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la feuille volante

PÊCHEUR D'ISLANDE

N°731 – Mars 2014.

PÊCHEUR D'ISLANDE– Pierre Loti. Éditions Calmann-Lévy.

 

Ce roman, paru en 1886 et qui fut un grand succès, évoque la passion contrariée qui se heurte à un problème de classe sociale. Gaud, une jeune bretonne qui a vécu à Paris, fille d'un important commerçant de Paimpol, tombe amoureuse de Yann, un simple et pauvre marin-pêcheur de Pors-Even et le rencontre au cours d'une noce. Lui, c'est un "Islandais ", un homme rude, solitaire et timide, habitué aux tempêtes, à la vie dure et dangereuse de la Mer du Nord. Il navigue sur « La Marie » mais il aime surtout la mer, même si elle prélève chaque année son tribut de vies humaines. Il ne songe guère à se marier surtout avec elle. Elle lui avoue son amour en termes naïfs et surtout pleins de cette retenue que la période imposait mais lui refuse[« Non, mademoiselle Gaud, vous êtres riche, nous ne sommes pas des gens de la même classe, je ne suis pas un garçon à venir chez vous, moi.»]

L'auteur nous présente cette famille où Yvonne, la grand-mère, craint pour son dernier petit-fils, Sylvestre Moan âgé de 19 ans qui, à la fin de la campagne de pêche doit partir au service militaire, cinq ans en Chine où il y a la guerre.

Ce roman décrit trois campagnes de pêche au large de L'Islande, un drame de la mer qui se termine mal.J'ai toujours apprécié chez l'auteur les descriptions à la fois fortes et rudes des landes et des chaumières bretonnes, l'odeur tiède des estaminets,la fraîcheur des bords de mer, l'angoisse et l'attente des bateaux de retour de la grande pêche, les allusions à cette vie encombrée d'une religiosité surannée qui confine à l’idolâtrie, une société confite dans l'eau bénite pour les femmes et dans l'alcool pour les hommes, qui pratique le « pardon des Islandais », respecte les traditions, entretient la mémoire des marins péris en mer, le partage des enfants entre voisins quand la veuve ne peut plus subvenir aux besoins d'une trop grande famille, observe les coutumes en usage en Bretagne au XIX° siècle, pratique la solidarité des pauvres qui rapproche Gaud, désormais ruinée à la mort de son père, de la vieille Yvonne. Elle la soutiendra dans son deuil mais devra travailler pour vivre, sa nouvelle condition rendant cependant possible son mariage avec Yann. Loti décrit la dure vie de pêche des matelots à bord,détaille leur vêture, leur métier dangereux et ingrat dont ils ne changeraient pour rien au monde, parle de leur mode de vie à terre comme en mer. C'est un véritable livre de sociologie.En outre, je retrouve dans ce roman ce que j'ai toujours aimé chez Pierre Loti,cette dimension poétique de l'écriture, l’évocation des sentiments où la pudeur le dispute au non-dit puisque cette passion ne peut qu'être contrariée par les circonstances, la société,par la vie même, cette analyse de la psychologie de ces personnages rudes mais que le deuil frappe si souvent [« il comprenait maintenant que son pauvre petit frère ne réapparaîtrait jamais, jamais plus...Le chagrin qui avait été long à percer l'enveloppe robuste et dure de son cœur y entraient à présent à pleins bords... mais les larmes commençaient à couler lourdes, rapides, sur ses joues ; et puis les sanglots vinrent soulever sa poitrine profonde. ».

Ce texte distille une réelle émotion à laquelle le lecteur ne peut resté insensible. Marin lui-même, Pierre Loti ne peut être indifférent à la mer qu'il évoque en termes à la fois poétiques et violents. Elle est ici un véritable personnage qui d’ailleurs, dans ce roman, aura le dernier mot. Yann se destinait à elle [« Non, c'est la mer qui n'est pas contente, répondit Yann en souriant à Gaud, parce que je lui ai promis le mariage »]et c'est finalement cette mer qui prélèvera encore une fois son sinistre impôt de vie.[«Une nuit d'Août, las-bas, au large de la sombre Islande, au milieu d'un grand bruit de fureur, avaient été célébrées ses noces avec la mer... Lui, se souvenant de Gaud, sa femme de chair, s'était défendu, dans une lutte de géant, contre cette épousée du tombeau ; Jusqu'au moment où il s'était abandonné, les bras ouverts pour la recevoir, avec un grand cri comme un taureau qui râle, la bouche déjà emplie d'eau, les bras ouverts, étendus et raidis pour jamais »].Loti était aussi officier de marine et, à l'occasion du départ de Sylvestre pour la Chine, il évoque la vie militaire, la discipline, les combats mais aussi les lettres reçues par les conscrits qui sont autant d'occasions de se souvenir que, malgré la distance, on pense à eux. Les derniers moments de ce jeune homme mort trop tôt, loin de la Bretagne et des siens sont poignants comme le sont aussi ceux que connaît la vieille Yvonne quand on lui annonce la mort de son petit-fils.

 

Je reconnais à Pierre Loti, et lui en sais gré, de décrire le monde tel qu'il est et de ne pas forcément satisfaire, même dans un roman où c'est une tentation facile, au « happy end » que le lecteur attend souvent. Il reste, à mes yeux, un immense écrivain, de nos jours injustement oublié.

De nos jours on ne lit plus beaucoup Pierre Loti et c’est bien dommage. Il était certes l’artisan de sa « maison enchantée » de Rochefort/Mer mais c’était un merveilleux écrivain qui faisait chanter les mots, brossait pour son lecteur des paysages fascinants et savait le captiver par l’histoire qu’il lui racontait et les phrases qu’il ciselait si bien pour cela. Il était de ces remarquables serviteurs de notre si belle langue française qui se meurt chaque jour un peu plus.

 

 

 

 

©Hervé GAUTIER – Mars 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

 
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