Un hiver à Paris
- Par hervegautier
- Le 22/10/2019
- Dans Jean-Philippe Blondel
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La Feuille Volante n° 1401– Octobre 2019.
Un hiver à Paris - Jean-Philippe Blondel- Buchet-Chastel.
C'est l'histoire d'un malentendu. Victor, un garçon de province issu d'une famille d'un milieu populaire, vient à Paris pour ses études en classe préparatoire et découvre la solitude. Il se rapproche de Matthieu, un autre provincial avec qui il n'a que des conversations aussi épisodiques qu'anodines. A la suite de l'humiliation d'un professeur, il se suicide et Victor, qui passait à tort pour son ami, se trouve soudain entouré par les autres étudiants et même par certains professeurs, sa vie change, un peu comme s'il endossait différents costumes, comme s'il se construisait lui-même ou se découvrait. Ça lui donne une popularité ainsi qu'une vie sociale à laquelle il n'était pas habitué. Cette attitude assez inattendue est sans doute de nature à leur permettre de compenser celle que Victor n'avait pas eu du vivant de Matthieu et qu'il représente maintenant. Elle l'est en effet parce que, généralement, en de telles circonstances, on cherche souvent à éviter les proches du défunt. Victor et le père de Matthieu finiront par se rencontrer, tissant ainsi une relation artificielle entre eux, une sorte de fausse parenté face à une lourde épreuve.
Étonnant ce roman, pris un peu par hasard sur les rayonnages de la bibliothèque, à cause du seul nom de son auteur découvert récemment et dont le talent me plaît bien. Au-delà de l'histoire ce qui m'interpelle, c'est le peu de vie de Matthieu que l'auteur nous confie et surtout les circonstances de sa mort. Il nous rappelle que nous vivons chacun de nos jours sans penser à la mort pourtant inéluctable, que la vie est fragile, qu'on nous la présente souvent comme quelque chose passionnante et de solide, mais qui n'est en réalité qu'un équilibre instable qui ne dure que par hasard, par chance, par la destiné, selon sa propre croyance, et qui peut être brisée à tout moment. Nous vivons en société et ceux qui nous entourent, et parfois même les plus intimes, se croient autorisés à briser cette équation à plusieurs inconnues pour le plaisir, pour se prouver qu'ils existent et qu'ils ont du pouvoir... C'est ainsi devenu une sorte de règle dans ce jeu de massacre dont on voit assez mal le véritable intérêt. Nous ne sommes que les pâles usufruitiers de notre vie et il nous est possible d'en briser le court en partant avec notre secret, laissant ceux qui restent dans la culpabilité, les questions ou les certitudes. Étonnant aussi ce roman par la pertinence des remarques sur le deuil, sur la façon de le vivre, de l'apprivoiser, sur cette manière de devoir mener sa vie dans la compétition permanente, dans la façon de jouer un rôle qui ne nous correspond pas mais que nous jouons quand même, comme une règle imposée qu'on finit par accepter et même par imposer aux autres. Je l'ai apprécié comme un miroir de cette espèce humaine à laquelle nous appartenons tous et l'image qu'il nous renvoie n'est guère flatteuse et ne sera jamais rachetée ni par les abbés Pierre ni les Charles de Foucault.
D'ordinaire, quand un roman me plaît, j'en suis passionnément l'histoire, il m'arrive même de le commenter plus ou moins longuement. Je me dis alors que je suis entré dans l'univers de ce livre, que je l'ai aimé. Ici c'est différent, j'ai été happé dès les première lignes et plus je tournais les pages plus l’intensité de ma lecture grandissait, au point d'être étonné moi-même de la vitesse avec laquelle j'avançais. On dit ce que l'on veut du travail de l'écrivain, entre la fiction et l'autobiographie qui nourrit son œuvre et où parfois il trouve lui-même des réponses à ses propres questions restées en suspens. Sans rien connaître de l'auteur, j'ai eu le sentiment que Blondel devait porter en lui quelque chose d'intimement lié à ses mots (et à ses maux) et que, peut-être, l'écriture a joué pour lui un rôle d'exorcisme. Il y a beaucoup d'allusions aux futurs romans à écrire et ce n'est pas, cette fois-ci m'a-t-il semblé, un simple effet de style. Je n'oublie pas qu'il est non seulement le spectateur privilégié de sa propre vie et en nourrit son œuvre mais qu'il est aussi enseignant et que ses élèves doivent constituer un terrain d'observations exceptionnelles pour lui.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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