L'ETERNITE N'EST PAS DE TROP. - François CHENG – Albin Michel
- Par hervegautier
- Le 30/03/2009
- Dans François CHENG
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N°266 – Février 2007
L'ETERNITE N'EST PAS DE TROP. - François CHENG – Albin Michel
Je le confesse d'emblée, j'ai eu du mal à entrer dans l'univers de ce livre. J'ai cependant persisté dans ma lecture à cause de la notoriété de l'auteur ou de l'intérêt collectif qui se manifeste à l'endroit de son oeuvre. Je ne regrette pas ma démarche.
Je ne déflorerai pas l'intrigue, laissant au lecteur l'opportunité de la découverte, du plaisir de partager un moment d'exception où le dépaysement le dispute au climat apaisant distillé par ce texte.
Ce qui est évoqué ici, c'est une histoire d'amour contrariée, au XVII°, en Chine, sous la dynastie des Ming. Un jeune musicien croise le regard d'une demoiselle promise à un notable qui, usant de son pouvoir discrétionnaire et abusif fait bannir l'intrus qui pourrait devenir un rival. Histoire du pot de terre contre le pot de fer, vieille comme le monde et que chacun peut vérifier au quotidien,mais aussi évocation d'une histoire d'amour universelle. C 'est bien là, pour l'auteur, l'occasion de susciter, sinon d'explorer la sensibilité humaine mais aussi le mystère et le merveilleux de la femme...
Bien des années plus tard, l'homme, Dao-sheng, revient, avec le secret espoir de revoir celle qu'il n'a jamais oubliée. Il est devenu moine, médecin et devin et pratique ses soins avec un talent reconnu. La femme, Dame Ying, est depuis longtemps l'épouse délaissée du notable. Les événements les rapprocheront et naturellement ils se retrouveront, même s'ils ont vieilli sur des routes différentes et connus des destins opposés...
Ce livre est celui du souvenir qu'on garde toute sa vie d'un être aimé, surtout lorsque le quotidien n'est pas venu bouleverser l'ordre des choses que le hasard avait si subtilement et subitement établi, que les habitudes et la vie commune n'ont pas martelé, à les détruire, les sentiments amoureux...On a beaucoup moqué ce paradoxe qui veut que deux êtres qui s'aiment souhaitent passer leur vie ensemble alors même que ce geste a précisément pour effet d'instiller entre eux l'indifférence, et parfois davantage, c'est à dire exactement l'inverse du but recherché. Cheng nous parle d'une atmosphère différente où les gestes sont pleins de retenue, les paroles prononcées avec une grande économie de mots, les sentiments distillés avec une extrème délicatesse... Il tresse pour son lecteur, devenu témoin et même confident, un décor apaisé et apaisant quand tout autour de nous est urgence et efficacité, paraître plutôt qu'être, réussir et être reconnu et pour cela se compromettre, plutôt que demeurer soi-même... la littérature aussi, peut-être pour être en phase avec ce monde devenu de plus en plus inhumain, n'offre à lire que sexe et violence...
Il ne faut pas perdre de vue que grâce au merveilleux univers du roman, le lecteur est transporté dans un monde différent du nôtre où la réussite sociale, l'argent, la notoriété n'ont pas la même valeur. Le temps s'écoule différemment parce que, plus que chez nous, la nature est une beauté à laquelle on porte attention, la vie est perçue comme une période transitoire où la patience est une vertu essentielle, où un dieu, peu importe lequel, gouverne le destin des hommes, où l'humilité n'est pas un défaut... Le temps n'a pas la même valeur et la mort n'est pas considérée comme un désastre. C'est que Eros n'est jamais très loin de Thanatos et la mort, justement, dans sa version humainement temporaire qu'est l'abscence, c'est à dire l'éloignement imposé par la vie, à deux êtres que tout devrait réunir, se trouve mise en échec par la pensée. Elle puise sa force dans cet attachement définitif qui les unit.
Il y a aussi le symbole, tout en nuances et en finesses. C'est non seulement Dao-Sheng qui fait revenir miraculeusement Dame Ying à la vie par les manipulations et les incantations, mais c'est réellement leur pensée qui les unit et les réunit. Lorsque la mort survient, c'est en esprit qu'ils communiquent et se retrouvent dans cette autre vie promise par l'homme d'Eglise étranger; Là, rien ne les séparera plus et leur communion sera totale et parfaite. Alors, non, l'éternité ne sera pas de trop.
© Hervé GAUTIER http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg
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