Les santons de granite rose
- Par hervegautier
- Le 22/09/2021
- Dans Françoise Le Mer
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N°1585 - Septembre 2021
Les santons de granite rose - Françoise Le Mer - Palemon éditions.
Être convoquée par un notaire, surtout quand on ne s’y attend pas, a toujours quelque chose de perturbant. C’est ce qui arrive à Marie Demelle, écrivain, ancienne flic, divorcée, qui vit avec ses deux enfants à Châteauroux. Elle se voit hériter de la part du célèbre auteur de romans policiers, Maurice Malloc’h qui vient de mourir, d’une assurance-vie importante et d’une maison située à Perros-Guirec, à la condition qu’elle termine le manuscrit d’un polar que la mort l’a empêché d’achever. Évidemment Marie le connaît pour l’avoir croisé lors de salons du livre, évidemment elle est elle-même connue dans le milieu littéraire au point de vivre modestement de sa plume, mais quand même, de là à penser que ce grand auteur pouvait l’avoir lue et appréciée et surtout qu’il ait pensé à la solliciter ainsi, il y a de quoi être étonnée... et inquiète ! Bref elle accepte avec enthousiasme et emménage sans trop se poser de questions, pour le plaisir de voir la mer et sa célèbre côte de granite rose. Ça vaut largement le Berry ! Sauf que le manuscrit de Malloc’h se passe sur la côte, que c’est une nouveauté pour elle, et elle n’est pas au bout de ses surprises.
La solidarité bretonne, le hasard des rencontres ou autre chose peut-être l’aideront dans ses recherches et ses « travaux forcés » pour mener à bien son travail d’écriture. Ce ne sera pas simple mais comme la fiction initiée par Malloc’h devait bien se nourrir de la réalité, Marie n’a plus qu’à écouter les incontournables rumeurs, voire les ragots, fréquenter la société un peu trop lisse de son nouvel entourage, observer la chronique quotidienne parfois sanglante, les rituels de voisinages et les informations pétries de références religieuses de son ami le commissaire Le Gwen, flanqué du lieutenant Le Fur, un peu retord. De littéraire cette enquête devient donc policière devant le nombre de morts suspectes présentes et passées qu’il est peut-être utile de relier entre elles. Elles ont effectivement tendance à se multiplier depuis l’arrivée de Marie. Il faut en effet se référer constamment aux premiers chapitres écrits par Malloc’h, les analyser, les rapprocher de la réalité, tenter de les comprendre, de les interpréter, ce qui met à mal la sagacité des policiers et l’éducation religieuse bienvenue du commissaire, sa connaissance de l’Évangile et de la Bible ne sera pas de trop pour débrouiller cet écheveau bien mystérieux. Nous sommes en Bretagne, province où le message catholique a été particulièrement reçu et assimilé au point de faire partie du quotidien et le commissaire Le Gwen y puise son inspiration face aux agissements compliqués de ce « tueur en série » qui trouve lui aussi sa frénésie dans un certain mysticisme. Si le commissaire lui doit son étonnante et subite clairvoyance, nous savons d’expérience que la ferveur religieuse peut engendrer le pire comme le meilleur. Ce sont donc des investigations complexes, laborieuses, qui partent un peu dans tous les sens et empruntent beaucoup à la routine, auxquelles vont devoir se livrer nos deux policiers et qui vont nourrir le projet de plus en plus délicat de ce contrat posthume, mais nous savons que l’écriture n’est pas une chose simple, que le livre est un univers douloureux et qu’au cas particulier Marie Demelle, de plus en plus passionnée, entend respecter son engagement. Elle-même est une jolie femme, libre, nouvellement arrivée et, bien entendu, elle suscite des jalousies chez les femmes et des fantasmes chez les hommes. Mais il faut aussi se méfier des apparences, des pudibonderies catholiques, de la paranoïa, de la naïveté qui compliquent singulièrement les choses.
Je note que les hommes autant que les femmes font l’objet de portraits pertinents dans ce roman ce qui fait de ce texte une belle étude de l’espèce humaine, de relations des gens entre eux, entre haine, admiration et dénigrement, de mésaventures des couples, ce qui les fait durer malgré les rancunes recuites, les amours disparues, les hypocrisies, les vains espoirs, les culpabilisations... Marie fait preuve de beaucoup de perspicacité, comme il convient à une auteure de roman policier, même si elle n’est perrosienne que depuis peu.
C’est bien écrit (parfois même avec d’agréables évocations poétiques maritimes) avec des notes d’humour de bon aloi, bien construit sur le plan du suspense. Ce roman a constitué pour moi un agréable moment de lecture.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com
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