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la feuille volante

Docteur Voltaire et Mister Hyde

La Feuille Volante n° 1213

Docteur Voltaire et Mister Hyde Frédéric Lenormand – JC Lattès.

 

Voltaire est présentement sur les terres de sa maîtresse, Mme du Chatelet, en Lorraine où il a dû se réfugier après la condamnation des Lettres Philosophiques promises au bûcher. Il s'y transforme en un infatigable modernisateur du vieux château qui l’accueille. A Paris se répand la psychose de la peste due sans doute à l'accostage de quelque navire en provenance d'Afrique comme cela a déjà été le cas à Marseille, mais il ne faut surtout pas prononcer ce mot ! Malgré la peur qu'il a de la maladie et nonobstant ses écrits subversifs, il lui semble indispensable de rejoindre la Capitale d'autant que, en Lorraine sa vie semble menacée. Il est suivi dans son périple par sa maîtresse et son incontournable abbé Linant mais aussi par un Anglais nommé Mister Hyde, jardinier-paysagiste anglais (baronet of Jek' Hill), surtout désireux d'enlever notre philosophe pour qu'il serve à distraire son roi.

 

J'ai personnellement un faible pour le XVIII° siècle et pour Voltaire en particulier. J'apprécie toujours quand on les fait renaître, surtout sous la forme de romans et qu'ils m’entraînent dans le Paris de l'époque à cette occasion. Lenormand s'en est fait une spécialité d'historien et y a ajouté son talent de conteur, mettant en scène notre écrivain, virevoltant et espiègle, dans des situations particulières qu'il n'a certes pas connues, lui prêtant des propos qui n'ont pas été le siens mais qu'il aurait à coup sûr approuvés. Dans cette discipline romanesque où se mêlent personnages historiques et fictifs, détails authentiquement biographiques et parfaitement inventés, Lenormand excelle. Les documents qu'il produit à la fin de cet ouvrage sont révélateurs, quant à accréditer l'idée qu'il n'a aucune imagination, cela me paraît procéder soit d'un abus de vocabulaire soit de la fausse modestie ! Il n'est certes pas le seul à s'exprimer dans ce registre, cette chronique s'en fait souvent l'écho, mais j'apprécie toujours ce parti-pris littéraire.

Depuis longtemps, j’aime bien le style de Lenormand, son humour, sa manière de mettre ses personnages en situation et de les faire réagir, et quand il choisit Voltaire, on sent qu'il aime bien cet exercice. Cette chronique a largement célébré cette heureuse habitude. Le titre de ce roman est ici un peu attirant puisqu'il évoque évidemment, « Docteur Jekyll et Mr Hyde » de Robert-Louis Stevenson paru en 1886, qui illustre la dualité de l'homme, le côté obscur prenant le pas sur le bon. Qu'il affuble l'auteur de Candide du qualificatif de docteur est plutôt bienvenu surtout quand notre philosophe s'accoutre lui-même de ce déguisement et que la philosophie est une manière de soigner les esprits autant que les âmes, c'est un rapprochement qui n'aurait sans doute pas déplu à Voltaire mais qui sonne pour moi comme quelque chose de racoleur et ce d'autant plus que ce Mister Hyde ne fait que de brèves apparitions, poursuivant son idée fixe, celle d'inciter Voltaire à passer de l'autre côté de la Manche. Je ne vois donc pas très bien ce que vient faire son nom dans ce titre, à part lui donner une dimension accrocheuse.

 

Je sais que nous sommes dans une fiction des plus débridées, mais je me suis quand même un peu lassé des tribulations de Voltaire se faisant passer pour un frère qu'il n'aime guère ou des quiproquos où on les prend, volontairement ou non, l'un pour l'autre, de ses tentatives pour être pris pour un médecin, autant que de cette enquête sur cette peste bien étrange dont le charge le lieutenant général de police René Hérault alors que lui-même est mis au ban du royaume et ses écrits subversifs sont promis aux flammes du bûcher ! Un des nombreux paradoxes policiers sans doute ? Cette enquête tarde quelque peu à être mise en œuvre et il m'a semblé que le roman pâtissait de quelques longueurs dans lesquelles je me suis un peu perdu. Pourtant ce roman reprend son véritable souffle de thriller quand on découvre des cadavres dont l'exécution n'ont finalement qu'un lointain rapport avec la peste. Et que doit-on penser de toute cette histoire ? Que la philosophie, celle de Voltaire, est une chose indispensable à l'espèce humaine, que cette dernière est toujours égale à elle-même, qu'il ne faut pas faire confiance aux femmes, que chacun dès lors pourra reprendre une vie normale dans « le meilleur des mondes », avec le futur auteur de « Zadig » comme directeur d'enquête, que les philosophes pourront philosopher et les jansénistes janséniser et que Voltaire lui-même pourra continuer de jeter sur le monde qui l'entoure un regard critique et se montrer, par ses écrits et son action, digne du Siècle des Lumières qu'il incarne ! Peut-être ?

 

© Hervé GAUTIER – Janvier 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]

 
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