Kamel Daoud
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Houris
- Par hervegautier
- Le 27/12/2024
- Dans Kamel Daoud
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N°1951– Décembre 2024.
Houris – Kamel Daoud – Gallimard.
Prix Goncourt 2024.
Fajr (Aube) est une ,jeune algérienne célibataire de 26 ans qui a survécu, alors âgée de 5 ans, au massacre des habitants de son douar, le 31 décembre 1999, perpétré par les islamistes pendant la guerre civile. Échappant miraculeusement à la mort, à moitié égorgée, les cordes vocales détruites, ce jour est pour elle comme une deuxième naissance. Il ne lui restera qu’une cicatrice de 17 centimètres, comme un sourire qui dérange ses interlocuteurs, tout comme ses yeux d’une exceptionnelle beauté. Elle ne respire plus qu’avec une canule et la greffe est impossible malgré toutes les démarches de sa seconde mère, celle qui l’a sauvée.
Fajr est enceinte, sans mari et bien qu’elle soit muette pour le monde extérieur, s’adresse à sa fille à naître dans a langue intérieure, un long monologue, pour lui raconter une guerre, pas celle contre les Français qu’elle n’a pas connue, mais la guerre civile de 1990 à 2002, ces milliers de morts, et les égorgeurs qui ont détruit sa vie et sacrifié celle de sa sœur qui n’a pas survécu, l’injustice qui leur accorda le pardon au nom de la « réconciliation nationale », les tentatives de faire taire la petite fille mutilée dont la survivance dérangeait. puis peu à peu, avec le temps et le mensonge, l’oubli de leurs crimes, comme une abolition de la mémoire . Elle lui décrit cette société qui ne reconnaît les femmes que soumises aux hommes et une guerre qui tue au nom de Dieu. Elle l’appelle « Houri » du nom des vierges qui, selon le Coran sont destinées à un fidèle musulman au paradis, mais refuse de la mettre au monde dans un pays qui fait si peu de cas des femmes. Il ne reste plus que l’avortement, interdit dans ce pays, contenu dans trois pilules abortives et cela devient pour elle une obsession. Pourtant elle est une femme libre, célibataire, qui possède son propre salon de beauté à Oran et se révolte contre ce pays, cette société, cette religion et l’imam qui l’incarne et qui suscite sa mise au banc d’une communauté privée de liberté et fanatisée par la religion…A sa voix se mêle celle d’Aïssa, un libraire, rescapé lui aussi mais épargné par les tueurs et chargé par eux de témoigner des assassinats qu’ils a vus. Grace à sa mémoire phénoménale, il énumère, chiffres à l’appui, les atrocités perpétrées par les tueurs de Dieu, un peu comme si, malgré eux, il conservait leur souvenir mais les autorités lui imposeront le silence qui nourrit amnésie. C’est pourtant grâce à son érudition que toute cette barbarie nous est rappelée. Vient s’y ajouter celle de l’imam de « l’endroit mort » où elle choisit de revenir vingt et un ans après, où sa famille a été exterminée par les barbus du FIS au moment de l’Aïd-El-Kebir, une fête religieuse où on égorge des moutons. Pour elle ce « pèlerinage » est une épreuve supplémentaire, un véritable chemin de croix. C’est ici qu’elle veut avaler ses pilules abortives, en refusant la vie à sa fille à naître, tout un symbole. Cette voix venue on ne sait d’où a bizarrement des accents d’explications, parle d’un frère jumeau absent, de dédoublement, de destin et peut-être une demande de pardon adressée à Fraj au nom d’Allah. La mort s’y mêle à la vie dans un tourbillon de mots et de signes, de souvenirs aussi, celui de sa sœur égorgée pour qu’elle Fajr, puisse vivre, de refus de cette mort programmé pour sa fille...
Grace au monologue de Fajr, au savoir d’Assaï, aux accents de l’imam et malgré la loi d’amnistie qui institue l’oubli et même l’amnésie générale suite à cette période troublée, l’épilogue à des accents de vie, d’avenir, d’amour ...
Ce roman à la fois émouvant et fascinant, poétique parfois, se lit facilement malgré un style est haché, un peu répétitif, à la dimension de la révolte obsessionnelle qu’il porte et qui emprunte beaucoup à la réalité... pour faire échec à l’oubli. Apparemment le but recherché a été atteint puisque ce livre, objet de polémiques, est interdit en Algérie et que son auteur est contraint de vivre en France parce qu’en Algérie la loi interdit qu’on évoque cette guerre civile. La notion de liberté d’expression y est bien différente dans ces deux pays.
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