Elsa mon amour
- Par hervegautier
- Le 11/11/2018
- Dans Simoneta GREGGIO.
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La Feuille Volante n° 1290
Elsa mon amour – Simonetta Greggio – Flammarion.
Elsa Morante (1912-1985), écrivain (et non pas écrivaine) de grand talent, de nos jours injustement oubliée, a été l'épouse, à partir de 1941 et durant toute sa vie d'Alberto Moravia (1907-1990) également écrivain et ce malgré leur séparation et ses nombreuses maîtresses. Elle l'a suivi dans son exil provoqué en 1943 et 1944 par le fascisme. Ce roman est l'histoire de la vie d'Elsa, mais pas vraiment une biographie au sens habituel malgré les nombreux biographèmes égrenés dans ce livre, mais plutôt un récit où le rêve, l'illusion prennent un peu, l'espace d'un instant, la place du réel, en modifie les apparences. Cela donne un récit acerbe et un peu désabusé et Simonetta Greggio précise elle-même qu'il s'agit d'une fiction où elle se glisse dans la peau d'une Elsa qui prend la parole en refaisant le chemin à l'envers. Elle n'échappe pas à la règle commune à chacun d'entre nous qui, parce que notre vie ne ressemble pas à ce dont nous avions rêvé, à ce que nous avons cru qu'elle nous réservait au point de l'ériger en promesses, se laisse aller à son désarroi et la repeint en couleurs vives, mais ce badigeon s'écaille au fils du temps. Nous avons beau rejouer cette comédie en faisant semblant d'y croire, de nous réfugier dans la beauté, la perfection ou l'imaginaire, nous dire que tout peut arriver, au bout du compte il nous reste les regrets, les remords, la culpabilité peut-être de n'avoir pas fait ce qu'il fallait ou nous incriminons la malchance... Ainsi, sous la plume de l'auteure de « La douceur des hommes », Elsa Morante fait, dans un texte rédigé à la première personne, directement au lecteur la confidence de sa vie, de son parcours, jusqu'aux détails les plus intimes. Avant de rencontrer Moravia, elle avait connu des ruptures avec sa famille, des années de galère financière, n'était qu'un écrivain en devenir, avec pour soutien des amours de passage et surtout cette envie d'écrire qui sera sa passion toute sa vie, qui sera sans doute comme un exorcisme à ses illusions, à ses peines, à son absence de bonheur et d'amour. Quand elle croise Moravia, ils sont à peu près du même âge et lui est déjà couronné par la succès de ses romans. En outre ce qui les rapproche est sans doute leur demi-judéité commune et sûrement aussi le désir (« Nous avons cela en commun, Moravia et moi. Nous ne lambinons pas avec le désir ». Ce fut peut-être de sa part à elle, un amour sincère mais elle nos confie qu'Alberto était à la fois « passionnel et infidèle, indéchiffrable » à la fois amoureux fou de ses conquêtes de passage et homosexuel non assumé. Elle qui n'avait pas connu le bonheur avec ses parents n'aura pas non plus un mariage heureux mais, malgré leur séparation, refusera le divorce, par principe (elle était l'épouse d'Alberto Moravia et le restera) ou pour des raisons religieuses. Ainsi l'histoire de cette longue liaison (49 ans), consacrée par le mariage ne fut pas un long chemin tranquille avec au début la fuite à cause des rafles de juifs, la peur d'être dénoncé et d'être déporté et plus tard, la paix revenue, un quotidien houleux où elle a été malheureuse de trop vouloir être aimée et d'avoir gauchement tout fait pour être détestée. La symbolique de la pluie, l'univers énigmatique des chats accompagnent cette ambiance un peu délétère tissée par l'indifférence de son mari devenu aussi un rival, l'abandon, la fuite ou la mort de ses amants successifs.
Nous ne sommes qu’usufruitiers de cette vie qui nous est confiée avec la mission non écrite et quelque peu hasardeuse d'en faire quelque chose. La sienne Elsa l'a dédiée à l'écriture, à l'amour par passion, à la patience, à la souffrance aussi, sans pour autant l'avoir voulue,mais qui est, elle aussi, un élan vers les mots. C'est avec ces mêmes mots qu'elle parle des maîtresses de son mari, de son inconstance mais aussi de la période noire de Mussolini qui endeuilla l'Italie. Elle ne résiste pas non plus à nous confier des anecdotes sur ses contemporains plus ou moins liés au fascisme, à la mafia, à la culture, peut-être pour tromper son ennui et surtout sa solitude. Elle les meublera en tombant à son tour amoureuse d'autres hommes, parfois des homosexuels mais reviendra toujours vers Moravia et surtout vers l'écriture. Elle devint un écrivain majeur de la littérature italienne..
Il y a des détails biographiques très précis, des citations qui témoignent d'un travail de documentation très poussé, des envolées poétiques émouvantes et même envoûtantes, le tout ressemblant à un tableau composé par petites touches d'où la personnalité et la sensibilité de Simonetta Greggio ne sont sans doute pas absentes. Parfois j'ai même eu l'impression que, derrière Elsa qui est censée s'exprimer à la première personne, c'est carrément elle qui parle au cours de ce bel hommage.
J'apprécie depuis longtemps l'écriture de Simonetta Greggio, sa sensibilité littéraire, ses choix et la qualité de ses romans, mais aussi sans doute parce que elle, Italienne, choisit d'écrire directement en français, ce que je prends comme un hommage à notre si belle langue.
© Hervé Gautier – Novembre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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