QUITTER LE MONDE – Douglas Kennedy
- Par hervegautier
- Le 18/12/2010
- Dans Douglas KENNEDY
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N°485– Décembre 2010.
QUITTER LE MONDE – Douglas Kennedy – Belfond.
Tout commence par une scène de ménage ordinaire entre époux qui ne s'aiment plus et qui choisissent le jour du treizième anniversaire de leur fille unique, Jane Howard, pour se jeter à la figure les griefs qu'ils ont accumulés pendant de longues années de mariage. Pour que l'effet soit complet, l'adolescente déclare à ses parents « qu'elle ne se mariera jamais et qu'elle n'aura jamais d'enfant ». Le lendemain, le père alcoolique notoire, quitte la maison pour ne plus jamais y revenir en laissant une lettre d'explications qui fait allusion à la remarque péremptoire de l'adolescente. Dès lors s'installe entre la mère et la fille une atmosphère de culpabilisation où s'insinue la traditionnelle question que chacun se pose sur son propre destin. En est-on maître ou s'impose-t-il à nous ?
Plus tard, sa mère qui a choisi elle-aussi l'alcool pour mourir à petit feu, accepte la mort comme une délivrance tout en rappelant à sa fille devenue une femme ses paroles d'adolescente. Pourtant, Jane a une vie normale, bousculée seulement par des aventures mal vécues et une relation adultérine interrompue par la mort de l'amant. Après un séjour rapide dans un fonds de pension ou elle connaît la vie trépidante d'un trader, elle prend un poste dans une université de Nouvelle Angleterre, devint mère d'une petite fille et s'aperçoit que son compagnon, dont elle se sépare, la trompe et l'escroque. Elle apprend que son père qui ne s'était guère occupé d'elle a été non seulement un aigrefin mais aussi un collaborateur du régime chilien de Pinochet et prend conscience, à la mort de sa mère que celle-ci ne l'a jamais aimée. Seule sa fille est une source de joie pour elle alors qu'elle se rend compte que tout autour d'elle l'abandonne. C'est pourtant cette même Jane qui avait juré ne pas vouloir d'enfant !
On ne dit pas assez que la mort fait partie de la vie et quand elle frappe ceux qui nous sont chers et plus spécialement nos enfants cela devient insupportable. Comme si sa vie n'avait pas été un assez long chemin de croix, comme si le destin devait s'acharner sur ceux qu'il a choisis, Jane croise encore une fois le malheur et sa fille périt dans un accident. Face à cela, la vie de Jane s'arrête, il ne peut d'ailleurs en être autrement et le tentation est grande de « quitter ce monde » où elle n'a décidément plus rien à faire. Après une telle épreuve, rien ne peut plus être comme avant. Cela commence par la volonté de se marginaliser elle-même simplement parce qu'à partir de ce moment-là, elle n'est plus comme les autres gens. Ils ne peuvent rien pour elle et souvent l'évitent, pour leur confort personnel. Il n'est facile ni de comprendre et à plus forte raison d'aider ces malheureux parents en deuil qui n'admettrons jamais l'absence définitive de leur enfant. Pour eux l'enfer est bien dans ce monde et non dans une hypothétique vie post-mortem. La culpabilisation d'être encore vivant face à ce malheur est une réalité et le contexte judéo-chrétien qui baigne nos sociétés occidentales ne fait que rajouter à l'horreur. Quant au message de la religion, il ne pèse rien face à cette douleur !
Jane se réfugie alors dans les médicaments et l'alcool mais aussi dans la parole toujours difficile à formuler, dans le travail, dans le dépaysement. Cela la protège du monde extérieur, met en évidence la tentation du suicide momentanément écartée parce qu'impossible, cette incompréhensible ressource de l'être humain face à la vie qui pourtant ne pèse plus rien. « Il faut continuer, je ne peux continuer, je vais continuer » dit Samuel Beckett, illustrant toute l'ambiguïté et la complexité de cette situation.
Elle suit alors un parcours un peu cahoteux qui la mène au Canada où elle croise à nouveau la mort et l'injustice, mais dans le cadre d'une intrigue policière où elle joue un rôle primordial mais qu'elle souhaite anonyme (ce détail prend une importance capitale), de découverte du coupable. Bizarrement, cela commence par par une intuition féminine qui va à l'encontre des certitudes des enquêteurs et de la vindicte publique mais agit comme un véritable miroir de sa propre souffrance. Elle se jette seule, avec une énergie longtemps refoulée par son deuil, dans des investigations qui vont mettre à mal sa réputation et vont menacer sa vie. Finalement son action solitaire et un peu désespérée fera éclater la vérité et bousculer pas mal d'idées reçues sur la religion et ses ministres ! C'est en réalité un combat pour la vie qui reprend le dessus et avec lui une acceptation des malheurs qu'elle n'as pas souhaités et qui ont peuplé son parcours,. Elle doit y faire face et les assumer parce que cela est sa destinée et qu'elle ne peut rien faire contre elle. Elle restera pourtant définitivement différente des autres, imperméable au bonheur humain !
Malgré des longueurs, Douglas Kennedy se révèle être un excellent illustrateur de la condition humaine dans ce qu'elle a de plus intimement sordide. Il parle avec justesse des rapports qui existent entre les gens, à l'intérieur même d'une famille, la confiance qu'on peut faire aux autres et les mensonges, les trahisons qu'ils peuvent nous faire subir, de l'hypocrisie qui règne en ce monde, des épreuves et des deuils qui pourrissent la vie de certains d'entre eux, choisis arbitrairement par le destin ou le hasard.
Il est aussi un bon critique des idées reçues qui sont souvent opportunément entretenues, même si les valeurs de charité et d'amitié, de solidarité si volontiers proclamées, en sortent quelque peu écornées.
Kennedy poursuit dans ce roman sa quête du bonheur impossible. Finalement Jane semble choisir de demeurer dans ce monde qu'elle souhaitait quitter mais en restera en marge parce que c'est sa façon de s'en protéger.
©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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