques, souvent seuls face à eux-mêmes encore que cette brigade ressemble à une grande famille solidaire, ce qui n'est pas pas forcément le cas dans le monde du travail ou dans le monde en général. Le lecteur parvient cependant parfois à explorer ses replis de leur âme et c'est plutôt réussi. L’étude de chaque personnalité est menée avec finesse quoique un peu dans l'ombre des principaux protagonistes mais j'aime bien que ces derniers soient marginaux par rapport à leur hiérarchie, soit originaux dans leur manière d'être ; le respect qu'ils se portent les uns les autres, la complémentarité et le dévouement dont ils font preuve sont presque rassurants. Certes il y a l'intrigue policière pour pimenter la lecture car il s'agit bien d'un triller mais c'est tout juste si elle n'est pas secondaire, presque accessoire, c'est fort bien écrit, à cent lieues du style traditionnel des polars et c'est heureux. L'érudition de certains passages ne me gêne pas, au contraire, à mon sens il rajoute de l'intérêt à l'histoire et, pourquoi pas nous apprend quelque chose. C'est que Fred Vargas est une conteuse qui s'approprie son lecteur souvent dès la première phrase et chaque enquête est une aventure ou le dépaysement le dispute à la découverte du coupable . Elle tient son lecteur en haleine jusqu'à la fin même si, pour ce roman en particulier, la lecture m'a paru parfois un peu difficile, égarée par des intrigues secondaires.

     

    Hervé GAUTIER – Janvier 2016 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • DANS LES BOIS ETERNELS

    N°1001– Décembre 2015

     

    DANS LES BOIS ETERNELS Fred Vargas – Viviane Hamy.

     

    Elle est bizarre cette histoire qu'il est difficile et sûrement inutile de résumer tant elle est compliquée. D'ordinaire, on se débarrasse volontiers d'une affaire délicate en la refilant à un autre. Ici, le commissaire Adamsberg insiste lourdement pour se faire attribuer le meurtre de deux petits dealers parfaitement inconnus mais que revendique la « Brigade des Stups ». C'est oublier un peu vite qu'il est têtu, mais têtu comme un Béarnais, ce qui n'est pas peu dire et ce d'autant plus qu'il vient de croiser un peu par hasard Ariane, la médecin légiste qu'il a connue dans une autre vie, il y a bien longtemps. Il a décidé qu'elle serait une adjointe précieuse dans cette affaire et elle lui livre effectivement des indices intéressants sur ces deux victimes. Elle réussit même à le convertir à sa théorie sur les meurtriers « dissociés » dont pourrait bien faire partie une vieille infirmière, récemment échappée d'une prison allemande, et qui, selon la légiste, ferait une coupable très présentable. Il la mettrait bien dans son lit, cette Ariane, mais ses relations avec les femmes sont compliquées, un peu comme celles qu'il a avec Camille, son épouse, la mère de son enfant mais dont il est actuellement séparé. Elle prend de plus en plus la forme et la consistance d'une ombre, un peu comme celle qui hante la maison que le commissaire a choisi d'habiter et que tout le monde évite à cause justement de ce fantôme. Obnubilé par cette idée, il ira pour autant la rechercher bien loin de Paris, cette silhouette grise qui est liée à cette affaire, à tout le moins le pense-t-il, mais toujours dans des cimetières, à déterrer des cercueils de femmes vierges.

    Comme rien n'est simple, cette enquête emmène toute la brigade au cimetière de Montrouge, à la recherche de petits cailloux et de terre logée sous les ongles des deux victimes, ce qui se traduit par l'ouverture d'une tombe et des hypothèses qui paraissent bien légères ! C'est que le commissaire Adamsberg est comme un père pour chaque membre de cette brigade qui le suit aveuglement sans poser aucune question. Les liens qui les unissent son très forts et notamment ceux qui lient le lieutenant Retancourt, une jeune femme imposante mais indispensable au commissaire depuis une aventure canadienne constamment rappelée dans ce roman. C'est aussi sans compter aussi sur le commandant Danglard, érudit alcoolique dont les connaissances étonnent toujours le commissaire et qui lui aussi à un rôle de protecteur. D'ailleurs dans cette brigade comme dans une véritable famille les agents sont solidaires et chacun protège l'autre. Comme dans chaque brigade, il y a toujours le nouveau, celui qu'il faut former et qui bien souvent entrave la bonne marche des choses par ses questions. Ici le Nouveau (avec une majuscule) c'est Veyrenc, un Béarnais lui aussi qui n'est pas exactement un nouveau puisqu'il est policier depuis quelques années déjà, a été enseignant, semble égaré dans la police avec ses cheveux bicolores, cette passion pour Racine et cette manie bien étrange de ne s'exprimer qu'en alexandrins. Est-ce une coïncidence, mais sa présence ici ne doit rien au hasard et il réveille par sa seule présence des souvenirs d'enfance que Adamsberg croyait évanouis et en tout cas qu'il aurait bien voulu oublier.

     

    On va de fausses pistes en histoires abracadabrantesques, empruntées au présent, au passé ou à l'imagination comme ces palabres incertains et apparemment inutiles sur l'os du groin de porc, l'os pénien du chat, le pillage des reliquaires religieux, la recette de la vie éternelle quêtée dans des grimoires, les bois de cerf, la recherche d'hypothétiques femmes vierges dans le département de l'Eure, l'inspiration que trouve le commissaire dans le vol des mouettes sur la Seine ou en pelletant les nuages… Bref l'enquête s'enlise chaque jour un peu plus et les policiers de la brigade doutent ! Mais après tout ce n'est pas autre chose que la réalité avec son droit imprescriptible à l'erreur. Peut-être pas tant que cela cependant puisqu'il est vrai que la vengeance se nourrit de la mémoire et la fausse piste de la mystification !

     

    On ne s'ennuie vraiment pas dans un roman de Fred Vargas et quand c'est fini ça recommence, les impasses ne sont qu'apparentes et l'auteur tient son lecteur en haleine jusqu'à la fin. C'est bien écrit et c'est passionnant.

    Hervé GAUTIER – Décembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'HOMME A L'ENVERS

     

    N°1000– Décembre 2015

     

    L'HOMME A L'ENVERS Fred Vargas – Viviane Hamy.

     

    Dans le Parc national du Mercantour, les loups ont fait leur apparition, ils venaient parait-il des Abruzzes italiennes et s'étaient multipliés en France où ils commençaient à faire des dégâts sur les troupeaux de moutons. Lawrence un Canadien taiseux, spécialiste des grizzlis était venu pour les étudier mais il ne parvenait pas à repartir chez lui, à cause paraît-il de la fascination que ces animaux exerçaient sur lui. Pas qu'eux apparemment parce qu'il partageait la vie de la jeune Camille, passionnée de musique et de plomberie. Elle ne croit pas aux loups et ne participe pas aux battues tout comme Massart, un solitaire qui travaille aux abattoirs, qui est parfaitement glabre sur tout le corps et que Lawrence soupçonne d'être…un loup-garou à cause des poils qui lui pousseraient en-dedans, un véritable homme à l'envers ! Suzanne, une femme du pays est assassinée, égorgée comme une brebis… Et Massart a disparu et fait donc un suspect idéal que Camille, accompagnée d’acolytes un peu bizarres, pourchasse au volant d'une bétaillère et ce d'autant que les meurtres et les massacres de brebis se multiplient sur un itinéraire qui semble, pour des raisons obscures, mener notre petite troupe en direction de Paris !

     

    Que vient faire dans cette histoire le commissaire parisien Adamsberg qui a bien d'autres préoccupations au demeurant. C'est que Camille, celle-là et pas une autre, n'est pas une inconnue mais au fond cette histoire un peu loufoque (sans mauvais jeu de mots) c'est bien une affaire pour lui. Il la prend donc en mains ou plus exactement en sous-main parce qu'il n'est pas dans sa circonscription et que, par ailleurs sa vie est menacée et donc qu’il doit garder l'anonymat. L'enquête semble un temps s'égarer d'autant que le flou l'entoure de plus en plus et qu'elle piétine passablement et même s'enlise, avec en toile de fond à la fois ce personnage qu'il pourchasse et qui semble lui envoyer un défi et le sourire de Camille auquel notre commissaire n'est pas indifférent.

     

    L'homme a toujours été fasciné par le loup au point qu'il l'a diabolisé où chargé d'un destin et de pouvoirs légendaires. L'auteur en profite pour revisiter le mythe du loup-garou, celui de la lycanthropie et la « bête du Mercantour » dessine peu à peu sa silhouette floue mais inquiétante et contribue à nourrir la psychose collective. En jouant sur ces peurs ancestrales, l'auteur qui est une authentique raconteuse d'histoires, parvient à tenir en haleine son lecteur jusqu'à la fin.

     

    C'est le deuxième roman de Fred Vargas parue en 1999 ; il reprend le personnage du commissaire Adamsberg, ce flic un peu marginal que ne gênent ni les ordres ni la hiérarchie et qui finalement me plaît bien.

     

    Hervé GAUTIER – Décembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LES NOUVEAUX MONSTRES (1978- 2014)

     

    N°999– Décembre 2015

     

    LES NOUVEAUX MONSTRES (1978- 2014) Simonetta Greggio - Stock.

     

    Après « La Dolce-Vita » [La Feuille Volante n° 565], Simonetta Greggio reprend le portrait de l'Italie, qu'elle avait laissé après l'assassinat d'Aldo Moro en 1978. On s'en serait un peu douté, le personnage central de ce roman, c'est la Mafia, cette pieuvre qui gangrène tout ce qu'elle touche et notamment la politique et ses cohortes de parasites véreux qui, à tous les niveaux du pouvoir, profitent d'un système juteux. La presse et même le Vatican qu'on attendrait pas forcément ici, font pression sur une population qui, même si elle n'est pas dupe, adule ses dirigeants. En 1993, au plus fort de l'été, Berlusconi était au plus haut dans les sondages, ce qui fait dire à l'auteure, certes sur le ton de l'humour, que dans ce pays « la ligne la plus droite est l'arabesque ». Celui que l'Europe entière s'accorde à regarder comme un triste pantin, inéligible actuellement, refait surface et menace la démocratie. Ici comme ailleurs, tant que les politicards ne sont pas six pieds sous terre, ils chercheront toujours à revenir sur le devant de la scène.

     

    Simonetta Greggio reprend les personnages de son précédent roman, le jésuite Don Saverio, sans doute judicieusement choisi pour les révélations qu'il fait à la journaliste d'investigation, Aria Valfonda qui est aussi sa nièce et qui a peut-être quelques ressemblances avec l'auteure. Il y a entre eux une complicité qui ira s'affirmant dans leur correspondance et leurs rencontres tout au long de ce roman. L'auteure en profite pour évoquer la mort du « Prince Malo », le demi-frère de Saverio pour mettre ce dernier face à ses états d'âme, ses doutes face aux dogmes religieux et aux règles qu'il a embrassés en prononçant ses vœux. Ce roman mêle des secrets de famille avec leur inévitable lot de révélations, non-dits, passions, violences, trahisons, jeunesse et beauté des corps mais aussi les soubresauts meurtriers de l'histoire de la classe politique de cette Italie à la botte de Cosa Nostra, la collusion entre le pouvoir et l'argent, le risque du parti communiste, la loge P2, la naissance de « Forza Italia » en 1994 à la suite de la faillite de la Démocratie Chrétienne, l'ombre inquiétante des Brigades rouges, l'attentat de la gare de Bologne et autres massacres, des mystère et des silences du Vatican dans le blanchiment d'argent omniprésent et omnipotent de la Mafia, et du rôle des papes successifs dans le grand ménage qu'il convenait de faire dans cette institution à la fois rétrograde et conservatrice... Elle met à nu les plaies de ce pays qu'on associe volontiers à la culture, à la beauté des paysages, au farniente ; on aime le peuple italien pour sa langue et son côté baroque mais les tares qu'elle dénonce entachent durablement la démocratie. Un beau gâchis ! On sent, dans les termes qu'elle emploie, et ce malgré la poésie qu'elle met dans ses descriptions, une grande indignation face à la situation de ce pays gangrené par le détournement de l'argent et des marchés publics, les malversations, les carences et la corruption au plus haut sommet de l’État... Elle l'aime passionnément comme sa patrie mais l'a pourtant quitté depuis trente ans.

     

    Il n'y a pas seulement des interrogations sur l’Église à travers ce père jésuite énigmatique et sur les agissements du Vatican, mais son questionnement s'étend aussi à Dieu, sur son silence, son indifférence face à l'injustice et aux crimes qui sont quotidiens, au culte aussi qui lui est rendu dans ce pays très catholique où les assassins pratiquent la peine de mort alors qu'elle est proscrite par les commandements et vont même jusqu'à prier pour l'âme de ceux qu'ils ont fait assassiner.

     

    Ce n'est quand même pas un roman comme les autres puisque, à la place de la traditionnelle et souvent hypocrite formule sacramentelle qui rappelle au lecteur que toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé ne serait que pure coïncidence, elle enfonce le clou et indique au contraire que cette chronique italienne colle au plus près de la réalité, donnant des noms, des dates, révélant des curriculum vitae éloquents, se livrant certes à des interprétations personnelles mais qui ont le mérite d'être pertinentes.

     

    Le style est simple, efficace, souvent poétique et agréable à lire, servant un texte toujours fort bien documenté et précis dans ses révélations et écrit directement en français. Il a constitué pour moi, comme la première fois, un bon moment de lecture.

     

    Hervé GAUTIER – Décembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • TERRE DES HOMMES

    N°998– Décembre 2015

     

    TERRE DES HOMMES Antoine de Saint-ExupéryGallimard.

     

    L’œuvre de Saint-Exupéry est indissociable de sa vie. C'est particulièrement vrai pour ce livre paru en 1939 et qui fut couronné par «  Le Prix du roman de l'Académie Française » et par le « National Book Award » sous le titre « Wind, Sand and Stars ». Pourtant ce n'est pas un roman comme« Courrier Sud » et « Vol de nuit » mais bien plutôt une sorte d'essai autobiographique écrit à la première personne, une suite de récits et de témoignages, de méditations aussi sur ses expériences de pilote. C'est son troisième ouvrage qui est une sorte de compilation d'articles écrits pour différents journaux mais rassemblés par lui sans doute à l'invitation d'André Gide qui avait préfacé et tant apprécié « Vol de nuit ». Il avait aimé en lui cet écrivain-pilote hors norme, le message qu'il portait, la façon à la fois poétique et humaine avec laquelle il l'exprimait.

     

    Saint-Exupéry y raconte ses débuts dans ce qui est l'aéropostale naissante, c'est à dire pour lui un métier mais surtout une invitation à l'aventure et à la méditation face à l'immensité et la solitude du désert. Dès la première ligne, il donne le ton de cet ouvrage « La terre nous en apprend plus sur nous que tous les livres. Parce qu'elle nous résiste. L'homme se découvre quand il se mesure avec l'obstacle.» Il évoque ses camarades, Mermoz, Guillaumet et son incontournable épopée dans les Andes comme autant de modèles, parle de l'esprit d'entraide, de l'avion qui n'est qu'un outil « comme une charrue », observe la planète, mentionne la mort qui guette les pilotes, le vide qu'ils laissent quand la camarde leur prend la vie, évoque ses relations en plein désert avec les Maures, parfois tendues, parfois hypocritement calmes. Dès lors la mission prend le pas sur le métier, elle devient un but, la raison d'être d'une vie, loin des biens matériels [« Nous nous enfermons solitaires avec notre monnaie de cendre qui ne procure rien qui vaille la peine de vivre ».]

     

    Assurant le transport du courrier entre Toulouse et Dakar à la compagnie Latécoère, il sert de médiateur entre les hommes, est comptable de leurs mots confiés au fragile support du papier, voyage sur le dos des nuages et les épaules du vent, et face aux dangers de la navigation, aux tribus insoumises, risque sa vie. Puis vinrent ses autres expériences et souvenirs, en Amérique du sud notamment, avec toujours cette célébration de l'avion, de l'effort accompli, du but à atteindre. A l'occasion d'un accident qu'il a dans le Sahara avec son navigateur André Prévot, il évoque ses craintes de la mort lente que procure la soif, le certitude de l'abandon en terre inconnue avec son cortège d’hallucinations, d'espoirs fous que tissent l’illusion des mirages quand le désert réclame son tribut et que l'eau est plus précieuse que l'or. Tout cela tisse et ressert l'amitié entre les camarades qui œuvrent dans le même but.

     

    A la lumière de ses expériences il nous invite à réfléchir sur notre présence ici-bas : La terre ne nous héberge que temporairement et il est vain de vouloir la détruire par la guerre. Dès lors il parle de la fragilité de la vie, du destin de l'homme, de ses grandeurs, de ses contradictions, de ses faiblesses, de ses embrasements pour une cause qu'il croit juste. En prenant l'exemple des religions qui agitent sous nos yeux des assurances de plénitude pour lesquels tout semble permis à quelques exaltés, ce livre prend des accents très actuels. En fin de récit, comme dans une sorte de conclusion, il jette sur le monde et sur ses habitants un regard à la fois désabusé, plein de compassions et d'espoirs malgré la guerre civile espagnole dont il a rendu compte en tant que journaliste et le conflit mondial qui se prépare et dont il pressent sans doute l'horreur. La communauté humaine qui, au nom de l'idéologie du profit ou d'un hypothétique bonheur promis, ne cesse de dresser ses membres les uns contre les autres, va à nouveau se déchirer alors qu'il y a plus à partager qu'à lutter et haïr et que notre vie est unique et éphémère. Dans cet ouvrage, il se fait philosophe, tente peut-être de rappeler l'homme à la raison, de privilégier ce qui fait sa grandeur, l'amour, la fraternité, l'obligation de vivre ensemble et donc solidaires, pour une vie meilleure qui reste cependant idéale. En remettant l'homme au centre du monde, il appelle à la paix, à l'amour et à la tolérance entre tous.

     

    Hervé GAUTIER – Décembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • VOL DE NUIT

    N°997– Décembre 2015

     

    VOL DE NUIT Antoine de Saint-ExupéryGallimard.

     

    En octobre 1929, Saint-Exupéry est nommé directeur d'exploitation de la compagnie « Aeroposta Argentina », filiale de l'ancienne compagnie Latécoère à Buenos Aires. Il doit à ce titre organiser le réseau dans l'Amérique du sud en attendant les liaisons transatlantiques avec Dakar. Didier Daurat, le patron, avait, dès 1928 décidé que les avions voleraient la nuit pour conforter l'avance gagnée dans la journée sur les bateaux et les trains. Ainsi, le service nocturne doit-il être poursuivi coûte que coûte même s'il comporte des risques. Ce roman se nourrira de cette expérience.

     

    L'auteur met en scène Rivière, le chef d'escale qui fait exécuter ses ordres sans considération pour la mort d'un pilote, pour un cyclone qui menace et qui se montre intransigeant en licenciant un vieux mécanicien pour une faute vénielle. Ce qui compte c'est la rapidité, la rentabilité [« C'est pour nous une question de vie ou de mort... »]. La mission doit prévaloir sur les hommes, l’acheminement du courrier est sacré et ce devoir transcende ceux qui l'accomplissent [« Il s'agit de les rendre éternels »]. Il n'admet ni la faiblesse ni la défaillance même si au fond il aime ceux qu'il commande. Rivière est plus qu'un directeur d'escale, c'est un chef au sens militaire du terme qui motive les hommes qui travaillent sous son autorité, sous sa responsabilité. Pour lui le bonheur de l'homme réside dans l’acceptation du devoir. Dans son opinion son métier est une sorte de sacerdoce et il considère sa fonction comme celle qui consiste à leur insuffler un idéal alors que pour eux, pilote pouvait seulement être un métier. Dès lors, le roman, c'est à dire l'histoire racontée au lecteur, passe-t-elle au second plan au profit de l'étude de caractère. Rivière ressemble-t-il à Didier Daurat à qui ce livre est dédié ou révèle-t-il l'idée que se fait Saint-Exupéry de l'homme et de son devoir ? Pour lui l'action doit prendre le pas sur les personnes avec leurs préoccupations et la véritable liberté est en réalité l'acceptation librement consentie du règlement qui « est semblable aux rites d'une religion qui semblent absurdes mais façonnent les hommes ». Rivière se révèle un entraîneur d'hommes, quelqu'un qui est capable d'inviter ses pilotes à se surpasser. Il reste le directeur face à tous et seul en charge de l’acheminement du courrier. Quand une mission est réussie, il est satisfait mais ne le montre pas et sait rester froid face à l'épouse de Fabien, le pilote disparu de « La Patagonie ». Lui, même s'il est ému par cette disparition, reste inflexible, incarne l'autorité tandis que cette femme, cette jeune mariée qui portait en elle l'espoir, l'amour et le bonheur est maintenant une veuve désemparée dont la beauté ne pèse rien face à la mort de son mari.

     

    Ce qui est célébré ici, c'est aussi l'aventure, le courage, avec son lot de risques, de responsabilités et avec en point de mire le sérieux du devoir accompli. Il est cependant possible de s'interroger sur le bien-fondé de toute cela, de se demander si la vie humaine n'est pas plus importante que tout. Rivière lui-même, idéaliste et même un peu surréaliste, s'interroge, ouvre un débat intimiste et conclue pour lui-même d'une manière existentielle «  Le but peut-être ne justifie rien, mais l'action délivre de la mort ». Saint-Saint-Exupéry, dans un exemple révélateur, en présence d'un accident survenu à un ouvrier sur un chantier, se demande si un visage écrasé vaut qu'on bâtisse un pont et qu'ainsi la circulation soit facilitée. Sa mort énigmatique peut parfaitement s'expliquer dans cette simple phrase. Dès lors toute la vie d'un homme, qui n'est finalement qu'un bref passage sur terre, trouve-t-elle sa signification non pas tant dans un but poursuivi mais dans la démarche entreprise, pour peu qu'elle soit sérieuse parce que, simplement, elle lui permet non pas d'éviter la mort, ce qui est humainement impossible, mais d'imprimer sa marque dans ce monde et d'y laisser une trace pérenne et exemplaire.

     

    Le Style est simple, direct dans fioritures, poétique dans les descriptions, lyrique dans les méditations. Est-ce l'appréciation laudative d'André Gide dans la préface qu'il fit de ce roman court ou est-ce cette évocation magistrale de l'aventure humaine authentique qui ont séduit les dames du Jury Fémina qui lui ont décerné leur prix en 1931 ? L’œuvre d'Antoine de Saint-Exupéry est indissociable de sa vie, ses expériences d'homme, d’humaniste et l’idéal qu'il portait en lui transparaissent dans ses livres.

     

     

    Hervé GAUTIER – Décembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • COURRIER SUD

    N°995– Décembre 2015

     

    COURRIER SUD Antoine de Saint-ExupéryGallimard.

     

    C'est le premier roman de Saint-Ex, paru en 1929, qui reprend le thème d'une nouvelle, « L'aviateur » parue en 1926. Jacques Bernis est un pilote qui travaille pour l'aéropostale et voyage de Toulouse à Dakar. Son travail lui permet d’oublier ces années d'après-guerre marquées par la monotonie, son avion est un peu son havre de paix. Il a rencontrée Geneviève, ce qui lui permet de voir l'avenir autrement, mais cette dernière est mariée et l'existence aventureuse qu'il lui propose ne lui convient guère, ce qui provoque leur séparation malgré l'amour qu'il ressent pour elle. St -Ex complique un peu les choses en faisant de Geneviève une femme mariée dont le fils meurt à cause peut-être de ses frivolités. C'est également l'époque où Louise de Vilmorin rompt ses fiançailles avec St-Ex , sans doute pour ces mêmes raisons.

     

    C'est un roman évidemment autobiographique où non seulement l'auteur parle de la solitude du pilote mais aussi des dangers qu'il court dans les avions peu sécurisés, sans cartes précises et sans radio, souvent à la merci des éléments et dans des zones insoumises où il risque sa vie. Saint-Ex est à cette époque chef de station à Cap Juby, dans le Maroc méridional, pour le compte des lignes Latécoère, comme Jacques Bernis, le personnage central de son roman qui achemine le courrier vers l’Amérique du sud. St Ex s'y ennuie ferme et jette sur le papier ce qui sera le thème de ce livre. Comme c'est souvent le cas, une première œuvre, contient en filigrane au moins une partie de ce qui suivra. Le désert l'inspire et « Le petit Prince » naîtra de ces années passées à le survoler. En 1929, il partira pour l'Amérique du Sud avec Guillomet et Mermoz et écrira « Vol de nuit ». De même, plus tard, son travail de reporter nourrira ses romans comme « Terre des hommes » et de son engagement dans le conflit naître « Pilote de guerre ». La fascination pour les avions qu'il ressent dès l'enfance baignera son œuvre d'écrivain autant qu'elle animera sa propre vie de pilote pendant la guerre, jusqu'à sa mort mystérieuse en juillet 1944.

     

    Il y a dans ce livre beaucoup de poésie mais aussi une sorte de profession de foi. L'auteur est alors âgé de 29 ans et célèbre ainsi son nouveau métier, celui de transporter « un courrier plus précieux que la vie » par delà les océans, l’obsession du travail bien fait malgré les difficultés, l'intuition d'être investi d’une mission et peut-être celle aussi de l'amour impossible. Il y a derrière les mots ses angoisses existentielles, celle de la solitude, de la nostalgie de l'enfance, de la mort qu'il traîne depuis son plus jeune âge et qui ne le quitteront plus. Il est un écrivain qui a parlé de son dangereux métier avec passion, comme un homme d'action et de devoir, comme un humaniste aussi et qui reste dans la mémoire collective comme une référence.

     

    Cette première œuvre sera un succès qui décidera de la carrière d'écrivain de St-Ex.

     

     

    Hervé GAUTIER – Décembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • FEMME AU FOYER

    N°996– Décembre 2015

     

    FEMME AU FOYER Jill Alexander Essbaum – Albin Michel.

    Traduit de l'américain par Françoise du Sorbier.

     

    Anna est une jeune zurichoise d'origine américaine, mère de famille de 37 ans un peu déracinée, perdue dans une Suisse adoption, dépressive mais qui s'occupe de ses trois enfants et de Bruno son mari, par ailleurs banquier, bref « une bonne épouse, dans l'ensemble ». Elle passe donc sa vie dans une sorte de cocon confortable même si celui-ci génère pour elle une sorte d'ennui, de solitude, une forme de bovarisme que la psychiatrie peine à guérir et à expliquer à travers l'interprétation de ses rêves et les révélations qu'Anna distille avec parcimonie. Cela c'est pour les apparences qu'on aime, en Suisse comme ailleurs, faire prévaloir surtout si elles cachent quelque turpitude, ni plus ni moins que de l'hypocrisie.

     

    C'est que, quand une femme a ce qu'elle peut espérer de la vie, elle cherche évidemment autre chose et souvent cela prend la forme classique d'un amant, souvent un inconnu qui ne fera qu’un bref passage dans sa vie. Anna n'échappe pas à cela, elle dont la jeunesse était peuplée de fantasmes érotiques, de volonté de séduction et dont le mariage s'est peu à peu enlisé dans la routine, la facilité et la dépendance financière ; Cet épisode sonne donc comme un point de passage obligé, inévitable. Ici on sent bien que tous ces amants n'ont aucun attachement sentimental pour Anna. Ils ne ressentent rien d'autre pour elle que des envies bestiales [il y a dans ce roman des images, des scènes à la limite de la pornographie]. De son coté, Anna est passive et on a l’impression qu'elle vit ces relations, non pour se donner l'illusion de la jeunesse et de la séduction retrouvées, mais pour pimenter une vie familiale étouffante, pour se dire qu'elle a tout simplement des amants, qu'elle vit des situations dont toute femme mariée rêve parce qu'elle transgresse un interdit, qu'elle veut se faire peur, souhaite inconsciemment être découverte ou simplement veut explorer un terrain inconnu et peut-être fascinant. A aucun moment, je n'ai senti Anna vivant ces toquades dans le seul but de changer radicalement de vie et d'épouser ses amants. D'ailleurs le destin de telles liaisons amoureuses est de s'inscrire dans un temps très court, d'être vouées au seul plaisir sexuel mais dans le secret espoir qu'elles ne bouleversent pas par un divorce puis un remariage une vie établie. C'est un peu comme si Anna, ayant tourné la page de ces « moments », souhaitait revenir au bercail, comme si rien ne s'était passé. Il est évident qu'une telle séquence ne peut pas ne pas laisser de traces et qu'il est évidemment tentant de faire porter à son mari la responsabilité de ses propres trahisons, surtout si elle n'a rien de véritablement important à lui reprocher et si elle fait bon marché de sa culpabilité. Dès lors on se perdra en conjectures sur les raisons d'une telle attitude adultère. Est-ce la volonté de tout détruire autour d'elle, de ridiculiser un mari trop amoureux d'elle ou trop confiant au point de ne rien voir de son cocuage, de se singulariser par rapport à la famille traditionnelle, d'hypothéquer l'avenir, de faire dans la provocation, de vivre quelque chose de différent, d'entrer de plain-pied et de s'installer dans une situation délétère qui ne peut, à terme, que se retourner contre elle et saper durablement l'avenir de ses propres enfants ? Il est évidemment préférable de ne rien expliquer et de poursuivre cette attitude nuisible, en se disant que seules comptent sa propre liberté et son envie de jouir de la vie et que le reste n'a aucune importance même si tromper son mari c'est aussi se moquer de ses propres enfants. Cette situation met certes Anna en face de son dégoût d'elle-même, de ses faiblesses, de sa passivité, de sa volonté irrationnelle de sanctionner ses proches et la révèle telle qu'elle est, un nymphomane prête à écarter les cuisses pour le premier venu et à en garder le secret, exactement l'inverse de l'image de la mère de famille qu'elle souhaite donner à voir. Quand, grâce au hasard, le dieu des malchanceux qui finit toujours par se manifester, Bruno ne pourra plus rien ignorer de la vie de gourgandine d'Anna, même s'il s'était fait une autre idée de cette femme, il en sera jaloux, ressentira de la honte pour lui-même mais surtout méprisera celle qu'il a choisie pour être son épouse et la mère de ses enfants et qui l'a si facilement trompé. Il s'en voudra lui-même de ce choix, autant pour lui que pour les autres, souhaitera sauver les apparences en privilégiant l’hypocrisie, demeurer auprès de ses enfants qu'il aime, que sais-je ? Mais sa réaction sera à la hauteur de sa déception. Bien entendu il aura des doutes sur sa paternité, se sentira atteint dans son ego, sortira de cette épreuve meurtri voire détruit, se demandera ce qu'il a bien pu faire pour mériter une telle sentence et en plus devra faire face aux arguties de cette femme qui cherchera par tout moyen à taire, à nier, ou à minimiser ses fautes, jusque et y compris en lui en imputant la responsabilité.

     

    Ce roman qui se déroule sur trois mois mais avec de nombreuses analepses, va plus loin qu'une histoire sentimentale ou qu'un banal adultère. L'auteur y introduit une dimension dramatique qui n'emprunte malheureusement pas son déroulement à la seule imagination, comme si la morale ou une quelconque divinité aveugle réclamait réparation de cette faute répétée sans se soucier de ceux qui, malgré leur naïveté, leur innocence, paieraient également un péché pour lequel ils ne sont pour rien.

     

    Je n'ai pas vraiment adhéré aux considérations de l'analyste dont le discours jungien est plein de nuances et de questions puisque Anna a la volonté de vivre ces passades sans vraiment vouloir les lui révéler ni les expliquer même si la personne de Steve ou plutôt son fantôme, hantait ses séances d'analyse. Je n'ai pas non plus goûté les subtilités grammaticales de la langue allemande que je ne parle malheureusement pas, non plus que les variations sur la mort, l'enfer avec ses flammes et le paradis avec son lénifient et contestable discours religieux qui sont censés y succéder. Elles sont pourtant intimement liées à cet ouvrage et éclairent cette part d'obscurité que chaque être porte en lui. Ce roman au style direct, réaliste et sans fioriture est aussi une longue variation sur l'amour et le désir sexuel, la famille et les passades, les amitiés de façade et la solitude. On ne sait pour autant pas pourquoi le mariage d'Anna et de Bruno est un échec au point qu'elle l'exorcise à travers une telle activité sexuelle de contrebande ni pourquoi elle est à ce point contradictoire et ambivalente. Cela peut s'expliquer par la génétique, la volonté de faire souffrir, de régler des comptes anciens et inavoués ou simplement par l'envie d'être différente ou d'ignorer son entourage. D'autre part, il y a toujours le regard extérieur, celui de sa belle-mère, Ursula, dont on comprend vite qu'elle a des doutes sur la fidélité de sa bru, celui de la psychanalyste aussi qui devine tout, malgré les révélations laconiques d'Anna mais qui finalement ne fera rien pour elle.

     

    Le livre est un univers douloureux et l'écriture est souvent revêtue par l'auteur de fonctions cathartiques, de contrition voire de rédemption. On peut toujours donner une dimension autobiographique à un tel texte qui m'a paru passionnant, pertinent du début à la fin dans l'analyse de personnages, des situations, des sentiments décrits. La lecture des « remerciements » m'a paru révélatrice. Alors ? Anna est-elle vraiment « une bonne épouse, dans l’ensemble » ?

     

    Avant que Babelio dans le cadre de « Masse critique » et les éditions Albin Michel ne me fassent parvenir cet ouvrage, ce dont je les remercie, je ne connaissais pas cette auteure américaine dont c'est le premier roman. Cette lecture passionnante du début à la fin m'incite à explorer son œuvre à venir.

     

    Hervé GAUTIER – Décembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • ZONE

    N°994– Novembre 2015

     

    ZONE Mathias Enard – Actes Sud.

     

    Dans un train qui va de Milan à Rome, Francis Servin Mirković, emporte avec lui une valise pleine de renseignements importants et compromettants sur des trafiquants d'armes et autres criminels de guerre et qu'il compte vendre à un représentant du Vatican. Il les a accumulés au cours de quinze années d'une carrière d'espion dans ce qu'il appelle sa « Zone », en réalité des théâtres de guerre, l'Algérie, le Proche-Orient, les Balkans dans lesquels il a combattu volontairement. Avec cet argent et un nouveau nom, il espère mener une nouvelle vie, abandonnant derrière lui la précédente faite de tortures et de mort avec peut-être l'amour hypothétique d'une femme. Bercé par le roulis des boggies, il laisse son esprit remonter le temps, revisiter sa jeunesse militante aux cotés de l'extrême-droite, fascinée par les idéologies violentes, ses aspirations militaires, son idéal, ses certitudes, ses combats, sa participation au carnage, marchant en cela sur les traces d'un père que les les événements d'Algérie ont transformé jadis en tortionnaire. Entre analepses et digressions, le narrateur revient sur sa vie solitaire et désespérée, encombrée de souvenirs où la violence voisine avec la mort, où les idéaux de liberté et les certitudes religieuses sont rapidement balayés par le goût du sang. Il se souvient de ses trahisons, de ses délations et de sa responsabilité dans la mort d'innocents. Lui reviennent aussi, mêlés à l'histoire et à ses réminiscences mythologiques, les moments dérisoires de son enfance, ses amours calamiteuses, ses pérégrinations imposées par son « métier de l'ombre », les visages grimaçants de haine de ses compagnons d'armes capables de violer, d'égorger, de décapiter, de tuer d'autres hommes en raison de leur religion, de leur nationalité ou de leur couleur de peau, le visage tutélaire du père, le veuvage de sa mère camouflé sous l'hypocrisie des convenances.

     

    Je respecte toujours le travail d'un auteur mais rien ne m'irrite plus que des phrases démesurées parce que mes études et mes lectures m’ont appris à aimer la concision en la matière et peut-être à la pratiquer moi-même. Dès les premiers paragraphes de ce roman de 500 pages, avare de cette ponctuation qui est la respiration du texte, je me préparais donc à connaître ce genre d'étouffement qui généralement me précipite dans l'ennui et l'abandon du livre (J'ai déjà noté dans cette revue cette pratique un peu gênante de l'auteur). Pourtant, j'aime bien l’œuvre de Mathias Enard pour sa riche érudition, son intérêt documentaire et artistique, pour son style direct et sans fioriture aux accents parfois céliniens, cette chronique en fait foi, et c'est sans doute ce qui m'a fait dépasser ce problème d'architecture littéraire et qui, à mon grand étonnement, m'a fait oublier ce qui d’ordinaire provoque un rejet, gommant un peu cette sensation de suffocation, imposant son rythme propre... [il est vrai que certains passages sont écrits plus classiquement] J'ai retrouvé sous sa plume cette silhouette de l'homme à qui l'on prête hypocritement des qualités dont il est si tragiquement dénué, la figure du père qu'on pare de toutes les vertus dès lors qu'il est décédé, comme si la mort lavait d'un coup toutes ses avanies et trahisons et qu'on chargeait la mémoire de les rédimer. Le narrateur note d'ailleurs que l'histoire de l'humanité est davantage jalonnée de guerres, de destructions, d'exactions, d'exterminations que de créations artistiques. A coups de références culturelles et historiques mais aussi d'exemples individuels, il ravive la mémoire collective, rappelle que, depuis la nuit des temps, l'homme, au nom de l'idéologie, d'une volonté de puissance, d'expansion territoriale quand ce n'est pas d'enrichissement personnel, mène des guerres exterminatrices de sa propre espèce, encouragées et bénies par les religions qui ainsi oublient opportunément le message de paix et de tolérance qu'elles sont censées porter. Il ne faut pas oublier non plus cette traditionnelle mais inévitable amnésie qui caractérise cette même espèce humaine, prompte à s'enflammer pour de grandes idées mais aussi capable de se livrer à une destruction systématique de ses semblables mais qui ne résiste pas à l’appât du gain surtout s'il en va de son intérêt, en s'asseyant sur des charniers et en brûlant un cierge à l'hypocrisie.

     

    Ce n'est pas un roman qu'on lit pour tuer le temps, c'est un regard désabusé jeté sur l'humanité, un monologue oppressant dans ses révélations, une confession qui, au rythme de la progression du train, tisse, avec pour toile de fond la vie délétère et solitaire du narrateur, une sorte d'épopée tragique d'un homme qui souhaite tourner la page sur sa vie d'avant et nouer une relation traditionnelle et rangée avec une femme si toutefois il en trouve une.

     

    Hervé GAUTIER – Novembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • FABLE D'AMOUR

    N°993– Novembre 2015

     

    FABLE D'AMOUR Antonio Moresco- Éditions Verdier.

    Traduit de l'italien par Laurent Lombard.

     

    Comme le titre l'indique, c'est une fable, il n'y a donc rien d'étonnant à ce qu’elle commence par la traditionnelle formule qui fait toujours rêver « Il était une fois »…Il y est question d'un clochard, Antonio, un de ces hommes sans visage qui tendent la main et dont on évite de croiser le regard dans la rue. Son seul ami est un pigeon blessé qui servira de passeur dans cette histoire et avec lequel il partage sa maigre pitance glanée dans les poubelles de la ville. Ils ne parlent pas le même langage mais ils se comprennent. Comme dans toute les fables il y a du merveilleux et celui-ci a le visage d'une jeune fille, Rosa, qui l'arrache sans raison à l'enfer de la rue, change sa vie et devient son amante. Elle est aussi belle qu'il est laid, aussi resplendissante qu'il est transparent. Bref, ils ne se ressemblent pas. Alors pourquoi lui et pour quelle raison sa vie change-t-elle ainsi du jour au lendemain, la fable ne le dit pas. Veut-elle faire une bonne action, vivre un rêve personnel, s'acheter une bonne conscience ou est-elle à ce point possédée par cette culpabilité judéo-chrétienne qui inspire souvent nombre de nos actions ? Ce qu'elle dit en revanche c'est que la chance tourne pour Antonio et sans plus de raison qu'avant, Rosa se désintéresse soudain de lui, le précipite dans sa vie d'avant faite de peur, de faim, d'insécurité. Il s'ensuit sous la plume de l'auteur une violente diatribe contre les femmes, leur inconstance, leurs fourberies, leurs trahisons mais aussi contre les hommes, leur suffisance, leur naïveté, bref contre la nature humaine qui ne vaut décidément pas cher, capable de tout détruire autour d'elle et même l'amitié comme l'amour ne résistent pas à ses attaques. Toutes ces grandes idées généreuses et altruistes ne pèsent pas bien lourd, ne sont que du vent et Antonio prend soudain conscience de cette cruauté. Pourquoi fait-on ce qu'on regrette ensuite, comment change -t-on au point de devenir quelqu'un d'autre que soi-même on ne reconnaît plus ?

     

    C'est un conte semblable à celui de notre enfance, un conte de fée, celui du Prince Charmant et de la petite mendiante qui l'épouse, ils s’aiment, sont heureux et ont beaucoup d'enfants selon la formule consacrée, sauf que là les rôles sont inversés, comme si cela était la prise en compte du changement de la société et que ce texte s'adresse aux adultes. Comme nous sommes dans le domaine du merveilleux, l'auteur nous fait voyager au-delà de la vie. Pourquoi pas ?

     

    Le livre refermé qu'en reste-t-il ? Comme celles de La Fontaine, cette fable a une morale, cette histoire se termine bien et l'auteur tient a son « happy end ». Ce que je retiens cependant, c'est cette image de la nature humaine, capable du meilleur comme du pire, surtout du pire, qu'il ne faut se fier ni aux apparences ni aux certitudes, que l'homme est un prédateur pour ses semblables, que l'amour n'existe pas, que tout ce décor qu'on voudrait idyllique n'est qu'une illusion, qu'il n'y a pas de havre de paix, même dans la mort, que Dieu n'existe pas davantage que les hommes généreux, qu'il n'y a pas de paradis, que l'enfer est ici, qu'il n'y a rien à espérer que la solitude et que la mort. Bien sûr, cela se termine bien sinon ça ne serait pas une fable sans cela, mais ça ne me fera pas changer d'avis sur la nature humaine. Face aux réalités de cette vie, j'aime bien me réfugier dans les livres pour voir le monde autrement, même si l'image qu'ils en donnent n'est pas la bonne, mais là j'ai quand même été un peu déçu.

     

    Hervé GAUTIER – Novembre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com