Vends maison de famille
- Par hervegautier
- Le 07/04/2016
- Dans François-Guillaume Lorrain
- 0 commentaire
La Feuille Volante n°1029– Avril 2016
VENDS MAISON DE FAMILLE – François-Guillaume Lorrain – Flammarion.
C'est souvent le cas avec les maisons, on les achète quand on est jeune, en bonne santé, en couple sans penser à l'avenir. Quand on n'a pas le virus du nomadisme ou que le bon sens paysan nous incite à nous fixer quelque part, cet endroit où on a passé de nombreuses années de sa vie, où on a vu grandir ses enfants et accumulé des souvenirs, devient un lieu de référence où on aime se retrouver, une maison de famille, comme on dit. Quand on choisit de la vendre, on doit la vider et ce qu'elle recelait de soigneusement caché ou de simplement égaré ressurgit. Ce sont des objets, des photos qui témoignent du passé et à travers eux on évoque les temps révolus, les années de jeunesse avec leur cortège d'espoirs, les erreurs et parfois aussi les échecs, les deuils... Les clichés, souvent un peu passés, réveillent la mémoire, un visage, une silhouette, un paysage, témoignent des changements, des rides, des cicatrices...
Après la mort de son père, une sorte de tyran domestique, et une mauvaise chute de sa mère, le narrateur, un jeune professeur de français à l'étranger, souhaite ardemment vendre cette bâtisse où il a passé sa jeunesse, trop pleine de souvenirs qu'on imagine mauvais. C'est que cette maison, normande et secondaire, était un peu pour son père le centre du monde, sa raison de vivre et même le but de sa vie. Le jardin pourvoyait à l'ordinaire du ménage jusqu'à l'obsession et elle l'attirait, et avec lui toute la famille qui n'avait pas pour autant envie de le suivre ! Bien sûr tout cela n'allait pas sans agacer sa progéniture qui devait filer doux et en passer par toutes ses lubies et ses ordres. Pour échapper à cela, le narrateur encore jeune s'en était remis à la lecture, à la culture, au savoir mais avant, au merveilleux de l'enfance, avec ses rêves, ses fantasmes, ses phobies et ses folies, son envie de fuir à cause de la famille, justement ! A cette fuite immobile correspondra plus tard un exil volontaire hors des frontières nationales, une manière de s'éloigner définitivement de cette ambiance familiale délétère que sa sœur ne supportait pas non plus. Pourtant, le moment venu, il faut bien se résoudre à prendre une décision, même si elle va à l’encontre des volontés les plus affirmées, même si l'on traîne une dernière fois les pieds comme un baroud d'honneur. Les souvenirs remontent à la surface et avec eux des visages de disparus, des moments pas toujours heureux qu'on est le seul à connaître et qu'on cache, l'espace du bref moment du déclencheur de l'appareil photographique, sous un sourire factice et le soin de dissimuler des réalités moins gaies.
Je me suis demandé à propos de ce livre ce qui reste après avoir passé sa vie dans une famille. On s'aime, on se marie, on a des enfants qui partent et on se retrouve seul à attendre la mort en remâchant son parcours, les trahisons, ses rêves déçus d'une vie qui aurait pu être belle mais qui ne l'a pas été parce que le bonheur tant souhaité n'a pas été au rendez-vous... C'est l'histoire ordinaire de ce qui s'est passé dans cette famille qui avait tout pour être heureuse, comme on dit, mais qui le l'a pas été et que les enfants ont fui sans grand espoir de retour. A la maison de famille répondent des secrets de famille qui ressurgissent et parfois font mal même si on s'attache, une dernière fois, à repeindre le passé ! Alors, maison à vendre ! Oui, peut-être, mais il faut toujours se méfier du tropisme de ces vielles bâtisses !
Avec beaucoup d'humour et un style enlevé l'auteur réussit à faire partager à son lecteur sa vision des choses, son drame intime, son choix de rire de cette situation délétère, Cela donne un texte agréable à lire et érudit par moments. J'ai bien aimé ce roman dont l'auteur m'était inconnu jusqu'à ce que Babélio et les éditions Flammarion ne me sélectionnent pour cette lecture. Je les en remercie chaleureusement.
© Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
Ajouter un commentaire