la feuille volante

L'ivresse de la métamorphose

N° 1504- Septembre 2020.

 

Ivresse de la métamorphoseStefan Zweig – Belfond.

Traduit de l’allemand par Robert Dumont.

 

C’est un roman inachevé de Stefan Zweig, dont le titre lui-même est tiré d’une phrase de ce roman non publié de son vivant, commencé en 1930 et dont la rédaction fut reprise en 1938. Je suis toujours curieux du phénomène de l’écriture surtout quand, comme c’est le cas ici, la rédaction d’un roman est entamée puis abandonnée pendant quelques années pour être reprise plus tard. La maturation de l’écriture, le mûrissement des personnages me paraissent intéressants, leurs réactions dans un contexte changeant aussi d’autant que, au cas particulier, la vie de l’auteur a été bouleversée par les évènements politiques. D’un côté il connaît le succès dans son pays et de l’autre la montée du nazisme pèse sur son œuvre et sur sa personne ce qui détermine son départ pour l’Angleterre. Pour autant la déclaration de guerre fera de lui un expatrié, ennemi de surcroît, ce qui lui fera, un temps, relativiser l’ivresse de la notoriété et ce malgré sa naturalisation britannique. Cela a donné un texte en deux parties bien distinctes à l’atmosphère différente mais avec une constante volonté de critiquer l’état autrichien et le contraste que l’auteur lui-même avait noté entre les laissés pour compte de la guerre et les riches qui en ont profité ,une volonté de montrer la fragilité de cette jeune fille, coincée entre sa condition initiale et la prise de conscience que sa transformation peut lui procurer

Dès la première page, la description du bureau de poste de Klein-Reifling, petit village perdu en Autriche de l’entre-deux guerres, vaut son pesant de tristesse administrative à laquelle, malgré la sécurité d’emploi, Christine Hoflenher, vingt sept ans, jeune auxiliaire en charge de cet office veut absolument échapper tout comme à son décor domestique aussi triste que pauvre. Ainsi n’hésite-t-elle pas, quand elle reçoit une invitation de sa riche tante Claire Van Boolen à la rejoindre en Suisse pour quelques jours de vacances. Là elle pénètre dans un univers différent de celui qui fait son quotidien, ce sont des beaux vêtements qui la rendent belle, plus jeune, les tourbillons de la danse qui l’étourdissent, le luxe de l’hôtel, les hommes qui se pressent autour d’elle, l‘argent facile du jeu... autant de marques de changement qui l’enivrent . On lui prête de nom de sa tante et malgré elle elle devient une riche et noble héritière que chacun envie courtise et désire. Ainsi s’installe-t-elle dans ce rêve tourbillonnant au point de se croire devenue une autre, bien différente de ce qu’elle était avant ! Pire peut-être, elle perd toute mesure ce qui irrite son oncle. Elle comprend d’un coup son pouvoir sur les hommes mais aussi sa fragilité et ses limites et prend conscience de la duplicité, de la volonté de nuire de sa rivale. Les choses finissent par revenir à leur vraie place, la réalité aussi et Zweig examine la psychologie des gens qui l’entourent et les commérages ont raison d’elle et c’est la dégringolade. Elle devient une proie après avoir été le centre d’intérêt et réintègre sa condition originaire.

il n’y a aucun mal à souhaiter améliorer sa situation mais vouloir à toutes forces faire ce pour quoi on n’est pas fait peut se révéler désastreux. Ce roman est l’image de la condition humaine où ce genre d’épisode ne se termine pas toujours par un « happy end ». Cette parenthèse de sa vie a un caractère initiatique. Elle fait l’expérience de l’hypocrisie et de la méchanceté ordinaire, prend conscience qu’il y a ce qu’elle voit et la réalité et que ce sont deux choses bien différentes. C’est un regard aiguisé posé sur l’espèce humaine autant que sur la société qu’elle a entr’aperçue. Le retour à la réalité est tellement insupportable qu’elle rejoue pour elle-même, un soir, à Vienne le rôle qu’elle avait à l’hôtel mais elle est seule. Sa rencontre avec Ferdinand, un être brillant mais brisé par la guerre, sera un peu sa vengeance mais le prix en paraît élevé et surtout hypothétique. Pour autant, partageant les désillusions de Ferdinand, elle se met néanmoins sous son influence. Même si cet roman est inachevé il préfigure ce que sera le destin tragique, peut-être déjà envisagé par son auteur et son épouse, au Brésil.

 

 

 

 

 

 
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