LE SOLEIL DES SCORTA – Laurent GAUDE
- Par hervegautier
- Le 30/10/2009
- Dans Laurent GAUDE
- 0 commentaire
N°376– Octobre 2009
LE SOLEIL DES SCORTA – Laurent GAUDE (Prix Goncourt 2004)– Actes Sud.
Il est des livres qui se lisent laborieusement mais le style fluide et poétique de Laurent Gaudé n'engendre pas, à mes yeux, ce genre d'ouvrage. J'ai vraiment pris plaisir à lire ce roman captivant, le soleil torride oppressant du sud italien, les paysages arides des Pouilles y sont partout présents autant que l'histoire ensorcelante de cette famille marquée, de génération en génération, par le malheur, la honte, l'opprobre et qui manifeste une volonté farouche de s'en sortir pour assurer aux siens de quoi vivre ![l'image de la sueur souvent évoquée symbolise à la fois la touffeur du climat et l'effort pour la vie, pour l'argent, dans cet environnement difficile]
Imaginez une vieille italienne, Carmela Scorta qui, au soir de sa vie, se confie à Don Salvatore, le curé de son village de Montepuccio. Elle lui raconte la vie de cette lignée des Malcazone [les bien nommés] qui va devenir celle des Scorta, née en 1875 d'une méprise, d'une erreur sur la personne qui engendre des criminels, des voyous... Luciano d'abord, puis son fils Rocco, qui, avant de mourir fait don au vieux curé du village, et donc à l'Église, de son immense fortune acquise par le crime, à condition toutefois qu'elle l'enterre avec faste, lui et toute sa descendance. A cause de ce legs, il précipite sa femme et de ses trois enfants, dont Carmela, dans la pauvreté que seule l'émigration vers New-York peut enrayer. Malheureusement, ils doivent revenir sans avoir pu tenter leur chance sur le nouveau continent. Sur le chemin du retour, Carmela se voit remettre quelques pièces d'or par un vieil immigrant qui meurt peu après. Ayant découvert qu'elle avait le sens du commerce, elle et ses frères reviennent de ce voyage de retour plus riches qu'ils n'étaient partis... Elle ouvre un bureau de tabac à Montepuccio, le clan s'agrandit, le temps passe. Mais pour les gens du village, tous restent, malgré les mariages, des Scorta, une lignée dont chaque membre mâle a hérité de cette malédiction de l'ancêtre, mais aussi un nom que chacun choisit de conserver comme une noblesse dont il est fier [Ils sont ces « mangeurs de soleil. » comme le dit si joliment l'auteur]. Pourtant, le seul nom de cette famille inspire aux autres habitants la crainte et le respect.
C'est à travers les yeux de Carmela que revit cette véritable saga familiale et c'est elle qui suscite cette évocation, tantôt avec une grande économie de mots quand elle prend la parole, tantôt avec des accents magistraux quand l'auteur prend le relais, et il ne faut rien moins qu'un tremblement de terre pour avoir raison de Carmela, « née plusieurs fois à des âges différents ». C'est symboliquement que le sol éventré du cimetière l'engloutit, comme pour souligner son attachement à cette terre, pour consacrer son appartenance à cette famille. Elle délivre son message à un ecclésiastique parce qu'il est comme elle un homme de la terre et qu'il représente Dieu. Elle le respecte pour ce qu'il est mais aussi parce qu'il lui ressemble et accepte de l'écouter pour qu'il transmette son message à sa descendance et plus précisément à Anna, sa petite-fille, pour qu'on se souvienne d'elle. Il est, lui aussi et à sa manière, un être différent, attachant!
Au-delà de toutes les questions existentielles posées, tous les sujets abordés, ce roman me paraît être un hymne à la femme. Celles qui peuplent ce texte sont toutes des êtres d'exception malgré leur humilité. Elles sont irremplaçables, elles inspirent l'amour, le désir, la dignité. C'est avec elles que tout se fait et sans elles rien n'est possible. [Ainsi la continuité sera assurée par les femmes, La Muette, Carmela, Maria, Anna].
Comme les hommes, elles parlent peu, subissent en silence leur sort sans se plaindre, se sacrifient mais restent debout, dans l'ombre. Mères, sœurs, épouses, tantes, plus que les hommes, c'est elles qui sont porteuses du message pour leur descendance, la transmission des valeurs, le respect de la parole donnée, l'hospitalité, le sens de l'honneur, la rancune aussi, le seul véritable exemple qui vaille face au temps qui passe, à l'éphémère et au tragique de l'existence, à son inutilité peut-être, aux rides qui se creusent, à la mort, à l'oubli.
Elles sont l'authentique image de cette Italie pauvre mais fière. C'est par elles que se perpétue la permanence de la vie, ce sont elles qui sauvent les réalités et les apparences, malgré la turpitude des hommes.
©Hervé GAUTIER – Octobre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
Ajouter un commentaire