Créer un site internet
la feuille volante

VICTOR HUGO - Tome I : Je suis une force qui va -Tome II : Je serai celui-là !

 

 

N° 242 –Août 2002

 

VICTOR HUGO – Tome I : Je suis une force qui va… ! –Tome II : Je serai celui-là !

Max GALLO.

 

A Gide à qui on demandait quel était le plus grand poète français, il répondait « Victor Hugo », mais ajoutait aussitôt, non sans une certaine perfidie « Hélas !», comme si, dans son esprit la quantité l’emportait sur la qualité !Susceptibilité d’auteur, peut-être ? Qu’importe… mais nous sommes nombreux, anciens élèves de l’enseignement secondaire à en vouloir un peu à ce grand homme (et à d’autres aussi d’ailleurs !) ne serait-ce que parce que l’éducation nationale, sous couvert d’éduquer notre mémoire imposait qu’on apprît de la poésie, qu’on retînt par cœur des vers sans pour autant connaître l’auteur. Victor Hugo était du lot !

 

Il n’empêche, la personnalité de cet homme, sa vie au quotidien vue par Max Gallo, humaniste et écrivain ne pouvait que m’intéresser et faire de moi un lecteur attentif tant Hugo fait partie de notre patrimoine national !

Dans un style simple, agréable, pédagogique même, il nous présente l’homme, nous dit que son enfance fut difficile entre un père militaire, éperdument amoureux d’une mère que pourtant il finit par délaisser au profit d’une maîtresse officielle, les absences paternelles qui lui firent connaître, aux côtés de sa mère, la solitude et sinon la pauvreté, à tout le moins la précarité !

L’enfant vécut mal la séparation finale de ses parents, leurs déchirements. Ses études en pension, sa santé fragile, la concurrence avec ce frère aîné qu’il dépassera bientôt... Il puisa dans ces épreuves prématurées le besoin d’écrire, de même que dans l’amour naissant qui deviendra une véritable passion pour Adèle qu’il épousera.

 

Puis ce sera le divorce de ses parents permis par le Code Napoléon et les vicissitudes financières de son père, tantôt comblé d’honneurs, tantôt en demi-solde. Il en souffrira autant que la présence de cette marâtre à qui il oppose sa mère aimante et dévouée. A travers cette femme bafouée, il fait l’apprentissage du mariage, à travers l’itinéraire du père, celui de la vie en société. Il se souviendra plus tard de ces deux exemples surtout lui dont la vie matérielle dépend déjà de sa plume, du talent, mais pas encore du génie !

 

La vie est une chose bien étrange. On s’y accroche, le plus souvent en jurant qu’elle est belle et qu’elle mérite d’être vécue au point qu’on la traverse comme si on était immortel alors que la mort nous guette et que le quotidien se charge de nous donner des leçons. Hugo n’échappera pas à cette condition humaine qui souvent fait qu’on suit l’exemple pourtant combattu de ses propres parents.

 

Le père était volage, le fils lui ressemblera, multipliant les aventures amoureuses mais conservant son épouse Adèle qu’il continue d’aimer passionnément, même s’il la délaisse au point qu’elle aille chercher dans d’autres bras cet amour que son mari dispense si largement à ses maîtresses, Juliette Drouet et combien d’autres… Ses nombreuses amours sont bourgeoises, aristocratiques, ancillaires ou vénales, mais Victor, plus que son père sans doute ne pourra jamais se passer des femmes, de leurs corps, du plaisir même fugace qu’elles lui donnent et y compris dans un âge avancé, il aime toucher, voir, pénétrer ces femmes au point qu’il note sur son carnet chaque passade en latin ou en espagnol avec des précisions sibyllines et bien peu poétiques, et parfois le prix qu’il a payé pour cet égarement. (Lui qui prétendait que ces notes étaient destinées à des ouvrages à venir, on imagine la jubilation de Gallo d’avoir, peut-être su les déchiffrer !) C’est que, l’ayant connu, il sait ce qu’est la nécessité et comprend ces femmes mais son besoin priapique le pousse parfois vers le quartier des prostituées !

 

C’est que l’homme attire les femmes. Il les lui faut toutes (¡Todas !) et il en aura beaucoup ! Elles s’offrent à lui, malgré leur jeune âge, leur condition d’épouses, leur rang social, leurs opinions politiques…Et dans l’ombre de son ménage officiel se tient toujours Juliette Drouet qu’il n’épousera jamais mais qui lui restera fidèle au point de risquer sa vie pour lui, de le suivre dans son exil, d’être sa copiste, son amante… Il la séquestre pour mieux l’aimer, pour mieux la garder pour lui seul et elle acceptera sans ciller la loi de cet homme. Elle sera sa chose oh combien consentante parce que simplement elle est aussi amoureuse de lui que lui d’elle ! Quand Hugo sera veuf, Juliette deviendra sa compagne « officielle », gérante de sa fortune, mais, peut-être davantage qu’Adèle, elle sera plus prévenante, plus jalouse, plus inquisitrice même ! Elle l’aime, le sait infidèle, lui rappelle ses devoirs et même la simple décence, mais il y a entre Hugo et les femmes une envie plus forte que l’amour, un besoin charnel. Presque au pas de la mort, il ressentira cela comme une vitale nécessité !

 

L’épouse « officielle » ferme les yeux sur les égarements de son mari, même s’il compte et lui dispute parfois l’argent qu’il lui donne ! C’est qu’il n’oublie pas les premières années, les mansardes et les appartements exigus. Malgré la richesse et la gloire qu’il connaître ensuite, il se souviendra toujours de la condition des pauvres, les défendra, leur viendra en aide, sera, dans son œuvre le témoin de ce prolétariat que la monarchie et l’empire bafouent, humilient et à qui ils refusent la liberté !

 

C’est que Hugo, dont le seul métier est d’écrire veut réussir, et pas seulement en littérature. Déclarant qu’il veut « être Chateaubriand ou rien », il mêle dans ce vœu les Lettres et la politique. Pour cela, il recherche l’appui et l’amitié des grands. Certains la lui accordent sans arrières-pensées, tel Théophile Gautier qui illumina de sa présence « la bataille d’Hernani », d’autres seront plus tièdes comme Sainte-Beuve à qui son épouse semble accorder ses faveurs mais qui ne sera jamais vraiment un soutien pour lui ! Quand celui dont les mots coulent des mains comme l’eau d’une fontaine publie un livre, il recueille souvent des compliments mais les palinodies, les railleries, les quolibets de ceux qu’ils croyaient siens se manifestent parfois au grand jour. Dans la force de l’âge, il réagit, s’emporte, mais la vieillesse le rend fataliste. Pourtant il vit et comme le fait si justement remarqué Max Gallo, «  Écrire, c’est comme respirer, quand on s’arrête on meurt ! » Il vivra longtemps, lui a qui on peut appliquer cette phrase de Voltaire. Sa seule force c’était sa plume qui « [avait] la légèreté du vent et la puissance de la foudre ».

 

Grâce à ce formidable don d’écrire, cette inspiration qui le réveille même la nuit, il pèse sur le cours des choses, obtient des grâces, des amnisties pour les condamnés à mort, pour les insurgés de la Commune… Mais cela ne lui suffit pas, il voudrait être Pair de France, le roi l’élèvera à cette dignité, en fera son confident, son conseiller. Un poste de ministre est à sa portée, mais l’affaire ne se fait pas. Pourtant, il sait qu’il ne fera avancer les choses que par la politique. Cela ne l’empêche pas d’hésiter un temps entre la royauté et la République mais quand c’est l’Empire qui se présente, celui de « Napoléon le petit », il s’exile à Guernesey. Pour lui, il n’y a qu’un Napoléon, Bonaparte, qu’un Empire, le Premier ! Et quand il s’agira de se battre, il le fera avec les pauvres, avec le peuple !

 

Pourtant, même comblé d’honneurs, de réussite sociale, de richesses, même élu (de justesse) à l’Académie Française, il reste un homme d’action et quand le monde bouge autour de lui, il défend les pauvres mais combat l’anarchie, se fait le défenseur de l’ordre. C’est peut-être une contradiction, mais au moins il agit selon son cœur, il fait ce qui lui semble être son devoir. Comme tout homme, il est à la fois ambitieux et pusillanime. Il se veut un homme d’action, alors qu’il est surtout un homme de paroles. Il voudrait être vertueux, mais les femmes l’obsèdent. Il se voudrait généreux (il l’est parfois), mais compte comme s’il avait peur de manquer, il voudrait être socialiste et révolutionnaire mais son ambition politique le pousse souvent au conservatisme et quand il est l’élu de la droite, il n’a de cesse de réclamer une politique de gauche. Il est richissime, mais réclame le corbillard des pauvres pour son enterrement qui pourtant l’emporte au Panthéon ! Il combat l’hypocrisie, mais applique rarement ce principe à sa vie privée. C’est que l’homme ne laisse jamais indifférent, qui dénonce, déclenche la haine autant que l’admiration. Il est un homme libre !

 

Il est des êtres qui semblent portés leur destin sur leurs épaules au point que leur vie ne peut se dérouler en dehors d’eux. Hugo est de ceux-là. Il y a eu sa vie, longue, admirable et mouvementée, mais surtout, il y a la mort, moins la sienne que celle de ceux qui l’entourent surtout quand le cours des choses s’inverse et qu’on porte en terre un parent plus jeune, son frère, ses deux fils, sa fille, son premier petit-fils, son autre fille, morte-vivante enfermée dans un asile d’aliénés… Il va tenter d’apprivoiser cette mort qui dès lors ne lui fait plus peur. A Guernesey, il correspond avec l’au-delà. Il va la combattre par l’écriture, par le corps des femmes, par cette extraordinaire vitalité et longévité qui a non seulement fait de lui un « immortel », mais qui, selon le mot de Malraux, a « arraché quelque chose à la mort . » Il sent la sienne s’avancer à travers des signes, des coups frappés dans la nuit et qui le réveillent…

 

Il est des livres qu’on oublie en les refermant. Ces deux tomes, pour moi ne sont pas de ceux-là !

Dans cette œuvre magistrale, le portrait de Hugo nous est brossé jusque dans ses moindres détails. Si Max Gallo reconnaît la grandeur et les mérites de l’homme de plume, de cœur et d’action, il n’en note pas moins ses contradictions sans oublier qu’il a été aussi un précurseur politique, demandant l’abolition de la peine de mort, rêvant des États-Unis d’Europe avec pour langue officielle le français. C’est peut-être un peu à lui à qui pensait Aragon quand plus tard il a écrit « Rien n’est jamais acquis a l’homme, ni sa force, ni sa faiblesse, ni son cœur… » et c’est peut-être en écho que lui a répondu. Jean Ferrat «  Le poète a toujours raison, qui voit plus loin que l’horizon et l’avenir est son royaume… »

 

Je ne suis qu’un simple lecteur, mais ces deux volumes ont réconcilié le distrait potache du fond de la classe que j’étais (il y a bien des années) avec « le plus grand poète français », parce qu’ici et grâce à cette œuvre, j’ai rencontré un homme, tout simplement.

 

© Hervé GAUTIER 

 

  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire

 
×