Mon mari
- Par hervegautier
- Le 08/11/2021
- Dans Maud Ventura
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N°1603 – Novembre 2021
Mon mari - Maud Ventura – L’iconoclaste
Le seul titre de ce roman m’a donné à penser, avant même de l’ouvrir, qu’il allait être amplement question d’un homme dont l’histoire, sous la plume de son épouse, menaçait d’être obsessionnelle. Certes il est question de lui, même s’il n’a même pas de prénom (qui selon elle est assez courant dans le monde ango-saxon) ni de nom, mais il est surtout question d’elle. De lui, cadre supérieur, dévoué à son métier et à sa famille nous ne saurons presque rien sinon qu’il aime follement sa femme et le lui prouve au quotidien par de petites attentions. L’auteure ne nous donne de lui que des informations parcellaires : c’est un être idéalisé, mais elle dénonce d’une manière infantile ses petits manquements insignifiants mais qui deviennent obsessionnels au point de devenir à ses yeux des fautes graves. Elle s’érige en victime, s’octroie le droit de sanctionner, avec le choix de la peine qui peut aller de la rupture au divorce et même à la velléité de meurtre, ce qui est une drôle de manière de prouver son amour à un homme. Parce qu’elle le proclame elle-même, elle est très amoureuse de son mari. D’elle en revanche, professeur d’anglais et traductrice, nous aurons une image assez fidèle, plus attentive à son métier et à ses élèves qu’à ses propres enfants, superficielle et exigeante. Elle le fait d’ailleurs avec une certaine sincérité, comme un sorte de confession qu’on fait pour en obtenir peut-être une forme de contrition ou mieux pour une rédemption, allez savoir !
Sa vie à elle est parfaite et elle a tout ce qu’une femme peut désirer après quinze ans de vie commune et souhaite que cela dure ainsi longtemps. Ensemble ils font l’amour régulièrement, avec lui elle a eu deux enfants qu’elle ne souhaitait pas, plus par convenance que par amour et je la sens dépourvue d’instinct maternel. Pour son mari, elle accorde de l’importance au plus petit détail allant jusqu’à sa volonté de ressemblance avec certaines vedettes féminines sans doute dans le but d’entretenir le phénomène de la séduction. Certains pourraient y voir une forme de futilité pour une femme de la quarantaine. Pourquoi pas ? J’avoue avoir été agacé par cette femme, par son côté envieux et même curieux, un peu imbue de sa personne, par son égoïsme, sa jalousie, sa suffisance, par sa posture de « nouveau riche » qui se pose en modèle, fait des efforts pour tenir son rang et met en œuvre à l’occasion tous les codes traditionnels de la bourgeoisie à laquelle elle a accédé grâce à l’argent et la situation sociale de son mari, qui lui, reste naturel. Elle est persuadée que tout lui est dû et que tout lui est permis. Souvent ce vernis de respectabilité craque et elle se pose en victime, se transforme en censeur attentif au fautes bien vénielles de cet homme à son égard, se laisse aller à de petites mesquineries intimes mais révélatrices, se révèle être une pinailleuse maladive s’attachant exagérément à de petits détails anodins qu’elle interprète comme des preuves d’infidélités de cet homme, simplement parce qu’ils ne correspondent pas à sa manière de voir les choses et les note sur un petit carnet secret. Cet homme l’aime vraiment d’un amour simple et authentique, le même que celui qu’il porte à leurs enfants. Elle craint qu’il cesse un jour de l’aimer parce que l’amour est comme toutes les choses humaines, il s’use et elle projette sur lui les craintes qu’elle a à son propre propos. Elle attend de lui beaucoup d’amour, estime qu’il ne lui en donne pas assez alors qu’elle, et bien qu’elle s’en défende, ne l’aime pas autant qu’elle le devrait. Les démangeaisons dont elle souffre sont sans doute le signe qu’elle manque de quelque chose et c’est sans doute pour cela qu’elle le trompe avec une foule d’amants, prend plaisir autant à enfreindre un interdit matrimonial qu’à quérir de la jouissance. Certes elle ne s’attache pas à eux et c’est plutôt des amours de contrebande qu’elle recherche, mais ce n’est assurément pas la meilleure manière de prouver son attachement à son mari, la fidélité étant un des ciments du couple. Pour elle la recherche d’un amant est une quête constante, même si cela ne débouche que sur des passades, mais non seulement elle ne ressent aucune culpabilité mais au contraire trouve tout un tas de raisons pour se donner bonne conscience. Autrement dit elle proclame qu’elle adore son mari, en fait un être éthéré et idéal mais n’hésite pas à l’espionner, le soupçonnant de ses propres turpitudes, est en perpétuelle demande de l’amour de cet homme qu’elle n’hésite cependant pas à cocufier, surtout devant la grande naïveté de ce dernier qui lui fait une confiance aveugle. Elle se moque même un peu de lui en laissant en évidence un exemplaire de « l’amant » de Marguerite Duras mais rien n’y fait, il adore sa femme.
Il y a dans ce roman un indubitable côté judéo-chrétien avec le sigle « faute-sanction-pardon » et dans ce contexte elle se reconnaît tous les droits, l’adultère étant la chose la plus naturelle pour elle. Évidemment le hasard s’en mêle et vient en aide à ce malheureux mari trompé en lui révélant l’étendue des trahisons de son épouse face à ces manquements à lui, révélant une disproportion qui met surtout en évidence les fantasmes de son épouse, son côté nymphomane, son attirance pour la transgression. Dès lors elle envisage le pire, l’éclatement de cette famille à laquelle elle ne tient que très modérément, la disparition de tout ce qui faisait sa vie de petite bourgeoise et auquel elle était attachée.
. De toutes les raisons qui poussent les êtres humains à unir leurs vies, l’amour m’a toujours paru être la plus improbable. Quand la société a organisé la cohabitation entre deux êtres de sexe différent, elle l’a fait dans une optique de peuplement et le droit, les convenances sociales ou personnelles, la religion, les intérêts les plus divers se sont chargés de la faire perdurer alors même que l’indifférence, et parfois pire, ne gouvernait plus que leurs relations communes, l’hypocrisie, le mensonge, la trahison, l’adultère faisant partie de la panoplie largement utilisée par l’espèce humaine. On peut toujours pardonner ou prétendre oublier mais en réalité le passé s’impose et on a toute la vie pour digérer son mauvais choix. Je veux bien que « le coup de foudre » existe mais en faire durer toute une vie les effets, notamment sur l’attachement et la fidélité me paraît très exagéré. On a un peu trop tendance à confondre plaisir sexuel passager et véritable passion personnelle pour un être et je n’en veux pour preuve que le nombre croissant des divorces. Il n’est cependant pas nécessaire d’attendre quinze années comme ici pour que le mariage ait l’acre parfum de la solitude. L’épilogue qui donne enfin la parole à son mari ne m’a pas du tout convaincu et j’augure mal des prochaines années, ces adultères ne pouvant pas ne pas laisser de traces. L’autocritique du mari à quelque chose d’artificiellement culpabilisant, de faussement machiavélique, de fictivement angélique pour l’avenir. J’attache toujours du prix à l’exergue qui, même si elle n’est pas de la plume de l’auteur, et souvent révélatrice. Ici c’est le cas et « la porte fermée » dont il est question évoque à la fois le passé immédiat et le devenir de ce couple
Le livre refermé, j’éprouve un impression bizarre, pas seulement à cause de la 4° de couverture qui annonçe « un roman original plein d’une irrésistible drôlerie » que je n’ai pas ressentie, pas non plus à cause de ce découpage en sept jours de la semaine associés à une couleur (la couleur est une obsession récurrente pour elle), mais il en ressort une sorte de malaise, peut-être à cause du titre où l’auteure se propose d’évoquer son mari… mais nous parle surtout d’elle. Quant à l’originalité du roman, je ne l’ai pas vue non plus, une femme qui trompe son mari en lui jouant la comédie afin de rester avec lui pour conserver son rang social et son niveau de vie, c’est finalement assez banal. Tout au plus l’auteure nous rappelle que le mariage est une loterie, qu’à ce jeu bien peu sont chanceux et que sur tout cela flotte un parfum d’égoïsme, solitude et de gâchis.
J’ai pourtant poursuivi ma lecture jusqu’au bout parce c’est bien écrit et que cela se lit bien, par respect pour le travail de l’auteure aussi, puisque l’écriture est toujours un accouchement difficile et que le livre est souvent un univers douloureux, mais aussi parce que j’ai horreur d’abandonner un livre en cours de route et que celui-ci est en lice pour un prix littéraire où je me suis engagé comme lecteur.
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