BERTHE MORISOT- Le secret de la femme en noir – Dominique BONA
- Par hervegautier
- Le 25/08/2013
- Dans Dominique BONA
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N°677– Août 2013.
BERTHE MORISOT- Le secret de la femme en noir – Dominique BONA- GRASSET.
Tout a commencé par un tableau d’Édouard Manet, celui d'une femme, en noir avec un bouquet de violettes sur la poitrine pour seul bijou. Cette femme c'est Berthe Morisot et c'est un mystère. Elle est peintre elle-même, appartenant au groupe des Impressionnistes, et apparaît déjà sur de nombreux tableaux de Manet, c'est une grande bourgeoise, de bonne éducation, pas un modèle professionnel. Son père, ancien préfet est membre de la Cour des Comptes et sa mère, par une filiation compliquée, est la petite-nièce du peintre Fragonard. Elle n'a donc pas, selon la légende des peintres, une vie maudite. L'école des Beaux-Arts est fermée aux femmes, Guichard, un peintre ami lui ouvre ainsi qu'à sa sœur Edma les portes du Louvre où elles peuvent ainsi copier les maîtres. Là, elles rencontrent d'autres peintres mais ce qui intéresse le plus Berthe, ce sont les paysages.
Elles sont admises dans la bonne société, dans le grand monde des arts et de la politique et Berthe rencontre Manet dont les toiles font scandale. Les deux sœurs travaillent avec talent mais Berthe s'impose et le peintre qui la prend souvent pour modèle a tendance à intervenir sur ses toiles, ce qui lui déplaît fort. Avec le temps Berthe qui a subi l'influence de son maître réussit à substituer les couleurs claires à la palette noire de Manet.
A trente ans elle est encore célibataire et doit résister aux sollicitations de sa famille qui souhaite la voir mariée, mère de famille et se détourner de la peinture. La guerre de 70 ne la tire pas de son ennui, elle s'impose un mutisme face à la Commune et alors que la guerre civile fait rage dans Paris elle est dégoûtée de ses semblables. Elle ne vit que pour la peinture et bientôt pour l'aquarelle ! A la fin des hostilités, elle retrouve Manet et souhaite poser pour lui. Les différents prétendants qui se pressent autour d'elle sont éconduits, soit par elle, soit, comme Puvis de Chavannes, par la famille. A trente trois ans, elle finit par jeter son dévolu sur Eugène Manet, le frère sans grand talent et de petite fortune d’Édouard dont elle devient la belle-sœur. Dès lors Berthe s'épanouit, n'est plus anorexique comme avant mais cesse d'être le modèle d’Édouard qui peindra dorénavant des femmes inconnues, sensuelles et nues. Non seulement la vie conjugale ne la comble pas, elle n'est pas heureuse malgré ses voyages et sa vie paisible mais encore sa peinture ne reflète pas exactement ce qu'elle est : c'est une passionnée et une combative et elle se présente comme une femme détachée de tout. Dans l’intimité de son couple, Eugène, conventionnel, jaloux, valétudinaire ne semble pas être l'homme qu'il lui faut pour mener correctement sa carrière. Pourtant, il la respecte en tant qu'artiste et lui qui peint également s'efface volontiers devant elle. C'est un brave homme, dévoué et sincère sur qui elle peut compter. Sa décision est prise et même si elle se heurte à l'ironie maternelle, Berthe a trouvé sa voie, elle sera peintre professionnelle mais, tournant le dos à l'Académie, choisit la liberté de peindre en rejoignant le groupe des Impressionnistes où elle est la seule femme.
Elle expose au salon de 1874 où la critique se moque de ce courant nouveau. Elle devient donc avec ces indépendants une marginale de la peinture. Elle va cependant suivre cette voie malgré tout le monde ; c'est que cette femme est un mystère. Elle est parfaitement intégrée à ce groupe qui gagne en nombre et en originalité mais vend peu.
C'est au moment du pire déchaînement médiatique contre les Impressionnistes qu'elle met au monde sa fille Julie. Cette naissance la comble de bonheur et l'apaise. Sa fille reçoit une éducation bourgeoise et sa mère a soin de s’entourer de peintres et d'écrivains. Un attachement profond l'unit à Julie mais celle-ci aura toujours un peu de la mélancolie de sa mère. Même éreintées par la critique et par la presse, des expositions se succèdent et tant pis si ce mouvement souhaite bousculer le bourgeois friand de réalisme, tant pis si on confond un peu contestation et révolution (la Commune n'est pas si loin), Berthe s'impose ! Elle fait d'ailleurs des émules féminines, et, artistiquement s'éloigne un peu de Manet mais se rapproche de Monet. Autour des Impressionnistes, le groupe s'étoffe, Renoir, Degas, Monet, Sisley, Pissaro...
La santé de son mari se détériore et et autour d'elle c'est bientôt une véritable hécatombe. Elle devient veuve à 51 ans et reprend ses habits de deuil si chers à Manet. Dès lors elle ne trouve sa consolation que dans la peinture, regarde l'avenir autant pour elle que pour Julie, se fait même le défenseur des femmes. Elle qui n'a que très peu peint les hommes se met maintenant à représenter des jeunes filles étrangères, la jeunesse comme un paradis perdu !
Julie peint désormais et son style rappelle celui de Manet. Berthe meurt à 54 ans en 1895 .
L'auteur revient sur le titre de ce livre. Berthe Morisot était faite d'ombres et de silences qu'elle aimait. Elle posa pour Édouard Manet mais épousa son frère qui était un homme discret et sans relief. A sa mort on retrouva une importante correspondance avec les impressionnistes et les amis mais seulement quatre courtes lettres d’Édouard Manet lui étaient adressées. D'autre part rien ne permet d'affirmer qu'elle correspondit avec lui. Dominique Bona y voit une énigme, suppose une liaison entre eux, une correspondance secrète détruite peut-être avant de mourir par elle-même, pour effacer, pour purifier ce qui ne pouvait être avoué ? Entre la tristesse et le vertige qu'elle croit percevoir dans les yeux de Berthe, elle laisse le lecteur dans l'expectative. Il y a sans doute pour elle une sorte de frustration à ne pas lever un coin de ce voile qui restera à jamais une interrogation.
C'est un roman bien construit, agréable à lire, une biographie fouillée et précise que, comme à son habitude, nous livre Dominique Bona. Elle choisit de nous présenter une femme d'exception, rebelle à sa manière dans le domaine de la peinture, éprise de liberté, toujours insatisfaite et perfectionniste, ténébreuse et silencieuse qui a, par son talent, marqué son temps et l'histoire de la peinture. Elle la réhabilite donc et en profite pour donner sur la peinture de Berthe mais aussi sur celle des impressionnistes un avis éclairé qui s'étend d'ailleurs à l’œuvre des écrivains qui ont entouré le groupe.
© Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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