La vérité sur l'affaire Harry Quebert
- Par hervegautier
- Le 30/03/2019
- Dans Joël Dicker
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La Feuille Volante n° 1338 – Mars 2019
La vérité sur l'affaire Harry Quebert – Joël Dicker – Éditions de Fallois/L'Age d'Homme.
C'est bien d'être un écrivain à succès dont le premier roman a bien marché, d'habiter New-York et d'être reconnu dans la rue, bref, d'avoir du succès. C'est ce qui est arrivé au jeune Marcus Goldman et bien entendu son éditeur attend le suivant, sauf que, cela fait un an que notre ami n'a rien écrit, pire, il ne se sent plus capable d'aligner des mots, on appelle ça la crise de la page blanche et ça n'arrive pas qu'aux autres. Il y a donc urgence et il se tourne vers son ami, Harry Quebert, 68 ans, grand romancier américain et ancien professeur d'université dont il a été l'étudiant, qui vit à Aurora, une ville imaginaire que l’auteur situe dans le New Hampshire. Au même moment, Quebert, 34 ans au moment des faits, est poursuivi et incarcéré pour le meurtre d'une jeune fille, Nola Kellergan, 15 ans à l'époque, fille de pasteur, avec qui il avait une liaison secrète et qui a disparu trente trois ans plus tôt sans qu'on ait retrouvé son corps, ainsi d'ailleurs que de l’assassinat de Deborah Cooper, la femme qui avait donné l'alarme. A l'époque il avait été soupçonné, mais faute de preuves n'avait pas été inquiété, l'enquête s'était égarée entre témoignages contradictoires et accusations gratuites et l'affaire avait été classée. La découverte récente des restes de Nola, enterrés dans son jardin, accompagnés du manuscrit d'un roman à succès de Harry et d'une mention manuscrite, a rouvert cette enquête en pleine élection présidentielle de 2008, et tout l'accuse. Avec de nombreux analepses, le lecteur voyage dans le temps, entre 1975 et 2008 et mesure combien Harry était amoureux fou de Nola. Bien entendu Goldman n'est pas policier et même si on le lui déconseille fortement, il va tout faire, en compagnie d'un ancien flic qui partage son avis, pour démontrer l'innocence de son ami. Malgré les intimidations, Marcus enquête et ses investigations révéleront des secrets sordides de cette petite ville apparemment tranquille, la présence d'un autre homme auprès de Nola et de circonstances troublantes qui ont entouré son décès. D'un autre côté, l'éditeur de Marcus, le talonne et le menace même d'un procès s'il n'écrit rien. Il est toujours à l'affût d'un succès et donc d'une bonne affaire financière et lui suggère de raconter cette histoire et ainsi de relancer sa carrière. Tel est le point de départ de ce roman qui ne doit rien à la plume et à l'inspiration de Marcus qui n'en sera que le scribe. C'est un véritable thriller à l'américaine, mais aussi une sorte de mise en abyme qui nous fait participer directement à l'écriture du roman.
C'est donc un authentique polar avec tout le suspense qui va avec, Dicker tenant son lecteur en haleine jusqu'à la fin, démontant chaque accusation, apportant un éclairage nouveau, et ce pas seulement à cause de la longueur de ce livre (656 pages), ce qui pour moi est rarement un encouragement à la lecture. L'auteur en profite pour parler de l'écriture et des écrivains, mais aussi pour régler ses comptes avec les éditeurs en évoquant les conditions de travail qu'ils imposent à leurs auteurs, avec le plagiat, la justice, la politique, les médias qui déforment tout pour faire un scoop et vendre du papier, l'hypocrisie et le mensonge qui, sous toutes ses formes est inhérent à la condition humaine, spécialement dans les villes américaines puritaines de la côte est. Entre les secrets de la famille rigoriste de Nola, son père démissionnaire et sa mère abusive, l'amour fou d'Harry pour cette jeune fille mystérieuse, cet homme un peu trop romantique, victime d'une sorte de démon de midi, qui tente d'écrire pour elle un livre sur l'amour impossible et une adolescente qui veut avant tout se faire épouser malgré la différence d'âge et le scandale, qui cultive les apparences nécessairement trompeuses pour parvenir à ses fins, sa duplicité qui va jusqu'à la manipulation, la perversité et la séduction d'autres hommes, son suicide manqué, les jalousies que cet amour suscite, ce roman se tisse par petites touches. Trente trois années ont passé mais les passions, les haines et la volonté de cacher la vérité sont intactes et pour nos deux enquêteurs se profile de plus en plus le syndrome du crime parfait. Les investigations de Marcus et de son compère mettent en évidence des zones d'ombre, des contradictions et des insuffisances dans l'enquête originale et provoquent les aveux longtemps cachés de ceux qui l'ont menée, la révélation de faits nouveaux, de relations inattendues et parfois difficiles entre les habitants de cette petite ville, la mise en cause de nouvelles personnes, la révélation de la duplicité de cette jeune fille dont la véritable personnalité est bien éloignée de l'image qu'elle a voulu en donner, le mensonge longtemps entretenu, le poids des remords, l'ambition démesurée... L'épilogue à la fois inattendu et émouvant qui qui parle d'un homme poursuivi par un malheureux destin...
J'ai abordé ce roman sur les conseils d'une lectrice et aussi à cause de sa couverture reproduisant une toile d' Edward Hopper qui est un de mes peintres préférés et qui s'inspira aussi de ces paysages. Je l'ai lu avec plaisir, certes comme un policier bien écrit, mais aussi et peut-être surtout comme une étude de l'espèce humaine, ses passions, ses comportements sordides, sa désespérance.
©H.L.
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