Jusqu'à la bête
- Par hervegautier
- Le 08/12/2017
- Dans Timothée Demeillers
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La Feuille Volante n° 1192
Jusqu'à la bête – Timothée Demeillers – Asphalte Éditions.
Le livre refermé, je suis assez partagé sur ce roman. Il n'est pas rare que la littérature nous parle à l'envi de ceux qui, partis de rien, ont réussi, sont nés sous une bonne étoile et ont triomphé de tout, de l'adversité comme des embûches dressées par leurs semblables, pour le plaisir de leur nuire ou par simple jalousie. Dans ce genre, il n'est pas rare non plus qu'on nous parle de leurs fêlures, de leurs failles parce que nul n'est parfait mais le héro, à la fin, triomphe de tout et on ne retient que la réussite. Tout cela est bel et bon mais la réalité générale est bien différente, celle des petits, des sans-grade, pris de bonne heure dans la spirale du malheur et qui font ce qu'ils peuvent pour y échapper. Malheureusement pour eux, ils ne tardent pas à être rattrapés par l'échec parce qu'il fait partie de leurs gènes et qu'il ne peut en être autrement. Le plus souvent ils sont nés par hasard ou par accident et leurs parents ont à cœur de leur faire payer, au moins pendant le temps où ils sont à leur charge, l'erreur qui consiste à être là ! Alors ils mettront du temps, et même toute leur vie, à guérir de cette enfance meurtrie. Pour faire bonne mesure, leurs géniteurs leur témoigneront au mieux de l'indifférence, au pire de la haine et multiplieront autour d'eux les épreuves pour qu'ils partent au plus vite et quand ils l'auront fait, ils les accompagneront de leurs vœux de malheurs perpétuels. Après avoir manqué le rendez-vous de l'école, ils choisiront soit l'armée, soit le monde du travail pour échapper au chômage qu'ils connaîtront de toute manière un jour ou l'autre, mais, faute d'éducation, ils ne pourront accéder qu'aux métiers les plus ingrats, les plus mal payés, les plus dévalorisants et dénués d'avenir et resteront indéfiniment à la porte de cet ascenseur social dont on nous parle tant mais dont nous savons qu'il ne fonctionne plus depuis très longtemps. Il ne manquera pas de gens, le plus souvent des supérieurs, qui, les voyant se débattre dans leurs problèmes, au lieu de les aider à s'en sortir, appuieront le trait et en rajouteront dans la mesquinerie et la bassesse, pour se prouver qu'ils existent et ont de l'importance ou simplement pour le plaisir leur faire du mal. La société ne sera pas tendre avec ceux qui ne peuvent se défendre. Et, puisque c'était mal parti, et au nom sans doute d'un exemple qui doit être reproduit par eux et malgré eux, ils vont connaître à nouveau cette malchance qui leur colle à la peau et se maintenir eux-mêmes, aidés sans doute par l'alcool, le tabac et la drogue, dans cet état d’infériorité qu'ils ne quitteront plus. Dans toute cette grisaille, Il y aura peut-être l'amour qui viendra repeindre en bleu leur univers morne et leur faire croire que le bonheur existe aussi pour eux, parce que la beauté des femmes a ce pouvoir. Ce ne sera cependant qu'une illusion, qu'un mirage qui laisseront place au mensonge, à la trahison, à l'adultère, balayant d'un coup les fantasmes et les serments auxquels ils ont cru. « Les autres » et spécialement leurs proches qui sont les mieux placés pour consommer cette volonté de les anéantir, ne vont pas s'en priver. Ils retomberont ainsi dans leur état d'origine parce que l'espèce humaine est ainsi faite, capable du pire comme du meilleur, mais bien souvent du pire et que la solidarité, la générosité et le « vivre ensemble » sont des chimères entretenues pour une bonne conscience collective !
Telle est l'histoire de ce jeune homme meurtri par la vie qui aggrave son cas par un geste que le premier avocat commis d'office pourrait défendre, mais qui le met d'emblée dans un cadre proscrit par la loi et le met pour un assez long temps en marge de cette société dont il n'a jamais vraiment fait partie. Ce roman déprimant a touché son but puisque, au-delà de l'histoire, assez aisément transposable dans nombre d'autres secteurs d'activités, il nous parle parce que nous aussi avons, un jour ou l'autre été concernés. J'ai simplement peu goûté le style qui certes traduit le désarroi du narrateur, mais ne correspond pas à ce que j'attends d'un roman.
© Hervé GAUTIER – Décembre 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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