Le temps d'un soupir
- Par hervegautier
- Le 08/08/2022
- Dans Anne Philipe
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N°1664 - Août 2022
Le temps d’un soupir – Anne Philipe – Juillard.
Je viens de lire « Le dernier hiver du Cid », un émouvant hommage de Jérôme Garcin à Gérard Philipe (1922- 1959).
La lecture de ce témoignage, celui d’Anne, son épouse, s’est imposé de lui-même. Ce livre, publié en 1963, quelques années après cette disparition qui étonna le monde entier parce qu’elle frappait un homme jeune beau et plein d’un bel avenir, est une longue méditation sur l’amour, le bonheur et la mort servie par une écriture sobre . Le texte évoque brièvement sa vie à elle, les souvenirs qu’ils avaient en commun et avec leurs enfants mais surtout abandonne à la page blanche devenue confidente les derniers jours de son mari, entre douleurs, les fols espoirs de survie, le retour à la maison, les rues de Paris, les projets incertains pour un avenir lointain. Elle y exprime sa volonté de le voir revivre mais face à la souffrance insupportable et à la fin inévitable, souhaite sa mort, se laisse aller à supplier les médecins de laisser partir la vie, et se heurte à un refus … Elle va donc devoir, face à une mort annoncée, endosser ce rôle de mensonge en lui cachant son état et devenir cette comédienne tragique face à cet immense comédien, malgré la trahison du miroir, les vêtements soudain devenus trop grands, malgré les jours gagnés sur la vie dont on égrène le triste décompte ! Elle se prépare à affronter le malheur comme jadis elle vivait le bonheur avec lui, joue pour lui la comédie de la vie alors que la mort est en embuscade, se force à s’habituer à la solitude.
Désormais sa place est vide et elle évoque le quotidien, les folies et les phobies, les souvenir faits de mer, de soleil et du chant des cigales qui ont émaillé leur vie commune mais maintenant qu’il a quitté ce monde, qu’il n’est plus pour elle qu’une ombre vivante , à la fois douce et floue, elle vit toujours avec lui. C’est comme s’il devait surgir de la foule, dire que tout cela, la souffrance et surtout la mort n’ont pas existé, que tout cela n’a été qu’un rôle, qu’un mauvais rêve et qu’il faut se réveiller. Les pensées se bousculent dans sa tête et elle repense sans doute à ce vers de Paul Eluard « Nous ne vieillirons pas ensemble, voici le jour en trop, le temps déborde... ».
Il y aura les hommages officiels venus du monde entier, ceux de la profession pour laquelle il s’est tant battu, celui de la « culture » mais c’est dans de petit cimetière de Ramatuelle qu’il repose, après trente six ans d’une courte vie, revêtu de ce costume du Cid qu’il incarna, accompagné par tous les habitants du village, comme on dit adieu à un ami, à un parent...
Des mots écrits à la main puis imprimés dans un livre, seize courts chapitres, la présence de leurs enfants, des gestes dérisoires et répétés, des comportements artificiels et de circonstance pour exorciser la douleur et l’absence, comme la veuve du poète Paul Baudenon, Claire, qui signait ses lettres de son prénom et de celui de son mari alors que ce dernier était mort depuis des années, ou cette femme anonyme qui après le décès de son cher époux, mettait chaque jour son couvert... C’est un baume bien fragile face à la fatalité et à la mort qui est notre lot à tous.
Elle lui survivra jusqu’en 1990, ne le rejoindra dans le néant qu’à l’âge de 72 ans après avoir passé le reste de sa vie à honorer sa mémoire, à faire survivre cette image définitive de l’éternel jeune homme qui s’est inscrite dans la mémoire collective. L’écriture l’y aida sans doute parce qu’elle a cet extraordinaire pouvoir cathartique et l’ombre de cet homme ne la quitta jamais.
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