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La place
- Par ervian
- Le 21/10/2016
- Dans Annie ERNAUX
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La Feuille Volante n°1077 – Octobre 2016
La place – Annie Ernaux – Gallimard.
Annie Ernaux qui a fait du moindre événement de sa vie le moteur de son écriture nous livre ici un moment émouvant, celui de la vie et de la mort de son père. De lui ne subsisteront que quelques photos, des souvenirs personnels qui peu à peu se dissiperont dans son entourage amical et professionnel, puisque c'est le propre de l'espèce humaine que d'oublier. Ceux de sa famille se transformeront petit à petit et on ne retiendra que les bons moments en gommant les mauvais. Pour chacun de ses proches, à mesure que le temps passera, il fera partie de cette catégorie d'hommes qu'on regrette, qui avait toutes les qualités. D'ailleurs, le jour des obsèques déjà on le pleure amèrement et on n'oublie pas de prononcer la traditionnelle phrase selon laquelle « ce sont les meilleurs qui s'en vont », c'est agréable pour ceux qui restent et qui font ce qu'ils peuvent pour ne pas faire du tort à leurs voisins. Le curé lui-même s'en mêle et en rajoute, même si le défunt ne mettait jamais les pieds à l'office. Après tout, à la campagne, cela fait partie de la tradition de passer par l'église avant d'être enterré. A défaut d'être douce, ce fut une mort rapide, sans agonie.
Parce que sa fille est écrivain, elle va, et c'est bien normal, graver avec des mots, le souvenir de ce père en faisant de lui le personnage central d'un texte court qui résumera sa vie. Il n'y aura là aucune fiction, simplement les faits marquants de son existence, à tout le moins elle n'échappe pas au phénomène d'embellissement des choses que d'ordinaire chacun adopte malgré lui. Elle va donc refaire sa vie à l'envers en commençant par une rapide évocation de ses parents, des gens rudes. Il fut d'abord garçon de ferme jusqu'au service militaire qui le « sortit de son trou » et lui fit voir le monde au point qu'il décida de devenir ouvrier, ce qui, à l'époque et pour quelqu’un de la terre constituait une évolution. Puis ce fut un parcours presque ordinaire, le mariage, l’achat d'un petit commerce, un café-épicerie en Normandie, le retour à la situation d'ouvrier parce que la rentabilité n'était pas au rendez-vous, laissant la boutique à son épouse, pour reprendre ensuite un nouveau commerce. Ce parcours fut honnête et sérieux, avec la fierté d'être un homme ordinaire, bon époux, le bon père d'une famille qui fait son chemin malgré les vicissitudes et les privations de la guerre, qui pratique quotidiennement le travail sans relâche, l'économie, rejette le gaspillage, en particulier de la nourriture. Ici on est attentif à l'avis des voisins qui observent et commentent, on sait garder sa place, rester soi-même sans verser ni dans le vice, notamment de la boisson, ni dans l'ostentation, soucieux de donner à voir une bonne image. Son père était un homme gai et bon vivant qui malgré tout était demeuré « un homme de la campagne » qui supportait en silence le deuil de sa fille aînée, ne fréquentait pas l'église mais mettait Annie chez les Sœurs, parce qu'il voulait qu'elle soit mieux que lui. Il faisait partie de ces gens modestes, de ces braves gens et souhaitait pour leur fille une bonne situation que les études, à l'heure où toutes les filles de son âge travaillaient déjà, lui permettaient d'espérer être quelqu'un et surtout pour qu'elle ne se marie pas avec un ouvrier. Il y avait entre la narratrice et sa mère une sorte de complicité ne serait-ce qu'en raison de la similitude des sexes, mais avec son père c'était différent, surtout quand elle eut acquis un niveau d'études qui dépassait de beaucoup celui de ses parents. Non seulement elle quittait définitivement leur monde mais elle en vint à cette réalité brutale envers son père que pourtant elle respectait et aimait « J'écris peut-être parce qu'on n'avait plus rien à se dire ». Même si cela peut paraître brutal, cela peut-être une motivation de l'écriture. A la soixantaine, la maladie et l'opération l'ont laissé inerte, déléguant le travail de force à son épouse, une culpabilité en plus de celle de coûter cher. Pour sa fille, le mariage avec un homme de la grande bourgeoisie a achevé d’éloigner Annie de ses parents mais signifie pour eux et pour son père en particulier une réussite . Puis ce fut la mort rapide, inévitable. Ce portrait, la narratrice aurait pu le faire à l'occasion d'une rédaction de l'école primaire.
La vie d'Annie Ernaux, et ici de sa famille, nourrit son œuvre. Elle a choisi cela en délaissant la fiction, même si cette dernière cache toujours un peu de soi-même, privilégiant le solipsisme qui est courant chez les écrivains. Elle choisit de ne pas se cacher derrière un personnage, de ne pas « avancer masquée ». Je respecte cette manière d'écrire même si elle s’apparente un peu à la démarche des « people » qui m'énerve un peu quand ils éprouvent le besoin de faire connaître au plus grand nombre leur dernière toquade. Au moins ici, cela me procure-t-il un bon moment de lecture tant son style est fluide, poétique, agréable malgré parfois une certaine dureté, image de la réalité dont elle entend témoigner. Il n'empêche, l'écriture est un phénomène complexe entre catharsis, exorcisme, résilience, mémoire, hommage, c'est un point de passage obligé pour un écrivain qui prend la plume comme un autre prendrait une photo pour fixer des souvenirs personnels. Ce n'est pas seulement aligner des mots et noircir des feuilles pour le plaisir, cela demande du temps et l''accouchement est parfois difficile et souvent long. Comme elle le dit « la mémoire résiste » et ce malgré les odeurs et les sons que le temps porte en lui-même ; les mots aussi se défendent parce que ce matériau ne se laisse pas facilement approcher et encore moins utiliser. C'est aussi sans compter avec l'insatisfaction de l'auteur devant le résultat de son travail.
Ce récit annonce ceux qu'elle consacrera à sa mère quelques années plus tard, « Une femme » et « Je ne suis pas sortie de ma nuit »
© Hervé GAUTIER – Octobre 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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le désert des Tartares
- Par ervian
- Le 17/10/2016
- Dans DINO BUZZATI
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La Feuille Volante n°1076 – Octobre 2016
Le désert des Tartares – Dino Buzzati – Robert Laffont.
Traduit de l'italien par Michel Arnaud.
Giovanni Drogo est content, il vient d'être promu officier au sortir de l'école militaire… Depuis le temps qu'il attendait cela ! C'est pour lui le commencement de la vrai vie, celle d'un soldat, d'un combattant qui va se couvrir de gloire... Oubliés des chambrées glaciales, les réveils en plein hiver, les corvées...Il est maintenant lieutenant et a reçu sa première affection pour le Fort Bastiani qu'il rejoint après une longue chevauchée. Il a le temps d'imaginer les lieux où il doit rester plusieurs mois mais quand il est enfin arrivé, il constate que l'édifice est plutôt modeste, vieux et surtout situé sur une frontière désertique, défend un col où il ne passe jamais personne, bref dans une contrée désolée, au milieu de nulle part, inquiétante même. Pourtant l'ennemi est toujours présent et menace, c'est à tout le moins ce qui se dit. D'emblée le paysage exerce sur Drogo une véritable fascination et, alors qu'il avait eu le projet de ne rester que quatre mois et d'en partir sous un faux prétexte médical, il choisit d'y rester. Au bout de deux années, il se passe enfin quelque chose, mais rien en tout cas de ce que peut espérer un soldat valeureux qui désire se battre. Il doit se contenter de rêver à des actions héroïques improbables. Il y eut bien quelques occasions où le destin aurait pu être favorable à ses espoirs de gloire, mais finalement ce ne furent que de fausses alertes et il retomba dans sa léthargie coutumière. Au bout de quatre années de présence au fort, Drogo obtient enfin une permission, part pour la ville mais s'y sent maintenant étranger comme il l'est à sa mère et à Maria, son amour de jeunesse. La garnison du fort est réduite mais il reste à son poste et au bout de quinze années, alors qu'il a été promu capitaine, il croit pouvoir enfin se battre puisque l'ennemi se manifeste, mais en vain. Au bout de vingt ans de service au fort, il est commandant et alors qu'il pourrait être relevé il ruse avec les certificats médicaux pour demeurer ici alors qu'il est miné par la maladie. Ce n'est qu'au bout de trente ans de présence que l'ennemi se décide enfin à attaquer mais Drogo, épuisé et malade doit être rapatrié et ne combattra pas sinon contre sa propre mort.
Drogo ne fait pas autre chose qu'attendre une attaque ennemie devenue mythique tant elle tarde. Pire peut-être, il est frustré de ses espoirs de combats et de gloire par la maladie et assiste impuissant à la montée en ligne de jeunes officiers ambitieux qui auront l'opportunité de combattre et de se distinguer. Le plus étonnant sans doute c'est que, malgré l'inconfort et l'austérité de la vie militaire, la routine parfois absurde du règlement et la dureté du quotidien dans cette contrée dépouillée, Drogo choisit de son plein gré d'y demeurer, animé du seul espoir de se battre qui occupe constamment son esprit et ce malgré la peur de cet ennemi invisible. Est-ce le décor ou l'ambiance générale du lieu mais chacun, dans cet univers étrange qui suscite une sorte d’hystérie collective, semble vivre dans une sorte d'expectative. J'y vois à titre personnel une manifestation du destin contraire qui, sous les formes les plus diverses et quoique nous fassions pour réaliser nos rêves, se trouvera constamment en travers de votre route au point qu'au bout du compte, et malgré toute votre bonne volonté, nous finirons nous-mêmes par culpabiliser et par nous dire que nous n'avons pas fait tout ce qu'il fallait. Ces choix que nous faisons, en croyant de parfaite bonne foi qu'ils sont bons pour nous, pour notre vie et notre avenir, se transforment en désastre. Pour nous rassurer, nous finissons par nous dire que soit nous n'y sommes pour rien soit ils étaient finalement une erreur que bien entendu nous ne referions pas, que les événements nous ont été contraires... Complémentairement au thème de l'échec, c'est aussi celui de l’incertitude face au quotidien, celui aussi de l'espoir déçu. Tout cela distille une atmosphère de déréliction qui gagne chacun face à « la ville » qui, exerce, avec les femmes et les plaisirs une sorte de fascination mais Drogo choisit pourtant de la fuir, étranger qu'il est désormais à sa vie d'avant. Même sa mère et son amour de jeunesse ne lui suffisent plus, seuls le désert et ses espoirs fous d’héroïsme le maintiennent en vie. La fuite du temps est aussi un sujet qui est particulièrement marqué dans ce texte par l'attente interminable de Drogo qui finit par se demander ce qu'il attend réellement. Il finira pas admettre que c'est sa propre mort et face à cela il prendra conscience de sa déchéance physique, de l'inutilité de sa propre vie. Cette œuvre, inspirée à l'auteur par son travail routinier de journaliste au « Corriere della serra », parue en 1940, est écrite dans un style somptueux. Elle est émaillée de passages poétiques et a une dimension philosophique étonnamment humaine au point qu'elle a inspiré films et chansons et a rendu Dino Buzzati célèbre dans le monde entier.
En effet, dès lors que nous venons au monde, la seule certitude est que nous le quitterons. Entre ces deux dates, destin, liberté, volonté individuelle, hasard, malchance, fatalité, divinité... , en fonction de nos croyances, orienteront notre quotidien et dessineront les contours de notre vie. Bien souvent, la constatation est négative et nous nous disons que cela n'a pas fonctionné comme nous aurions voulu, que, pour parler avec Aragon « Rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force, ni sa faiblesse ni son cœur ». A l'heure du bilan, il nous appartiendra, et à nous seul, d'apprécier notre parcours et nous pourrons toujours nous dire que les événements n'ont pas été à la hauteur de nos ambitions, que nous n'avons pas été là au bon moment, que nos choix, pourtant faits de bonne foi, se sont révélés contraires...C'est finalement l'image de l'absurde de la vie et de la guerre, de la vanité de l'existence, des espérances et des entreprises humaines qui est ici illustrée.
Au terme de ce passionnant roman Drogo sourit, ce qui est pour le moins énigmatique. Après avoir pris conscience que son parcours sur terre était un fiasco, qu'il l'avait mené en attendant un événement qui n'était pas arrivé, peut-être a-t-il conclu qu'il valait mieux traiter par le mépris cette comédie qu'est la vie. A-t-il regardé cette mort qu'en militaire il voulait héroïque et qui ne l'a pas été, comme une délivrance ? A-t-il choisi, avant de basculer dans le néant, de saluer ainsi ce qui n'est pas autre chose qu'une libération ? J'avoue que j'inclinerais plutôt pour cette dernière solution.
© Hervé GAUTIER – Octobre 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Une femme
- Par ervian
- Le 14/10/2016
- Dans Annie ERNAUX
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La Feuille Volante n°1075 – Octobre 2016
Une femme – Annie Ernaux – Gallimard.
Ce qui me frappe dans le cas d'Annie Ernaux, comme c'est souvent la même chose dans les relations parents-enfants, c'est que les oppositions innombrables qui ont eu lieu au cours de la vie commune, les désaccords parfois, dus notamment à la simple différence de génération, se gomment lors des derniers moments de la vie des parents, comme si au moment de basculer dans le néant il fallait faire taire tout cela, une façon de se faire pardonner ses écarts, d'oublier les mauvais moments, la volonté de laisser un bon souvenir de soi… On a beau dire que c'est une délivrance quand elle est précédée par la souffrance, on préfère toujours la vie à la mort et même si cette situation est paradoxale, l’absence du proche qui vient de disparaître est toujours insupportable, révoltante. Ici la situation est semblable. Elle nous parle de sa mère comme d'une femme violente, mais quoiqu'il en soit le chagrin prend vite le pas sur les autres sentiments. Va donc se poser le problème du deuil (je n'aime pas le terme « travail de deuil »), de tous les artifices qu'il faudra trouver pour gommer les difficultés rencontrées du vivant du disparu. On se raccroche aux photos, aux souvenirs qui feront d'eux-mêmes un tri, si on est croyant à l'espérance d'une résurrection ou aux rituels religieux, on espère que, selon le dicton populaire, temps fera son œuvre même si là rien n'est sûr, aux rêves qui se peuplent de fantômes, aux hallucinations où l'on a l'impression de le voir partout.
Dans le cas d'un écrivain, la résilience peut passer par l'écriture et c'est bien entendu une démarche dont il ne faut pas faire l'économie. Ainsi Annie Ernaux remonte-telle le temps pour explorer l'histoire personnelle de cette mère et, ce faisant, tente de « la mettre au monde », c'est à dire de révéler ce que fut sa vie. Elle refait le chemin avec des mots qu'elle va choisir, refait ce parcours un peu cahoteux de son enfance à elle quand on obéissait à ses parents, on respectait l’autorité, on pratiquait la religion comme une tradition, on allait à l'école jusqu'au certificat d'études, on tenait aux apparences et à sa respectabilité, on vivait pauvrement comme des gens de la campagne, de la terre, qui ne gaspillent rien et dont la fierté et le but, même inavoué, était de travailler en usine pour se démarquer de sa condition. Pour les femmes de son époque le mariage était « l'espérance de s'en sortir à deux ou la plongée définitive ». Elle s'est donc mariée, est devenue modeste commerçante mais le manque d'argent, les épreuves et la mort ne l'ont pas épargnée. Violences et débordements de tendresses résument son attitude à l'endroit de sa fille alors qu'elle était intransigeante au regard des règles du commerce, bref une femme à deux visages qui voulait donner d'elle l' image d'un être supérieur à sa condition malgré le travail dur qu'elle ne refusait pas, mais désireuse que sa fille ait une meilleure vie que la sienne. Effectivement en grandissant Annie acquiert la certitude que sa mère s'est sacrifiée dans ce seul but, même si leur complicité n'a pas été totale . Pourtant, avec le temps qui passe l'attachement qu'elle ressent pour elle s'affermit au point qu'elle ressent une sorte de culpabilité d'être largement logée alors qu'elle ne peut en faire profiter sa propre mère. De son côté, quand elle vient vivre avec sa fille mariée et mère de famille, cette femme s'adapte à un univers bourgeois qui n'a jamais été le sien même si ce nouveau monde n'est pas fait pour elle et qu'elle le sait. Tout au plus peut-elle se consoler en se disant que cette fille « a réussi ». Pourtant, quand elle comprend qu'elle n'y a plus sa place, que le silence préside aux relations qu'elle a avec sa fille, elle revient d'elle-même à Yvetot où elle a passé toute sa vie. Dès lors, les visites qu'Annie lui fait sont rapidement empruntes de ce mutisme devenu ordinaire et un accident de la circulation la fait entrer dans cette spirale où elle va peu à peu, malgré les périodes de fugaces lucidité, perdre le sens des choses, revisitant son passé et ses souvenirs, retombant dans son enfance, perdant la mémoire, ne reconnaissant plus ses proches… Bizarrement, alors qu'on pourrait penser que ce livre est une manière de la faire revivre, elle confie qu'il n'en est rien(« Dans ces conditions, « sortir » un livre n'a pas de signification, sinon celle de la mort définitive de ma mère »), comme s'il était sinon un hommage, à tout le moins un témoignage, s'il était investi par l'auteur d'un autre rôle. Elle s’interroge d’ailleurs elle-même sur ce processus « Est-ce qu'écrire n'est pas une façon de donner ». Je pense qu'une telle démarche peut avoir pour l'auteur une fonction cathartique, bien qu'en ce qui me concerne je n'en sois plus très sûr, elle peut aussi avoir un rôle déculpabilisant face à cette notion générale judéo-chrétienne qui m'a toujours paru surréaliste. Nous sommes démunis devant la mort, cela fait partie de la condition humaine et nous n'y pouvons rien. Notre vie moderne nous incite à placer nos parents dans des établissements spécialisés sans qu’il nous soit souvent possible de faire autrement et l’allongement artificiel de la durée de la vie, regardé par la médecine comme une victoire, sonne souvent pour le commun des mortels comme de l’acharnement thérapeutique inutile.
Ce récit est complémentaire de « Je ne suis pas sortie de ma nuit » dont j'ai déjà parlé dans cette chronique (Feuille Volante n° 1075). J'ai lu ce livre émouvant et bien écrit comme un rappel d'une chose à laquelle nous ne voulons pas penser alors qu'elle est inéluctable. C'est une prise de conscience que chacun d'entre nous aura à connaître cette fin de vie où la mort sera regardée par nos proches comme une délivrance, même si nous voulons imaginer une autre issue.
© Hervé GAUTIER – Octobre 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Je ne suis pas sortie de ma nuit
- Par ervian
- Le 11/10/2016
- Dans Annie ERNAUX
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La Feuille Volante n°1074 – Octobre 2016
« Je ne suis pas sortie de ma nuit » – Annie Ernaux – Gallimard.
« Je ne suis pas sortie de ma nuit » est la dernière phrase que ma mère a écrite ». Ce sont les premiers mots de ce court texte qui est avant tout un témoignage émouvant de l'auteure sur les dernières années de sa mère atteinte de la maladie d'Alzheimer.
L'auteure indique d'emblée qu'elle culpabilise d'écrire sur sa mère comme si elle était morte et aussi de la faire revivre jeune, par l'entremise de l’écriture. Cette culpabilité se renforce encore quand elle commence à se débarrasser de ses affaires alors qu'elle est encore vivante parce que c'est un geste que l'on fait seulement quand la personne est décédée. C'est un peu anticiper sa disparition, même si celle-ci est inévitable. Ne pas avoir pu la garder chez elle est aussi pour elle une source de malaise intime. Au départ elle l'a effectivement accueillie mais sa démarche n'a pu perdurer, puis ce fut l'hôpital puis lamaison de retraite, autant d'étapes dans cette lente descente vers le néant que certes elle accompagne comme elle le peut, avec dévouement, patience, détermination, lui change ses couches, lui rase le visage, accompagne ses propos désordonnés qui prennent de plus en plus leur source dans une mémoire perturbée par le temps et les rêves qu'elle fait. Elle finit même par s'habituer à sa déchéance, à ce parcours sans retour dans la « déshumanité ». En plaçant, par force, sa mère dans ces établissements, elle l'a mise dans un microcosme social reconstitué où là aussi les forts dominent les faibles, le tout dans des odeurs de pisse et de merde, comme elle le dit elle-même. Dans cette ambiance dégradante, c'est peut-être une consolation pour elle de voir sa mère adopter une position de solitaire. Le plus difficile pour l'auteure est sûrement que sa mère a sur elle un effet miroir : non seulement elle se voit en elle comme elle sera elle-même dans sa vieillesse mais cette promiscuité avec sa mère fait remonter à la surface de sa propre mémoire des souvenirs personnels désagréables de sa vie liée à cette femme. A travers ses propos et ses gestes parfois violents, elle la revoit comme elle l'a toujours connue, une « mauvaise mère », brutale et inflexible dont elle s'occupe néanmoins maintenant avec soin. Les images délétères dont elle est le témoin dans cet établissement lui en rappellent d'autres de son enfance. C'est un peu comme si la perte de mémoire dont est victime sa mère ravivait la sienne. Dès lors, le temps qu'elle croyait perdu ou qu'elle avait oublié revient, lui faisant prendre conscience qu'elle s'inscrit dans la chaîne de la vie, dans la fuite inexorable des années et qu'elle est tout simplement mortelle, elle-même usufruitière de sa propre existence. Elle enrage de la voir de jour en jour devenir une femme sans mémoire, alors que la sienne se peuple de plus en plus de souvenirs de sa vie antérieure sans qu'elle soit capable de maîtriser ce phénomène. Assister impuissante à cette lente descente vers l’inconscience et la puérilité est désarmant. Sa culpabilité augmente encore quand elle fait à ses fils la relation de ses visites à sa mère dont les réactions, les remarques portent à rire. C'est, une façon inconsciente peut-être d'exorciser la douleur de ces situations mais elle s'accuse intérieurement de ne pas l'avoir assez aidé « à traverser sa nuit ». Que dire dès lors de sa volonté de voir finir cette épreuve devant l'incapacité qui est la sienne de ne pouvoir la vaincre que par la mort de cette femme pour qui elle ne peut plus rien que de la regarder se dégrader de jour en jour. Pourtant quand elle meurt, l'auteur confie « Je la préférais folle que morte », comme si cette habitude de la voir ainsi avancer vers le trépas était finalement plus supportable que l'absence et ce même si on tente de se rassurer en voyant dans cette issue fatale une délivrance, comme si ces visites étaient devenues avec le temps un rituel que rien ne pouvait bousculer. Le plus étonnant sans doute c'est que cette mère qui jadis avait été violente et qui n'admettait comme seule explication du monde que celle de la religion n'en parle pas, oublie ce qui pour elle aurait pu être une consolation.
A travers un éphéméride haché, elle confie au lecteur « Écrire sur sa mère pose forcément le problème de l'écriture », ou bien encore « Vieillir c'est se décolorer, être transparent », «La mort c'est l'absence de voix par dessus tout », « Exister, c'est être caressé, touché », autant d'aphorismes qui sont rédigés avec une brièveté sèche où je choisis de lire un réel désarroi face à l'inéluctable.
Ces pages sont l'invite à la fois à la réflexion, la constatation abrupte dans le simple domaine de la vie, de son déroulement et surtout de sa fin. Elle pose à nouveau le problème de l'écriture de ce qu'elle voit dans cet établissement, doit-elle faire acte de témoignage ou au contraire s'abstenir, mais l'écriture c'est aussi la vie ! Annie Ernaux a fait de sa propre vie la source de son écriture, délaissant du même coup la fiction qui est le domaine de l'imaginaire. Même si ici, elle choisit de parler de sa mère et de son histoire, de son vécu, cette démarche me paraît en effet authentique même si, à bien des occasions et pour autant que je puisse en juger, sa façon de s'exprimer repousse les limites de l'intime voire de la pruderie. Cela donne parfois les confidences qui chez d'autres écrivains restent du domaine du secret. Pour autant, elle avoue à son lecteur que ces mots même s'ils conservent le souvenir n'en sont pas moins impossibles à formuler parfois et souvent même à relire. Son style, fluide et agréable à lire, poétique parfois, est ainsi agrémenté de mots crus et tout à fait évocateurs dans leur simplicité et dans leur réalité. Cela ne me gêne pas et explorer ses livres est souvent pour moi un bon moment de lecture.
© Hervé GAUTIER – Octobre 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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l'occupation
- Par ervian
- Le 08/10/2016
- Dans Annie ERNAUX
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La Feuille Volante n°1073 – Octobre 2016
L'Occupation – Annie Ernaux – Gallimard.
C'est bien le hasard qui m'a fait prendre ce court roman sur les rayonnages de la bibliothèque. Je n'avais aucune idée de ce que pouvait être le thème traité et le titre lui-même me donnait à penser à bien autre chose, la guerre par exemple.
La narratrice, Annie Ernaux elle-même, raconte un épisode de sa vie où, après sa rupture avec W., l'amant avec qui elle avait vécu six ans sans pour autant parvenir à accepter une vie commune que lui appelait de ses vœux, est informée le plus simplement du monde par cet homme qu'il vit avec une autre femme. Dès lors, sans même la connaître, la narratrice ressent-elle un sentiment inattendu : la jalousie. A vrai dire c'est assez étonnant puisque c'est elle qui était à l'origine de cette rupture et que finalement ils étaient restés en bon terme, se téléphonant et de rencontrant comme de vieux amis. D'ordinaire, cette jalousie naît de la tromperie, de l'adultère mais ce n'est pas la cas ici. C'était donc tout naturel que W. lui annonce que dorénavant il allait partager la vie d'une autre femme, c'est à dire qu'il allait vivre avec elle ce que Annie lui avait toujours refusé. Dès lors Annie va être envahie au sens propre par cette présence inconnue , au point d'être complètement occupée par elle, le titre du roman prend donc tout son sens. Elle veut en effet savoir tout d'elle bien que W. soit, et on le comprend, très laconique sur les renseignements qu'il lui donne. De guerre lasse, il lâche quelques informations qui aussitôt provoquent chez Annie une recherche frénétique, la jalousie qu'elle ressent devenant obsédante et même étouffante. Si j'ai bien compris, Annie est exclusive et même outrageusement possessive, non seulement elle a refusé à W. la vie commune qu'il espérait avec elle mais en plus elle l'a quitté alors que leurs relations étaient, de son propre fait à elle, basées sur le sexe. Ce qu'elle ne supporte pas c'est que maintenant il vive avec une autre femme même si, dans ce contexte, elle n'a aucune raison objective pour réagir de la sorte. C'est un peu comme si elle se considérait comme maîtresse du jeu au point d'avoir le droit de lui imposer ses vues, ses voeux et de lui contester tout droit au bonheur. Devant cette impossibilité elle en conçoit une véritable souffrance, « tombe jalouse » comme on « tombe amoureux », même si, comme lecteur, je n'ai pas senti qu'elle ait vraiment conçu de l'amour passionné pour son ex-amant. Tout au plus n'admet-t-elle pas qu'une autre femme puisse être aimée par lui et qu'elle le rende heureux. Cette jalousie est paralysante, quelque chose entre la paranoïa et l’obsession. C'est, pour elle, la prise en compte d'une page qui s'est tournée quand elle décidé de le quitter, qu'elle ne fait plus depuis partie de sa vie, mais c'est pourtant elle qui en a pris l'initiative, qu'elle a purement et simplement été remplacée alors qu'elle aurait préféré qu'il restât seul et sans doute qu'il la suppliât.
Petit à petit, au fil de mes lectures, je découvre l’œuvre d'Annie Ernaux et il me semble qu'elle a fait de sa propre vie le thème de ses nombreux romans. Elle se met en scène elle-même faisant du solipsisme le moteur de sa démarche créatrice comme c'est souvent le cas chez les écrivains. J'ai personnellement longtemps réfléchi sur une des fonctions de l'écriture qu'est la catharsis. Écrire une épreuve aide-il à la surmonter, à l'exorciser ? Après moult expériences dans ce domaine, je n'en suis plus très sûr. D'ailleurs, tout pendant que dure la recherche de cette femme, Annie tient son journal intime c'est à dire tente d'exorciser par l'écriture cette douleur née ce l'incertitude et de l'ignorance sur l'identité de cette femme, et n'y parvient pas. Elle avoue elle-même que l'écriture est un pis-aller dans sa quête au point qu'elle renonce à pousser investigations à leur terme « Écrire c'est d'abord ne pas être vu », (une façon de se cacher derrière des mots), une manière d'entretenir cette douleur, une sorte de masochisme. A la fin de son roman elle prétend que l'écriture l'a aidée. C'est peut-être vrai mais j'attribue cet apaisement à autre chose, au temps qui passe, à la réalité qu'elle finit par accepter, à elle-même peut-être qui a appris à mieux se connaître dans cette épreuve...Il m'a semblé qu' il y avait, au départ, une affirmation du « moi » de l'auteure, opposé à cette femme qui reste sans nom et même sans visage et que le roman se termine par une sorte de dissolution de cette individualité. Tout ce qu'Annie avait connu avec W. dans le passé n'est plus qu'un lointain souvenir. Et puis elle se console comme elle peut, se dit que W., plus jeune qu'elle, aime les femmes matures puisque sa nouvelle conquête à l'âge d'Annie et y voit donc la preuve qu'il n'éprouvait pour elle aucun amour particulier. Elle va même jusqu'à imaginer que l'autre femme apprend qu'elle rencontre toujours W. et en conçoit ainsi de la jalousie ! Elle va jusqu'à imaginer d'improbables situations qui seraient de nature à altérer cette liaison et provoquer son retour auprès d'elle.
Se faire larguer est une chose difficile à vivre et accepter cette réalité n'est pas aisé. Ici ce n'est pas exactement la cas d'Annie qui fait montre d'une jalousie un peu trop possessive. Même si lire un roman de cette auteure me fait passer de bons moments tant son style est fluide et agréable, je dois dire qu'ici je me suis un peu ennuyé, non pas tant à cause du tabou qu'elle lève, ce dont je lui sais gré, mais peut-être la manière peu convainquante dont elle traîte ce sujet bien humain. Ce roman est peut-être tout simplement pour l'auteure l'occasion de se raconter ?
© Hervé GAUTIER – Octobre 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Rue Jean Jaurès
- Par ervian
- Le 06/10/2016
- Dans Frédéric Michelet
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La Feuille Volante n°1072 - Octobre 2016
Rue Jean Jaurès – Frédéric Michelet et la compagnie internationale Alligator – L'entretemps éditions
Avec Pasteur, Jaurès est assurément l'homme dont le nom baptise le plus grand nombre des rues de nos villes. Personnage politique, ses ouvrages, ses discours sont bien souvent cités avec sincérité ou opportunisme par les candidats à des fonctions électives, c'est donc assez dire que l'homme ne laisse pas indifférent même plus de cent ans après sa mort. Il n'est donc pas anormal que celui qui avait consacré sa vie aux plus défavorisés, qui allait volontiers à leur rencontre, les haranguait comme un authentique orateur qu'il était, et qui se voulait « l'éducateur du peuple », descende dans la rue sous la forme d'une mise en scène dynamique d'autant plus fidèle au personnage qu'il parlait sans micro dans des meetings publics et que les comédiens qui le font revivre s'approprient cette manière de s'exprimer.
Jaurès fait partie de notre histoire sans la connaissance de laquelle aucune évolution ni aucun espoir ne sont possibles. Le « mettre en rue » sur la voie publique était donc une évidence pour le metteur en scène (Manu Moser), avec tous les risques que cela pouvait comporter tant le personnage était complet et complexe et qu'il fallait impérativement faire des choix pour réaliser ce spectacle. D'emblée la III° république, si semblable à la nôtre par certains côtés, devait servir de fil rouge au déroulement de la représentation et remettre le personnage dans le contexte historique avec ses découvertes et ses scandales. Une notice de l'historienne Catherine Moulin ainsi que des extraits des interventions de Jaurès complètent d'ailleurs le texte du spectacle. Il a été conçu comme une déambulation urbaine en association avec les spectateurs, les comédiens étant juchés sur des escabeaux pour être vus et entendus d'un public debout et mobile. Ce mouvement d'échelles (et de couvre-chefs) peut, pourquoi pas, s'apparenter à une sorte de chorégraphie aussi dynamique qu'inattendue et qui souligne à sa manière « l'échelle du temps ». De plus le rôle de Jaurès n'est pas porté par un acteur unique mais par tous les artistes de la troupe, au nombre de cinq mais qui donnent vie alternativement à 139 personnages !
Ainsi, les spectateurs de la rue ont-il pu voir et entendre Jaurès refuser la guerre de 1914 qui s'annonçait autant que ses contradicteurs qui eux la souhaitaient, se faire tuer par Raoul Vilain qui plus tard fut acquitté par un tribunal qui condamna Louise Jaurès, son épouse, aux dépens. Puis par le miracle du flash-back ils ont pu assister à sa vie, depuis sa naissance en 1859, à son enfance, à l’évocation de la Commune, à un poème de Rimbaud, à l'invention de la première ampoule électrique, à son entrée dans la vie, à son engagement socialiste en politique, à son refus de la guerre si ardemment voulue par les capitalistes qui dirigeaient le pays , soutenus évidemment par les militaires et les nationalistes...alors qu'il n'a que 26 ans, à la crise de Panama, à l'affaire Dreyfus, à la création de « l'Humanité »...
Ces tableaux évoquent son combat en faveur de la classe ouvrière à laquelle il n'appartenait pourtant pas, sa volonté de créer des caisses de retraite, d'organiser la santé publique, de construire l'éducation pour tous et notamment des jeunes filles, d'instaurer la laïcité... Comme il se doit, cette évocation ne va pas sans allusions appuyées et de clins d’œil aux socialistes d’aujourd’hui que Jaurès aurait sans doute du mal à reconnaître [notamment multiplication des anaphores, cette figure de style remise au goût du jour par un candidat devenu président – vous vous souvenez « Moi, Président ... »] , à notre actualité quotidienne et aux difficultés croissantes des plus défavorisés, à la montée du chômage, de l'insécurité...
Que reste-t-il aujourd'hui du combat de cet homme intègre et exemplaire qui a lutté contre toutes les inégalités et pour un changement radical de la société dans un sens républicain ? Chacun sur l'échiquier politique se recommande de lui, s'approprient son exemple et fait semblant d'honorer ses mannes... mais se dépêche, une fois élu, de faire le contraire c'est à dire de le trahir, laissant notre société sans boussole et livrée à elle-même, capable de faire confiance au premier trublion venu surtout s'il lui promet bien fort tout et n'importe quoi !
Je remercie les Éditions l'Entretemps et Babelio qui m'ont permis, dans la cadre de « Masse Critique » de découvrir cette évocation originale de Jean Jaurès.
H.G.
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Les années
- Par ervian
- Le 05/10/2016
- Dans Annie ERNAUX
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La Feuille Volante n°1071 - Octobre 2016
Les années – Annie Ernaux – Gallimard.
J'ai lu ce livre avec une certaine nostalgie, celle du temps qui passe, d'une jeunesse pas forcément belle et agréable à vivre mais définitivement disparue où nous étions mal dans notre peau parce que non reconnus par nos parents comme peuvent l'être maintenant les jeunes, où il fallait obéir sans broncher et se tenir tranquilles, où on décidait pour nous. Nous représentions certes l'avenir mais nous n'avions pas la parole, tout juste tolérés à condition de ne rien demander. On nous faisait sentir que nous étions une charge que seul notre départ du foyer familial était attendu ou, si nous y restions, nous représentions alors un salaire supplémentaire bienvenu en plus de la participation aux corvées.
Cette évocation ne peut se faire sans photos. Il n'y a rien de tel pour mesurer à travers les visages et les corps les ravages du temps et la fragilité de la vie. Le prétexte de ce roman est effectivement le cliché en noir et blanc, avec un encadrement, du papier glacé et des bords dentelés qu'on annotait au dos d'une date, d'un lieu ou de quelques mots parce qu'il n'y avait pas autre chose à l'époque et que cela se faisait ainsi. Il représente une petite fille en maillot de bain sur une plage, image de vacances, de farniente. D'autres suivent, tirés d'une mémoire qu'on croyait définitivement morte et qui évoquent le passé, les années de jeunesse où on assistait obligatoirement à la messe le dimanche et aux interminables repas de famille... Ce sont les vacances, le plus souvent à la mer, avec les parents, les informations à la radio, le parcours scolaire... C'est ensuite l'adolescence et son vent de révolte obligé qui souffle après toute ces années de silence et d’obéissance passive, ces cigarettes fumées dans les chiottes pour faire comme les grands, ces romans interdits qui circulent sous le manteau, ces chansons proscrites qu'on fredonne comme un défi, ces apprentissages sauvages mais excitants, ces espérances folles pour l'avenir…C'est pourtant grâce à ces photos un peu passées que l’auteure fait défiler le temps. Elles sont le témoin de la croissance et des changements du corps. A travers elles, l'auteure se souvient de son parcours personnel mais aussi de la fuite des années et de ce qui l'en reste dans la mémoire collective de cette espèce humaine qui est si prompte à oublier. Ainsi, à travers la vie de cette petite fille du début c'est tout un passé que « les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître », celui de l'après-guerre, les Trente Glorieuses, la guerre d'Algérie, les rapatriés, les attentats, les promesses et les trahisons, Mai 68 si porteur d'espoir vers la liberté et la jouissance mais qui perdra bien vite tout son pouvoir de fascination, les premiers émois amoureux puis, bien plus tard les déceptions et la prise de conscience que tout cela n'est qu'une comédie qu'on a soi-même jouée de bonne foi en espérant y tenir un rôle qui finalement n'est pas autre chose qu'un leurre. Nous avons brassé de grandes idées, fondé des espoirs encore plus grands, mais qu'en reste-t-il au bout du compte ? Nous avons assisté à la remise en cause des certitudes les plus solides, à la disparition de bien des fondements de notre société que nous croyons immortels, constaté l'éloignement puis la disparition des valeurs qu'on nous disait universelles, vu se transformer en régression les changements qu'on nous promettait pour demain et s'évanouir les fantasmes ... Nous ne sommes ici que de passage, dans l'éphémère, le transitoire voire l'inutile et parfois le gâchis et c'est à travers ce genre de retour en arrière qu'on les mesure le mieux.
Comme toujours ce livre est bien écrit et agréable à lire. C'est souvent la cas dans les romans d'Annie Ernaux. J'ai apprécié cette écriture fluide, humoristique et poétique qui refait avec justesse ce chemin à l'envers, le jalonnant d'événements historiques ou factuels, le bornant de titres de chansons ou de romans emblématiques, l'absence de tabous, cette volonté de dire les choses parfois si longtemps cachées, même si, pour moi, cela a été une sorte de claque, la prise de conscience que le temps passe trop vite... mais je ne dois pas être le seul !
H.G.
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Ce qu'ils disent ou rien
- Par ervian
- Le 28/09/2016
- Dans Annie ERNAUX
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La Feuille Volante n°1070 -Septembre 2016
Ce qu'ils disent ou rien – Annie Ernaux – Gallimard.
Anne va avoir seize ans. Elle est en révolte contre son milieu familial, ses parents ouvriers qui la bassinent avec les études qu'ils n'ont pas pu faire et qui lui ouvriront les portes de la réussite. Elle vient d'avoir son BEPC et on songe pour elle au métier d'institutrice ; elle en a déjà les lunettes ! Au moins, dans l'esprit de ses parents, elle échappera au travail en usine et cela tombe plutôt bien parce qu’elle ne veut pas devenir comme eux.
Pour l'heure se sont les vacances et ce qui l'intéresse , malgré la lecture de « L'étranger » d'Albert Camus, c'est les garçons, le sexe. Elle ne voulait pas mourir avant d’avoir connu cela. Grâce à sa meilleure amie, elle rencontre Mathieu, un moniteur de la colonie de vacances d'à côté mais le grand amour espéré n'est pas au rendez-vous à cause d'un faux-pas d'Anne qui déjà cherche avec Yan, par l'expérience, à en savoir davantage sur l'amour. Certes elle est devenue femme un peu malgré elle, mais cette expérience lui fait entrevoir la solitude et la dépression notamment face à ses parents plus désireux de la voir réussir professionnellement que de l'accompagner dans ses expériences .
J'avais déjà abordé l’œuvre d'Annie Ernault [La Feuille Volante n°1062 (mémoire de fille) -1063 (la honte)-1064 (l'autre fille)] et cela m'avait encouragé a poursuivre ma découverte. Ici, j'ai trouvé que ce texte, écrit à la première personne comme un journal intime ou peut-être avec cette volonté d'exorciser cette période troublée de la vie d'une jeune fille, les formes féminines qui se révèlent, la survenue des règles, la perte de sa virginité, l’appétit tout neuf de la vie…,était assez quelconque. Ce contexte autobiographique, courant dans la démarche littéraire de l'auteure, en fait, il est vrai l'originalité et aussi l’authenticité. Il est écrit sur le mode de l'oralité, d'une manière spontanée et abrupte, un peu trop peut-être. L'histoire de cette adolescente mal dans sa peau m'a cependant paru un peu longue et hésitante parfois. Certes c'est le témoignage d'une vie d'adolescente dont le corps se transforme, qui confie au lecteur ses aspirations et ses craintes de la vie à venir, son désir et son refus de l'amour, son passage de l'enfance à la féminité, et en cela c'est toujours intéressant.
Il ne m'a pas précisément procuré un bon moment de lecture comme je pouvais m'y attendre. Certes il est antérieur (1977) à ce que j'ai déjà pu lire mais quand même.
H.G. Septembre 2016
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Pourquoi pas le silence
- Par ervian
- Le 25/09/2016
- Dans Blanche de Richemont
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La Feuille Volante n°1069 -Septembre 2016
Pourquoi pas le silence -Blanche de Richemont– Robert Laffont.
J'ai abordé ce roman comme je le fais d'habitude, par la lecture de l'exergue qu'on néglige souvent mais qui, parfois résume bien l'esprit du texte. Celle qu'a choisi l'auteure est due à Fernado Pessoa « Je ne suis rien, je ne serai jamais rien, je ne veux rien vouloir être. A part cela je porte en moi tous les rêves du monde». « On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille » chante Maxime Leforestrier, pourtant, quand on lit la brève histoire de Paul, 15 ans, jeune intellectuel, on se dit qu'il n'est pas si mal tombé que cela. Même si son père est brillant et bien différent de lui, sa mère peut-être un peu trop abusive, sa sœur aînée, Lou, trop passionnée et complice, tous l'aiment et ne veulent que son bien. Son enfance parisienne s'est déroulée dans les beaux quartiers et son avenir semble sans nuage, avec à ses côtés Florent, son meilleur ami, son confident.
La crise d'adolescence, comme on dit, est un passage difficile, autant pour soi que pour son entourage.
De plus, Paul a déjà été ébranlé par la mort prématurée de son cousin Max, un être flamboyant qui savait peut-être inconsciemment que sa vie serait brève et qui l'avait vécue intensément. Paul l'avait même pressentie parce que, selon lui, « il était épuisé dans son âme », et de se demander « Pourquoi vivre encore quand on ne vit déjà plus ». Dès lors, ce décès va être pour lui comme un défi à sa culture, à sa famille, à la société, une invitation à vivre enfin différemment. Il a 15 ans et il va naître à la vie une deuxième fois mais à sa manière… Il ne sera pas cet enfant docile dont les parents rêvent parfois. Au fil des pages il se révèle renfermé, solitaire, trop timide pour aborder les filles de son école, spécialement Camille, la plus jolie du collège qui est amoureuse de lui et qui l'attend. Lui, son choix, c'est autre chose, le rejet de tout, la hantise d'être comme les autres, son incapacité à entrer dans la ronde (« Cette vie m'emmerde »), son choix du malheur… Alors que Camille s’intéresse à lui, il la fuit mais, sur les conseils de Florent, elle sera son nouveau défi,ce qui enthousiasme sa famille qui le voit ainsi entrer dans la norme. Ce sera donc l'amour fou qui s'empare d'eux (« Elle vient de perdre l'enfance et je suis devenu un homme ») au point de donner l’impression que Paul est un adolescent ordinaire. Pourtant tel n'est pas le cas, c'est un être « à l'âme de cristal », un écorché-vif préposé à la souffrance qui n'a pas sa place dans ce monde. Il rejette donc Camille comme il rejette sa famille sans autre raison que celles qu'il puise en lui. Cette tentative de mener une vie normale échoue donc et le replonge dans un état dépressif que Camille lui avait fait un temps oublier. Il renoue avec « cette mauvaise passe qui ne passe pas » avec peut-être à l'esprit l'obsession de la mort de Max, de son absence définitive et ce malgré tous ceux qui voudraient qu'il s'en sorte, qu'il aime « cette putain de vie » alors qu'il se mure dans la silence et la solitude. Puis d'un coup, il lâche !
J'ai lu ce roman fort bien écrit, émouvant, écrit à la première personne, comme un journal intime autant que comme un hommage biographique à ce frère trop tôt disparu. N’aimait-il pas la vie qui s'offrait à lui, ne voulait-il pas grandir, pensait-il qu'il n'avait rien à faire en ce monde ? Il a sans doute voulu donner à ses obsessions, ses interrogations sa réponse du silence. C'est un bouleversant témoignage fraternel que nous livre l'auteure pour faire revivre le bref passage sur terre de ce garçon trop conscient de lui-même, une manière d'illustrer la parole d'Alvaro Mutis qui nous rappelle que les êtres ne sont vraiment morts que lorsque personne ne pense plus à eux.
Ce roman a éveillé en moi des souvenirs personnels d'une vie impossible à réaliser, du hasard qui nous fait naître dans une famille à laquelle on sera à jamais étranger, du destin implacable… L'auteure était jusqu’alors inconnue de moi mais j'ai apprécié ses réflexions sur la vie, c'est à dire cette période plus ou moins longue que nous passons sur terre et dont nous ne sommes que les usufruitiers.
H.G.
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De quelques amoureux des livres...
- Par ervian
- Le 23/08/2016
- Dans Philippe Claudel
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La Feuille Volante n°1068– Août 2016
De quelques amoureux des livres... – Philippe Claudel – Finitude.
Si l'enfer est, paraît-il, pavé de bonnes intentions, le monde dans lequel nous vivons est assurément le tombeau de tentatives avortées pour devenir écrivain. Certes il y ceux qui ont réussi, dont le nom est inscrit sur une plaque de rue, l’œuvre étudiée par des générations de potaches endormis et les aphorismes qui donnent lieu à des commentaires souvent hors de propos… et puis il y a les autres. Ils sont nombreux, des cohortes, qui doivent leurs déboires littéraires à leurs proches qui se moquent d'eux, aux éditeurs qui n'ont pas été capables de découvrir leur talent, aux événements extérieurs qui ne les ont pas servi comme on dit, euphémisme subtil pour dire qu'ils n'ont pas eu de chance. Il y a les lecteurs qui n'ont pas été au rendez-vous, leur entourage qui les a boudé parce qu'ils n'étaient pas comme les autres, ou peut-être l'inflation d'hommes et de femmes de lettres qui se sont précipités sur leur feuille blanche, qui ont joué des coudes (et pas seulement) pour écraser ceux qui étaient sur leur passage et qui entendait prendre une place à laquelle ils croyaient avoir droit. Ces écrivains ratés, qui ne sont restés que des « écrivassiers » ont chanté la nature, mais elle s'en fout, les femmes qu'ils aimaient, souvent en secret, mais là aussi il ne faut craindre ni l'indifférence, ni les critiques acerbes et cruelles, de sorte qu'ils sont restés des inconnus, des incompris.
Il peuvent aussi s'en prendre à eux-mêmes parce qu'ils ont été parfois paresseux, ont hésité à se lever la nuit à l'écoute de cette inspiration fugace qui ne se manifeste pas deux fois, se sont dit qu'ils verraient plus tard, que rien ne pressait mais qui, une fois devant la feuille sont restés secs, ceux qui ont été victimes du syndrome de Bartelby, ceux qui se sont contentés d’être leurs propres lecteurs mais pas leurs critiques parce que, à leurs yeux, leur talent était manifeste, ceux qui sont morts d'attendre qu'on vienne les solliciter en oubliant que la vie est courte, ceux qui se sentaient indispensables à l'humanité et qui déploraient qu'on fasse ainsi fi de leur message, ceux qui prenaient Voltaire ou Rimbaud pour leurs collègues en littérature, ceux qui se sont pris pour des génies, qui se sont rassurés en disant qu'on les découvrirait… après leur mort, ceux qui se sont drapés dans la toge de l’écrivain en se disant que cela leur allait bien tout en s’extasiant sur la beauté de leur œuvre. Ceux aussi qui, désespérés de tant d’indifférences à leur endroit (ou peut-être victimes d'un sursaut de bon sens) se sont dit que, devant un tel monceau de publications depuis l'invention de l'imprimerie, il valait mieux garder le silence plutôt que de redire plus mal ce qui avait été déjà si bien exprimé par d'autres. Il y a bien sûr ceux qui ont entamé leur vie par l'alcool et la drogue parce qu'on leur avait dit qu'il y avait là une source d'inspiration inépuisable… et qui s'y sont épuisés et même en sont morts, ceux qui, paranoïaques depuis toujours, ont cru être victimes de complots ou ceux qui sont devenus fous à force de croire en leur talent auquel le monde extérieur était complètement indifférent.
L'auteur égrène le catalogue de ces malheureux que la notoriété, les honneurs, la vie ont oubliés. Il le fait avec un humour certain et surtout de bon aloi, preuve s'il en fallait encore qu’on peut rire de tout parce que, par les temps qui courent, c'est à peu près tout ce qui nous reste, que le temps passe vite, que le fatalisme fait partie de la vie et que la fiction est après tout une manière comme une autre de repeindre des jours de plus en plus gris. Et puis, un écrivain qui a réussi n'est peut-être pas autre chose qu'un simple « porte-plume » qui transcrit une inspiration qui vient on ne sait d'où et qui, à tout moment, peut le quitter, qui n'est bien souvent que le miroir de son temps et qui, après un brillant succès fait parfois des efforts désespérés pour durer et pour qu'on ne l'oublie pas. L'écrivain c'est avant un être habité par le solipsisme et trouve souvent cela plutôt bien. Il n'empêche, on dira ce qu'on voudra, mais j'ai bien aimé (et j'ai même bien ri) à cet inventaire à la Prévert des écrivains manqués qui ne sont finalement que des membres de cette espèce humaine à laquelle nous appartenons tous, même si, parmi nous, il y en a finalement peu que la muse chatouille, et c'est plutôt mieux ainsi.
© Hervé GAUTIER – Août 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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la passage de la nuit
- Par ervian
- Le 23/08/2016
- Dans Haruki Murakami
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La Feuille Volante n°1067– Août 2016
Le passage de la nuit – Haruki Murakami – Belfond.
Traduit du japonais par Hélène Morita.
Ce roman nous entraîne dans Tokyo pendant une nuit, une manière de respecter la sacro-sainte unité de temps (rythmé par les horloges qui introduisent chaque chapitre) et de lieu. Mari Assaï, une jeune fille est assise devant une tasse de café dans un restaurant et lit un gros livre à une table. Un jeune homme, Takahashi, s’assoit à côté d'elle et un dialogue s'instaure. Il vient ici pendant la répétition du groupe de jazz où il joue du trombone. Plus tard, c'est Kaorou, gérante d'un « love hôtel » qui vient interrompre la jeune lectrice. Elle lui raconte que dans son établissement un client a tabassé une prostituée chinoise et vient chercher Mari qui, selon Takahashi parle le chinois. Dans le même temps Eri, la sœur de Mari, dort profondément mais dans son sommeil est peuplé d'étranges rêves.
C'est un eu une histoire où il ne se passe rien et qui sert de prétexte à une visite nocturne de Tokyo. Ainsi le lecteur est-il invité à visiter, en qualité de témoin privilégié, des lieux interlopes comme ce « love hôtel » mais aussi un bar de nuit, un bureau où s'affairent nuitamment des informaticiens, la chambre d'Eri où la télévision, bien que débranchée, fonctionne et montre un homme dont on ne sait pas très bien s'il observe ou veille sur le sommeil de la jeune fille, des miroirs qui semblent garder le reflet de ceux qui s'y regardent, le monde de la pègre, celui de le prostitution... Ces petites touches qui composent un paysage bien étrange dessinent cette nuit qui est peut-être, pour l'auteur, semblable aux autres mais qui va transformer les intervenants, et va faire se croiser leur destin. Chaque scène est décrite différemment en fonction de celui qui la voit et on a cette espèce d'impression étrange de voler par dessus tout ce paysage, de découvrir le décor et la vie à travers l’œil indiscret d'une caméra.
Cette lecture instille du mystère, de l'inattendu, une atmosphère énigmatique et imaginaire à laquelle je ne m'attendais pas. J'avoue que, malgré mon goût pour ce genre d'ambiance, je ne suis pas vraiment entré dans ce roman. Pourtant le titre était engageant et laissait place à la poésie qui, à travers l'écriture de Murakami, n'est pas absente de ce roman.
Rêve, virtualité, réalité, absurde, surréalisme, je suis resté un peu sur ma faim, dubitatif aussi, mais je suis peut-être passé à côté de quelque chose. Huraki Murakami est un auteur que je découvre petit à petit. Je dois dire qu'ici je n'ai pas été convaincu.
© Hervé GAUTIER – Août 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com
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Après le tremblement de terre
- Par ervian
- Le 19/08/2016
- Dans Haruki Murakami
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La Feuille Volante n°1066– Août 2016
Après le tremblement de terre – Haruki Murakami – 10/18.
Traduit du japonais par Corinne Atlan.
Je l'ai déjà dit dans cette chronique, l'univers d'un recueil de nouvelles est particulier. A travers chaque texte le lecteur recherche, parfois vainement, le fil conducteur de l'ouvrage. Ici, comme le titre l'indique il s'agit d'un tremblement de terre, celui de Kobé en 1995 et des conséquences qui peuvent en découler dans la tête de chaque Japonais. A vrai dire, les séismes font partie depuis longtemps de la vie de ce pays au point qu'existe une légende qui les explique. Depuis le XVII° siècle deux poissons-chats géants, Mamazu et Ōnamazu [une autre légende voulait que ce fût un dragon], vivant dans les profondeurs de la terre et très turbulents remuent régulièrement leur échine sur laquelle repose le Japon. Ainsi naissent les tremblements de terre au pays du « soleil levant ».
Le livre refermé je ressens une impression de vide, d’inutilité, d’éloignement, de déréliction et de mort qui règne sur ces six textes, six fables, qui sont une variation sur ces thèmes. Certes le tremblement de terre apporte avec lui la mort, le néant, la destruction et cet événement, augmenté par la perspective de son renouvellement inévitable laisse dans l'esprit des gens qui vivent là une sorte de peur constante et ineffaçable qui souligne la certitude que nous ne sommes que les usufruitiers de notre propre vie, que nous ne sommes sur terre que de passage. L'auteur insiste sur l'isolement des êtres qui pourtant vivent en société [le thème de la boîte, à la fois petite et hermétiquement close est significatif]et pour cela il a de la matière. Que cela soit dans le domaine de la religion où Dieu se fait complètement inexistant et abandonne l'homme à son sort, et ce en pleine contradiction avec ce qu'on nous a dit au catéchisme, ou dans celui du mariage. C'est étonnant comme les hommes et les femmes se précipitent dans cette institution sans en avoir la moindre vocation, comme si c'était un point de passage obligé dans le parcours terrestre de chacun et comme si avoir un enfant était obligatoire. Rares sont les mariages qui perdurent longtemps et leur dissolution entraîne bien souvent un replis sur soi. Nier que les relations entre les époux sont toujours exemptes de mensonges et de trahisons est un leurre, dans ce domaine « amour » ne rime jamais avec « toujours » et le « happy end » est rarement au rendez-vous. Comme si cela n'était pas suffisant, la timidité, les amours manquées, les regrets et les remords, le temps qui passe se chargent d'accentuer ce phénomène. Nous savons tous que les apparences existent, qu'elles sont mensongères et que la solitude est parfois une meilleure voie. L'espèce humaine dont nous faisons tous partie, capable du pire comme du meilleur, choisit bien souvent le pire avec beaucoup de talent et cet état d'abandon dont parle l'auteur existe ; il est bien souvent la conséquence de l'action maléfique des autres. Vivre en société ressemble à un combat où chacun défend ses intérêts contre l'autre qu'il oublie ou qu'il cherche à éliminer, ce qui ne favorise guère les relations sociales. Et d'ailleurs, comme pour faire bonne mesure, cette solitude est aggravée par l'originalité dont certains individus peuvent éventuellement faire montre, un peu comme si, n'être pas comme les autres, dans la norme générale, excluait les relations humaines et les amitiés, comme s'il fallait satisfaire à l'instinct grégaire, renoncer à soi-même pour être admis à fréquenter les autres.
Certes l'auteur prend le tremblement de terre de Kobé comme référence, un peu comme si ce phénomène presque ordinaire au Japon servait de catalyseur pour révéler l'état d'isolement de l'homme et le traumatisme que ce phénomène suscite. En effet, on cesse, dans ce pays, de se considérer en sécurité sur terre parce que, quand elle tremble, elle devient meurtrière, traîtresse, très semblables aux hommes finalement. Nous le savons bien, malgré la vie en société à laquelle chacun se consacre, la solitude existe de plus en plus et comme si cela ne suffisait pas, on est seul face à la mort. Il file une sorte de métaphore à travers différentes images qui personnalisent le tremblement de terre, un peu comme ces poissons-chats de la légende.
© Hervé GAUTIER – Août 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com
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Fric-Frac au temps de l'OTAN
- Par ervian
- Le 18/08/2016
- Dans Robert BENE
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La Feuille Volante n°1065– Août 2016
FRIC-FRAC au temps de l'OTAN – Robert Béné – Geste éditions.
C'était le bon temps, le temps des « anciens francs » que les moins de soixante ans n'ont pas pu connaître, celui de l'OTAN, celui des « Ricains » et surtout de tous les trafics plus ou moins licites que leur présence sur le territoire français suscitait...L'auteur, Robert Béné se souvient de ce temps d'avant , c'est à dire dans les années cinquante-soixante, et le met en scène dans son dernier roman, entre La Rochelle et l'île de Ré qu'il connaît bien et qu'il aime tant.
Roger Woerkensky, au nom imprononçable, dit « Gégé Belle Face », non qu'il fût vraiment beau mais devait sans doute ce pseudonyme à sa nationalité irlandaise (Bellfast)[ il changera d'ailleurs de sobriquet au gré de ses aventures et des acolytes qu'il fréquente, devenant alternativement « Gégé la Pétoche » puis « Gégé la Frite », «Gégé le Cocu »] s'est vu confier, grâce à son bilinguisme, la gérance du PX américain de La Pallice, sorte supermarché exclusivement réservé aux GI. Cela lui permet donc de se livrer à de petits trafics de cigarettes et de whiskys, produits introuvables en France dans ces années d'après-guerre. Comme il n'y a de chance que pour la crapule, Gégé rencontre Dean Marghettini, un capitaine américain, ancien commando pendant la guerre de Corée, responsable de l'ancien PC de l'amiral allemand commandant la base sous-marine de La Pallice. C'est un poste de fin de carrière puisque dans quelques mois il ira rejoindre son Amérique natale… en tant que civil !
Voilà qu'on annonce le transit par La Pallice d'une impressionnante cargaison de lingots d'or à destination de la banque d'Albanie et c'est précisément Dean Marghettini qui sera responsable du magot avant son transfert sur un cargo à destination de ce pays. Se souvenant de son passé de petit truand, Dean se dit qu'il ne peut pas laisser passer un si belle occasion de s'enrichir et aussi de célébrer dignement son retour à la vie civile. L'ennui c'est que cette information ne tarde pas à arriver aux oreilles de Gégé qui voit là une aubaine qui mettra fin à ses petits trafics minables. Grâce à une ingénieuse idée, le vol de lingots est réalisé, sans pour autant attirer l'attention des autorités américaines.
Comme dans toutes les histoires un peu louches rien ne se passe vraiment comme prévu et tout un tas de gens qui ne se doutaient de rien se trouvent, un peu par hasard, sur le trajet de ce pactole et entendent bien, eux aussi, profiter de l'occasion, de sorte que le partage initialement prévu est fortement compromis, que les événements brouillent un peu les cartes et attisent les soupçons de ceux que le sort n'a pas favorisés...
Comme dans la réalité, le temps passe, les Américains quittent la France un peu brusquement, victimes d'une décision politique en 1966 et les différents protagonistes de cette affaite s'évanouissent dans la nature, les acteurs rétais se recasent tant bien que mal dans la société et l'oubli qui est le propre de l'espèce humaine, s’installe à son tour. Tout cela serait bel et bon si des gens ne décidaient pas de garder jalousement leurs secrets, de mourir et ainsi de provoquer l’ouverture de successions aussi inattendues qu’improbables et de revenir, même des années après sur le théâtre de leurs méfaits. C'est un thriller avec, évidemment des cadavres dont il faut se débarrasser, les gens qui changent et se rangent, de vieilles rancœurs qui remontent à la surface
Dans cette chronique, j'ai déjà dit tout le bien que je pensais des romans de Robert Béné. Non seulement il sait entretenir jusqu'à la fin le suspens avec nombre de rebondissements tout en ayant soin que la morale soit sauve, mais régale aussi son lecteur d'expressions savoureuses du genre « (il) choisit une belle chemise turquoise sur laquelle semblait batifoler de gros poissons multicolores parmi des algues ondulantes et phosphorescentes. Ainsi attifé, Gégé belle face avait tout l'air d'un aquarium » ou encore « L'éclat de rire de Gégé eut le même son qu'une casserole fêlée mais heureusement le douanier n'avait pas l'oreille musicale » .
C'est un roman agréable à lire l'été, pourquoi pas, sans fioritures littéraires, bien dans le style du polar que l'auteur affectionne. C'est même, si on veut le voir ainsi, une belle étude sur l'étendue des turpitudes humaines. A titre personnel j'y ai retrouvé avec plaisir l'ambiance rétaise et rochelaise de ma jeunesse, justement au temps des « Ricains », même si, à l'époque, j'étais encore bien jeune.
© Hervé GAUTIER – Août 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com
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l'autre fille
- Par ervian
- Le 14/08/2016
- Dans Annie ERNAUX
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La Feuille Volante n°1064– Août 2016
L'AUTRE FILLE – Annie ERNAUX - NIL - Les Affranchis.
Si on en juge par le texte préliminaire, cette courte œuvre a été écrite à la demande de l'éditeur sur le thème« Écrivez une lettre que vous n'avez jamais écrite ». L'auteure a choisi une sorte de monologue adressée longtemps après à sa sœur Ginette, morte avant guerre de la diphtérie et qu'elle n'a pas connue. Il ne s'agit donc pas là d'un roman, ce serait une sorte d'exercice de style, un travail de commande ou quelque chose d'approchant. Pourquoi pas après tout, un écrivain écrit par définition et on peut lui demander d'exercer son art. Avec l'amour et la vie, la mort a beaucoup inspiré les auteurs, mais quand même, le décès d'un proche a une dimension différente et l'écriture, si elle ne vient pas spontanément, n'a pas forcement cette action apaisante. Cela deviendrait donc un banal témoignage, une occasion de se retourner sur le passé familial.
Parler d'un mort est une chose difficile, surtout quand on ne l'a pas connu qu'on n'a pas parlé ni vécu avec lui parce que le destin ne l'a pas permis. Ginette est sa sœur, mais pour l'état-civil seulement, un nom sur le livret de famille mais aucun souvenir entre elles, aucune complicité, rien que des photos, traces muettes d'un petit visage sur papier glacé, fantôme de cette « autre fille », morte à six ans alors qu'Annie n'était pas encore née. La mort est un sujet tabou, et dans cette famille pleine de préjugés et de bondieuseries, c'est le silence et le déni qui prévalent puisqu'on ne fleurit jamais sa tombe. On ne parlait jamais de Ginette et ce mutisme n'a été rompu pour Annie qu'au hasard d'une conversation entre sa mère et une cliente du magasin [s'est souvent par les femmes que passe ce genre de révélation] et qui ne lui était pas destinée. Comme le trépas sanctifie tout, parce qu'on ne dit jamais de mal d'un mort, on la pare de toutes sortes de qualités qu'elle n'avait peut-être pas. C'est tout juste si on ne regrette pas ouvertement le choix du destin tout en essuyant ses larmes. Voilà donc Annie devenue enfant unique, porteuse de l'espoir de ses parents, presque enfant de remplacement parce qu'une vie peut en remplacer une autre et qu'il ne faut pas rester sur sa douleur. On atténue l'injustice de la perte d'un enfant par la certitude, au moins proclamée quand on est croyant, que la petite défunte est devenue un ange, une véritable sainte, et voit maintenant la Vierge et Jésus, consolation bien moindre au regard du chagrin qui durera tant que durera la vie et dont les vivants ne se relèveront jamais. Pourtant l'auteure, dans sa tête, n'a jamais été cette enfant unique, il y avait toujours, comme à contre-champ, une présence sortie du néant et dont elle était l'héritière, un peu comme si tout l'amour qu'on donnait à l'enfant vivant n'était finalement destiné qu'à l'absente. Il y a même une une sorte de dédoublement quand la maladie rapproche Annie de la mort. Elle a seulement eu plus de chance que sa sœur entre sérum anti-tétanique et eau de Lourdes mais c'est une autre injustice que la mort de cette petite sainte et la vie de ce démon d'Annie. De cela naît une culpabilité amplifiée par le silence et la volonté de vivre de cette survivante.
Parce que le livre est bien souvent un univers douloureux, ce qui n'était au départ d'une invitation intellectuelle devient une quête intime, une interrogation face à cette mémoire parcellaire, une volonté de faire revivre cette silhouette, l'écriture servant de prétexte à ce cheminement intérieur. J'en reviens au texte préliminaire. Écrire sur un sujet éminemment personnel n'est pas sans risque et on n'en ressort jamais indemne. C'est le résultat d'un long travail de maturation. Au début, j'ai eu l'impression qu'entre Annie et sa sœur il n'y avait que le silence puis, petit à petit elle prend conscience que sa vie s'est nourrie de la mort de sa sœur et du vide qu'elle a laissé, qu'elle n'a vécu que par une sorte de procuration, qu'elle a une manière de dette envers Ginette, devenue ainsi une sorte d'ange protecteur. Ce qu'elle veut c'est la ressusciter par l’écriture parce que, sans peut-être le savoir, elle porte en elle ce vide d'une vie interrompue. Elle est bien consciente cependant que ce « tu » employé lors de cette sorte d’interpellation est de circonstance, que cette intimité entre elles est artificielle, imaginaire, que cette lettre est un leurre un peu comme jadis on nous demandait d'offrir à Dieu nos souffrance pour les autres. Ici elle offre ses renoncements pour faire revivre Ginette mais, ce faisant, elle a bien conscience de courir après une ombre, de la faire en quelque sorte « remourir ». Cette quête est finalement vaine et débouche sur la négation, sur une sorte d'échec « Pour être, il fallait que je te nie », « Je n'écris pas parce que tu es morte, tu es morte pour que j'écrive, ça fait une grande différence ». Reprenant le cours de son récit et évoquant la mort de ses parents , c'est donc la vie qui prévaut et elle devient pour eux « l'autre fille », celle qui s'est enfui loin d'eux et qui ne reposera pas à leur côté pour l'éternité.
Le texte préliminaire invitait des auteurs à « s'affranchir d'une vieille histoire », à y mettre un point final. Pour cela l'écriture possède ce pouvoir d'apaiser celui qui la pratique et cette manière d’interpeller quelqu'un, même fictivement dans une lettre qui ne sera jamais envoyée et jamais lue par son destinataire est un paradoxe. L’auteure a accepté ce principe, un peu comme un défi, sans peut-être en connaître le véritable motif et destine finalement ce texte fort bien écrit et émouvant au lecteur par définition inconnu. En a-t-elle conçu pour autant un apaisement ?
© Hervé GAUTIER – Août 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com
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la honte
- Par ervian
- Le 13/08/2016
- Dans Annie ERNAUX
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La Feuille Volante n°1063– Août 2016
LA HONTE – Annie ERNAUX - Gallimard.
C'est bizarre les livres. On leur donne vie après les avoir portés longtemps, ils mûrissent, nous vieillissons et il finissent par sortir, parfois un peu malgré nous, souvent à notre grand étonnement et le point final se met comme de lui-même. Pour eux on sollicite la mémoire, l’imagination, le travail, la documentation et ce souffle un peu bizarre qu'on nomme inspiration sans vraiment êtres capables de le définir. Souvent on fait appel à son histoire personnelle qui se raccroche à des photos, comme ici, la traditionnelle communion solennelle, un voyage en famille, une carte postale. A l’époque de la jeunesse de l'auteure qui est aussi un peu la mienne, les photos étaient en noir et blanc sur papier glacé, avec un rebord dentelé, un cadre blanc et on écrivait souvent au dos, une date ou un lieu… C'était le temps des messes en latin, avec des prières qu'on récitait par cœur sans les comprendre, de la communion reçue à jeun depuis la veille, des dizaines de chapelet ânonnées pour tout et n'importe quoi et dont on finissait par être persuadés qu'elles étaient indispensables à la bonne marche du monde...
L'auteur, fille unique d'une famille de petits commerçants provinciaux, catholiques, conservateurs, a une mère dominatrice et un père soumis mais qui, un jour de colère, menaça de la tuer. Nous sommes en 1952, elle a douze ans et cette scène violente se grava dans sa mémoire au point que, bien des années après, elle en rechercha la trace dans le journal local, vainement évidemment. Poussée par l'envie d'écrire, elle relate cet événement avec une grande économie de mots mais aussi se livre à une étude topographique, sociologique, linguistique, une étude des expressions et comportements sociaux de cette petite ville de Y. qui, au sortir le la guerre, se relève lentement du conflit, de ses bombardements...L'auteure insiste sur ce quartier populeux, à la limite de la campagne, avec sa population ouvrière, ses usages, ses tabous, son rythme de vie pour se concentrer sur la boutique familiale de « l'épicerie-mercerie-café ». Elle y détaille la conduite qui est propre à un petit commerce relative à la discrétion, à la manière de se comporter, de l'image qu'on donne de soi pour éviter la perte de clientèle génératrice de faillite infamante. Dans un autre chapitre elle détaille sa scolarité à l'école privée, ce qui était un privilège à l'époque, puisque payante, où se conjuguaient religion et savoir dans un rythme et des rites immuables, ses interdits, sa hantise de vivre en état de péché mortel, la malédiction de l'école laïque, mais aussi ses hantises de fille, ses règles qui ne viennent pas assez vite, un corps de femme qui prend du retard sur celui des autres… Cela c'était avant, avant cet épisode familial, repris d’ailleurs par un cousin qui a roué de sa tante de coups, un peu comme si quelque chose s'effondrait dans ce décor si bien agencé qu'on eût dit que rien ne pouvait venir le déranger. En même temps, la toute jeune fille qu'elle est encore, regarde le monde extérieur avec des yeux curieux et même un peu envieux. Chez elle aussi les choses changent, les goûts s'affirment qui ne correspondent pas exactement à ce qu'on lui a enseigné à l'école de Dieu, cet établissement que l'élite sociale dont elle ne fait pas vraiment partie, est censée fréquenter. Ainsi la honte tissée dans cet épisode familial se double-t-elle d'une décision, celle de renier un peu ses parents, anciens prolétaires devenus petits commerçants, et la menace que cette honte dure toujours et qu'elle s'impose à elle dans sa permanence [« Il y a ceci dans la honte : l'impression que tout maintenant peut vous arriver, qu’il n'y aura jamais d'arrêt, qu'à la honte il faut encore plus de honte encore. » ]
Il y a cet aspect documentaire intéressant et qu'il ne faut surtout pas négliger dans un tel contexte, surtout vu à travers les yeux d'une petite fille qui découvre le monde. Après ce qui avait introduit ce court roman et qui était bien de nature à traumatiser gravement une enfant de son âge, je me suis interrogé sur le long développement sur son éducation religieuse, sur la vie quotidienne à Y , sur ce qui se faisait et ce qui ne se faisait pas à cette époque, me demandant si elle ne s'écartait pas du sujet. Je m'attendais, légitimement peut-être, à un développement sur la honte comme le titre semble l'indiquer et pourquoi pas sur la culpabilisation si ancrée dans cette société d'après-guerre inspirée par le judéo-christianisme où il fallait se sentir coupable de tout ainsi que le curé de la paroisse le serinait chaque dimanche dans son sermon. Cette honte revient cependant à la fin, d'une manière assez inattendue cependant, à travers l'écriture qui non seulement lui permet de solliciter sa mémoire mais surtout de parvenir peut-être à exorciser le passé, ses mauvais moments surtout. Le temps souvent long qui passe entre ces deux épisodes, celui où l'on vit l'événement et celui où on l'écrit, prend sa vraie signification dans les mots qu'on trace sur la feuille blanche. Pourtant quelque chose m'attire chez cette auteur découverte par hasard, cette faculté particulière qu'elle a de raconter au « premier venu » qu'est le lecteur son vécu, son espoir, son intimité, ses phobies, ses fantasmes…Elle peut sans doute éprouver une certaine honte à écrire mais celle-ci ne sera jamais aussi grande que celle qui l'a envahie lors de cet épisode familial.
Cela dit, j'aime son style, cette phrase fluide, agréable à lire.
© Hervé GAUTIER – Août 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com
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Mémoire de fille
- Par ervian
- Le 12/08/2016
- Dans Annie ERNAUX
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La Feuille Volante n°1062– Août 2016
MÉMOIRE DE FILLE – Annie ERNAUX - Gallimard.
L'été 1958, Annie Duchesne, la narratrice, a 18 ans, c'est la plus jeune des monitrices de cette colonie de vacances dans l'Orne où elle arrive avec une volonté farouche de vivre une vraie histoire d'amour, entre passade et perte de sa virginité, c'est à dire de tourner la page de cette enfance et cette adolescence rangées de fille unique d'un couple sans originalité, bourgeois, bien-pensant, catholique ... C'est l'époque de la Guerre d'Algérie, du franc lourd et d'un succès de Dalida. Pourtant à la fin de cet été tous l'ont oubliée. Elle a longtemps voulu écrire cette période, en vain, elle a même dû attendre cinquante ans, pourtant elle reste un jalon dans sa vie, une période un peu floue, tourmentée et rayonnante à la fois où elle est une sorte d'étrangère dont pourtant elle conserve la mémoire précise. Elle décrit cette jeune fille de l'extérieur, comme si dans son souvenir elle était sa propre spectatrice. Pendant cette courte période, elle va découvrir ce qui lui était caché jusqu'alors et particulièrement sa première expérience sexuelle avec un homme, faite la fois de violence et de soumission, de désir, de vantardise, de fierté d'avoir été désirée, de culpabilité, avec les moqueries le mépris des autres. Elle se découvre elle-même, débarrassée de ses tabous, de la honte, habitée par l'insouciance, un appétit débridé de vie, de liberté, de sexe, découvre aussi le regard des autres, à la fois accusateur, inquisiteur, à la fois cruel et envieux. Elle est victime mais aussi bourreau, à l'occasion, revient aux réalités quotidiennes malgré tous les « happy-end » de romans à l'eau de rose ou des chansons, en entretenant cette illusion du premier amour, forcément plus beau que les autres, celui que, paraît-il, on n'oublie pas, qu'on fait revivre en fantasmes … Bien sûr il y aura 1968 et la libération sexuelle, Simon de de Beauvoir et son appel à l’émancipation des femmes, mais au milieu de tout cela elle semble un peu perdue, joue avec ses peurs, avec sa vie, fait une chose et son contraire…
Elle relate cette période à la manière d'un journal intime, avec détail des sensations et analyse des sentiments les plus intimes, comme un film passé image par image mais alterne imperceptiblement, avec le décalage du temps, le « elle » et le « je », révélant sa « parenté personnelle » avec cette tranche de vie ainsi qu'elle a déjà fait dans son œuvre littéraire antérieure. Il y a dans cette démarche à la fois comme un dédoublement de la personnalité et un témoignage extérieur. La narratrice observe cette « fille de 58 » qu'elle a été elle-même, avec des yeux d'aujourd'hui, le temps ayant passé et avec lui l'évolution des choses et le sens critique incontournable qui balaie les certitudes. Je m’interroge depuis longtemps sur l'autobiographie, l'autofiction si on préfère(la distinction entre les deux est subtile). Certes cet exercice, jamais sans risque cependant, est un révélateur, parfois brutal de soi-même. Différente fondamentalement d'une fiction elle ne saurait être ramenée à une simple histoire. Elle met en scène ses propres fragilités qu'on choisit volontairement de révéler par l'écriture et sa publication. Cette démarche demande du temps, suffisamment d'hésitations, une maturation personnelle, une distance assumée des choses, une certaine impudeur aussi, la chance d'être lue par le plus grand nombre et d'accéder à la notoriété littéraire. Se livrer ainsi peut être libérateur, résilient, une manière de fixer les choses dans le temps, d'exprimer un témoignage, comme d'autres prennent des photos. C'est aussi l'occasion de raviver des cicatrices jamais vraiment fermées et qui laissent sur la peau une tache plus claire, les traces de la souffrance, une manière d'apprivoiser ce « présent antérieur », ce va et vient entre hier et aujourd'hui, avec le baume des mots. Pour autant, cet appel à la mémoire, après tout ce temps, génère une atmosphère délétère où tout semble nul à commencer par soi. Alors, dans cet impossible oubli, on convoque les photos et le miracle d'internet à qui beaucoup confient leurs souvenirs personnels, pour une improbable rencontre. Cette fille rejetée par son amant s'y accroche, fait des projets pour le reconquérir, prend pour cela des risques alimentaires insensés, se jette dans le travail scolaire, s'abandonne, sans trop savoir pourquoi au premier venu...
On a beaucoup dit que cette période de la vie, celle où on quitte l'enfance où on n'est pas encore prêt à entrer dans l'âge adulte, où on est à la fois insouciant et révolté, plein d'espoir et d'illusions, est le plus beau de la vie. Personnellement j'en ai un souvenir bien différent et qui ne correspond sûrement pas à cette idée reçue.
Je ne connaissais pas cette auteur. Son style est agréable, naturel, facile à lire, malgré les formules toutes faites, un bon moment de lecture, doublé d'une communion avec son mal-être, ses hésitations, ses états d’âme, sa déréliction, sa désespérance, le poids du passé ...
© Hervé GAUTIER – Août 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com
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Aux portes du royaume animal.
- Par ervian
- Le 10/08/2016
- Dans Amy HEMPEL
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La Feuille Volante n°1061– Août 2016
AUX PORTES DU ROYAUME ANIMAL – Amy Hempel – Éditions Cambourakis.
Traduit de l'américain par Simone Manceau.
Il m'arrive de choisir mes lectures au hasard laissant à ce dernier le soin de me faire découvrir un auteur inconnu. Ce jour là, ce fut un recueil de nouvelles d'Amy Hempel, auteure américaine dont je ne savais absolument rien. D'autre part, j'aime bien l'univers des nouvelles, elles distillent une atmosphère parfois un peu mystérieuse à travers un thème traité et illustré souvent avec une étonnante diversité. La préface de Véronique Ovaldé faisait allusion à Chuck Palahniuk , auteur également américain, roi, selon elle, de « la fiction illimitée » et qui a permis, aux États-Unis de faire découvrir Amy Hempel. Grâce à cette « filiation », elle caractérise l'écriture de notre auteure par « la science de l'exagération et du mensonge », ce qui est un thème de réflexion intéressant et bien de nature à engager ma lecture. La préfacière voit dans l'écriture d'Amy Hempel une science délicate, la compare à des « conversations d’insomniaques ». Ses personnages sont presque toujours des femmes ce qui peut sans dénoter davantage d'êtres perdus, blessés, hantés par quelque d’obsédant. Cela dit, le phénomène de l'écriture est en effet complexe, combinant dans les proportions parfois étonnantes l'évocation du réel et les fantasmes les plus inattendus, l'imagination la plus décousue , le tout enveloppé dans un délire verbal... Reste la création qui, si on veut le voir ainsi, peut parfaitement être regardée comme un mensonge. L'inspiration, d'où qu'elle vienne, prend effectivement des libertés avec la réalité, avec la vérité objective, mais il n'y a rien là d'extraordinaire puisque c'est en quelque sorte son domaine privilégié.
Ma découverte a été totale, comme d’ailleurs ce genre d'écriture débridée qui caractérise ses seize nouvelles. On croit entrer dans une histoire, s'y intéresser, mais, rapidement, celle-ci part dans un autre sens qu'on a peut-être un peu de mal à découvrir au début puis à suivre ensuite tant le cheminement est compliqué et peut-être exagéré. Est-ce l'attrait de la nouveauté, peut-être aussi l'espoir un peu fou de découvrir un fil conducteur des textes lus, j'ai poursuivi ma lecture jusqu'à la fin parce que j'ai fait ce que je pouvais pour que ce livre ne me tombe pas des mains, histoire de voir combien de temps mon appétit de découverte allait durer. J'ai été intrigué par une phrase d'une des nouvelles où l'auteure fait dire à un de ses personnages «J'exagère pour que vous appreniez à me connaître plus vite ». Même après réflexion, cela ne me paraît pas forcément être un chemin de la connaissance bien fiable, à moins que … et cette façon de manier le mensonge, de camoufler ce qui peut être la réalité sous des dehors quelque peu exubérants est peut-être une manière de cacher une fêlure...
Je ne suis pas pour autant de ceux qui sont prompts à s'extasier devant une œuvre d'art au seul motif qu'ils n'y ont rien compris et qu'il convient, pour sortir du lot des amateurs parfois dubitatifs mais qui se veulent inspirés, de la porter aux nues. Mais quand même, je n'ai pas compris grand-chose à toutes ces histoires échevelées, je n'en ai pas retenu grand chose non plus à part peut-être le sentiment d'être passé à côté de quelque chose qui m'a complètement submergé par son mystère, son imagination créatrice et sa manière de les exprimer. Mais après tout on s'extasie bien devant les tableaux surréalistes même si j'ai du mal cependant à être de ces admirateurs !
Le livre refermé, il me reste un grand point interrogation sur l'auteure d'abord dont je n'ai sûrement pas été capable de goûter le génie créateur, sur moi-même ensuite, sans doute trop habitué par mes lectures à n'apprécier que ce qui est classique ou prétendu tel. Je ne sais pas.
Peut-être reviendrai-je vers cette auteur, peut-être pas ?.
© Hervé GAUTIER – Août 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com
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il diavolo, certamente
- Par ervian
- Le 08/08/2016
- Dans Andrea Camilleri
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La Feuille Volante n°1059– Août 2016
IL DIAVOLO, CERTAMENTE – Andrea Camilleri – Libellule Mondadori.
On dit qu'il se cache dans les détails, qu'il ne faut pas le tenter, qu'on peut lui vendre son âme, que les femmes ont sa beauté, mais on pourrait tout aussi bien penser qu'il est dans les non-dits, dans tout ce qui n'est pas révélé. Comme nous l'enseigne l’Église, le diable est partout et pour nous, pauvres humains, il se manifeste dans la compromission, la perfidie, le mensonge la trahison, la lâcheté, l'adultère… d’autant plus facilement ce cela fait partie de notre nature. Et c'est sans doute quand il s'habille en Prada qu'il est le pire
J'ai lu ces courtes nouvelles au nombre de trente trois, en italien, et souvent à haute voix, pour la beauté et la musicalité de cette langue. C'est toujours un plaisir. Elles sont délicieusement amorales, parfois drôles, parfois tragiques, le miroir de la vie tout simplement. Camilleri, surtout connu par ses romans policiers, fait ici dans l'abrégé, dans la concision, jusque dans la chute et chacune de ses nouvelles compte environ trois pages, un peu comme si elles étaient écrites pour les lecteurs pressés d'aujourd'hui. [d'ailleurs 33 nouvelles de 3 pages chacune donnent 333 et si vous le multipliez par deux vous obtenez 666 est est le chiffre du diable lui-même !]Il ne fait pas non plus dans l'analyse psychologique comme on pourrait s'y attendre, pas davantage dans les descriptions et les dialogues sont réduits à leur plus simple expression. Son panel est étendu et il n’épargne personne, juges et cambrioleur, employés, époux, professeur, écrivains (pourquoi pas?) et même prêtres, après tout, pour être les représentants de Dieu sur terre, ils n'en sont pas moins des hommes !
Ses thèmes favoris sont le couple, ce qui dans ce domaine n'est guère étonnant et on ne peut quand même pas lui reprocher, à lui l'auteur célèbre de thrillers, d'abandonner le crime dont il a fait son fonds de commerce. Il met volontiers ses personnages dans le contexte du quotidien le plus banal ou face à leur destin ou à l'ironie du sort et pourquoi ne pas y voir là aussi la marque du diable ? Après tout que la vie d'un homme à la cinquantaine rangée et comme définitivement établi, vienne à être, par le plus grand des hasards, dérangée par un amour de jeunesse qui soudain refait surface, qu'un service qu'on aurait pas dû rendre se matérialise en catastrophe, qu'un lapsus, par ailleurs révélateur, soit le fait d'un ecclésiastique que, même au pays de la Mafia, un tueur ne puisse pas honorer son contrat, qu'une épouse rencontre fortuitement les deux maîtresses de son mari, qu'un crime dont on accuse un innocent qui ne pourra pas se disculper soit payé par lui et malgré lui, qu'un magistrat trop amateur de romans policiers soit induit en erreur par une de ses lectures, qu'un partisan soit trahi par une simple souris, on peut toujours imaginer que cela puisse arriver. Après tout la fiction, qui est parfois bien en de-ça de la réalité, est là pour nous inviter à sa table.
Après tout, notre condition d'homme nous réserve parfois des surprises pas toujours agréables. L'argent, le sexe, c'est ce qui fait marcher le monde et parfois aussi ils contribuent à sa destruction. Il ne faut pas oublier non plus les distinctions et promotions, pourtant temporaires et illusoires, mais qu'on recherche et justifie pour écraser et parfois éliminer son prochain. Les vices et les travers de la condition humaine sont une mine pour l'écrivain attentif, devenu ici un conteur d'exception, et la morale n'est pas toujours sauve parce que la justice immanente, celle dont on nous a tant rebattu les oreilles et qui est censée punir les méchants et récompenser les bons, n'existe pas. Quant à la justice des hommes, Blaise Pascal, en peu de mots, en a résumé le sens et toute la philosophie ! Même si cela nous choque, heurte notre bon-sens, ce sont souvent les tricheurs, les menteurs, les épouses et époux adultères qui ont raison et les innocents qui ont tort. Le hasard gouverne nos vies, l'erreur est humaine, la naïveté, l’hypocrisie aussi et les fausses certitudes égarent le jugement le mieux aiguisé... L'espèce humaine, dont nous faisons tous partie, est capable du pire comme du meilleur, mais c'est bien souvent le pire qui l'emporte et quand il s'agit de s'affirmer face à l'autre et souvent d'être son bourreau nul n'est à court d'imagination. On peut toujours chercher ailleurs des responsables de tout ce qui nous porte préjudice, de donner un visage à cette malchance qui parfois nous assaille... c'est diablement humain !
© Hervé GAUTIER – Août 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com
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Deux jours de vertige
- Par ervian
- Le 05/08/2016
- Dans Eveline Mailhot
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La Feuille Volante n°1060– Août 2016
DEUX JOURS DE VERTIGE – Eveline Mailhot – Notabilla.
Dans un coin reculé de la campagne québécoise, un groupe d'amis a décidé de se retrouver pour fêter l’anniversaire de Félicie. Celle qui nous présente les convives, c'est Sara, la trentaine, une doctorante qui peine a terminer sa thèse et hésite beaucoup sur son avenir. Apparemment l'université ne l'enthousiasme pas et elle est à l'âge des grandes décisions pour soi-même. Parmi ceux qui doivent venir, elle apprend au dernier moment que Hugo sera de la fête, ce même Hugo avec qui elle a vécu bien des années auparavant et qui l'a quittée. Même si elle ne l'a pas oublié, cette nouvelle la laisse circonspecte.
La soirée du premier jour s'étire mollement avec des conversations convenues, artificielles, parfois des confidences pleines de promesses et l'alcool aidant chacun se lâche mais sans plus. On parle les uns des autres, de ses souvenirs communs, on se demande des nouvelles… Les retrouvailles entre Sara et Hugo sont hésitantes mais la jeune femme, malgré leur aventure ratée se sent de plus en plus attirée vers lui.
C'est une jeune femme sensible, assez incapable de cacher ses sentiments, de mentir, d'être hypocrite. On sent bien que ces questions lui donnent le vertige autant que l'envie qu'elle a de renouer avec son ancien amant. Ensuite l’alcool délie un peu les langues, alourdit le sommeil avec des rêves, il y a pas mal de fantasmes autour de chacun mais finalement il ne se passe rien de ce qu'on pouvait attendre, à tout le moins entre eux deux. Ses états d'âme n 'empêchent pas Sara de profiter du moment présent, mais avec un autre et de n'en rien montrer. Qu'adviendra-t-il de cette toquade amoureuse ? Elle durera peut-être quelque temps puis se dissoudra dans le présent sans rien donner pour l'avenir. Ensuite, chacun repart de son côté avec des promesses de se revoir qui ne seront bien entendu pas suivies d'effet et la vie reprend son cours pour chacun après cette parenthèse de deux jours.
Je me suis sans doute laissé abusé par le graphisme de la couverture, et peut-être aussi par « la quatrième ». Je m’attendais à autre chose, surtout en matière de vertige, mais j'ai surtout ressenti de l'ennui à la lecture de ces pages. Cela dit c'est bien écrit, ça se lit bien, mais l'action est lente, artificielle, sans intérêt autre que cette ambiance un peu triste d'une réunion de famille à huis-clos. Finalement je n'ai fait qu'effleurer ce roman que ne m'a pas passionné. Mais peut-être suis-je passé à côté de quelque chose ?
© Hervé GAUTIER – Août 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com
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l'assassin à la pomme verte
- Par ervian
- Le 31/07/2016
- Dans Christophe Carlier
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La Feuille Volante n°1058– Juillet 2016
L'ASSASSIN À LA POMME VERTE – Christophe Carlier – Serge Safran éditeur.
Ouvrir un roman, ici une première œuvre, d'un auteur qui m'est inconnu est pour moi soit une découverte soit une déconvenue. Il y a l'histoire , ici un peu banale au départ : Craig, vaguement anglais, qui enseigne la littérature française aux États-Unis, arrive à Paris, invité par plusieurs institutions. Cette marque de notoriété le fait descendre dans un hôtel de luxe sur la rive droite, « Le Paradise » où exerce aussi Sébastien, modérément étudiant aux Beaux-Arts, en qualité de réceptionniste de nuit de l'établissement où est également de passage Elena, une jolie italienne travaillant dans la mode. C'est autour de ces trois personnages principaux, complétés à la fin par Vicky, l'épouse de Craig, que va se nouer l'intrigue. On devine facilement que dans ce microcosme hôtelier, où il se passe toujours quelque chose, où s'agitent des clients aussi fortunés que fantasques, ces trois-là qui n'ont à priori aucun atome crochu vont se rencontrer et vivre une tranche d'histoire. Il ne faut pas être grand clerc pour supposer qu'une passade va exister entre l'Italienne et le Britannique tous les deux momentanément solitaires. Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes s'il n'y avait un meurtre, comme le titre le laisse entendre, un client de l'hôtel ; un Italien, genre « donnaiolo », suffisant et enrichi par la vie est retrouvé mort dans sa suite, avec, à ses côtés une carte postale énigmatique, une sorte d’exécution rituelle et mystérieuse sans véritable mobile.
Dès lors que le meurtre est accompli nous avons le choix entre l'acte gratuit, façon Lafcadio dans « Les caves du Vatican », l'action inconsciente d'un meurtrier refoulé et que le hasard aurait suscitée, une volonté de se venger des injustices de la vie sur la personne d'un inconnu plus favorisé que soi, une banale habitude américaine de tuer, un crime passionnel qui n'ose dire son nom, l'envie de compromettre un innocent…L'auteur se plaît à prêter à ses personnages les intentions les plus tordues et les fait s'échanger des confidences auxquelles on ne s'adonne que loin de chez soi, de préférence en compagnie d'inconnus, avec en arrière-pensées des amours de contrebande. Tous peuvent avoir commis ce crime mais on s'aperçoit assez vite que ce n'en est pas un, ce qui laisse le lecteur, abusé peut-être par le titre, sur sa faim. Je ne suis pas familier de ce genre de lecture mais j'ai lu ce roman comme j'aurais lu une bande dessinée où chacun des protagonistes prononce des paroles intérieures, se construit des fantasmes qui pourraient parfaitement trouver leur place dans des bulles. J'ai aussi goûté le contraste étonnant dans le style où se côtoient, dans la plus grande partie, un style léger, primesautier, parfois poétique et humoristique où l'auteur explore ce qui se passe dans la tête de ses personnages, leurs exubérances, leurs craintes, leurs chimères, avec, au passage des remarques pertinentes sur l'espèce humaine et, dans la partie la plus courte de l'épilogue, le monologue dramatique de Vicky devenue veuve, une sorte de réflexion sur la vie commune, sur l'usure du couple, sur la légèreté ou la pesanteur du temps qui passe et son incontournable action dévastatrice sur les corps et les âmes, une méditation sur ce mari qu'elle admirait mais dont elle découvre « le misérable petit tas de secrets » dont parle Malraux d'où, bien entendu , elle est absente. Chacun de nous les garde jalousement et parfois ils nous font peur parce qu'ils nous révèlent à nous-mêmes. Il y a cette comédie qu'est la vie, que nous jouons tous avec plus ou moins de talent et qui s'achève toujours en tragédie puisque, même si nous choisissons de l'oublier en permanence, nous ne sommes que les usufruitiers de notre propre existence. Elle est bien souvent faite de compromis, de compromissions, de trahisons, d'impostures, de cuisantes désillusions et le bilan qu'on peut faire, dans l'intimité de son for intérieur, de ces années de vie commune, est rarement positif.
Reste le titre, avec sa référence à Magritte, la symbolique dont les surréalistes (surtout lui) étaient friands : ce tableau représentant un homme coiffé d'un chapeau melon dont le visage est caché par une pomme verte. Il y a certes le mystère que nous représentons tous, y compris pour nous-mêmes, la symbolique de la pomme, de la faute qui vaut à Adam et Eve d'être chassés du paradis (l'hôtel parisien s'appelle « le Paradise »), l'opposition entre ces deux mots italiens simples mais porteurs d'amour de la carte postale du mort à l'hôtel et cette lettre rédigée par Vicky, une façon de faire ressurgir son mari du néant, comme une vengeance posthume d'une femme trahie qui prend soudain conscience du mensonge avec lequel elle vivait sans le savoir.
Un roman pas si banal que cela cependant, un peu énigmatique, fort bien écrit, plein d'aphorismes bien sentis et, alors qu'on s'attend à la relation d'une passade ordinaire, même si elle est un peu laborieuse, toute en retenues et en bons sentiments mêlés, au point qu'on finit par douter de sa conclusion survenue in extremis, avec en prime un cadavre qui n'est pas vraiment celui qu'on imagine, une enquête un peu bâclée, des policiers fantomatiques, une affaire vite classée, des coupables potentiels qui laissent l'amateur de roman policier dans l'expectative, une morale sauve et juste, une variation sur le temps, l'éloignement, la mémoire, le hasard d'une rencontre, l'attirance de deux êtres, avec cette volonté qu'on ne maîtrise pas face au temps qui passe et aux certitudes qu'on se construit.
© Hervé GAUTIER – Juillet 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com
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Etre ici est une splendeur
- Par ervian
- Le 30/07/2016
- Dans MARIE DARRIEUSSECQ.
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La Feuille Volante n°1057– Juillet 2016
ÊTRE ICI EST UNE SPLENDEUR – Marie Darrieussecq – P.O.L.
Paula Modersohn-Becker(1876-1907) était-elle de ces êtres qui sentent venir la mort ? Toujours est-il qu'à 26 ans elle avait déjà décrit ce que devait être sa tombe et n'a vécu que trente et un ans. Cela est-il dû à son côté romantique ( « La jeune fille et la mort ») ou était-elle de ces gens qui sont pressés de vivre parce qu'ils savent qu'ils mourront jeunes? Elle aimait le dessin et la peinture et quand elle quitta l'Allemagne pour l’Angleterre, alors âgée de 16 ans ce fut pour y prendre des cours de dessins. Ce fut le début de ses voyages. Plus tard, à Berlin puis à Paris où elle fait plusieurs séjours artistiques, elle s’initiera à la peinture, rencontrera le peintre paysagiste Otto Modersohn qui deviendra son mari. Auparavant elle connaîtra le sculpteur Rodin et le poète Reiner Maria Rilke avec qui elle entretiendra une longue correspondance et une amitié qui le fera hésiter longtemps. C'est pourtant une autre femme, l'amie de Paula, Clara Westhoff, une sculptrice, avec qui pourtant elle se brouillera, que l'écrivain épousera pour une union d'où l'amour sera absent. Une fois mariée avec Otto, Clara non plus ne sera pas heureuse, elle s'étiolera dans le quotidien, ne pensant qu'à sa peinture et elle qui aimait les enfants mourut à la suite de l'accouchement de sa fille Mathilde.
Je l'ai déjà dit dans cette chronique, j'aime lire les biographies parce que, notamment, elles dévoilent dans le détail ce que furent réellement ces hommes et ces femmes pas forcément célèbres mais qui furent oubliés de leur vivant, révèlent leurs doutes, leurs espoirs, leurs victoires comme leurs échecs, redessinent d'eux une image qui bien souvent ne correspond pas à celle qu'a choisit de retenir la postérité. L'auteure a collationné ces informations autant dans les journaux tenus par Paula et Otto que dans leur abondante correspondance.
Je ne connaissais pas l’œuvre de Paula Modersohn-Becker. Ce que je peux en retenir c'est son style dédié aux paysages puis plus tard aux portraits, une série de tableaux inspirés par les impressionnistes français, par Cézanne alors inconnu et les nabis. Mais surtout que c'est une des rares fois où c'est une femme qui peint des femmes, parfois leur nudité mais comme elle les voit, comme elle se voit elle-même puisqu'elle se peint nue (nue et enceinte). Elle peint ce qu'elle voit, avec ses yeux de femme et non pas comme des modèles féminins peints par des hommes comme c'est le cas le plus fréquent. C'est en tout cas un(e) peintre qui vend peu, seulement trois tableaux de son vivant mais qui dépend des subsides de son marin, même quand elle absente du domicile conjugal. J'ai aimé la liberté de cette femme, sa soif de vivre, de peindre surtout quand elle la conjugue avec la solitude, malgré le manque d'argent, malgré la routine et la déception du mariage qu'elle finit par briser Elle y gagne un style, le sien, et dès lors sa « production » s'accélère mais sans qu'elle le sache, elle manque de temps et la mort guette !
J'ai peu lu Marie Darrieussecq et ce que j'en connais ne m'a pas emballé. Je suis peut-être tout simplement passé à côté de chefs-d’œuvre et cela tient sans doute à moi. Il n'empêche, j'ai lu cette biographie jusqu'au bout parce que le personnage de Paula m'intéressait, sans doute aussi parce qu'elle est morte jeune, que sa vie a été courte et que cela me semble être un gâchis au regard de ce qu'elle avait à dire. Que l'auteure ait, de son propre aveu, écrit cet hommage à cause du dernier mot prononcé par Paula, « dommage », m'interroge et m'émeut à la fois, un seul mot qui trahit la conscience de ce qui lui arrivait, un regret de la vie qui s'en va, de la vie que le destin lui volait, une impossibilité de poursuivre son parcours artistique, l'inachèvement de son œuvre... Même si aujourd'hui, après être passée sous les fourches caudines des nazis qui considérèrent sa peinture comme « dégénérée » et la destruction des bombardements, elle a son musée à Brême et une gloire posthume, comme souvent !
© Hervé GAUTIER – Juillet 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Effroyables jardins
- Par ervian
- Le 28/07/2016
- Dans Michel QUINT
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La Feuille Volante n°1056– Juillet 2016
EFFROYABLES JARDINS – Michel Quint – Éditions Joëlle Losfeld.
On peut être instituteur, respecté par ses élèves et par ses collègues, être admiré de son épouse et aimer faire le clown, l'auguste, celui qui fait tant rire les enfants, ... et être détesté par son fils pour cette activité qui ressemble à une passion. Pourtant, André, c'était un clown triste, comme s'il expiait quelque chose d'inavouable qui appartenait à une face sombre de son personnage, une sorte de malédiction et cela ne tenait pas au fait qu'il était mauvais et qu'il le savait. Cependant, de l'aveu même de ce fils, le narrateur, cet homme était un marrant, quelqu'un qui aimait rire et de ce fait était l'image même d'un paradoxe. Le jeune garçon qu'il était alors devait bien faire sa crise adolescence puisqu'il ne goûtait guère, en plus des excentricités de son père, ni sa Dyna Panhard, ni les déjeuners de famille, ni ce film du dimanche qui parlait de la guerre, ni même son cousin Gaston et Nicole, sa dulcinée. C'est pourtant ce Gaston, un bon à rien selon sa mère, qui va servir de truchement et affranchir le garçon qui dès lors verra son père autrement et ce cousin aussi d'ailleurs. Cela remontait à la guerre, la deuxième, où son père et son cousin qui faisaient de la résistance, presque pour rire, en dilettantes et, sans précaution ni volonté de se cacher, ont fait sauter le transfo de la gare de Douai. Seulement quand ils ont été pris au hasard par les Allemands avec d'autres otages, tous promis à la mort, fini de rire ! Pourtant le rire (et pas seulement), c'est ce que leur geôlier, un soldat allemand, clown dans le civil et francophone de surcroît, peut leur offrir pour ne plus penser à la mort, au fond d'un trou où ils avaient toutes les chances de la rencontrer.
Il doit bien y avoir un dieu quelque part qui arrange les choses ou alors la chance, le hasard, allez savoir... André et Gaston s'en sont tirés après quand même pas mal de pérégrinations. De tout cela reste cette malédiction de l'auguste que le gamin devenu grand peut enfin assumer bien des années après la mort d'André. Cet homme a, pendant tout le reste de sa vie, sous son nez rouge et sous le fard, rendu hommage à ce clown-geôlier devenu plus tard producteur de cinéma, qui, dérisoirement, les a aidé à supporter leur détention et à faire prévaloir la vie. Le narrateur lui-même le fera sous les trait d'un clown et viendra, présence anachronique, au procès de Papon, cet homme qui, au mépris de la vie des autres a mené une carrière de Haut-Fonctionnaire, de « grand commis de l’État », député, préfet, ministre du budget sous le gouvernement Barre qui avait commencé sa carrière sous le régime de Vichy et la collaboration avec les nazis, l'avait poursuivie avec de hautes responsabilités et des honneurs comme la République sait parfois en délivrer, mais avait terminé sa vie par une condamnation en 1998 pour complicité de crime contre l'humanité, attachant définitivement son nom à la déportation des juifs. Le narrateur devenu adulte rendra donc hommage à son père de cette manière, se délivrant du même coup du poids de cette enfance, montrant ainsi que le procès de ce vieillard, devenu face à ses juges un misérable pitre, n'était qu'une mascarade, opposant un humour dérisoire aux massacres dont il fut le complice, à la mémoire qui se dissout si bien dans le temps, à l'oubli qui caractérise tant l'espèce humaine.
Le style de ce court roman est sans aucune recherche ni aucune fioriture littéraire, spontané...
Je me souviens avoir vu, il y a de cela bien des années, une adaptation cinématographique un peu différente de ce roman par Jean Becker en 2003 et que j'en avais été ému. Cela tenait aussi sûrement aux interprètes et notamment le très regretté Jacques Villeret.
J'ai abordé l’œuvre de Michel Quint avec « Apaise le temps » (La Feuille Volante n° 1053) qui m'a modérément plu. J'avoue que là je change volontiers d'avis à cause de ce roman et de ce film.
© Hervé GAUTIER – Juillet 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Quelle terreur en nous ne veut pas finir?
- Par ervian
- Le 27/07/2016
- Dans Frédéric Boyer
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La Feuille Volante n°1055– Juillet 2016
Quelle terreur en nous ne veut pas finir ? – Frédéric Boyer- P.O.L
Ce petit livre, pris au hasard sur les rayonnages de la bibliothèque et qui peut aisément se ranger dans quelque chose qui ressemble à un billet d'humeur prend une résonance particulière dans les temps que nous vivons. Il y a actuellement une urgence, celle de la terreur. Quel est en effet le sens de ce titre un peu abscons ? De l'aveu même de l'auteur, nous vivons depuis quelques années dans une atmosphère d'insécurité. Mais n'y a-t-il pas en nous une autre forme de terreur qui n'en finit pas, que nous entretenons nous-mêmes et qui nous empêche de finir quelque chose, de passer à autre chose. Être soi-même terrorisé implique qu'on va terroriser les autres et ainsi que ce mouvement se nourrira lui-même, ne connaîtra pas de fin. Cette terreur entretenue autant par les événements que par les discours politiques, engendre un fantasme collectif selon lequel, si nous accueillons les autres, des immigrés, nous serons un jour remplacés par eux et face à cela, seule l'exclusion s'impose, au nom notamment d'une identité nationale qu'il convient de restaurer et de sauvegarder. Face à cela l'auteur propose une morale de l’accueil et n'en veut pour preuve que les grandes civilisations se sont toutes construites sur hospitalité ou sinon sont mortes. C'est une position qui va à l'encontre des idées qui irriguent notre société basée en grande partie sur l’hypocrisie de celui qui ne veut rien voir de la réalité. Ainsi ce petit essai, parsemé de vérités dérangeantes et pas forcément plaisantes à entendre, invite-t-il à sortir du traditionnel commentaire littéraire, prend-il une dimension politique, est-il une invite à une remise en question de notre état d'esprit volontiers porté sur le repli identitaire, parce que les idées qui ne sont pas remises en cause sont promises à une sclérose définitive et néfaste. Elles doivent évoluer comme une langue pour ainsi s'enrichir, s'adapter. L'apport de l'autre ne peut que faire changer les choses, renforcer la société, et c'est plutôt bien ainsi. Il se base notamment sur discours chrétien, n'hésite pas à convoquer le Christ, exemple de compassion, le prophétisme de la Bible, l’Évangile et son message d'entraide, Saint Augustin et son discours basé sur l'amour du prochain mais aussi sur les traditions philosophiques et littéraires de l'occident. Dès lors l’accueil de l'autre, cet altruisme, devient une nécessité humaine et se transforme en une force pour la communauté accueillante. Elle a donc tout à y gagner à ouvrir ses portes aux autres. C'est une invite à une prise de conscience, à regarder le monde tel qu'il est, dans sa diversité, dans sa complexité, dans sa globalité jusque et y compris contre la « bien pensance », le fantasme général auxquels il oppose volontiers son discours de naïveté, d'innocence qui bien sûr dérange et va à l'encontre de l'air du temps.
Quand nous avons fait le choix de vivre dans une société démocratique et républicaine, l'accueil de l'autre est de règle, même si, au cours de notre histoire, cette posture a bien souvent été mise à mal, et en retour l'immigration peut être considérée comme une richesse. Pour autant je me souviens du discours réaliste de Michel Rocard rappelant que même si la France devait prendre sa part dans la lutte contre l'exclusion, elle ne pouvait accueillir toute la misère du monde. D'autre part, à l'heure où les démocraties sont la cible des terroristes qui ont souvent leurs racines dans l'immigration, ces derniers exploitent les fragilités des pays qui les accueillent en vue les détruire et d'y instaurer un régime différent à la fois politique et religieux. Sans donner ni dans la vengeance, ni dans la tentation de l'exclusion et bien entendu pas dans l'amalgame toujours dangereux, il s'installe dans nos démocraties un sentiment de peur qui ne manquera pas à terme, favorisé sans doute par un discours politique partisan qui joue sur l'émotion légitime, de se retourner contre l'immigré, et ce, sans aucune volonté de nuances. Ainsi la terreur dont nous seront l'objet se retourna-t-elle contre l'autre et c'est sans doute en cela que Frédéric Boyer voit juste.
Le texte est d'une intensité hors du commun, les mots surtout dits à haute voix, prennent une dimension dramatique et invitent à la réflexion. Ainsi le livre refermé, je suis bien partagé, à la lumière des événements récents notamment l'assassinat par des terroristes islamiques d'un prête octogénaire au cours de son ministère ainsi que les massacres de populations civiles au nom d'une idéologie de la terreur. Accueillir des immigrés, la France l'a largement fait au cours de son histoire, et cela s'est passé globalement sans heurts et même avec une grande volonté d'intégration de part et d'autre. Cela a fait d'elle une nation multiethnique et multiculturelle, un véritable « melting pot », un pays « black blanc beur » qui pouvait à l'occasion servir de modèle sur le thème du « vivre ensemble ». La multiplication des attentats aussi aveugles qu’imprévisibles, caractérisant un état de guerre, générera forcément un climat de méfiance qui nuira à notre tradition d'hospitalité et se retournera contre l'immigré et ce d'autant que , dans notre pays, le racisme, notamment anti-arabe, est particulièrement enraciné.
© Hervé GAUTIER – Juillet 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Peleliu
- Par ervian
- Le 17/07/2016
- Dans Jean Rolin
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La Feuille Volante n°1054– Juillet 2016
PELELIU – Jean Rolin - POL
Le titre évoque une petite île de l'Océan Pacifique, dans l’archipel des Palaos, occupée et fortifiée par les Japonais pendant la deuxième guerre mondiale, qu'une carte bienvenue situe pour le lecteur sur le cadastre mondial. Des combats meurtriers s'y sont déroulés, les opposants aux Marines Américains pendant l'été 1944. A cette occasion l'auteur choisit d'évoquer la vie d'un officier américain, le lieutenant-colonel Pete Ellis, né en 1880, qui au début de sa carrière militaire s'était couvert de gloire, de galons et de décorations prestigieuses notamment pendant la Première guerre mondiale en France et qui est mort en 1923 sur une île également tenue par les Nippons. Auparavant, il avait fréquenté ces contrées maritimes en qualité d'officier puis ensuite d'espion américain ainsi qu'il se qualifiait lui-même et avait émis des théories militaires qui furent reprises pendant la guerre du Pacifique prônant notamment le principe du débarquement. L'ennui pour lui c'était que non seulement il était peu discret, ce qui est grandement dommageable pour un espion, mais surtout qu’il était alcoolique, deux choses qui ont peut-être précipité sa mort restée mystérieuse, dans une île tenue par les Japonais. Au cours du deuxième conflit mondial des combats meurtriers, inutiles et par ailleurs gommés de la mémoire collective, s'y sont déroulés.
Il nous dévoile au long des pages la géographie, la faune faite de poules sauvages, de chiens, de rats, de serpents, de crocodiles de mer et de crabes de terre ce qui ne la fait pas spécialement ressembler à une île paradisiaque comme on pourrait s'y attendre. C'est bien de cette partie de son histoire, celle des combats qui s'y sont déroulés pendant la guerre du Pacifique, qu'il a choisi de nous entretenir. Il évoque non seulement la mort des soldats dans des combats sanglants mais surtout la peur qui précède les interventions, dans l'inaction, l'envie que certains ont de se suicider pour en finir plus vite et éviter ses souffrances et l'angoisse d'être tués par l'ennemi lors de l'attaque. Il s'appuie pour cela sur des récits d'écrivains qui ont participé à ce conflit, s'approprie leur histoire, évoque les inévitables faits d'armes de héros restés anonymes, des personnalités marquantes par leur originalité ou leur petitesse comme ce genre d'événements est de nature à les révéler...
Il croise cette évocation avec un récit de voyage personnel, dans cette île en 2015 , avec ses petits détails et ses états d'âme dans et la revisite avec pour fil rouge les opérations militaires des Marines et les vestiges de la bataille qui s'y est déroulée alors qu'elle est plutôt réputée pour la plongée sous-marine. Il y ajoute des précisions historiques qui se perdent parfois dans une énumération inutile, des renseignement érudits et des épisodes, tels que celui du sauvetage des chiots, insignifiant sans finalement grand intérêt.
J’avoue que lorsque j'ai pris ce petit volume, au hasard, sur les rayonnages de la bibliothèque, je pensais avoir affaire à un roman et le nom de l’auteur ne me disait rien. C'est en fait un récit de voyage, un reportage personnel agréablement écrit, avec parfois un regard ironique sur l'espèce humaine, où il nous détaille par le menu la géographie, l'histoire mais aussi le quotidien de ce voyage en insistant cependant sur les morts de cette guerre. Le livre refermé je me suis dit que j’avais certes appris quelque chose sur ces affrontements (et pas seulement), que les combats, pourtant sanglants qui s'y étaient déroulés, n'avaient servi à rien (comme bien souvent lors des guerres) et qu'ils auraient même pu ne pas avoir lieu sans que le sort du conflit en soit changé en quoi que ce soit. Le seule chose que peut m'émouvoir c'est l'évocation du sacrifice de ces jeunes gens dans un enfer guerrier. J'en garde un sentiment mitigé, pas vraiment mauvais mais pas passionnant non plus.
© Hervé GAUTIER – Juillet 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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apaise le temps
- Par ervian
- Le 11/07/2016
- Dans Michel QUINT
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La Feuille Volante n°1053– Juillet 2016
APAISE LE TEMPS – Michel Quint – Phébus
C'est bizarre les successions, parfois ça vous tombe dessus sans crier gare surtout si on n'a aucune parenté avec le défunt et qu'il s'agit d'une librairie hors d'âge située dans un quartier oublié de Roubaix, à l'heure de l’achat sur internet et des liseuses. En principe on songe aux droits exorbitants à payer, aux dettes, au stock invendable, au découvert bancaire et aux ennuis futurs… et on refuse. Yvonne, la patronne, célibataire sans enfant, vient de mourir subitement, instituant un client, Abdel Duponchelle, jeune professeur, son légataire universel. Mais, chose étrange, il accepte, par fidélité à sa mémoire, à son œuvre d'insertion en faveur des plus défavorisés, à cause d'une sorte de dette personnelle, parce que c'est un peu là qu’il a appris, lui l'arabe blond, à aimer la littérature, et qu'il est maintenant professeur agrégé de Lettres... Accepter, autant dire une folie, même s'il peut compter sur d'anciens clients pour l'épauler ! Le voila donc transformé en apprenti-libraire mais la faillite menace qui était déjà en embuscade du vivant d'Yvonne. Il va donc explorer ce fonds, en estimer la valeur et trouver, un peu par hasard des clichés oubliés puisque Yvonne avait abandonné son ancien métier de photographe pour reprendre la librairie à la mort de ses parents. Ainsi, et à sa grande surprise, le conflit algérien revit-il sur ces photos oubliées avec les inévitables coups de mains meurtriers de l'OAS, du FLN, du MNA, autant d’abréviations qui cachaient la violence, la lutte pour l'indépendance, les trahisons, les règlements de compte, les actes terroristes commis à Roubaix et leurs lots de morts, les harkis qui sont venus s'installer dans la région et la xénophobie qui va avec.
Ce court roman, refermé, je suis un peu circonspect. Je ne suis vraiment entré, dans ce livre qui tient un peu de l'énigme policière, que dans les dernières pages. Il y a cette inévitable opposition entre Saïd, un client inculte mais qui cherche, à sa manière, à apprivoiser les mots, et Abdel, professeur de Lettres, tous deux arabes, une manière comme une autre d'illustrer ce combat contre illettrisme et peut-être aussi de consacrer la primauté de l'éducation dans ce combat qu'on considère bien souvent comme perdu d'avance. Saïd est un personnage étrange qui parle aux morts et, en greffier consciencieux, en tient la liste. D'elle viendra une forme d'explication à ce qui, au fil des pages, cultive une vraie ambiguïté. J'aime ces figures qui sortent de l'ordinaire. J'ai aimé aussi cette folie dont le seul but était de faire perdurer la mémoire d'Yvonne en n'abandonnant pas sa vieille librairie à l'encan d'une faillite. C'est l'occasion d'explorer les entrailles de ce commerce qui ressemble davantage à une bibliothèque avec ses archives qui parlent pour qui sait les écouter et les interpréter. On découvre au rythme des déblaiements ce qui n'est pas forcément beau à voir, qui bouscule un peu les idées reçues et gentiment entretenues, les amours contrariées par les événements, fait tomber les masques et s'effondrer les évidences. J'ai aussi apprécié le style abrupte et incisif de cet auteur que je ne connaissais pas. Michel Quint évite heureusement d'évoquer l'historique du conflit algérien mais réveille quand même, en filigrane, ce que furent ces « événements » meurtriers en métropole. Il fait ici une œuvre louable, à travers la réconciliation entre Saïd et Zerouane, le harki, traite à l'Algérie dans ce conflit.
Je sais que nous sommes dans une fiction qui permet tout, où l'imagination est reine et le happy-end tentant, mais j'ai personnellement toujours été étonné qu'on veuille, à toute force, au nom de l’humanisme, de la vie qui continue...(ce qui est louable), réconcilier les ennemis d'hier. Il me semble que la rancœur existe, que la mémoire est tenace surtout si elle s'habille de douleur, de souffrance et de mort. Je ne suis pas bien sûr que cela ne soit pas à ranger au magasin des bons sentiments dont nous savons tous qu’ils sont artificiels, et, face à eux, les cicatrices d'une guerre ont du mal à se refermer. Je ne suis pas bien sûr non plus que tout cela soit apaisant, que le temps gomme les ressentiments mais si officiellement cela répond à une décision politique, à une amnistie inévitable. Les pays où tout le monde s'aime, s'entraide, où on choisit de tout oublier au nom de la fraternité, de l'apaisement, pour conjurer le passé, les trahisons anciennes, ça ne dure jamais bien longtemps, comme l'histoire que voudrait réécrire Abdel, avec le concours de Saïd et de Zerouane et les anciens clichés d'Yvonne. Quant au racisme anti-maghrébin, anti-arabe, si ancré dans notre pays, un rien le fait renaître. Les événements actuels le montrent malheureusement avec les attentats islamistes et les amalgames inévitables, inspirés et entretenus par des partis extrémistes dans une France qui se veut plus que jamais et malgré tout multiculturelle. Enfin, ce concept de réconciliation qui fleurit dans les dernières lignes de l'épilogue avec cette histoire de prostitution familiale ne m'a pas convaincu non plus.
Un sentiment mitigé donc.
© Hervé GAUTIER – Juin 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Leïlah Mahi 1932
- Par ervian
- Le 23/06/2016
- Dans Didier Blonde
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La Feuille Volante n°1052– Juin 2016
LEÏLAH MAHI 1932 – Didier Blonde – Gallimard.
Ce que c'est quand même que la hasard ! Lors d'une visite au cimetière du Père-Lachaise, le narrateur croise au columbarium une plaque funéraire avec une photo, celle d'une femme coiffée d'un turban, un nom, Leïlah Mahi et une simple date,12 août1932, celle de son décès sans doute. Cette pratique de l'incinération autant que celle de la personnalisation de sa sépulture n'étaient pas courantes à l'époque. Le portrait de cette inconnue le fascine tellement, ses yeux en particulier, que cette rencontre va être le point de départ d'une quête un peu surréaliste. Elle devait être bien fascinante cette femme et lui sans doute bien seul, puisque cette unique photo, volée dans un cimetière, l'obsède au point que même le temps qui passe ne parvient pas à lui faire oublier ce sourire qu'il n'a pourtant jamais connu dans la vrai vie. Est-il possible qu'une femme morte puisse bouleverser à ce point un vivant ? Une enquête s'imposait d'autant plus qu'un halo de mystère et de secrets semblait l'entourer, qu'elle avait, lors de son passage sur terre, fasciné bien des hommes, une véritable icône, l'objet de bien des légendes, de bien des fantasmes et continuait même, post-mortem, d'agiter quelque pervers maniaque. L’auteur laisse aller son imagination un peu délirante et même parfois teintée d'érotisme ... Avait-elle été une danseuse de cabaret, coiffée à la garçonne comme la mode de l'époque l 'y invitait, une « grande horizontale » scandaleuse des Années Folles au destin nécessairement tragique, morte jeune comme il se doit ? Le hasard, toujours lui, lui révèle qu'elle était une « femme de lettre », auteure de deux bluettes qui n'ont pas passé l'épreuve du temps, publiées par un éditeur vite oublié… Son image obsédante a quand même réussi à traverser la subtile paroi des rêves de notre auteur mais ses investigations suscitent plus de questions qu'elles n'apportent de réponses.
Se promener dans les cimetières peut être un signe de curiosités culturelles, de volonté d'honorer les morts ou de leur rendre hommage, mais aussi la marque d'obsessions morbides plus contestables. Sa curiosité l'invite à ce qui ressemble à une enquête quasi-policière à la recherche d'un fantôme dans un Paris oublié et il avoue lui-même « J’enquêtais sur une rêve », «Je suis le détective de la mémoire », ce qui laisse largement la place à des longueurs dans le texte, à l'imaginaire, à la lassitude… Pourtant, cet auteur que je ne connais pas semble s'intéresser aux femmes énigmatiques, inconnues ou oubliées depuis longtemps et que la mort a fauché trop tôt. Était-ce pour mieux se faire connaître lui-même ? Après tout pourquoi pas puisque le Jury Renaudot lui a décerné en 2015 le « prix de l'essai », précisément pour ce livre ! Est-ce une volonté à peine avouée de se confronter à la mort qui nous attend tous, d'y faire peut-être échec ? Allez savoir !
J'ai lu cet ouvrage assez mince avec une grande curiosité, non pas tant à cause de la personnalité de cette femme qui méritait sans doute de retenir l'attention de l'auteur, mais surtout pour savoir pourquoi un homme vivant de nos jours peut ainsi « tomber amoureux » de l'image d'une morte. J'ai déjà dit dans cette chronique combien je comprends que les femmes, même de simples passantes, puissent ensorceler les hommes par leur beauté, mais j'avoue être assez imperméable au charme d'outre-tombe, surtout en ce qui concerne une inconnue. Cela dit, je suis toujours intrigué par le souvenir des morts confié aux vivants, de ceux qui survivent dans une mémoire, un portrait, quelques notes de musique d'une chanson qu'il ont composée ou les mots d'un roman ou de lettres dont ils sont l’auteur, autant de choses qui ne pèsent pourtant pas lourd dans nos cerveaux d'amnésiques. Aurais-je voulu moi aussi inconsciemment en savoir plus sur cette femme ? Je n'en sais rien et mon intérêt tout juste suscité est retombé à la dernière page à cause des archives défectueuses, de la mémoire collective défaillante ou de cet oubli si caractéristique de l'espèce humaine.
© Hervé GAUTIER – Juin 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Et il dit
- Par ervian
- Le 21/06/2016
- Dans Erri De Luca
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La Feuille Volante n°1051– Juin 2016
Et il dit – Erri de Luca – Gallimard.
Traduit de l'italien par Danièle Valin.
En principe j'aime bien les romans d'Erri de Luca, cette chronique s'en est souvent fait l'écho, et lire un de ses livres est toujours pour moi un plaisir. Pourtant j'ai lu ce texte comme une fable : l'histoire de ce guide de montagne qu'on retrouve épuisé après une course solitaire s'y prête particulièrement. L'auteur lui-même est un montagnard aguerri et le spectacle des hauteurs ne pouvait le laisser indifférent. Dans ce décor on est forcément transcendé par ce qu'on voit, par la solitude, le danger, la nature potentiellement hostile qu'il faut regarder avec un œil attentif parce que la vie en dépend. On est attiré par le sommet autant que par le vide, on est amené à se surpasser soi-même pour une conquête gratuite, personnelle, anonyme. Ici, j'ai retrouvé avec bonheur le souffle poétique de son style, l'art des images, la beauté des paysages qu'il connaît bien et qu'il fait si heureusement partager à son lecteur… L'homme qu'on vient de retrouver est à demi mort, épuisé, terrassé par la fatigue et la faim, comme dans un état second. C'est un peu comme s'il revenait d'une autre planète, un miraculé, sauvé seulement par l'eau des nuages, un peu comme s'il était devenu un autre, que ce voyage avait quelque chose d'initiatique, l'avait transformé. Face à ses interrogations sur lui-même, sur son identité, son frère aîné est là pour l'inviter à reprendre pied dans le monde ordinaire des terriens. Il fait appel à sa mémoire individuelle, celle de leur enfance commune, du quotidien. C'est un peu comme si cet homme qui a tutoyé le sommet et qui a failli laisser sa vie dans cette entreprise, ressuscitait, connaissait une seconde naissance [la symbolique de la tente qui le protège, associée à l'image de la femme souligne cette idée] et il parle. Dès lors, la longue errance de cet alpiniste courageux et peut-être inconscient évoque celle du peuple d’Israël fuyant l’Égypte et la paroi montagneuse lui rappelle le message divin qui, dans le Sinaï, grava la loi de Yahweh.
Les montagne ont toujours eu pour les hommes un caractère sacré et, dans cet univers minéral, sauvage, dépouillé, un être humain ne peut ressentir qu'une grande fragilité, qu'une grande humilité. De Luca connaît bien cette impression mais il est aussi un mystique, traducteur de la Bible et grand connaisseur de la religion juive. Il est donc normal que cet environnement lui rappelle le « Mont Nebo » d'où, selon la tradition hébraïque, Moïse qui n'a pas été autorisé par Dieu a fouler la Terre Promise a cependant pu l'apercevoir avant sa mort.
L'homme reprend vie peu à peu, mais en même temps, entre dans une autre dimension, il devient une sorte de truchement divin, refait l'histoire du peuple d’Israël. Dès lors le texte prend une dimension biblique symbolique, revisite l'histoire de la délivrance du peuple d'Israël d’Égypte, sa pérégrination dans le désert en passant par le mont Sinaï jusqu'à la terre qui devait les accueillir, fait un parallèle entre l'eau salvatrice et la parole divine [« "Ils apprirent au pied du Sinaï que l’écoute est une citerne dans laquelle se déverse une eau de ciel, de paroles scandées à gouttes de syllabes." ], évoque la faute de la femme au jardin d'Eden, la malédiction qui pèsera sur elle pour la suite, l'expulsion d'Adam et d'Eve, leur destiné et leur descendance. Il réhabilite la femme, rappelle son rôle créateur de la vie, refuse de voir, comme le feront les religions par la suite, une condamnation à souffrir dans les douleurs de l’accouchement. Bien au contraire, il voit les femmes comme l'avenir de l'homme, comme le dira plus tard le poète, puisque la vie ne peut procéder que d'elles et qu’ainsi elles sont garantes de la pérennité du peuple d’Israël et donc de sa prospérité. Il rappelle que l'avenir de l'humanité réside dans l'amour, même s'il prend la forme d'un rapprochement charnel entre les hommes et les femmes. C'est bien en traducteur, en linguiste et même en exégète qu'il repense la Bible, commente le Décalogue... Il énumère les interdits édictés par Dieu au peuple élu, propose ses gloses, disserte sur ce qui est proscrit et sur ce qui est toléré, notant au passage les contradictions, souhaitant peut-être dans une sorte de bienveillante utopie que l'humanité s'inspire de ces commandements pour, dans une nouvelle morale universelle, devenir meilleure. Il assigne à ses paroles divines un effet miraculeux et les hommes font prévaloir l'amour qui guide leurs pas et inspire leurs actions mais n'oublie pas le destin des Juifs qui est d'errer par le monde, d'être sans cesse expulsés, victimes des pogroms et le la Shoah.
Si j'ai goûté la style de l’auteur, sa poésie et la puissance de son verbe, je n'ai en revanche que très peu apprécié son message religieux même si je comprends qu'on puisse profiter de sa notoriété pour faire du prosélytisme. Je suis peut-être passé à côté de quelque chose, à côté du message idéaliste porté par l'auteur et qui l'honore, mais ce livre me laisse quelque peu dubitatif au regard de la réalité de l'humanité.
© Hervé GAUTIER – Juin 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Astrid et Veronika
- Par ervian
- Le 19/06/2016
- Dans Linda Olsson
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La Feuille Volante n°1050– Juin 2016
ASTRID ET VERONIKA – Linda Olsson – L'Archipel.
Traduit De l'anglais (Nouvelle-Zélande) par Mélanie Carpe.
Veronika Bergman, trente ans, est écrivain. Elle a choisi la solitude dans un village de Suède pour écrire le livre qu’elle portait en elle depuis longtemps. Elle fait connaissance de sa voisine, Astrid Mattson, soixante dix ans, que tout le mode considère une sauvage. Tout les oppose : l'une est casanière et l'autre est une voyageuse et pourtant entre elles le courant passe, elles échangent des confidences, entre sensibilité et pudeur, se découvrent des points communs malgré la différence d'âge. Astrid a très tôt perdu sa mère et son père a abusé d'elle. Pour échapper à cet enfer elle s'est mariée avec Anders un homme qu'elle n’aimait et pour des raisons obscures elle a étouffé leur fille unique, Sara. La mort d'Anders la libère mais la solitude lui pèse. Veronika avait tout quitté pour James qu'elle aimait passionnément mais qui s'est tué en mer. Les deux femmes s'observent avec hésitation d'abord puis se se retrouvent dans la douleur, le deuil et leur amitié procède de cette situation délétère. Ce sont des blessées de la vie et chacune d'elles tente de panser ses plaies à sa manière, Astrid en se coupant du monde, Veronika en exorcisant sa douleur par les mots. Pourtant leur rencontre a quelque chose d'exceptionnel. Leur nécessaire connaissance réciproque suppose que, pour l'autre, chacune évoque son propre passé, même le plus secret. Dès lors, ce cheminement dans la sphère intime procède aussi du retour dans le présent, une manière de renouer avec le monde extérieur, de se couler à nouveau dans le quotidien et faire prévaloir la permanence et la continuité de la vie et la résurgence du bonheur.
C'est bizarre mais j'ai lu ce livre à cause d'un engagement d'être (modestement) juré pour un prix littéraire, c'est à dire satisfaire à une obligation de lire un livre que je n'aurais peut-être pas choisi de moi-même puisque je ne connaissais pas cette auteure dont c'est le premier roman. Pourtant, je suis entré dans ce récit qui dès lors est devenu autre chose qu'une histoire racontée, que des mots écrits. Je me suis attaché à ces deux femmes de deux générations différentes, à leur façon de se protéger de cette vie qui aurait pu être heureuse mais ne l'a pas été à cause du hasard, du destin, des autres, allez savoir ! J'ai communié avec elles dans leur façon de réagir face aux épreuves qui ont jusqu’alors pourri leur passage sur terre. Pour elles, l'amour tant souhaité s'est enfui et ne reviendra pas. Face à cette certitude, pour Astrid c'est la recherche de la solitude et les larmes et pour Veronika c'est l'écriture, deux réactions parfaitement respectables, avec, en toile de fond, le chagrin et l'impuissance. C'est pourtant leur amitié réciproque qui les sauvent, une amitié bizarrement distante puisqu'elles se cesseront de se vouvoyer dans un pays où le tutoiement semble être généralisé. Astrid est de ces gens qui sont passés à côté de leur vie et à qui la malchance colle à la peau comme une ombre portée à un corps. Sa vie a été vouée au manque d'amour et elle l'a détesté au point qu'ayant été mère par hasard ou par obligation (il fallait bien donner un héritier mâle à son mari), elle a préféré tuer sa fille plutôt que de lui imposer une vie semblable à la sienne. Seule cette rencontre un peu pilotée par le hasard a permis à cette vieille femme qui attendait la mort comme une délivrance, de connaître un moment de répit. Elle qui n'aurait jamais été grand-mère a trouvé avec Veronika une petite-fille qu'elle ne pouvait imaginer. Veronika, quant à elle a réagi face à la mort de James en exorcisant sa peine par l'écriture, c'est à dire en faisant son métier d'écrivain, mais surtout en arpentant le monde. Cet épisode de sa vie la rapproche d'un père qu'elle avait un peu oublié. Pour elle aussi cette rencontre avec Astrid illumine sa vie et l’épilogue est un message d'espoir parce qu'il fait obstacle à l'oubli qui ne manque jamais de s'insinuer dans l'esprit des vivants. Ici, il y aura les mots imprimés qui malgré leur fragilité sont souvent plus solides que les murs. Cette maison qui était celle de la haine et du malheur devient le lieu d'un bonheur partagé et on peut imaginer que Veronika la peuplera de rires d'enfants ou au contraire sera la gardienne solitaire de la mémoire et répondra à l'appel de l’inspiration pour d'autres romans à venir puisque, pour elle, ce lieu s'y prête particulièrement et qu'elle porte encore en elle tant de choses à exprimer.
Le livre refermé, il me reste des descriptions agréablement poétiques, une ambiance calme et apaisante, un style sobre et bien dans le ton du récit. Je n'ai donc pas passé un mauvais moment de lecture, loin s'en faut. J'ai même trouvé cette relation émouvante, une belle rencontre et un message peut-être un peu optimiste, mais qu'importe !
© Hervé GAUTIER – Juin 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Cent ans
- Par ervian
- Le 15/06/2016
- Dans Herbjorg Wassmo
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La Feuille Volante n°1049– Juin 2016
CENT ANS – Herbjørg Wassmo – Gaïa.
Traduit du Norvégien par Luce Hinsch.
Comme le titre peut sembler l'indiquer, c'est une saga familiale sur quatre générations de femmes en Norvège septentrionale et plus spécialement dans les îles Lofoten. Celle de Sara Suzanne commence au milieu du XIX° siècle, suit celle de sa fille Elida puis de sa petite fille Hjørdis puis Herbjørg, l'auteure elle-même, toutes de la même lignée. C'est une chronique familiale, des vies qui se déroulent entre la mer et la ferme, mais c'est surtout un livre de femmes dont le destin est de se marier et d'enfanter. Ces portraits nous montrent des personnes courageuses, volontaires, résignées ou révoltées, avec chacune son caractère mais aussi des hommes rudes qu'elles ont choisis aimés et mérités. Ils ont fiancés époux , pères, tous marins ou paysans. D'eux sont nés de nombreux enfants (dix en moyenne par femme pour les premières générations) qui ont perpétré leur nom et leur mémoire mais de ces maternités répétées, les femmes en sortent épuisées pas forcément heureuses et souvent veuves, dédiées à une vie de labeur et de dévouement, entre prière et pauvreté, ayant abandonné leurs rêves de jeunesse et leurs légitimes aspirations de départ. Comme partout il y a des brouilles familiales et la vie qui côtoie la mort... L'amour est parfois au rendez-vous de leurs rencontres mais pas toujours. Comme on s'en doute la vie y est dure, ingrate, dans une nature hostile, parfois généreuse parfois moins, malgré la beauté rude des paysages et le progrès y arrive certes, mais plus tard et plus lentement qu'ailleurs. Ce récit n'épargne rien de ce qui est humain : amours déçus, conflits de couples, chocs de personnalités, ambitions ravalées, mariages d'amour ou de raison, deuils ...
L'auteur nous raconte cette histoire sans omettre les détails parfois les plus anodins ou les plus exceptionnels, entre plaisirs et douleurs, un récit qui se déroule depuis l'intime jusqu'à l’épique. L'écriture de ce roman m'a paru par moments assez laborieuse, à cause notamment de la chronologie difficile à suivre mais j'ai apprécié d'en connaître un peu plus sur la culture norvégienne, sur l'histoire du pays. J'avoue bien volontiers que je ne connaissais pas cette auteure.
A mon avis, écrire une saga n'est pas comme raconter une histoire romancée, c'est une démarche particulière où l'exorcisme tient une grande place et peut-être aussi la quête de réponses restées longtemps en suspens, de motivations personnelles, d'explications d'un choix particulier ... Certes il y a un souffle différent, une durée forcément plus longue, mais les finalités me paraissent autres, avec cette volonté, par le miracle de l'écriture créatrice, de porter témoignage dans un cadre familial, de donner à voir des personnages originaux, entre fiction et réalité, qui incarnent leur époque et s’inscrivent dans une lignée personnelle, peut-être aussi d'exhumer le souvenir d'hommes et de femmes, c'est à dire faire autant que possible échec à la mort et assurément à l'oubli, de rechercher des racines enfouies, oubliées ou occultées. C'est clarifier des psychologies ou des situations parfois taboues ou volontairement cachées, défendre un ancêtre injustement condamné ou rejeté de son vivant, lui prêter peut-être des sentiments qu’il n'a jamais éprouvés, éclairer un destin ou un point de sa généalogie resté obscur et s'inscrire soi-même dans cette ascendance familiale. C'est souvent parce qu'on porte en soi cette démarche particulière de l'écriture d'une saga qu'on devient écrivain, c'est à dire qu'on prend conscience de la nécessité impérative de poser cet acte qui tient, dans l'exploration d'un passé familial, à la fois de la création, du témoignage autant que de la volonté plus ou moins consciente, non pas tant d'aligner des mots, mais bien plus sûrement d'arracher quelque chose à la mort.
© Hervé GAUTIER – Juin 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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In altre parole
- Par ervian
- Le 07/06/2016
- Dans Jhumpa Lahiri
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La Feuille Volante n°1048– Juin 2016
In altre Parole – Jhumpa Lahiri. Ugo Guanda Editore in Parma.
Comme le dit si bien Cioran " On n'habite pas un pays, on habite une langue" et c'est sans doute ce qui caractérise cette auteure, née à Londres en 1967 de parents bengalis, qui a suivi des études de littératures comparées à l'université de Boston pour ensuite s'installer à New York. Elle s'exprime donc en anglais, et c'est dans cette langue qu'elle a écrit "L'interprète des maladies" (Prix Pulitzer 2000) et "Un nom pour un autre" roman adapté au cinéma en 2007. Est-ce parce qu'elle a grandi dans l'état américain de Nouvelle-Angleterre, terre découverte en 1524 par l'explorateur Giovanni da Verrazzano qu'elle a choisi l'italien pour écrire ce témoignage ? Toujours est-il que Jhumpa a préféré s'exprimer dans une langue qui n'est pas la sienne à la suite d'une visite à Florence, cette merveilleuse ville de Toscane qui porte un nom de femme.
Ce livre a été écrit directement en italien par cette auteur dont le parler maternel est le bengalis et qui s'est toujours exprimée en anglais. C'est l'évocation d'un parcours et d'une découverte de cette langue et de cette culture, à la fois puissants et fluides, parce que la motivation de tout cela est avant tout le désir, une sorte de besoin de s'exprimer et de penser autrement. D'emblée elle compare l'étude de l'italien à un bain dans l'eau d'un lac, à la fois un plaisir et un exercice d'apprentissage, une véritable métaphore assurément. Elle relate sa première rencontre avec cette langue, à Florence, un parler que certes elle ignorait où tout pour elle était à découvrir mais qui lui était quand même familier à cause sans doute de sa musicalité, du côté théâtral de cette ville et de ses habitants. Elle ressentait pour elle comme un lien affectif, un véritable coup de foudre. Pour autant les difficultés n'ont pas manqué de se révéler parce que rien n'est facile, il reste toujours des automatismes, mais l'attirance pour le pays et pour la langue a été la plus forte et ce furent d’autres voyages, une étude plus poussée chez elle à New-York puis une installation à Rome avec sa famille, malgré les difficultés de l'expatriation et bien sûr l'usage du langage. C'est presque naturellement qu'elle fit aussi la démarche d'écriture parce que sa qualité d'écrivain ne pouvait pas ne pas s'adapter à cette nouvelle manière de s'exprimer. De plus le fait d'écrire et plus spécialement en italien, est pour elle une sorte de révélateur, un peu comme si elle avait ainsi trouvé sa véritable identité, elle qui appartenait certes à deux cultures mais n'en avait peut-être aucune complètement. Suivent des remarques passionnantes sur l'écriture en général et plus spécialement sur la démarche qui a été la sienne, pas toujours reçues comme telles cependant.
On peut traduire ce titre par « en d'autres termes » ou par « avec d'autres mots », une manière d'exprimer différemment une démarche qui non seulement est originale mais aussi qui procède d'un certain mystère, un peu comme si, à l'aide d'une sorte de mémoire héréditaire, c'est à dire étrangère à la sienne propre, et malgré les difficultés de toutes sortes, les doutes, la facilité apparente, la parenté avec le latin que, plus jeune elle pratiquait, elle remettait, avec beaucoup d'humilité, ses pas dans une dimension déjà connue, dans une sorte de vie antérieure...Elle confie au lecteur les divers obstacles qu'elle a rencontrés, les méthodes empiriques et pragmatiques qu'elle a adoptées pour en triompher.
Cette démarche ne pouvait me laisser indifférent parce que, toutes choses égales par ailleurs, j'ai toujours, moi aussi ressenti une attirance irraisonnée pour l'italien, rencontré pourtant bien tard dans ma vie et donc avec davantage de difficultés, notamment de mémorisation. Je ne saurais dire pourquoi mais cette langue m'a toujours fasciné, même si je ne la comprenais pas. Et puis,il y a tellement d'Italiens qui parlent le français et peu de Français qui font l'effort de parler cette langue pourtant cousine que cela me paraissait une évidence que d'aller en ce sens. J'aime cette façon de s'exprimer, à la fois mélodieuse et légère que j'ai retrouvée avec plaisir dans les mots de Jhumpa, lus à haute voix comme il convient pour en apprécier la musique. Cela a été pour moi l'occasion de me remettre en question, d'y puiser peut-être des encouragements et de penser que, peut-être un jour, je serai capable, moi aussi, de rédiger cette chronique dans cette langue… Oui je sais, je rêve !
© Hervé GAUTIER – Juin 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Barcelona
- Par ervian
- Le 04/06/2016
- Dans Daniel Sanchez Pardos
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La Feuille Volante n°1047– Juin 2016
BARCELONA – Daniel Sanchez Pardos – Presses de la Cité.
Traduit de l'espagnol par Marianne Millon.
Nous sommes en 1874 à Barcelone, une ville mystérieuse, à la fois vivante, révolutionnaire, imprévisible et bouillonnante où Gabriel Camarasa vient de revenir après de six longues années d'exil à Londres pour s’inscrire dans une école d'architecture. Il fait la connaissance d'un jeune homme, étudiant comme lui : Antoni Gaudí, féru de spiritisme et de photographie, des projets plein la tête... Nous voyons les deux jeunes hommes devenus amis déambuler dans cette ville, dans ses bas-fonds comme dans ses mondanités, avec en arrière-plan un incendie prétendument criminel, une polémique politicienne au terme de laquelle la famille Camarasa, propriétaire du journal les « Nouvelles illustrées » serait revenue pour renverser la République et restaurer la royauté d'Alphonse XII. Des personnages émergent, Fiona Begg, l'illustratrice principale du journal et détective d'occasion (mais pas seulement), ancien amour de Gabriel et qui fascine aussi Antoni, l'énigmatique journaliste Victor Sanmartin, Sempronio, le père de Gabriel qui semble cultiver le secret, Eduardo Anreu, officiellement marchand d'art ruiné, émergeant du passé avec un scandale à propos d'une photo truquée, Gaudí lui-même, non moins mystérieux dans ses pratiques et fréquentations, Gabriel qui, dans tout cela fait montre d'une grande naïveté ... Quand Anreu est découvert assassiné et que tout accuse Sempronio, ce roman prend la dimension d'un thriller historique, haletant et passionnant où les rebondissements le disputent aux fausses pistes, où les tripotages succèdent au chantage, à l'utopie, à la conspiration politique, à l'anarchisme, à la drogue, aux rendez-vous nocturnes inexpliqués, aux manipulations, distillant ainsi un suspense entretenu par Antoni, sorte de dandy dont le rôle se révèle de plus en plus flou comme chef d'un clan de délinquants, coutumiers de trafics en tous genres mais pas uniquement. Lui-même se révèle un redoutable enquêteur très au fait de la situation, ce qui est inattendu pour un étudiant en architecture venu de la campagne de Tarragone. La mère de Gabriel, Lavinia, quitte à cette occasion son rôle d’épouse soumise et effacée pour faire face aux événements, quant à Gabriel, il est invité à sortir de son oisiveté coutumière, de sa position de « maillon faible » dans cette famille jusqu'alors apparemment bourgeoise. Cet assassinat qui ne sera d'ailleurs pas le seul, permet à chacun de se révéler, de laisser libre cours à son imagination où à ses aspirations face aux interrogations et aux événements mais aussi de prendre conscience des réalités, de se souvenir du passé et de découvrir l'autre qu'il croyait connaître ; bref les apparences, que Gabriel croyait immuables, n'en sortent pas indemnes. Au fur à mesure des chapitres, le lecteur découvre les arcanes d'un roman qui se déroule sur fond d'agitation politique, d'imbroglio policier et judiciaire, de luttes d'influence, de conflits d'intérêts dans ce pays « de poudre et d'encens, de tricornes et de clairons » où la restauration monarchique des Bourbon parait être la seule solution face à la déliquescence de l'éphémère 1° République. Les simples mendiants ont leur importance tout comme les ombres qui peuplent les quartiers interlopes de cette ville décidément bien mystérieuse et qui fourmille d'espions et de complices à la solde d'Antoni.
C'est vrai que nous sommes dans une fiction qui autorise tout, c'est vrai aussi que la jeunesse justifie des positions parfois extrémistes que l'age adulte fait parfois évoluer, mais j'avoue que je n’imaginais pas Gaudí dans ce costume, lui dont l'histoire nous a légué l'image d'un homme valétudinaire et un peu utopique, à l'aspect modeste voire négligé, le catholique fervent et même mystique, l'architecte moderniste, génial et visionnaire qui imposa son talent créatif dans cette ville exceptionnelle, conférant un souffle nouveau à l'art, le futur bâtisseur de la Sagrada Familia … Avoir choisi de de le faire revire, même sous ces traits inattendus, m'a bien plu.
Le texte est agréable à lire, bien écrit, vivant (le texte est écrit à la première personne), plein de descriptions minutieuses et parfois poétiques, l'intrigue est bien construite et je sais gré à Babelio, dans le cadre de « masse Critique », et aux éditions Presses de la cité de m'avoir procuré ce bon moment de lecture.
© Hervé GAUTIER – Juin 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Ragionevoli dubbi
- Par ervian
- Le 31/05/2016
- Dans Gianrico Carofiglio
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La Feuille Volante n°1046– Mai 2016
RAGIONEVOLI DUBBI – Gianrico Carofiglio – Sellerio editore Palermo.
Quand Margherita, la compagne de l'avocat Guido Guierrieri, dit qu'elle veut lui parler, ce dernier croit qu'elle attend un enfant. A quarante deux ans, il pense qu'ainsi sa vie peut prendre un sens nouveau depuis son divorce. Que nenni, on vient de proposer à son amie un poste à New -York qu'elle a évidemment accepté. Le voila donc seul dans Bari, avec ses rêves de paternité. Lui n'en continue pas moins son métier et on l'appelle pour défendre Fabio Paolicelli, un important trafiquant de drogue, qui, de retour de vacances en ex-Yougoslavie s'est fait prendre avec de la drogue plein sa voiture. Malgré les apparences, Fabio proclame son innocence. Guidi le connaît puisqu'il n'est autre qu'un dangereux fasciste dont les amis l'ont roué de coups dans sa jeunesse (il semblerait qu'il ait fait pire encore dans le domaine du crime). C'est un épisode qu'il n'a pas oublié. Ainsi refuse-t-il dans un premier temps cet office non sans plaisir puisqu'il tient sa vengeance surtout qu'un confrère, l’avocat Corrado Macri, peu regardant sur la légalité et qui avait accepté de le défendre, l'a finalement chargé, ce qui est étrange pour un avocat. Mais quand la compagne du détenu, Natsu Kawabata, une femme à la beauté renversante, sollicite son aide, il tombe sous son charme et ne peut qu'accepter. Ainsi se trouve-t-il dans une situation cornélienne, coincé entre la volonté de se venger et celle de défendre un homme pour les beaux yeux de sa femme et ce d'autant plus qu'il lui paraît que ce Fabio pourrait bien avoir été victime d'une manipulation et donc être innocent des faits qui lui sont reprochés. En outre, il ressent de la compassion pour la jeune fille du couple qui ne manquera pas de pâtir de l'incarcération injuste de son père. Il assurera donc la défense de son ancien ennemi. Pour se conforter dans son rôle d’avocat intègre qu'il est, il a recours, plus plus d'informations à son ami l'inspecteur de police Carmelo Tancredi, spécialiste des pires vices dont l'humanité est capable. Il lui apportera sa vision personnelle de cette affaire et éclaircira l'épisode un peu obscur de son précédent défenseur ce qui permettra à Guido de déstabiliser Macri .
Pauvre Guido, il n'a jamais su résister à une jolie femme et il est vraiment tombé sous le charme de Natsu, mais surtout il doit se faire violence pour assurer une défense qu'il ne souhaitait pas. Certes il profite de la situation et la beauté de Natsu est un peu sa vengeance mais la présence de sa très jeune fille ne sont pas sans raviver ses rêves de paternité et sa volonté de revenir à la vie puisque le départ de sa compagne l'avait quelque peu abattu. Pourtant sa relation avec l'épouse de Fabio ne sera évidemment qu'une passade. Comme toujours j'ai apprécié l'humour de ce texte, l'analyse psychologique des personnages, le cheminement intérieur de Guido même si les précisions en matière de procédure et de droit pénal italien m'ont peu intéressé.
C'est le troisième ouvrage que je lis de cet auteur et même si mon italien est encore un peu hésitant, la musique de cette langue me plaît toujours autant. J'ai apprécié le suspense distillé tout au long de ce romance et le personnage de Guierrieri. C'est quelqu’un de bien, conséquent avec lui-même, cultivé, intègre mais aussi toujours un peu malheureux en amour et qui, malgré l'adversité reste lui-même. Un homme très attachant finalement. J'ai bien aimé également le personnage du libraire insomniaque qui ouvre sa boutique la nuit.
Ce texte a été traduit et diffusé par en France sous le titre « les raisons du doute ».
© Hervé GAUTIER – Mai 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Loin de Venise
- Par ervian
- Le 24/05/2016
- Dans Michèle Teysseyre
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La Feuille Volante n°1045– Mai 2016
LOIN DE VENISE – Michèle Teysseyre – Serge Safran éditeur.
Être né et avoir vécu à Venise est plutôt une chance. Parmi ceux que le hasard a désigné pour être citoyens de la Sérénissime, l'auteure choisit trois artistes dont les noms ont illustré leur art, mais elle les met en scène loin des fastes de cette cité brillante, avec leurs rêves de Carnavals, de canaux, de palais, de célébrité et de richesses. C'est d'abord un Antonio Vivaldi vieillissant, à Vienne, hébergé par une riche veuve, qui se cramponne à son bréviaire et à son chapelet, comme un viatique pour son prochain et ultime voyage. Lui qui fut « il prete rosso », flamboyant et adulé n'est plus que l'ombre de lui-même et évoque ses souvenirs comme on compose un concerto. Pourtant il trouve encore la force d'écrire un dernier opéra pour sa cantatrice préférée, la française Anna Giraud, ou plus exactement Girò, cela fait plus italien. C'est urgent, entre empressement et inspiration, le temps passe si vite !
Rosalba Giovanna Carriera n'est pas née à Venise mais tout près, et dans une cité lagunaire. Elle vint en France pour y pratiquer ses portraits au pastel puis s'en est venue finir sa vie dans la cité des doges, entre gêne, oubli et inactivité. Elle devient chaque jour un peu plus aveugle à force d'avoir exercer son art mais personne ne le sait ; cela restera son terrible secret. Elle se révoltera contre ce mal, l’acceptera faute de mieux puis s’éteindra, parce que c'est notre lot à tous. Cette cécité l'éloignera du monde, de cette société vénitienne qu'elle aimait tant, où jadis elle brilla.
Reste Giacomo Casanova, l'éternel vénitien, le prêtre manqué, à la fois ardent et libertin séducteur, espion, aventurier, écrivain, escroc, le prisonnier des « plombs » qui pourtant s'en évada comme on fait un pied de nez. Il termina sa vie comme modeste bibliothécaire du comte de Waldstein, coincé en Bohème entre des domestiques qui le molestent et un climat qui entame sa santé devenue fragile. Cette vieillesse solitaire, à peine égayée par des relations platoniques avec la fille du portier, lui fait fuir les miroirs, fussent-ils de Venise et rend urgente la rédaction de ses « Mémoires ».
Triste fin de vies, partagées entre la solitude, les souvenirs de grandeurs et de succès, les rêves de séduction, les regrets et les remords aussi, que seule la création artistique parvient peut-être à adoucir. Image de cette condition d'homme qui n'épargne personne, quand les forces manquent, que les rides se creusent, qu'on s'accroche à un dernier espoir de mieux-être, que la mémoire se peuple de fantômes et qu'on devient fataliste… Quant à la Camarde, elle attend, tapie dans l'ombre parce que son heure arrive forcément. La vie est une comédie ou une tragédie, du théâtre assurément, qui fait passer l'acteur que nous sommes tous de l'ombre à la lumière puis de nouveau à l'ombre et nous fait oublier un temps un quotidien bien morne.
C'est un livre fort bien écrit et agréable à lire, tout en nuances et qui évoque ces trois personnages illustres qui ont vécu dans cette ville d'exception. Je sais gré aux éditions Serge Safran et à Babelio (dans la cadre de masse critique) de m'avoir offert ce bon moment de lecture.
© Hervé GAUTIER – Mai 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Roseanna
- Par ervian
- Le 21/05/2016
- Dans Maj SLÖWALL
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La Feuille Volante n°1044– Mai 2016
ROSEANNA – La Feuille Volante n°1044– Mai 2016
ROSEANNA – Maj SLÖWALL – Per WAHLÖÖ – PAYOT ET RIVAGES.
Traduit de l'anglais par Michel Deutsh.
Nous sommes en Suède, dans la petite ville de Motala où le corps d'une femme inconnue, dénudée et violée a été retrouvé dans le chenal de l'écluse qui donne accès au lac. L'inspecteur principal Martin Beck de la criminelle de Stockholm est dépêché sur les lieux pour épauler l'équipe locale. Il a beau être un bon flic, les indices dans cette affaire ne sont pas légion et les investigations patinent complètement au début, au grand dam de la presse et sur le thème bien connu de « Que fait la police ? » Il y a en effet de quoi s'inquiéter car ce n'est quand même pas tous les jours que la quiétude de cette petite cité est ainsi troublée. Du temps passe sans beaucoup d'informations au sujet du cadavre et ce malgré les investigations qui partent dans tous les sens, d'autant qu'il finit par être évident que cette femme s'appelait Roseanna Mc Graw… et venait du centre des États-Unis. Et tout cela grâce aux recherches d'un inspecteur américain dont le rapport révèle la personnalité contradictoire de cette femme. Quant aux enquêteurs suédois, ils piétinent toujours mais leurs vaines filatures et leurs errements infructueux n'ont d'égal que l'intuition et les certitudes parfois surréalistes de Martin Beck [ Je ne suis pas spécialiste des enquêtes judiciaires, des procédures suédoises, mais il m'a semblé que les questions posées par les enquêteurs, notamment dans le domaine de l’intime, étaient limite et n'apportaient rien à la manifestation de la vérité]. Dès lors, ce dernier qui refuse de se laisser abuser par les apparences, suit une idée qu'il est le seul à avoir, poursuit la traque, hasardeuse et solitaire, d'un suspect même si cette dernière s'accompagne de méthodes originales et inattendues, un peu en marge des procédures traditionnelles. Pour lui, qui est avant tout « têtu », l'efficacité et les résultats priment, même si sa hiérarchie se montre un peu frileuse, mais, après tout, il n'y a pas autre chose. Personnellement, j'aime bien le personnage de Beck, un peu bourru, taciturne et amoureux de son travail jusque y sacrifier sa vie de famille.
Ce roman se lit bien et a consisté pour moi en une agréable découverte même si le suspense se conjugue avec une certaine lenteur dans dans son déroulement. Cet ouvrage, sous-titré « Le roman d'un crime » n'est pas récent puisque sa première publication remonte à 1965, paru en France à partir de 1970, mais j'ai déjà dit dans cette chronique que, à mes yeux, la valeur d'un livre ne réside pas dans sa seule nouveauté. Les deux auteurs ont crée le personnage de Martin Beck, décliné ensuite dans une dizaine de romans. Les auteurs ont la particularité d'avoir été mariés, Per (1926-1975), ancien journaliste s'était signalé, à partir des années 50, par l'écriture de romans de politique-fiction, Maj (née en 1935) était pour sa part éditrice. Ils créèrent ensemble, à partir de 1965, des romans-policiers qui s'inscrivent dans la société suédoise de cette époque. Cette série a été interrompue à la suite de la mort de Per et ont fait l'objet d'adaptation cinématographiques.
© Hervé GAUTIER – Mai 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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La jeunesse mélancolique et très désabusée d'Adolf Hitler
- Par ervian
- Le 18/05/2016
- Dans Michel Folco
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La Feuille Volante n°1043– Mai 2016
La jeunesse mélancolique et très désabusée d'Adolf Hitler – Michel Folco -Stock .
Rien n'est plus incertain que la paternité et dans ce domaine comme dans bien d’autres qui touchent à la nature humaine, le droit trouve toujours le moyen de s'arranger des situations parfois hasardeuses pour que les apparences soient sauves, mais pas forcément la paix des ménages. Aloïs Schicklgruber, un douanier impérial et royal, fils illégitime, que son père naturel Karolus Trikotin avait refusé de reconnaître, prit, par un artifice juridique, le nom du mari de sa mère, Georg Hiedler, qu'une main malhabile transforma en Hitler. Il avait trente neuf ans. D'avoir été un bâtard pendant si longtemps lui donna l'envie d'en faire lui-même mais Adolf fut bel et bien son fils légitime. Après la mort du père le futur chancelier eut effectivement une jeunesse et une adolescence mélancoliques, souvent rebelles, parfois coléreuses et égoïstes, en réalité quelqu'un d'assez banal, pas du tout favorable à l'armée d'Autriche (il fera ce qu'il pourra pour échapper au service militaire et en sera finalement exempté, temporairement), pas vraiment fan d'une discipline qu'il imposera plus tard au peuple allemand, mais qui savait ce qu'il voulait et endossait déjà les habits du chef, cultivant son originalité avec une mèche de cheveux qui deviendra célèbre (la moustache ne viendra que plus tard). Il montra sa prédilection pour l’architecture, le dessin et la peinture, la musique de Wagner et la poésie qui exaltait un peuple allemand unifié et puissant, lui qui était autrichien, une sorte de vision politique avant l'heure, bref un rêveur, pas vraiment tourné vers les études, capable cependant de tomber amoureux fou d'une jeune fille rencontrée au hasard dans la rue, d'être bouleversé par la mort de sa mère... Il fut un garçon solitaire dans la vie de qui les jeunes-filles puis les femmes furent absentes. C'est bizarre, mais en lisant ce roman, je me suis presque pris d'empathie pour ce jeune homme naïf, pas très chanceux, un peu perdu, avec ses rêves en bandoulière, la tête pleine de ses illusions et de ses fantasmes, confronté à la solitude et à la pauvreté, à la vocation artistique contrariée, débordant d'amour pour sa mère, une femme meurtrie par le deuil de trois de ses enfants et de son mari, qui craignait pour l'avenir de ce fils qu'elle comprenait de moins en moins. Je me suis même demandé si c'était bien le même qui deviendrait, quelques années plus tard, un des plus grands criminels de l’histoire. Je n'ai en revanche rien vu qui puisse justifier la haine viscérale de Hitler pour les juifs durant cette période. Il a certes été escroqué, par l'un d'eux, il y avait certes des mouvements antisémites en Autriche comme en Allemagne à cette époque, mais rien de ce que j'ai souvent entendu à ce sujet.
C'est un livre qui se lit facilement, qui fourmille de détails, qui est particulièrement bien documenté(notamment lors de l'attentat contre l’archiduc François-Ferdinand)et qui laisse également place à l'imaginaire de l'auteur et à son humour. C'est vrai aussi que, de Hitler, nous avons, et pour cause, l’image d'un dictateur sanguinaire , mais nous ne savions rien de son enfance et de son adolescence. L'auteur évoque sa vie jusqu'à l'attentat de Sarajevo qui sera la cause de la première Guerre Mondiale mais nous nous le représentons facilement par la suite comme une sorte d’extra-terrestre parvenu au pouvoir légalement, un homme providentiel comme l'humanité les aime tant, que tout le monde attendait en Allemagne pour laver l'affront de la défaite de 1918 et relever le pays, lui redonner son aura, quitte à le suivre aveuglément jusque dans le désastre. Ce roman a l'intérêt de présenter son enfance et son adolescence, pas vraiment différentes de celles des autres enfants de son âge, même si par la suite le destin a fait de lui quelqu’un de bien différent.
© Hervé GAUTIER – Mai 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Ad occhi chuisi
- Par ervian
- Le 16/05/2016
- Dans Gianrico Carofiglio
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La Feuille Volante n°1042– Mai 2016
AD OCCHI CHIUSI – Gianrico Carofiglio – Sellerio Editore Palermo.
Guido Guerrieri est un avocat de Bari, pas vraiment âpre au gain, plutôt intègre, conscient de ses fragilités et dédié aux bonnes causes, même si elles sont perdues d’avance. Sa vie se déroule au quotidien sans événement vraiment marquant quand le hasard de son métier lui permet de rencontrer, par le truchement de « sœur Claudia », une religieuse aussi belle que mystérieuse, une jeune femme, Martina, qui après quelques années de vie maritale mouvementées avec un médecin qui la maltraite et la harcèle, a dû fuir le domicile conjugal et souhaite se porter partie civile contre lui. Or, cet homme est à la fois un notable mais surtout le fils de l'un des juges les plus influents de la Cour d'Appel. Du coup tous les confrères de Guido lui ont refusé leur concours et leur aide. Ce sera donc une affaire pour lui, même si chacun le met en garde et lui déconseille de se fourrer dans ce guêpier. De plus, la pauvre Martina, fragile et déstabilisée devant la Cour, est accusée de maladies mentales, ce qui, selon l'avocat de la partie adverse, altère son jugement et jette le doute sur la qualité de son témoignage. Guido, quant à lui devra faire face à un avocat retors et un juge pas vraiment bien disposé envers lui, une sorte de bataille de David contre Goliath !
Ce texte est l'occasion pour Guerrieri de puiser dans les souvenirs, bons ou mauvais de son enfance avec ses odeurs de nourriture qui maintenant se mêlent à celles des livres. C'est aussi pour l'auteur l'occasion d'offrir à son lecteur une galerie de nombreux portraits. Je retiens volontiers celui de « Sœur Claudia », une religieuse atypique, qu'il prend d'abord pour un officier de police puisqu'elle porte jeans, veste de cuir et enseigne la boxe chinoise. Elle est directrice du foyer d’accueil pour femmes battues et a bien entendu présenté Martina, une femme pauvre et anonyme à Guido pour qu'il la défende. Pour autant, les femmes qu'il croise lui font toujours de l'effet et notamment sœur Claudia et les informations qu'elle lui donne à propos des arts martiaux dépassent largement le cadre de ses cours sur la boxe chinoise. Chacune de leurs rencontres a quelque chose d'électrique, de magnétique même, un peu comme si Guido était subjugué par elle, tout comme elle d'ailleurs. Cela en fait un personnage assez énigmatique qui, à la fin, lui raconte son histoire ! Pourtant, il vit avec Margherita dont il est amoureux. C'est un homme cultivé, humain, humaniste, intuitif, consciencieux que nous voyons dans l'exercice de son métier d'avocat dans d'autres affaires qu'il est amené à défendre, ce qui égare un peu le lecteur. Cela en fait, non pas un « giallo » comme disent nos amis italiens, puisqu'il il n'y a pas vraiment d'enquête, mais un compte rendu des débats devant la Cour, ce qui en fait un authentique roman judiciaire qui ne fait pourtant pas l'impasse sur le suspense.
Ce roman (son deuxième) se lit bien, même pour moi en italien, et c'est toujours un plaisir d'aborder cet auteur comme je l'avais fait un peu par hasard avec « Testimone inconsapevole »[Il s'agissait de son premier roman auquel il fait d'ailleurs plusieurs allusions]. J'ai apprécié les descriptions du texte, sa sensibilité et son humour, mais peut-être un peu moins les références au code pénal italien, ce qui, chez Carofiglio est pardonnable puisqu'il est lui-même magistrat. Ce roman mêle la violence faite aux femmes, l'inceste mais aussi le temps qui passe pour Guido, la vieillesse qui vient et la déprime qui accompagne tout cela. Quant à l'épilogue, il est assez inattendu et présente sœur Claudia comme une femme vraiment hors du commun .
© Hervé GAUTIER – Mai 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Comment braquer une banque sans perdre son dentier
- Par ervian
- Le 10/05/2016
- Dans Catharina Ingelman-Sundberg.
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La Feuille Volante n°1041– Mai 2016
Comment braquer une banque sans perdre son dentier - Catharina Ingelman-Sundberg. - Fleuve Éditions
Traduit du suédois par Hélène Hervieu.
Rien que de lire le titre et la 4° de couverture, c'est déjà tout un programme. Il allait être question de pacemakers, de listes de médicaments, de déambulateurs, de rhumatismes, de fractures du col du fémur… Pour une fois qu'on met les vieux en scène autrement qu'avec le scrabble, les verres de vin rouge, le tricot ou la belote ! Ils sont donc donc cinq, pensionnaires de la même maison de retraite suédoise et chantant dans la même chorale, qui soudain prennent conscience que les prisonniers incarcérés ont une meilleure vie qu'eux. La solution s'impose donc d'elle-même, ils vont devenir délinquants et après pas mal de réflexions et d'hésitations, le braquage d'une banque s'impose, même si cela ne se fait plus depuis longtemps ; une attaque de transports de fonds suffira donc. Mais, c'est pour la bonne cause : ils prendront aux riches pour donner aux pauvres, pour améliorer le sort des pensionnaires des maisons de retraite et, bien entendu, iront en prison, leur véritable objectif, drôle d'idée quand même ! C’est vrai que personne ne pourrait soupçonner une bande de vieillards séniles avec leurs déambulateurs. C'est vrai aussi que, dans ce genre d'exercice, ils sont plutôt novices, des coups d'essais s'imposent donc, entre jouer les rats d’hôtel et les dévaliseurs du musée de Stockholm, et pas du tout par amour de l’impressionnisme français ! Ils sont aidés involontairement en cela par le directeur de leur maison de retraite qui file la parfait amour avec l'infirmière chargée des soins, ainsi la surveillance est quelque peu relâchée et leur départ passe inaperçu. Dans leurs entreprises, ils font pourtant ce qu'ils peuvent, pensent au plus petits détails, s'inspirent des romans policiers anglais, font preuve de beaucoup d'imagination. Ils vont même jusqu'à s'accuser du vol des tableaux, à donner des renseignements précis, mais on les prend pour des affabulateurs. Malheureusement, il y a toujours un grain de sable qui se loge dans l'engrenage et qui fait tout foirer. C'est le début d'un polar hilarant aux multiples rebondissements dans lequel la police ne prend pas vraiment au sérieux la disparition de ces cinq vieillards de leur établissement. Quant à leurs idées reçues sur la prison et sur l’argent qu'ils voulaient partager, ils vont un peu évoluer. Et leurs manigances bancaires n’attirent pas que l’attention de la police !
C'est un livre léger (malgré ses plus de 400 pages) et agréable à lire malgré les invraisemblances qu'on lui pardonne aisément. Cependant, en le lisant, j'ai eu plusieurs impressions. D'abord la morale est sauve, mais attendais-je vraiment autre chose de cette aimable plaisanterie ? En outre, j'ai eu un sentiment étrange et peut-être bien éloigné de la farce qui veut nous être offerte. Quand on a mené une vie rangée, encombrée de difficultés, d’interdits et de tabous, quand vient la vieillesse, et avec elle une certaine mais ultime liberté, c'est aussi la dernière occasion de faire ce qu'on n'a pas pu réaliser avant, alors on se lâche et c'est sans doute ce que font ces cinq compères. Ils ont peut-être envie d'autre chose que d’attendre la mort, une dernière fois envie d'exister, de faire quelque chose, d'avoir leur quart d'heure de gloire surtout dans une société qui ne veut plus d'eux. Ils ont peut-être l'excuse d'avoir été abandonnés dans ce mouroir par leurs enfants qui attendent impatiemment l'héritage. Allez savoir ? Moi j'y ai vu cet aspect des choses, au-delà de l'humour réel que le titre laissait prévoir, mais peut-être n'ai-je rien compris ?
© Hervé GAUTIER – Mai 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Les chiens de Riga
- Par ervian
- Le 07/05/2016
- Dans Henning Mankell
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La Feuille Volante n°1040– Mai 2016
LES CHIENS DE RIGA– Henning MANKELL – Éditions du Seuil.
Traduit du suédois par Anna Gibson.
On a retrouvé dans un canot dérivant sur la Baltique, au large du port suédois d'Ystad, le corps de deux Russes, bien habillés, assassinés après avoir été préalablement drogués et torturés. Wallander est chargé de l'enquête alors qu'il est encore bouleversé par la mort de son collègue Rydberg, victime d'un cancer et préoccupé par l'état de santé de son père. Cela débute mal avec l'assassinat de Liepa, un major letton venu en renfort, la disparition de pièces à conviction, le transfert du dossier à Riga en Lettonie où la présence de Wallander est temporairement requise. Dès son arrivée dans cette ville, il est amené à s'intéresser à la mort mystérieuse du major mais les zones d'ombre se multiplient autour de cette affaire dont les méthodes sont inspirées par l'ancienne Union Soviétique. Très tôt le commissaire pense que l'enquête sur les Russes du canot et l'assassinat du major sont liés mais ses investigations sont contrariées par des écoutes téléphoniques et une surveillance que n’aurait pas renié de KGB. En Lettonie il est confronté à l'existence de complots, de corruption, de chantage, de trafic de drogue qui faisaient l’objet des recherches du major mais aussi à des dissensions et des jalousies entre collègues avec leurs inévitables délations et flagorneries. C'est aussi la combinaison de mensonges, de non-dits, de demi-vérités, de fausses pistes et d’enchaînements bien réels qui débouchent sur la mort d'un homme apparemment trop intègre. C'est donc autre chose que les banales affaires qui font l’ordinaire policier du commissaire et ce d'autant plus que, pris dans une sorte de logique du désespoir, il finit par faire une affaire personnelle d'une enquête qui ne le regarde plus, au point même d'exposer sa propre vie. De plus, à 43 ans, notre commissaire qui ne s'est jamais remis de la séparation d'avec sa femme, a un peu de mal à apprivoiser sa solitude dépressive avec de l'alcool, doute de son métier et ce n'est pas cet épisode letton, avec ses connotations personnelles, ses recherches longtemps vaines et chaotiques de documents et ses erreurs d'appréciations qui vont le remettre sr les rails. Il est certes, de par son métier, en contact permanent avec le côté obscur de la nature humaine mais là cela va prendre des proportions inattendues et lui révéler le vrai visage des pays baltes et peut-être lui faire apprécier la vie dans son beau pays.
C'est un roman policier plein de suspense, aux ramifications internationales, où plane en permanence le fantôme de Rydberg, où pour Wallander l'assassin qui se dérobe en permanence peut prendre l’apparence banale d'un policier comme d'un tueur nostalgique de l'ancien ordre soviétique, où il a l'impression d'assister à une sorte vendetta secrète dont il ne maîtrise ni les raisons ni les conséquences. Le texte, riche en rebondissements, bien construit, est entrecoupé de phrases en italiques qui se font l'écho des remarques intimes et désespérées du commissaire sur une situation qui lui échappe de plus en plus au fil de ses investigations.
Comme toujours, cela a été pour moi, un bon moment de lecture.
© Hervé GAUTIER – Mai 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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L'uomo nero et la bicicletta blu
- Par ervian
- Le 05/05/2016
- Dans Eraldo Baldini
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La Feuille Volante n°1039– Mai 2016
L'OUMO NERO E LA BICICLETTA BLU – Eraldo Baldini – Einaudi.
Nous sommes en Août 2010 dans la plaine du Pô et il fait chaud. Gigi, le narrateur se souvient de cet été de 1963 quand il avait dix ans. A cette époque, le pays était pauvre et le temps semblait s’être arrêté dans ce petit village de Romagne, Bagnago. Pour lui c'est encore l'enfance, l'insouciance, heureuse, l'école mais surtout les jeux dans la campagne, les parties de pêche avec les copains, les menus larcins... Mais c'était aussi cette bicyclette bleue avec des garnitures chromées dont le garçon rêve parce qu'il l'a vue en vitrine mais dont il sait aussi que ses parents ne peuvent la lui offrir. Aussi inventera-t-il des petits boulots et surtout pas mal d'astuces pour réunir les vingt mille lires nécessaires pour cet achat ; une occasion aussi pour le lecteur de découvrir traditions et coutumes de ce microcosme rural.
Ce roman se caractérise par le nombre de ses personnages, il Morto, un homme qui est considéré comme mort à la suite d'une inondation alors qu'il est bien vivant mais que sa femme persiste à ne pas le reconnaître, La Tugnina, une vieille femme jamais à cours de fables, surtout celles qui parlent de « l'homme noir » (L'uomo nero)qui mange tout le monde, transformant le « happy end » traditionnel de ses contes merveilleux en chute fatale ... et Gigi y croit. C'est un peu cet homme noir qui est le symbole de cette enfance qui s'en va, le passage au monde réel… Le Capitaine au mystérieux passé incarne pour le garçon cet « homme noir » et le halo d’interdits et de tabous qui l'entoure prend pour Gigi une dimension magique. Sa famille est aussi originale : Le père est éleveur de bétail, fier de son honnêteté mais sans un sou en poche et qui surtout est amoureux fou de Maryline Monroe, le grand-père est invalide de guerre, toujours le fusil à la main, la mère fait des miracles pour nourrir cette famille pauvre et Enrico, le frère est un garçon fourbe, odieux et opportuniste...
Puis, un beau jour arrive de la ville Allegra, une enfant de la classe bourgeoise dont la beauté va révolutionner tout le village et à laquelle Gigi ne sera pas insensible. Pour lui elle est différente des autres filles du pays et ils partagent ensemble une amitié quasi fraternelle. Le Père de Gigi devient chômeur, son grand-père sent la vieillesse et la mort arriver, sa mère fait ce qu'elle peut pour maintenir l'unité de sa famille. Pour s'offrir sa bicyclette, Gigi est contraint de travailler et cela aussi précipite son passage dans l’âge adulte, adouci peut-être par le visage d'Allegra. Nous sommes en 1963 et le monde est bouleversé. Cela va affecter aussi ce petit coin de Romagne et ce garçon va ainsi d'un seul coup sortir du monde idyllique de l'enfance pour entrer dans un autre qui l’est beaucoup moins, fait de déceptions, de remords, de deuils. C'est sans doute et peu ou prou l'itinéraire de chacun d'entre nous. C'est un roman écrit simplement, à travers des anecdotes parfois savoureuses et avec un humour qui, à la fin fait place à une réelle émotion et une authentique nostalgie. J'ai lu ce roman dans le texte et parfois à voix haute pour la beauté et la musicalité de la langue italienne.
Eraldo Baldini, est un écrivain italien, à ma connaissance non encore traduit en français.
© Hervé GAUTIER – Mai 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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L' exclue
- Par ervian
- Le 30/04/2016
- Dans Luigi Pirandello
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La Feuille Volante n°1038– Mai 2016
L'EXCLUE – Luigi Pirandello. Actes sud.
Traduit de l'italien par Marguerite Pozzoli.
Rocco Pantàgorra est très malheureux. Il vient de surprendre son épouse en train de lire une lettre de Gregorio Alvignani qu'il soupçonne d'être son amant. Est-il à ce point malheureux en ménage, maladivement jaloux ou victime d'un traditionnel atavisme qui veut que tous les hommes mariés de sa famille soient cocu? Toujours est-il que ses craintes ne sont pas fondées, que son épouse, Marta, est effectivement vertueuse et que la lettre qu'elle lisait était bien innocente et en rien chargée de marques adultères. Pourtant, pour ce pauvre Rocco, la graine de la suspicion s'est sans doute semée dans sa tête ou est-il victime du qu'en dira-t-on, dans cette petite ville italienne traditionnelle et catholique ? Il chasse Marta son épouse qui est en même temps reniée par son père. Après la mort de celui-ci et la faillite de son entreprise, Marta assure la subsistance de sa mère et de sa soeur par un travail d'institutrice qu'elle a réussi à obtenir, mais que sa femme, même répudiée, travaille est insupportable à Rocco. Elle se heurte à la vindicte de cette petite ville, doit faire face aux excès de zèle des notables de sorte qu'elle doit déménager pour Palerme où elle a trouvé un poste d'enseignante.
Ce roman qui est le premier écrit par Pirandello à l'âge de vingt ans se situe en Sicile où l'auteur naquit et passa sa jeunesse. Cette île restera un référence dans toute son œuvre. Il illustre cette grande interrogation sur la vie, l'individu, la société qui est une constante dans sa démarche créatrice. Durant « ce séjour involontaire sur terre » qu'est selon lui la vie, il dénonce cette incommunicabilité, cette incompréhension qui existe entre les hommes et en dénonce l'absurdité. Ce roman souligne le destin paradoxale de cette femme injustement accusée d'adultère et chassée par son mari et qui ne reconquiert son statut social qu'en se livrant effectivement à la faute qu'on lui reprochait. Ici, les femmes sont systématiquement suspectées sans pouvoir véritablement se défendre. Dans son nouveau poste, elle est l'objet de tentatives un peu gauches de séduction de la part de ses collègues masculins autant qu'une surveillance constante de la part de son mari, malgré la répudiation qu'il a lui a imposée. Alvignani, devenu député la retrouve à Palerme et la compromet. Elle est ainsi rattrapée par le malheur. Elle représente la femme exclue parce que victime de cette société conventionnelle et conservatrice qu'elle subit et qui apparaîtra ailleurs dans son œuvre future, une véritable « étrangère »pirandellienne ». Pourtant Marta est lucide face à cette absurdité.
Ce roman publié en 1893(remanié puis publié dans sa version définitive en 1927) porte témoignage des croyances religieuses autant que des conventions sociales qui ont cours dans cette petite ville de Sicile à cette époque. Il comporte également une étude psychologique poussée des personnages qui n'est cependant, et malgré le thème de cet ouvrage, non exempte d'humour voire d'ironie. Un texte bien écrit (bien traduit?), une peinture assez juste et pertinente de l'espèce humaine et un bon moment de lecture.
© Hervé GAUTIER – Mai 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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La femme en vert
- Par ervian
- Le 28/04/2016
- Dans Arnaldur INDRIDASON
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La Feuille Volante n°1037– Avril 2016
LA FEMME EN VERT – Arnaldur INDRIDASON – Point.
Traduit de l'islandais par Eric Boury.
Tout ce que les bébés trouvent, ils le portent à leur bouche. Lors d'une fête d'anniversaire, on découvre une fillette en train de mâchonner ce qui se révèle être un os humain trouvé par son frère dans des fondations de futurs maisons d'un quartier de Reykjavík. Le commissaire Erlandur et deux de ses collègues sont chargés de cette enquête pas vraiment riche en indices, juste un squelette là depuis une soixantaine d'années, une maison, jadis propriété d'un commerçant, rasée et la vague indication d'une femmes vêtue de vert, la présence de groseilliers à proximité, la disparition mystérieuse d'une jeune fille peu avant son mariage ! Pour compliquer un peu les choses, les policiers son aidés d'un géologue et d'un archéologue pour dégager le corps, c'est dire le luxe de précautions qui accompagne ce travail, ce qui ne hâte pas vraiment les choses. Les recherches s'éternisent un peu autour de la présence de militaires anglais puis américains dans les environs pendant la guerre, ce qui permet au lecteur d'en apprendre un peu plus sur l'histoire de ce pays. On nous raconte que Reykjavík était au départ une petite ville et qu'à l'endroit où on a trouvé le squelette il y avait des maisons d'été. La ville s'étendant, on a construit sur ces terrains et on a ainsi découvert ces restes humains. L'auteur nous raconte aussi le calvaire d'une femme, battue par son mari violent et qui a vécu ici vers 1937. Cette femme a été courageuse et a accepté sa condition de femme battue et bafouée pour protéger sa fille handicapée et ses deux fils. Nous assistons à la lente destruction d'une famille par un tyran domestique, sadique et pervers. Il y a sans doute un lien entre cette affaire et son enquête à propos du squelette découvert. Mais lequel ?
Ce roman nous apprend à connaître ce commissaire, pas vraiment intéressant, marié très tôt et qui a abandonné très tôt son épouse et ses deux enfants. Il voit rarement son fils et sa fille, Eva-Lind, enceinte et droguée est entre la vie et la mort et bien sûr, il culpabilise même si c'est un peu tard. Il entame ainsi une deuxième enquête, personnelle celle-là, pour en apprendre davantage sur la vie de sa fille et ce qui l'a amenée ainsi au pas de la mort. Il parviendra quand même à parler avec sa fille, de son enquête d'abord et faute de mieux puis petit à petit de son enfance, comme une sorte d'acte de contrition, ce qui nous en apprend un peu plus sur lui. Ainsi l'auteur fait-il une sorte de parallèle entre la famille qui a vécu dans cette maison maintenant détruite et ce qui a secoué celle du commissaire. Cet épisode familial a aussi des répercutions sur les relations qui existent entre les différents membres de l’équipe que dirige le commissaire.
Ce sont donc plusieurs histoires qui s’entremêlent dans ce roman, de nombreux analepses, ce qui le rend un peu difficile à lire et égare un peu l’attention du lecteur à mon avis malgré la tension qu'il entretient tout au long de trois cents pages. C’est un roman policier puisqu’il y a un cadavre ou plutôt un squelette et des investigations diligentées par des enquêteurs mais c'est aussi un roman psychologique et social que j'ai finalement bien aimé.
© Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Aurais-je sauvé Genevieve Dixmer?
- Par ervian
- Le 25/04/2016
- Dans Pierre Bayard
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La Feuille Volante n°1036– Avril 2016
AURAIS-JE SAUVÉ GENEVIÈVE DIXMER – Pierre Bayard – Les Éditions de Minuit.
Les gens de ma génération se souviennent sûrement du « Chevalier de Maison-Rouge » qui fut le premier feuilleton télévisé de cape et d'épée diffusé en 1963 d'après l’œuvre d'Alexandre Dumas et d'Auguste Maquet. Inspiré par la vie d'Alexandre Gonsse de Rougeville, il a ému la France entière. Il retraçait l'histoire de cet aristocrate recherché par la police et caché chez les époux Dixmer, royalistes, qui voulait libérer Marie-Antoinette de la prison du Temple. Parallèlement, Maurice Lindey, un républicain patriote, tombe amoureux de Geneviève Dixmer dont le mari accueille Lindey qui ainsi lui sert de couverture, tout en sachant les sentiments que ce dernier nourrit pour son épouse. La libération de Marie-Antoinette échoue, Geneviève est arrêtée, condamnée à la guillotine. Maurice la rejoint pour mourir avec elle. Cela c'est pour l'histoire tragique qui bouleversa durablement l'auteur, alors âgé d'une dizaine d'années au point que cela modifia, selon son propre aveu, sa notion même de l'amour. En effet, il tomba littéralement amoureux de Geneviève (peut-être aussi à cause du beau visage de l'actrice Anne Doat qui l' incarnait). Aussi était-il tentant pour lui, sans vraiment réécrire le texte, de la retrouver, de voyager dans le temps, d'entrer dans le roman, d'en devenir un de ses personnages, en l’occurrence Lindey, et de tenter, tout en respectant l'intrigue et aussi la personne de Geneviève, de la faire échapper à son injuste sort. Il vivra donc sous le Révolution et ses violences et voyagera à l'intérieur de ce roman par le truchement d'un artefact de lui-même, dans le seul but de la sauver.
Cela paraît surprenant de vouloir ainsi entrer dans un livre, même si ce métalepse a déjà été utilisé notamment par Woody Allen qui ainsi retrouva Emma Bovary ou tourna « La rose pourpre du Caire ». C'est vrai que la fiction autorise l'extraordinaire et même si l'auteur est un être réel et Geneviève un personnage de roman, l'inconscient intervient dans cette relation et la rend possible. D'autre part la lecture attentive d'un texte amène le lecteur à y projeter ses propres fantasmes et à se situer dans un « monde intermédiaire » entre le réel et le fictif. En outre, l'identification à un personnage de roman appartient à l'enfance et nous sommes tous d'anciens enfants qui nous souvenons parfois de cette période. Il n'empêche que malgré tout, on ne peut rien modifier du passé. Notre auteur est donc projeté dans ce Paris de 1793(exactement du 10 mars à la fin octobre) inconnu de lui . Pour autant cet exercice suppose qu'il se mette dans la peau d'un homme de la Révolution, qu'il prenne en compte les données sociologiques, politiques, culturelles, idéologiques, religieuses de l'époque, l’émergence d’idées venues du Siècle des Lumières, le basculement dans la Terreur, les menaces extérieures et intérieures, la situation d'insécurité, tout en restant lui-même et en respectant l'intrigue et son épilogue qu'il connaît, contrairement à Lindey. Cela implique qu'il s'exprime à la première personne, qu'il use de son véritable nom, ce qui n'est pas le cas évidemment dans le texte de Dumas et Maquet. Dès lors, cette période troublée qu'est la Révolution ouvre-t-elle la voie à des problèmes concrets d'éthique extrêmement éloignés des positions philosophiques trop théoriques. Ainsi Lindey-Bayard doit-il choisir entre la femme qu'il aime et son idéal républicain, sa décision emportant nécessairement des conséquences dramatiques et caractérisant un choix impossible. Dès leur première rencontre fortuite, il est amené à se demander s'il doit défendre cette femme qu'il ne connaît pas et qui est peut-être suspecte, au seul motif qu’il en est tombé amoureux au premier regard, question d'autant plus pertinente que, par la suite, il est parfaitement conscient qu'elle se sert de lui et que pour cela il sacrifie volontairement son idéal républicain. Ainsi, peut-on admettre que la fin justifie les moyens dans la mesure où, la libération de la reine entraînerait la mort de Bayard, ramené par les royalistes et leur chef le chevalier de Maison-Rouge, à un simple moyen au service d'une cause supérieure à laquelle il est étranger ? Après avoir été dans le déni de cette situation, Bayard est mis par Geneviève devant le dilemme suivant : trahir la République et la sauver par amour et ainsi se déshonorer lui-même, c'est à dire faire un choix égoïste en trahissant son idéal, où envoyer cette femme à la mort, autrement dit, peut-on mentir et laisser mettre à mort quelqu'un qu'on aime au nom d'un principe dogmatique. Nous sommes dans un cas de conflit des loyautés, de valeurs, mais ici les choses bifurquent quelque peu puisque Geneviève s'offre elle-même (par amour?) à Lindey-Bayard, c'est à dire trahit son mari contre la sauvegarde du chevalier de Maison-Rouge, son frère. Je note que notre auteur se refuse à cette alternative, par principe autant que par devoir. De son côté, le mari n'hésite pas à sacrifier son épouse qui ainsi marche vers l’échafaud en compagnie de son amant qui se livre lui-même pour mourir avec elle.
Ce n'est pas la première fois que l’auteur use de ce subterfuge d'écriture. Déjà dans « Aurais-je été résistant ou bourreau ? », il s'était transporté en France lors de l'occupation allemande de la 2° guerre mondiale, se demandant quelle aurait été son attitude en ces temps troublés. Cet essai qui se situe entre l'analyse littéraire et la philosophie, est émaillé d'exemples, de démonstrations et de citations d'universitaires et de philosophes, pleins aussi d'analepses et de prolepses qui servent le parti-pris de l'auteur pour se réapproprier cette fiction. Reste le concept d'écriture original qui permet l'exploration de la personnalité potentielle de l'auteur ainsi que les problèmes de réflexions et d'éthiques soulevés auxquels je ne souscris pas totalement, notamment celui où il parle de la responsabilité que nous avons envers ceux que nous croisons. Je ne tiens pas non plus l'humanité, dont je fais évidemment partie, en suffisamment haute estime pour l'investir de ces hautes préoccupations, de ces questions d'honneur, de respect et d'amour. J'ai quand même bien aimé ce livre, bien écrit, original dans son concept et dans cette expérience menée dans le contexte du passé mais qui permet aussi de penser le présent et l'avenir.
© Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Nos coeurs vaillants
- Par ervian
- Le 23/04/2016
- Dans Jean-Baptiste Harang
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La Feuille Volante n°1035– Avril 2016
NOS CŒURS VAILLANTS– Jean-Baptiste Harang - Grasset.
On ne répond pas à une lettre anonyme, justement parce qu'elle l'est, anonyme, et que de toute façon, cela ne serait pas possible. Si on en croit l'auteur, c'est ce qu'il reçoit un beau jour et cette missive convoque les fantômes de son enfance faite de patronage, de colonies de vacances, de service de messes et d'abbé pédophile, encore que, à cette époque ce délit perpétré par des autorités religieuses était couvert par le silence voire par le tabou quand, à l'extérieur, il était sanctionné par les tribunaux.
Dans cette période de l'enfance et de l'adolescence on fait ses apprentissages, pas toujours très heureux et on y tisse parfois des amitiés solides qui défient le temps. Mais quand même, arrivé à l'âge adulte, des ombres se bousculent dans la mémoire et pour peu qu'on sache un peu manier la plume, on écrit « pour se souvenir » parce que l'oubli fait aussi partie des intervenants. Et c'est parti ! L’auteur va ainsi collationner des noms (les vrais ai-je cru comprendre bien que je croyais que dans les romans on habillait ses personnages de faux patronymes) comme on égrène un chapelet. C'est vrai que la jeunesse est un état passager, tout comme le reste de la vie d'ailleurs, et l'un comme l'autre nous apportent leur cortèges de souvenirs. Dans ce roman, (je n'en connais pas d'autres de cet auteur), ils sont plutôt pieux ou à tout le moins tournent autour de la religion catholique qui était bien souvent, pour les gens de ma génération, le point de passage obligé des enfants de parents bien-pensants. Pour l'auteur, sa mémoire vagabonde entre le 17° arrondissement parisien et des étés dans une colonie du Jura qui, en principe, était le cadre d'une plus grande liberté. Voire ! La présence d'un abbé compliquait sans doute un peu les choses avec l'obligation de satisfaire aux rituels religieux dans un latin approximatif et de vivre à la dure en respectant une discipline quasi-militaire, prémices d'une vie d'adulte accomplie (là non plus je ne suis pas sûr). C'est sans doute pour se venger de tout cela qu'il pratiqua le pillage des hosties (non consacrées, cela va sans dire) et bien entendu la dégustation occulte du vin de messe. Pas de quoi se sustenter mais seulement l'occasion de braver un interdit et, si on y croit, de caractériser le péché de gourmandise qui, comme nous le savons est capital et promet son auteur aux flammes de l'enfer. Cela fit même de lui un candidat malheureux au petit séminaire d'où il fut renvoyé et un authentique objecteur de conscience à l'époque où, satisfaire à ses obligations militaires était encore considéré comme le passage forcé vers l'âge d'homme.
Mais revenons à cette lettre anonyme qui, au fil du temps et des envois se révéla être signée et domiciliée, révélant la véritable identité de son auteur et peut-être sa volonté de renouer des liens distendus par le temps. Je ne sais si l'auteur est comme moi, mais je fuis comme la peste les associations d'anciens élèves et les copains de service militaire, cela met pour moi un peu trop l'accent sur le temps qui passe, sur la sacro-sainte réussite sociale qui n'est pas toujours au rendez-vous, sur la nostalgie que je ne goûte guère et sur les souvenirs qu'il ne me plaît pas spécialement d'évoquer. Il y a des moments où j'aime bien faire prévaloir l'oubli.
Cet ouvrage est présenté comme un roman mais j'y ai plutôt vu un recueil de souvenirs pas du tout fictifs. Mais après-tout peu importe, j'ai goûté son style, son humour subtil, la manière toute personnelle et jubilatoire qu'il a de faire revivre cette période qui pour lui, « le passé qui enjolive tout » aidant, fut agréable. Il le fait sous l'injonction d'un cousin psychiatre (c'est étonnant que les membres de cette corporation vous invitent ainsi à vous souvenir de vous, même si vous ne le souhaitez pas). L'auteur en a fait un « roman » et c'est tant mieux pour le lecteur car moi, je ne me suis pas ennuyé à cette lecture.
© Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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La plage
- Par ervian
- Le 22/04/2016
- Dans Marie Nimier
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La Feuille Volante n°1034– Avril 2016
LA PLAGE– Marie Nimier- Gallimard.
D'abord une île inconnue qu'on imagine méditerranéenne avec une crique sauvage et une jeune femme également inconnue (le lecteur ne saura pas son nom, elle sera « l'inconnue », mais est-ce bien important ?) qui choisit de s'y rendre parce que ici, sur cette île, il y a une grotte où deux ans auparavant elle y a fait l'amour avec un homme, « le voyageur », disparu de sa vie depuis. C'est donc à une sorte de pèlerinage qu'elle se livre, avec toute la nostalgie qui va avec, mais celui-ci est contrarié parce que l'endroit est déjà occupé par un père et sa fille (Eux non plus n'ont pas de nom, elle les baptise « le colosse » et « la petite » (déjà une jeune fille) et c'est bien suffisant. «L'inconnue », décide d'attendre qu'ils partent, de tuer le temps en se baignant nue, mais au bout de trois jours, après avoir observé ce couple étrange père-fille qui n'est pas sans lui rappeler celui qu'elle formait avec son père, elle décide de se montrer. A la faveur de cette rencontre, petit à petit, avec un luxe de précautions, de timidité, de retenues, de beaucoup de silences et de respect de l'autre, une sorte de complicité puis de partage de secrets intimes se tissent entre « l'inconnue » et « la petite » puis c'est le père qui accepte de parler de lui, de sa femme avec qui il a rompu à cause sans doute d'une sorte de nymphomanie ou de goût pour la liberté, incompatible avec sa qualité de mère et de femme mariée. C'est une manière de briser le stéréotype un peu trop convenu du mari volage et de l'épouse trompée. Il ne voit sa fille que par intermittence et ne veut rien perdre de ces moments. On devine ce qu'a été la vie conjugale délétère de cet homme tiraillé entre un abandon qu'il combat comme il peut et l'amour de sa fille déjà grande, perturbée par la mésentente de ses parents, mais qui ne voudrait pas quitter l'enfance trop vite. Entre eux il y aura cette inévitable passade inspirée, de son côté à lui, par une solitude difficile à supporter surtout en présence d'une jolie femme et pour elle le souvenir de cette étreinte fugace avec « le voyageur » et peut-être aussi son attachement à « la petite ».
Le livre refermé, que reste-il de ce roman au style fluide, agréable et facile à lire ? Du soleil d'été, des vagues chaudes et des galets, du farniente, des senteurs de pinède et de garrigue, des descriptions poétiques de paysages, des évocations parfois érotiques… Ce que je retiens surtout c'est une sorte d'impression de solitude qui habite chaque personnages. Au fil du récit on a la certitude que, malgré les apparences, ils ne se rencontreront jamais vraiment et le moment d'extase passé, chacun retournera à sa vie d'avant, comme si cette période estivale entre parenthèses n'avait servi qu'à tisser des souvenirs, vous savez, ce qui encombrent pour longtemps votre mémoire, avec ses bons moments mais surtout avec ses regrets, ses remords ! J'y ai vu de la nostalgie, l'empreinte du temps qui passe et des projets un peu fous qui ne se réaliseront jamais et laisseront ces protagonistes face à eux-mêmes, à leur mélancolie d'avant. C'est banal, mais j'ai eu l'impression, au cours de ce récit, de l'abolissement du temps, comme s'il était suspendu à la tranche de vie de chacun, coincée elle-même entre leur passé tumultueux et leur avenir incertain. Chacun à sa manière a connu l'abandon et va renoué avec lui après cette aventure d'été. Le décor de la grotte a un côté anachronique, sauvage et pourtant savamment organisée ; on peut y voir nombre de symboles.
Je ne me suis pas ennuyé à la lecture de ce court roman qui ne relate pas autre chose qu'un amour de vacances avec tout ce qu'il a de fugace, de temporaire, une façon, si on veut le voir ainsi d'enjoliver un peu un quotidien morne. Un bon moment de lecture ne tout cas.
© Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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La boutique obscure
- Par ervian
- Le 21/04/2016
- Dans Georges PEREC
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La Feuille Volante n°1033– Avril 2016
LA BOUTIQUE OBSCURE– Georges Perec - Gallimard. (année de parution 1973 chez Denoël)
D'emblée, le titre fait penser à Patrick Modiano (« Rue des boutiques obscures » paru en 1978) mais ce roman qui obtint le prix Goncourt en 1978, où le futur Prix Nobel se pose, comme dans toute son œuvre, ses éternelles questions sur lui-même, peut sembler n'avoir aucune connotation avec cet ouvrage de Perec qu'il suit de quelques années. Voire ! L'écriture, et plus généralement la création artistique, sont peu ou prou le résultat d'une introspection de leur auteur qui mène à une connaissance intime plus approfondie. Ici Perec, lui aussi, fait allusion à ses origines et aux obsessions qui en découlent, sa judéité, les camps de concentration et leurs horreurs, la traque de la police, les interdits imposés aux juifs sous l’occupation allemande, la dénonciation dont un texte clôt cet ouvrage...
L’œuvre de Georges Perec est originale par bien des points. Il a expérimenté une nouvelle forme d'écriture, jetant sur le décor qu'il l'entoure un regard à la fois étonné et pertinent. Le langage chez lui est certes un outil pour s'exprimer mais il s'en sert en lui inventant un rôle assez nouveau, tout à la fois jubilatoire, philosophique et poétique. Ici, il livre à son lecteur, toujours un peu dubitatif quand il ouvre un ouvrage de lui, la transcription des rêves qu'il a pu faire où tous les interdits culturels sociaux, religieux, raciaux sont soudain abolis. C'est vrai que ce domaine sous-tend souvent la création, mais il s'agit le plus souvent de rêves éveillés, de fantasmes. En ce qui concerne les rêves nocturnes, il est bien difficile de s'en souvenir au réveil, ils s'effacent rapidement et le réel reprend le dessus au point que la mémoire n'en garde pas la moindre trace, à l'exception peut-être de certains d'entre eux dont on se demande pourquoi ils ont bien pu ainsi imprégner notre souvenir. Ainsi le titre, par ailleurs évocateur, est-il suivi de la mention « 124 rêves » comme d'autres ouvrages comporteraient celle de « Roman » ou « nouvelles ». Il s'agit donc de rêves nocturnes qui ont cette caractéristique d'être colorés, hasardeux, proteiformes et qui procurent à leur manière un dépaysement qui n'est pas seulement une délocalisation. La relation qu'il en fait, en termes simples, a quelque chose à voir avec cette période de relaxation où la liberté, la licence, la volonté la plus folle, les sentiments les plus débridés, les pulsions les plus amoureuses, les projets les plus absurdes, les situations les plus rocambolesques, trouvent soudain leur vérité qui est parfois inquiétante, angoissante et même labyrinthique. Ils ont à la fois cette texture insaisissable et cette abrupte et incompréhensible évidence mais aussi cette façon apparemment décousue de se révéler et de se libérer. Ils évoquent souvent la mort puisque qu'avec l'amour et la vie ce sont là les grands thèmes de notre existence terrestre et s'ils ne sont pas toujours érotiques, les songes de Perec donnent souvent asile à des femmes belles et parfois sensuelles. Dans cet ouvrage, l’accouplement de l'auteur avec une femme est fréquent ce qui témoigne d'un accomplissement de désirs inassouvis (je note que la totalité des textes sont datés postérieurement à Mai 68 qui a correspondu notamment à une libération dans ce domaine). Perec semble ici nier le refoulement intime qui affecte chacun d'entre nous mais aussi les conventions sociales, les tabous... Freud donnait au rêve un caractère sexuel et les surréalistes l'ont largement exploité, insistant sur le non-sens, le chaos, l'absurde… C'est vrai qu'il est tentant de vouloir déchiffrer le songe, d'y voir une prémonition, une activé de substitution ou la matérialisation de ses désirs, loin des censures, en matière sexuelle notamment (on y fait ce qu'on est incapable de faire dans la vraie vie). Comme souvent, l'auteur y ajoute sa patte, son sens de l'humour, son jeu volontaire sur les mots qui est peut-être sa façon à lui d'insister sur l'absurde de la vie. Donner à son lecteur la possibilité d'entrer dans son univers onirique est parfois déroutant, surtout si on n'a pas de l'auteur une connaissance approfondie, et certains de ses rêves le sont, d'autres en revanche ont avec nous une connotation personnelle telle qu'ils nous sont en quelque sorte familiers. Il évite, et c'est heureux, la porte ouverte à la psychanalyse toujours friande de ce genre de visons subconscientes, toujours à l’affût d'une explication fumeuse et bien souvent inutile, voire dangereuses. L'auteur rend compte, parfois avec force détails, de ses peurs intimes, mais il ne me semble pas qu'il veuille un autre témoin et peut-être un autre juge que son lecteur. Il me semble aussi qu'il est conscient de cette expérience originale au point d'en faire une finalité, une sorte de fantaisie d'auteur : rêver dans le seul but de transcrire ses rêves ! (« Je croyais noter les rêves que je faisais : je me suis rendu compte que, très vite, je ne rêvais déjà plus que pour écrire mes rêves »)
Il s'agit donc d'un livre à lire par épisodes en n'oubliant pas que nous tenons entre nos mains quelque chose qui ressemble à une expérience intellectuelle et aussi révolutionnaire (il n'a été pour rien membre de l'Oulipo), quelque chose qui se mérite en tout cas, c'est à dire autre chose qu'une simple fiction. Ce n'est peut-être plus dès lors une banale transcription de rêves mais le départ d'autre chose qui, bien entendu va nous étonner. Ainsi, l'imagination aidant, la nôtre évidemment, à la fin de cet ouvrage serions-nous tentés d'espérer que la dernière page cache encore quelque chose de surprenant !
© Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Nature morte
- Par ervian
- Le 17/04/2016
- Dans Louise Penny
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La Feuille Volante n°1032– Avril 2016
NATURE MORTE– Louise Penny – Actes Sud.
Traduit de l'anglais (Canada) par Michel Saint-Germain.
Three Pines est un petit village québécois bien tranquille où il ne se passe rien. Pourtant un jour d'automne, le dimanche de Thanksgiving, on y retrouve le cadavre de Jane Neal, 76 ans, enseignante à la retraite et peintre du dimanche. Cela a beau être la période, il est rapidement évident que ce n'est pas un accident de chasse. Le plus étonnant est sans doute que le meurtre a été commis avec une flèche qui n'a cependant pas été retrouvée. Jane était bien la dernière personne qu'on aurait voulu assassiner, elle connaissait tout le monde, on l'aimait bien au village et elle dirigeait une association locale liée à l'église anglicane. C'est bien ce que s'est dit l'inspecteur-chef Armand Gamache de la Sûreté du Québec à qui a cette enquête a été confiée. Il est assisté de l’inspecteur Beauvoir et de l'agente Yvette Nichols. Certes, quelques jours avant, il y avait eu une sélection pour une exposition de peinture et une toile de Jane avait fait scandale, mais quand même, on n'exécute pas quelqu'un pour un tableau ! Quoique ! C'est vrai que si elle avait peint tout au long de sa vie, elle n'avait jamais voulu qu'on vît ses œuvres et « Jour de foire », sa toile sélectionnée pour l'exposition, à la fois innocente et naïve dans sa facture, était la première ainsi révélée au public. Elle comportait peut-être un message ? Il y a des investigations policières et tout le village y passe. Le lecteur fait ainsi connaissance de ses habitants entre un couple d'homosexuels, des artistes Clara et Peter, amis de Jane, un rentier, des adolescents … le lecteur pénètrent ainsi leurs secrets intimes mais ils sont tous, aux yeux de Gamache, des suspects potentiels. On soulève des questions d'intérêt, d'héritage, de trahison, de malveillance, de vengeance , bref tout ce que la condition humaine a de plus sordide, avec cette évidence contenue dans l’Évangile de Matthieu X, 36 « On aura pour ennemis les gens de sa famille »
Au long de ce roman, on s'attend à ce que l'auteur de ce meurtre bien mystérieux soit un chasseur étranger à cette commune ou peut-être un enfant du pays. On balance entre l’accident de chasse et un tir intentionnel ou bien encore une vengeance d'adolescents que Jane aurait réprimandés… Certes j'ai apprécié d'en apprendre un peu plus sur les coutumes et le mode de vie québécois, sur cette rivalité ancestrale entre les communautés anglophones et francophones, j'ai goûté l'humour de l'auteure et ses descriptions de la nature mais surtout il m'a semblé qu'il y avait beaucoup de longueurs, des pistes volontairement embrouillées ce qui entretient certes le suspens, mais je me suis un peu ennuyé à la lecture de ce roman. De plus cet inspecter Gamache ne me plaît guère non seulement j'ai eu un peu de mal à suivre son raisonnement mais surtout je n'ai guère apprécié son attitude à l'endroit de l'agente Yvette Nichols, sa subordonnée.
C'est vrai que dans ce petit village tout le monde s'observe et on connaît facilement les secrets de l'autre. La thématique du tableau renfermant un mystère était plutôt une bonne idée, mais je m'attendais à autre chose. Je respecte infiniment le travail d'écriture et de recherche de l'auteur mais j'ai quand même été un peu déçu.
Je voudrais cependant noter la dernière phrase des « remerciements » qui m'a paru émouvante, même si elle n'a rien à voir avec cette intrigue : « Il fut un temps dans ma vie où je n'avais aucun ami, où le téléphone ne sonnait jamais et où j'ai cru mourir de solitude. Aujourd'hui, je sais que la véritable bénédiction n'est pas d'avoir fait publier un livre, mais d'avoir autant de personnes à remercier »
Ce roman a été adapté sous forme d'un téléfilm canadien en 2013.
© Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Rosa candida
- Par ervian
- Le 14/04/2016
- Dans Audur Ava Ólafsdóttir
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La Feuille Volante n°1031– Avril 2016
ROSA CANDIDA– Audur Ava Ólafsdóttir -Zulma.
Traduit de l'islandais par Catherine Eyjólfsson
Rosa candida c'est le nom d'une rose à huit pétales, à la tige dénuée d'épines. C'est aussi une rare variété de fleurs que la mère de Arnljótur, morte il a quelques années dans un accident de voiture, aimait à cultiver et faisait partager à son fils sa passion pour la jardinage. La vie est bizarre puisque, un soir de fête, dans la serre familiale, Arnljótur fait l'amour à une inconnue qui quelques temps après vient le voir pour lui annoncer qu'elle est enceinte. Pour l'heure il doit se rendre dans un monastère loin de chez lui, dont les moines sont dédiés à l'horticulture et spécialement aux roses. Il y sera un simple jardinier et apprendra la langue du pays, nouvelle pour lui. Un moine cinéphile et un peu alcoolique deviendra son confident.
Il est un peu bizarre ce Arnljótur, se laisser chargé de paternité comme cela, par une inconnue avec qui il a passé une courte nuit d'amour, sans chercher à savoir si l'enfant est de lui. Il semble heureux d'avoir une fille,Flóra Sól, mais ne cherche pas pour autant à vivre avec sa mère ni à se marier avec elle. Ils ne forment pas un vrai couple. Je veux bien qu'il soit ému par les femmes et que la simple rencontre avec l'une d'entre elles le bouleverse, mais quand même ! De son côte Anna, après avoir mis son enfant au monde semble vouloir reprendre sa vie solitaire et ni l'un ni l'autre n'ont cherché à connaître leurs beaux-parents. Seul le père d' Arnljótur paraît heureux d'être grand-père ne serait-ce parce que ce bébé assurera la descendance familiale puisque sont second fils, Joseph, est handicapé mental.
Il est beaucoup question de jeunesse et de vie dans ce roman mais dans le même temps l'idée de la mort et de l'absence est constamment présente. Certes nous sommes tous mortels et nous le savons et cela ne me gêne pas mais ce que je retiens c'est aussi la coté candide, naïf de ce jeune homme qui semble avancer dans sa vie comme un automate. L'arrivée inopinée de sa fille de neuf mois et de sa mère, bouleverse son quotidien puisque la présence de cette enfant ne peut être compatible avec la vie monacale. Il s'adapte cependant et finit par s'habituer et souhaiter que cela dure toute sa vie. Dès lors, j'ai eu l'impression qu'il est victime d’une sorte de dédoublement de la personnalité. D'une part il semble heureux dans sa nouvelle vie un peu égoïste et de l’autre, il veux voir sa fille grandir et souhaite assumer son rôle de père avec enthousiasme. Quant à la mère, elle s'installe avec lui, mais pour un temps seulement, non pour tenir son rôle d'épouse mais surtout pour rédiger son mémoire d'études sur la génétique. Seules semblent compter ses études et sa liberté qui finalement prévaudra.
J'ai lu ce livre sans moi-même, pendant longtemps, savoir quoi en penser, plus intéressé par un épilogue que j'avais du mal à imaginer que par réel intérêt pour cette histoire. Cela m'a paru être le récit banal d'un jeune homme victime de cette jeune fille qui sait ce qu’elle veut et finalement se débarrasse de son enfant et s'en va. Lui accepte cette situation en faisant prévaloir le présent immédiat avec une détermination surréaliste et même complètement irresponsable, sans avoir la moindre idée de l'avenir. Je respecte infiniment le travail de l'auteur, mais je dois dire que je me suis un peu ennuyé à la lecture de ce roman.
© Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Testimone incnsapevole
- Par ervian
- Le 13/04/2016
- Dans Gianrico Carofiglio
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La Feuille Volante n°1030– Avril 2016
TESTIMONE INCONSAPEVOLE– Gianrico Carofiglio – Sellerio editore Palermo.
Il n'est pourtant pas un adepte des causes perdues, ce Guido Guerrieri, avocat à Bari, la quarantaine un peu triste. Pourtant ce qui lui arrive en cette années 1999 n'est pas banale. Sa femme vient de le quitter, ses amis lui sont de plus en plus indifférents et son métier l’ennuie. De quoi vraiment être déprimé ! Et pourtant il reçoit la visite d'une jolie femme noire dont le compagnon, un vendeur ambulant sénégalais, Abdou Thiam vient d'être accusé du meurtre d'un jeune garçon. La victime qui a subi des violences a été asphyxiée puis jetée dans un puits. Le témoignage d'un patron de bar est tellement déterminant que l'accusé est condamné d'avance. Et pourtant, il accepte de le défendre, bien qu'il soit au 36 iem dessous et qu’il combatte comme il peut cette dépression avec du café, des cigarette et même de l'alcool ! Il se fera un point d’honneur à défendre ce pauvre homme, même si au départ il se demande bien comment il va faire. Son talent pourtant lui soufflera une brillante plaidoirie au terme de laquelle il réussira à insinuer le doute dans l'esprit des juges et des jurés. Il ne se doute pourtant pas que cet épisode va bouleverser sa vie et lui redonner envie de plaider et de vivre tout simplement.
Il me plaît bien ce Guido, un peu désabusé mais combatif quand même dans son retour à la vie avec l'aide, il est vrai, de quelques femmes qui le fascinent, anciennes connaissances ou simples passantes. Il est seul contre tous et fait ce qu'il peut, entre racisme, fragilité du témoignage et insuffisances de l'enquête, pour arracher Abdul aux griffes de la justice qui semble avoir tout décidé d’avance. Il promène sur le monde qui l'entoure un regard pudique et même un peu blasé.
Même s’il peine un peu au départ, ce roman est bien construit, rédigé avec beaucoup d'humour, mais ce n'est pas vraiment un policier, un « giallo » comme disent nos amis italiens. Ce serait plutôt un « roman judiciaire » si ce concept d'écriture existe. Il y a bien une enquête, mais elle est menée par cet avocat et le livre regorge d'actes de procédures et d’articles du code pénal italien. Normal, l'auteur est lui-même magistrat.
Ce roman est connu en France sous le titre « Témoin involontaire », paru en 2007.
Je noterai avec plaisir la couverture de cet ouvrage qui reproduit un tableau d'Edward Hopper, un peintre américain que j'apprécie tout particulièrement.
Il s'agit là du premier roman de Gianrico Carofiglio, auteur dont je poursuivrai assurément l'exploration de l’œuvre.
© Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Vends maison de famille
- Par ervian
- Le 07/04/2016
- Dans François-Guillaume Lorrain
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La Feuille Volante n°1029– Avril 2016
VENDS MAISON DE FAMILLE – François-Guillaume Lorrain – Flammarion.
C'est souvent le cas avec les maisons, on les achète quand on est jeune, en bonne santé, en couple sans penser à l'avenir. Quand on n'a pas le virus du nomadisme ou que le bon sens paysan nous incite à nous fixer quelque part, cet endroit où on a passé de nombreuses années de sa vie, où on a vu grandir ses enfants et accumulé des souvenirs, devient un lieu de référence où on aime se retrouver, une maison de famille, comme on dit. Quand on choisit de la vendre, on doit la vider et ce qu'elle recelait de soigneusement caché ou de simplement égaré ressurgit. Ce sont des objets, des photos qui témoignent du passé et à travers eux on évoque les temps révolus, les années de jeunesse avec leur cortège d'espoirs, les erreurs et parfois aussi les échecs, les deuils... Les clichés, souvent un peu passés, réveillent la mémoire, un visage, une silhouette, un paysage, témoignent des changements, des rides, des cicatrices...
Après la mort de son père, une sorte de tyran domestique, et une mauvaise chute de sa mère, le narrateur, un jeune professeur de français à l'étranger, souhaite ardemment vendre cette bâtisse où il a passé sa jeunesse, trop pleine de souvenirs qu'on imagine mauvais. C'est que cette maison, normande et secondaire, était un peu pour son père le centre du monde, sa raison de vivre et même le but de sa vie. Le jardin pourvoyait à l'ordinaire du ménage jusqu'à l'obsession et elle l'attirait, et avec lui toute la famille qui n'avait pas pour autant envie de le suivre ! Bien sûr tout cela n'allait pas sans agacer sa progéniture qui devait filer doux et en passer par toutes ses lubies et ses ordres. Pour échapper à cela, le narrateur encore jeune s'en était remis à la lecture, à la culture, au savoir mais avant, au merveilleux de l'enfance, avec ses rêves, ses fantasmes, ses phobies et ses folies, son envie de fuir à cause de la famille, justement ! A cette fuite immobile correspondra plus tard un exil volontaire hors des frontières nationales, une manière de s'éloigner définitivement de cette ambiance familiale délétère que sa sœur ne supportait pas non plus. Pourtant, le moment venu, il faut bien se résoudre à prendre une décision, même si elle va à l’encontre des volontés les plus affirmées, même si l'on traîne une dernière fois les pieds comme un baroud d'honneur. Les souvenirs remontent à la surface et avec eux des visages de disparus, des moments pas toujours heureux qu'on est le seul à connaître et qu'on cache, l'espace du bref moment du déclencheur de l'appareil photographique, sous un sourire factice et le soin de dissimuler des réalités moins gaies.
Je me suis demandé à propos de ce livre ce qui reste après avoir passé sa vie dans une famille. On s'aime, on se marie, on a des enfants qui partent et on se retrouve seul à attendre la mort en remâchant son parcours, les trahisons, ses rêves déçus d'une vie qui aurait pu être belle mais qui ne l'a pas été parce que le bonheur tant souhaité n'a pas été au rendez-vous... C'est l'histoire ordinaire de ce qui s'est passé dans cette famille qui avait tout pour être heureuse, comme on dit, mais qui le l'a pas été et que les enfants ont fui sans grand espoir de retour. A la maison de famille répondent des secrets de famille qui ressurgissent et parfois font mal même si on s'attache, une dernière fois, à repeindre le passé ! Alors, maison à vendre ! Oui, peut-être, mais il faut toujours se méfier du tropisme de ces vielles bâtisses !
Avec beaucoup d'humour et un style enlevé l'auteur réussit à faire partager à son lecteur sa vision des choses, son drame intime, son choix de rire de cette situation délétère, Cela donne un texte agréable à lire et érudit par moments. J'ai bien aimé ce roman dont l'auteur m'était inconnu jusqu'à ce que Babélio et les éditions Flammarion ne me sélectionnent pour cette lecture. Je les en remercie chaleureusement.
© Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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D'après une histoire vraie
- Par ervian
- Le 05/04/2016
- Dans Delphine de Vigan
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La Feuille Volante n°1028– Avril 2016
D’APRÈS UNE HISTOIRE VRAIE – Delphine de Vigan – JC Lattès. [Prix Renaudot 2015]
Le titre d'abord interpelle. Il s'agit d'un roman donc d'une fiction, écrite semble-t-il d'après une histoire vraie, ce qui est plus ou moins le cas de tous les romans puisque le domaine de l'imaginaire est généralement sous-tendu par la réalité, certes redessinée par le talent de l'auteur. Le livre débute par une confidence, la panne d'écriture, un blocage créatif consécutif à une précédente œuvre qui avait connu le succès ; écrire pour l'auteure était devenu impossible !
Quelle est donc cette histoire vraie ? C'est une rencontre avec L.[elle ?], une femme fascinante et mystérieuse qui semblait savoir tout de auteure avant même d'entrer dans sa vie et de la bouleverser. J'avoue avoir pensé à une histoire banale de séduction, voire d'homosexualité entre femmes mais en réalité L, devenue son amie, se révèle être un « nègre », c'est à dire une « plume » d’écrivains en mal de création. Cela tombait plutôt bien pour Delphine qui vivait mal cette période de sécheresse. Pourtant elle ne lui propose pas d'écrire pour elle, mais au contraire de favoriser sa propre écriture. Petit à petit, grâce sans doute à une sorte d'effet miroir, elle va l'amener à sortir de sa torpeur littéraire dans la douceur mais aussi par la prise de conscience pour l'auteure d'une certaine nécessité impérative et impérieuse d'écrire [« Je venais de comprendre quelque chose de terrifiant et vertigineux : J'étais dorénavant mon propre ennemi »] .
Au départ, bien que la chose puisse soulever quelque intérêt, je ne suis pas entré dans le subtil distinguo entre autobiographie, autofiction et fiction, ni dans la définition de « l'effet de réel » cher à Roland Barthes, pas plus d'ailleurs que dans les motivations qui peuvent légitimer la démarche d'écriture de l'auteur ou les exigences qui amènent les lecteurs à découvrir un roman et à y porter de l'intérêt [j'avoue avoir toujours une réelle passion pour les romans de Boris Vian qui n'ont avec la réalité qu'une lointaine parenté]. En revanche tout ce qui est dit sur l'écriture elle-même, son mécanisme, sa puissance, ses effets parfois dévastateurs, ses impossibilités, ses dérobades contre lesquelles on ne peut rien, tout cela m'a beaucoup parlé. Je pense toujours que l'écriture est une alchimie où l'imaginaire, le réel, la logique, l'analyse, le travail... se mêlent intimement sans bien souvent que l'auteur lui-même maîtrise tout cela et parfois, il est lui-même surpris du résultat ! Les personnages créés par l'auteur s'ancrent dans le réel, naissent, vivent, meurent, sont aussi complexes que celui qui les a créés, sont même parfois révélateurs et ont leur propre liberté... En outre, j'ai bien aimé la tension psychologique savamment distillée au long de ces presque cinq cents pages et l'ennui ne s'est jamais insinué dans ma lecture de ce roman passionnant. La démarche créatrice de l'auteure m'a aussi interpellé : c'est cette envie d'écrire qui, après l'avoir abandonnée, revient à pas feutrés, grâce à L. mais aussi à travers le quotidien, les souvenirs, et les épreuves. La violence des lettres, au départ anonymes, qui l'accusent et qui sont relayées sur les réseaux sociaux jouent aussi un rôle. Les encouragements de L. sont essentiels dans cette créativité retrouvée, mais il plane autour d'elle une sorte de halo mystérieux et même dérangeant, alors qu'il devrait s’estomper. Pourtant, au fil des chapitres le mystère s'épaissit autour d'elle, elle ressemble de plus en plus à une silhouette à la fois fuyante, surprenante, présente, compatissante, soufflant parfois le chaud et le froid, à la fois forte et fragile, jusqu'à en devenir obsédante, indispensable, destructrice, puis disparaît comme elle était venue, comme si elle n'avait jamais existé... La complicité entre les deux femmes est telle que le mimétisme entre elles fonctionne parfaitement au point qu'elles deviennent interchangeables. Pourtant, au fil des pages, j'ai eu le sentiment que l'auteure était sous la dépendance complète de L., était pour elle une véritable proie sous des dehors trompeurs. Au début du roman, l'auteure est passive parce qu'elle est dans l'impossibilité d'écrire mais, à partir de son accident, l'envie de créer réapparaît dans une sorte de cyclothymie et correspond à une prise de conscience, de renouveau, même si dans son entourage des doutes subsistent sur une éventuelle période dépressive entre paranoïa et affabulations. Le retour à la « vie normale » se confond avec tant d'interrogations qu'elle prend un peu une forme de folie.
Je ne sais si ce livre est écrit d'après une histoire vraie puisqu'il est écrit à la première personne et met en scène l'auteure ou s'il est une fiction, mais peu m'importe. Ce que je retiens c'est qu'on n'est jamais trahi que par les siens, par ses proches, par sa famille, ceux qui savent parfaitement comment nous faire du mal, savent manier à la fois le mensonge, l'hypocrisie, la félonie... Ici cette trahison prend une forme particulièrement subtile. La deuxième chose c'est que le livre est un univers douloureux qu'on peut porter en soi pendant des années et qui peut se refuser à naître aussi naturellement que cela et que l'écriture peut parfois, mais parfois seulement, être un baume et avoir une fonction cathartique, mais cela nous le savions déjà.
J'avais été conquis par son dernier roman , « Rien ne s'oppose à la nuit » et c'est sans doute ce qui m'a fait ouvrir ce livre. L' écriture est fluide et offre un texte agréable à lire, clair, et bien construit, entretenant jusqu'à la fin le suspense d'un véritable « roman à énigme », pas vraiment dans l'esprit que ce j'ai l'habitude de lire sous la plume de cette auteure. Pourtant à la fin j'ai été un peu déçu. Je ne sais pas pourquoi mais, au fil des pages je m'attendais à autre chose, la chute m'a laissé un peu sur ma faim. J'ai songé à un dédoublement de la personnalité, à une illustration romancée du rythme de la création chez un auteur...Il me semble que l’épilogue n'est pas à la hauteur de ce roman qui m'a pourtant passionné, autant par l'intrigue que par l'analyse du processus de l'écriture.
© Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]