la feuille volante

La soustraction des possibles

N° 1530- Février 2021

 

La soustraction des possibles – Joseph Incardona – Éditions Finitude.

 

Aldo est professeur de tennis, champion manqué, Italien, et il n’y a rien de tel pour aborder les femmes mariées, la quarantaine bourgeoise, dorée et parfois esseulée et les conquérir, surtout quand tout cela se passe en Suisse dans les années 80. Aldo est de ceux là mais cet emploi, quoique que lucratif et plein d’avenir pour lui, devient rapidement routinier et ce d’autant plus que dans sa clientèle il compte Odile, la cinquantaine désabusée, l’épouse de René, un riche homme d’affaires très absent. Si Odile fait semblant de retrouver sa jeunesse dans les bras d’Aldo et de tromper un mari à qui elle n’a pas grand chose à reprocher, comme un rituel social de classe ou pour le plaisir de transgresser un tabou, elle n’acceptera jamais de quitter son foyer et son aisance financière pour son jeune amant devenu gigolo. Quand elle lui propose, contre rétribution, de faire passer des valises de billets par dessus la frontière, il accepte parce qu’il aime l’argent mais n’en devient pas moins un instrument où le plaisir sensuel es presque secondaire. Si Odile éprouve de l’amour pour Aldo, ce dernier ne voit dans cette situation qu’une occasion de profiter de cette femme sans rien éprouver pour elle. Entre eux l’amour et l’argent vont de pair comme c’est souvent le cas. Et puis il y des risques...Quand il croise la jolie banquière Svetlana, la Tchécoslovaque qui partage avec lui des origines sociales modestes et la volonté de s’en sortir grâce à l’argent, les choses changent. Entre eux il y a surtout l’amour fou, authentique, le coup de foudre, celui de la franchise qui nous fait faire des projets insensés et jeter par dessus les moulins le passé en dessinant les traits d’une future vie idéale même si j’ai toujours du mal à imaginer ce terme accolé au mot « parfait » Il y a aussi l’argent, omniprésent dans cette affaire, la réussite potentielle qu’il procure, même si on ne lui accorde pas la même fonction qu’entre Aldo et Odile.

Cette histoire, sous son angle bancaire oscille entre l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent, le triomphe du capitalisme, l’effondrement de l’URSS, les paradis fiscaux et regorge d’ informations tant historiques que techniques. Nos sociétés sont trop basées sur le mensonge, l’hypocrisie, la trahison et l’être humain trop animé du concept du « toujours plus » et pour cela il est capable de tout accepter toutes les humiliations, toutes les compromissions au service de ses ambitions jugées légitimes pour que tout aille bien. C’est le cas d’Aldo et de Svetlana. Les autres personnages introduisent les différentes facettes de l’espèce humaine ainsi que les mécanisme tant de la finance internationale que de ce qui tourne autour, la mafia, la prostitution, proxénétisme, l’alcool, la drogue, la fraude, les avocats marrons, la violence, la mort… Les choses reviennent à leur vraie place, celle qu’elles n’auraient sans doute pas dû quitter, les parenthèses se referment, les illusions s’évanouissent les masques tombent ...

L’écriture est narrative, cadencée, grinçante parfois mais toujours agréable à lire. L’auteur se met lui-même en scène en interpelant les différents personnages, lisant dans leurs pensées et les interprétant, se posant en « grand architecte »de cette histoire, en maître du jeu… C’est bien observé mais, malgré quelques longueurs j’ai eu la désagréable impression que ce texte est à l’image des personnages, assez impersonnelle et l’ambiance générale froide et déshumanisée, un tableau de plus en plus réel de notre société dite moderne où l’argent la violence et le vice gouvernent tout..L’austère Calvin ne reconnaîtrait plus Genève !

C’est le portrait d’une époque sans pitié, entre tragique et cynique, où la morale est reléguée au second plan et la volonté de s’affirmer à tout prix est mise en exergue en éliminant les gêneurs de tout poil Malgré les apparences c’est aussi une histoire d’amour comme nous le dit d’auteur dans l’exergue, mais pas exactement sous la forme habituelle d’un »happy end » et dont l’épilogue est à la fois prévisible et dérangeante.

Roman très noir jusqu’au machiavélisme de la chute ou le suspense est entretenu par un rythme soutenu d’un thriller.

 
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