la feuille volante

LE DRAP

 

N°944– Août 2015

 

LE DRAP – Yves Ravey Les éditions de Minuit.

 

Dans ce livre, le narrateur, bizarrement baptisé Lindbergh, comme l'aviateur, évoque les derniers mois de son père, Roger Carrosa. C'est le genre d'homme qui n'a jamais été malade, qui a toujours travaillé et qui ne connaît pas l'arrêt-maladie. Il laisse cela aux parasites qui se font embaucher pour profiter du protecteur système de santé. Pour lui le travail c'est une valeur. Il l'a pratiqué toute sa vie, d'abord comme serrurier, comme son père, où l'atmosphère d'atelier était nocive, puis plus tard à l’imprimerie où il s'était fait recruter et où il a respiré des vapeurs de plomb. C'était dangereux mais l'habitude lui tenait lieu de protection. Il en fallait d'autre pour le terrasser. Il avait même peint l'intérieur d'une cuve au pistolet sans masque, pour rendre service sans doute. C'est aussi pour cela qu'il a accepté de prendre le chien du directeur du personnel parti en vacances. Il ne sait pas dire non, il est toujours disponible. Et puis les copains c'est sacré quand ils lui doivent quelque chose, il attend leur bon vouloir, parfois longtemps et ne réclame jamais. On peut appeler cela de la naïveté ou peut-être autrement mais pour lui c'est normal. Il prend le médecin de haut qui parle d'analyses, de médicaments, d'hospitalisation. Pensez, c'est la première fois de sa vie ! C'est le genre d'homme à n'être jamais malade.

A son épouse qui a toujours vécu dans son ombre, il reproche de chercher du travail, on ne sait jamais, si les choses tournaient mal. De tout temps, un homme a toujours « fait vivre son épouse » comme on disait, et ce n'est pas maintenant que cela va changer. La tradition, toujours, et une femme, c'est fait pour rester à la maison ! Elle voudrait bien que tout cela change, mais elle se soumet. Elle a toujours obéi à son mari, surtout quand ce dernier a accepté, à la demande de son père, de reprendre la serrurerie familiale. II pouvait aller travailler à l'usine, ils auraient vécu en ville et cela aurait été autre chose, une autre vie...Il a des plaisirs bien simples, la pêche dans le Doubs, l’harmonie municipale dans laquelle il joue du saxophone et le PMU qui ne distille pour lui qu'un espoir illusoire.

La camarde a été la plus forte, elle l'est toujours. Avec lui, elle y a mis les formes, a annoncé sa venue, cela a duré 6 mois puis ce fut le cérémonial de la mise en bière, de la toilette, de l'enterrement. Pour partir dans l'autre monde sa femme a tenu à ce qu'il soit bien vêtu, comme il ne l'a d’ailleurs jamais été, avec costume, chemise blanche et chaussures cirées, décoration de prisonnier de guerre et médaille de l'harmonie municipale. Là aussi, la tradition. Puis ce fut son tour à elle, peu de temps après parce qu'ayant toujours vécu avec lui, elle ne pouvait lui survivre longtemps ;

 

J'ai récemment croisé les romans d'Yves Ravet que je ne connaissais pas. La grande économie de mots, le minimalisme dans les descriptions et les évocations qui le caractérisent, la brièveté de ses romans, m'interpellent. Ce n'est pas que je n'aime pas, mais cela tranche sur ce que j'ai l’habitude de lire ; j'aime les écritures plus fluides mais il m’apparaît que cette manière d'écrire colle bien à ce dont il parle. Il n'est pas nécessaire d'employer de grands mots pour évoquer des situations quotidiennes. En effet, cette histoire est banale, mais, je ne m'explique pas pourquoi, elle m'a ému par sa simplicité, par son caractère humain, suranné peut-être ? Elle évoque des clichés d'un autre temps, des valeurs familiales qui, si elles sont contestées aujourd'hui, ont inspiré, à tort ou à raison, la vie de nos aïeuls. Le thème c'est évidemment le père, son absence, mais aussi la brièveté de la vie, son côté quotidien, dérisoire.

 

Hervé GAUTIER – Août 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

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