la feuille volante

Le Tarbouche – Robert Solé

 

N°119– Juillet 1992.

Le Tarbouche – Robert Solé – Le Seuil.

 

 

Le prétexte de ce roman est donné à la fois par l'évocation du « tarbouche », couvre-chef emblématique du costume égyptien traditionnel et par la publication partielle du journal intime que tient Michel Batrakani, élève des jésuites qui appartient à une famille chrétienne et francophile du Levant, assise entre deux mondes dans cette Égypte sous mandat britannique.

 

Ce journal commence le 13 mai 1916 alors que la Grande Guerre fait rage en Europe « Ce matin, à dix heures et demie et cinq, le sultan est venu au collège. J'ai récité devant lui « le laboureur et ses enfants ». Il m'a félicité ». D'une plume alerte, l'auteur nous conte cette saga des Batrakani où la petite histoire qui se mêle à la grande le dispute à cette fascination de l'orient qui se rencontre à chaque page.

 

Dans un style où l'humour et le dépaysement tiennent jusqu'à la fin le lecteur en haleine, l'auteur évoque le parcours de cette famille de commerçants chrétiens venus en Égypte et qui s'est mise à fabriquer des tarbouches par souci d'intégration. Georges Batrakani, le grand-père, n'a-t-il pas été fait « Bey de 1° classe » par le roi lui-même pour « services exceptionnels rendus à l'industrie locale ». Peut-on trouver mieux comme preuve d'assimilation ? C'était dans les années 20 !

 

Les personnages évoluent dans cet univers qui semble hors du temps et singulièrement hors du quotidien de l'Égypte profonde. Il n'en sont pas moins originaux, truculents, attachants... Maguy avec sa cohorte d'amants , Nando, profondément usurier, André qui deviendra jésuite et restera seul en Égypte, Henri aux éternelles citations latines sera consul d'une république sud-américaine changeante, Makram, le copte qui a juré de porter le deuil jusqu'au départ des Anglais ...

Ce paysage est fait de délicatesse, de douceur de vivre. Ce monde est à la fois proche et loin de nous, arabe et européen, mais surtout fascinant par ses couleurs, ses décors, ses senteurs...

 

Au fil du roman, nous assistons à la naissance de l'Égypte, du sentiment national puis à un renversement de situation que personne n'avait prévu et qui débouchera sur la prise de pouvoir de Nasser, faisant de ce pays une nation arabe où les Batrakani n'ont plus leur place. Un à un, ils ont fini par partir, sauf André, le jésuite, non pas expulsés mais rejetés presque naturellement de ce pays qu'ils avaient aimé pour sa richesse et sa douceur de vivre mais où ils n'étaient pas vraiment chez eux « Nous sommes partis de notre propre gré, sur la pointe des pieds, sans tarbouche ni trompette » peut-on lire sous la plume de Michel, un peu comme s'ils s'étaient trompé de symbole, le tarbouche ne représentant dès lors plus rien, pas même le couvre-chef national !

 

Alors, qu'étaient-ils, eux, ces grecs-catholiques perdus dans un pays arabe ? Michel, dans son journal, le dit sans fard «  Ils étaient entre deux langues, entre deux cultures, entre deux églises, entre deux chaises, ce n'était pas toujours très confortable mais [leurs] fesses étaient faites ainsi ».

 

Nous assistons à la fin d'un monde, d'une société, d'une famille aussi qui laisse en terre égyptienne ses morts pour lâcher ses vivants au hasard de la géographie mondiale. C'est un nouveau départ, un nouvel exil pour ce clan qui ne veut pas mourir.

 

 

© Hervé GAUTIER – Juillet 1992.http://hervegautier.e-monsite.com

 

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