Profession du père
- Par hervegautier
- Le 25/03/2017
- Dans Sorj Chalandon
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La Feuille Volante n° 1117
Profession du père – Sorj Chalandon - Grasset.
Qui était vraiment le père d’Émile Choulans ? Était-il parachutiste, professeur de judo, agent secret ou conseillé spécial du général de Gaulle comme il le disait. Toujours est-il qu'il entretenait son jeune fils à la fois dans une mythomanie tournée vers le maintient de l'Algérie dans le giron de la France avec tout le folklore attaché au généraux rebelles et les coups de mains de l'OAS et dans une discipline quasi-militaire où il entendait maintenir cet enfant-soldat amateur de dessin. Fasciné par un homme dont il ne connaît même pas la profession mais qui use volontiers de violence physique envers sa famille, Émile qui multiplie les bulletins de notes médiocres, lui obéit aveuglement sans la moindre velléité de rébellion, sans même se rendre compte que tout cela n'est qu'une comédie, sans s'apercevoir que Ted, ce personnage mystérieux qui serait son parrain, n'a d'existence que dans son imagination.
Qui était vraiment cet homme, mythomane et paranoïaque qui jouait sur la passivité de son épouse et l'admiration que son fils lui portait ? Son portrait nous est tracé à travers les yeux naïfs d'un enfant de treize ans puis plus tard ceux d'un adulte. Ce sont des scènes de folie auxquelles le lecteur assiste, au point que cet adolescent s'identifie à ce père fabulateur. Tout cela se dégonfle néanmoins quand l'enfant, las des coups, menace son père avec son propre pistolet. Pourtant c'est un piège qui se referme sur Émile qui va connaître la psychiatrie et sa mauvaise réponse parce qu'il est plus facile d'accuser un enfant que de se remettre soi-même en question. Le monde fourmille de gens désireux de se faire valoir et qui jouent une comédie ridicule pour se prouver à eux-mêmes qu'ils existent, qu'ils ont de l'importance et qui finissent par y croire. J'avoue qu'au début de ce roman, j'ai ressenti une certaine sympathie pour cet homme un peu bravache et hâbleur, mais, rapidement, au fil des pages, il m'est apparu pathétique et son irresponsabilité autant que sa violence se sont révélées incompatibles avec son rôle éducatif de père. Sa mère effacée n'est pas moins coupable dans son attitude fuyante et muette (ce mutisme est illustré par l'épilogue). Elle aurait pu jouer un rôle actif face à cet homme mais a choisi de ne pas le faire, préférant laisser Émile être phagocyté et détruit lentement par son père et finalement le laisser partir au nom du maintien des choses en l'état pour sa seule tranquillité égoïste. J'ai éprouvé de l'empathie pour le petit Émile qui, en grandissant s'installait de plus en plus dans le rôle de victime et dont les parents entretenaient cette plaie dont il aurait bien du mal à guérir. Et d'ailleurs, guérit-on de cette enfance assassinée ? Je ne connais rien de la vie de cet auteur rencontré par hasard sur les rayonnages d'une bibliothèque mais je choisis, parce que cela a quelques connotations avec mon enfance, de dépasser la fiction pour y voir une dimension autobiographique. Dès lors, et parce que c'est aussi une démarche personnelle, je me demande si l'écriture remplit réellement son rôle d'exorcisme et si, ce qui a été une expérience malheureuse n'est pas le prélude à la reproduction d'une situation délétère comme c'est souvent le cas.
J'ai en tout cas apprécié le style simple mais efficace de l'auteur dont je découvre ici une autre facette de son talent.
© Hervé GAUTIER – Mars 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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