Le lauréat
- Par ervian
- Le 07/09/2025
- Dans Cinéma américain
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La Feuille Volante - N° 2011 – Septembre 2025.
Le Lauréat – Un film de Mike Nichols (1967)
Benjamin Braddock (Dustin Hoffman), fils unique d’une riche famille, 21 ans, récemment diplômé de Harvard est incertain sur son avenir. Il retourne dans la famille en Californie et au cours d’une soirée chez ses parents, il retrouve Mme Ellie Robinson (Anne Bancroft), l’épouse d‘un des associés de son père qui le séduit malgré son inexpérience. Ce dépucelage est pour lui le symbole de son passage à l’âge adulte. Une liaison se crée entre eux, mais Ellie fait jurer à Benjamin de ne jamais séduire Elaine, sa fille (Katharine Ross), alors que les parents de Benjamin, évidemment ignorants des frasques de leur fils, souhaitent au contraire que les deux jeunes gens se rencontrent. Benjamin se révèle plus amoureux de la fille que de la mère et Ellie menace de tout révéler à ses parents et, pour faire échec à ses projets, éloigne Elaine. Après moult péripéties l’histoire se termine dans une forme assez particulière de « happy end » mais je ne suis pas sûr qu’on puisse la qualifier exactement ainsi.
Ce film devenu culte, incarne les « sixties » qui sont un symbole de liberté, sexuelle notamment, encore qu’on n’ait pas attendu cette période pour que les femmes mariées trompent leur mari, de préférence avec des hommes plus jeunes, et que ces derniers profitent de l’occasion. L’adultère est vieux comme le monde et ce film insiste sur la différence d’âge entre les amants dans une relation uniquement sexuelle alors qu’ils n’éprouvent rien l’un pour l’autre. Ainsi devient-il évident que l’attitude de Mme Robinson est davantage inspirée par la crainte de voir Benjamin tomber amoureux d’Elaine que de vouloir vivre avec lui une authentique histoire d’amour. Elle lui fait d’ailleurs jurer de ne jamais toucher à sa fille pour qui elle a sans doute d’autres projets et n’hésite pas à le menacer de chantage en manipulant la réalité. Elle ne sera pas vraiment récompensée de cette manœuvre grossière puisque son mari demandera le divorce. On peut d’ailleurs penser que Benjamin n’est pas le premier à tomber dans son lit, ce qui est aussi une réaction contre la frustration des femmes des années 50 cantonnées au foyer. Ellie, peu amoureuse de son mari, a dû abandonner ses études d’art et est devenue alcoolique.
L’enlèvement d’Elaine par Benjamin dans des circonstances assez surréalistes ne me paraît pas être un gage futur de bonheur conjugal, la jeune fille désirant sans doute, avec le temps, se rapprocher de ses parents qui n’accepteront jamais Benjamin qui a été l’ancien amant de sa mère et qui a cocufié son père. On imagine aussi la déception des parents de Benjamin dont le M. Robinson reste l’associé.
Le rythme du film, surtout dans sa deuxième partie où Benjamin rencontre Elaine, est vouée à la vitesse de sa puissante voiture et de sa nouvelle vie, n’est pas sans évoquer un manière de fureur de vivre et l’ombre de James Dean.
Il reste que le film repose sur Dustin Hoffman (Oscar du meilleur acteur) dont c’est le premier grand rôle et s’oppose au puritanisme hypocrite de l’Amérique des années 50. C’est aussi une réaction contre les studios hollywoodiens mettant en scène des vedettes d’un autre temps sur des thèmes usés jusqu’à la corde. C’est l’histoire en raccourci de Benjamin qui s’émancipe à la fois de ses années d’étude, de la férule de ses parents et des critères traditionnels de l’Amérique basés sur le respect de la morale et de la réussite mais qui retombera sans doute dans la routine qui tue l’amour fou quand il se mariera avec Elaine comme il le souhaite, à moins bien sûr qu’ils ne pratiquent l’union libre puis la séparation, histoire de ne pas faire comme leurs géniteurs. J’imagine en effet que cette passade entre Benjamin et Ellie est bien de nature à envenimer leur future relation. L’image finale dans le bus le donne quand même un peu à penser et j’imagine assez facilement qu’à terme ils rentreront dans le rang, c’est à dire feront sans doute comme leurs parents puisqu’on reproduit toujours, parfois malgré soi, l’exemple qu’on voulait précisément éviter. Le fait que les occupants du bus les regardent avec un étonnement mêlé de réprobation souligne assez à la fois cette évolution des mœurs et cette différence de génération . Cette scène finale est d’ailleurs porteuse de questions à l’image de la joie du début, lors de la montée dans le car, suivie par un plan sur les visages fermés et silencieux des deux tourtereaux. La belle chanson interprétée par Simon et Garfunkel « The sound of silence » vient souligner cette séquence.
J’ajoute que l’émancipation de Benhjamin concerne également l’Église qui est une forme de carcan social. Non seulement il enlève Elaine au cours de la cérémonie du mariage avec un autre et après l’échange des consentements mais il barricade la porte avec une croix qui lui sert également d’arme contre les assauts des invités.
Mike Nichols (1931-2014), Oscar du meilleur réalisateur, signe un long-métrage de transition adapté du roman éponyme de Charles Webb (1939-2020) et qui a obtenu à sa sortie un remarquable succès. Il marque la fin d’une époque fortement influencée par le code Hays et en annonce une autre résolument moderne. Sans aucun doute un grand film.
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